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marina.ch  septembre 10
nature
septembre 10  marina.ch
TEXTE: STEFANIE PFÄNDLER
Août 2007. Deux sous-marins plongent pro-
fondément  sous  les  glaces  de  l’Arctique  et 
plantent le drapeau russe sur le sol marin à une 
profondeur de 4261 mètres. Celui-ci se trouve 
alors exactement au pôle nord géographique. 
Si cette démonstration de puissance de Mos-
cou ne signifie rien à un niveau juridique, elle 
revêt une grande importance symbolique. Se-
lon le Premier ministre Vladimir Poutine, l’océan 
glacial arctique serait indispensable à la sécu-
rité militaire du pays. Il n’est pas nécessaire 
d’être un expert pour comprendre que la  Russie 
vise ici un objectif tout autre: l’océan Arctique 
fait en effet l’objet de discussions intenses en-
tre ses Etats côtiers depuis de nombreuses an-
nées. Les scientifiques estiment que près de 
30% des réserves globales de pétrole et de gaz 
qui n’ont pas encore été exploitées se trouvent 
dans la région polaire. Le chiffre exact varie en 
fonction des études, mais cette proportion est 
toujours importante: l’US Geological Survey 
suppose  que  l’Arctique  abrite  près  de  50 
billions de mètres cubes de gaz et environ 90 
milliards de barils de pétrole. Ces ressources 
seraient supérieures à celles du Nigeria, du Ka-
zakhstan et du Mexique réunis. Et ce n’est de 
La fin des glaces éternelles
L’être humain atteint très rapidement ses limites lorsqu’il évolue dans les paysages gelés de l’Arctique. Il s’est 
pourtant mis en tête aujourd’hui de conquérir ce territoire. Les profondeurs de l’océan du pôle nord abritent 
en effet de nombreuses richesses (qui pourraient bien nous perdre).
loin pas tout: des hydrocarbures, de l’or, du zinc, 
du cuivre et des diamants devraient également 
reposer sous les sols marins.
Ces messieurs en complets noirs se demandent 
donc nerveusement qui a le droit d’avancer 
aussi maladroitement cette extraction de ma-
tières premières. La réponse est tout sauf sim-
ple, le statut politique de l’Arctique n’ayant ja-
mais été clarifié à ce jour. Sous les épaisses 
masses de glace se trouve un océan profond et 
la région est ainsi juridiquement soumise aux 
dispositions  de  la  Convention  des  Nations 
Unies sur le droit de la mer de 1982 (cf. «ma-
rina.ch» 31, mai 2010). Cela signifie que les 
cinq Etats côtiers de l’Océan arctique (Nor-
vège, Danemark, Russie, Canada et Etats-Unis) 
peuvent revendiquer la zone maritime s’éten-
dant jusqu’à 200 milles autour de leurs côtes 
comme leur zone économique exclusive. Mais 
cela ne les aide pas beaucoup: grâce au Groen-
land, le Danemark est le pays le plus proche du 
pôle nord, mais même ici la distance jusqu’au 
pôle est bien supérieure aux 200 milles. La so-
lution des secteurs fait donc également l’objet 
de discussions intenses (cf. graphique). Cette 
idée est avant tout appuyée par les deux pays 
qui y gagneraient le plus, à savoir le Canada et 
la Russie. L’Arctique serait alors divisé en sec-
teurs dont les limites partiraient du pôle nord 
et longeraient les méridiens jusqu’aux extrêmi-
tés nord des frontières des Etats côtiers. Avec 
cette solution, la Russie obtiendrait près de la 
moitié du territoire de l’Arctique, le Canada en-
viron un quart, le Danemark un peu moins et 
la Norvège et les Etats-Unis une toute petite 
partie du gâteau. Les exigences des différents 
Etats changent constamment et chaque gou-
vernement cherche des arguments scientifi-
ques pour justifier ses demandes. La Russie 
tente depuis longtemps de prouver que le pays 
est plus grand qu’il n’y paraît: le plateau conti-
nental qui se prolonge sous les glaces serait 
ainsi un prolongement naturel du continent 
eurasien et appartiendrait donc à la Russie 
(pôle nord compris). Afin de prouver leurs dif-
férentes théories, les Etats côtiers envoient ré-
gulièrement des scientifiques dans ce désert 
blanc afin d’y récolter des échantillons de sol 
(ou même parfois de planter des drapeaux 
dans le sol marin). 
Aucune réglementation 
Il n’y a jamais eu de décision internationale 
contraignante en ce qui concerne la division 
de cette région. Jusqu’au tournant du millé-
naire, le pôle nord et une grande partie de 
l’océan Arctique étaient considérés par la plu-
part des Etats comme une zone internatio-
nale. Mais depuis, les discussions se sont à 
nouveau  enflammées:  le  quotidien  public 
russe «Rossijskaja Gaseta» affirmait récem-
ment que la division de l’Arctique serait «le 
début d’un nouvel équilibre mondial». Cette 
prévision  quelque  peu  grandiloquente  est 
pourtant bien fondée: jusqu’à présent, les pré-
cieux trésors du nord étaient bien enfermés à 
l’abri  dans  un  coffre-fort  de  glace  et  ne 
 pouvaient donc pas être exploités même par 
les plus riches et les plus puissants du monde. 
Mais tout cela pourrait bientôt changer.  Car 
l’Arctique fond… 
Il est vrai que cette affirmation n’est pas nou-
velle: il y a 40 millions d’années de cela, des 
températures  subtropicales  régnaient  dans 
cette région. Des séquoias géants et des plan-
tes pour le moins exotiques poussaient à l’épo-
que sous ces latitudes. Durant l’ère tertiaire, les 
premières calottes glaciaires se sont formées 
sur les pôles et il y a 6000 ans de cela, la ré-
gion était déjà libérée des glaces à certains en-
droits et à certaines périodes. La nouveauté 
Le brise-glaces «Polarstern» 
de l’Institut Alfred-Wegener 
proche d’un iceberg dans   
l’Antarctique.
Alaska
Canada
Mer de Sibérie orientale
Russie
Mer de Kara
Mer de Barents
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Groenland
(propr. Danemark)
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