
André Yinda 
Cahiers de l’AMEP / no1 / premier volet / 2014 
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comme dans le monde. Ce sentiment s’est forgé très tôt dans mon esprit en 
lisant Machiavel à travers Aron lui-même, notamment dans la préface au 
Prince2 ainsi que dans les textes rassemblés par Remy Freymond, avec l’aide 
de  Pierre  Manent,  et  publiés  sous  le  titre  Machiavel  et  les  tyrannies  mo-
dernes3. Le  cheminement de  mon raisonnement  était  alors  assez  simple : 
Pierre Manent me mènera, s’il accepte de me diriger, à Aron et celui-ci à Ma-
chiavel,  et  ce  dernier  au  fondement  de  la  politique  moderne.  Lorsque  je 
trouve donc réunis au même endroit un centre dédié à Aron et Pierre Manent 
qui  fut  son  Assistant  au  Collège  de  France  y  officiant  comme  directeur 
d’études, lui-même fin connaisseur des secrets de l’écriture machiavélienne4 
et de ses principaux interprètes contemporains5, j’acquiers immédiatement 
cette conviction intime qui habite souvent les jeunes thésards que c’est à cet 
endroit-là que je dois faire mon travail de thèse.  
En effet, dès ma première rencontre avec Pierre, j'ai retrouvé immédia-
tement cette saisissante lucidité du politique, désarmante, discrète, sobre, 
simple voire dépouillée mais d'une étonnante densité. Je parle de cette sorte 
de densité radicale qui s'avance masquée, derrière une apparente frugalité 
mais dont l’objectif, puissamment poursuivi, est de vous permettre de com-
prendre que la modernité politique n'est pas une affaire d'exégèse mais bien 
une genèse de l'exercice du pouvoir qu'il s'agit de saisir dans une plénitude 
du raisonnement qui n’est jamais figé mais toujours en mouvement, suivant 
ses propres lois, sa logique en soi, bref déroulant son autonomie. Il s’agit de 
ce raisonnement de type aronien qui ne cherche ni à convaincre, ni à séduire 
mais  bien  à  donner  à  comprendre  sans  faire  l’économie  des  difficultés 
propres à l’exercice. L’efficacité du raisonnement alliée à l’humilité intellec-
tuelle,  telles  sont  les  deux  traits  de  caractère  qui  me  frappent  chez  cet 
homme dès cet instant et qui ne seront jamais démentis.   
Cela dit, avant de rencontrer Pierre, je dois confesser trois petites  infi-
délités : d’abord vis-à-vis de l’Université de Yaoundé 1 où j’abandonne mon 
poste d’Assistant de Philosophie politique parce que je me rends compte que, 
à moins de faire une thèse au rabais sur Machiavel, je n’accéderai jamais à 
la documentation nécessaire pour aller au bout de mon travail avec celui qui 
était mon directeur de thèse de l’époque, Ebénézer Njoh Mouelle pour qui j’ai 
conservé la plus grande estime ; ensuite vis-à-vis du Professeur Manfred G. 
Schmidt de l’Institut für Politische Wissenschaft à l’Université de Heidelberg, 
fasciné que j’étais d’aller puiser à la source allemande mais je me suis rendu 
compte que Machiavel n’était pas toujours  pris  au  sérieux  chez  les philo-
sophes allemands, à l’exception notable de Fichte6 ; enfin vis-à-vis d’Alain 
Renaut à qui j’avais soumis un projet sur le « travail cosmopolitique de Ma-
chiavel » à Paris 4 et qui l’avait accepté après quelques échanges. D’ailleurs, 
pour  la  centrale  des  thèses  de  Lille,  cette  thèse  est  toujours  en  cours… 
J’aurais sans doute fait une thèse différente et probablement moins hétéro-
doxe sous sa direction. 
                                       
2 Nicolas Machiavel, Le prince, Paris, Livre de poche, 1962, traduction de J. Gohory, préface de Raymond Aron.   
3 Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, Paris, Editions de Fallois, 1993.  
4 Pierre Manent, Naissances de la politique moderne : Machiavel, Hobbes, Rousseau, Paris, Payot, 1977.  
5 Léo Strauss, Claude Lefort, Allan Bloom, Quentin Skinner, Harvey Mansfield, Hélène Védrine, John Pocock, etc. 
6 Fichte, Machiavel et autres écrits philosophiques et politiques de 1806-1807, Paris, Payot, 1981.