Chapitre 7 – Caractérisation du domaine continental La lithosphère, qu'elle soit océanique ou continentale, est toujours constituée de manteau lithosphérique surmonté de croûte, les deux formant un ensemble rigide (« plaque lithosphérique ») de quelques kilomètres à plus de 100 km d'épaisseur. En-dessous se trouve l'asthénosphère ductile. La croûte océanique, constituée de gabbros et basaltes, a une densité moyenne d'environ 2,9. L'âge de la plus vieille croûte océanique est d'environ 200 Ma (peu par rapport à l'âge de la Terre). Quelle est la nature des roches de la croûte continentale ? Quelle est la densité de cette croûte continentale ? Comment expliquer la différence d'altitude entre fonds océaniques (-3800 m en moyenne) et surface des continents (840 m en moyenne) ? Quel est l'âge de la croûte continentale ? I. Nature des roches de la croûte continentale Voir carte géologique de la France (sur mon site). Les granitoïdes (granite et roches voisines) constituent la plus grande partie de la croûte continentale. Par rapport aux gabbros et basalte de la croûte océanique, ils sont plus riches en silice et plus pauvres en fer et en magnésium. Les granitoïdes sont essentiellement constitués de quartz et feldspath (+mica, amphibole...) alors que gabbros et basaltes sont essentiellement constitués de feldspaths plagioclases et de pyroxène. On trouve également beaucoup de gneiss dans la croûte continentale (voir III.2). Remarque : les granitoïdes sont souvent recouverts en surface par des sédiments, comme dans le Bassin parisien (voir carte et coupe). En revanche, ils affleurent largement dans les massifs anciens (M. armoricain, M. central, Vosges). II. Densité de la croûte continentale, isostasie et épaisseur de la croûte continentale La croûte continentale a une densité plus faible (de l'ordre de 2,8) que la croûte océanique (de l'ordre de 2,9). Cela suffit-il à expliquer la différence d'altitude de 3800+840 = 4640 mètres entre fonds océaniques et surface des continents ? 1. Principe de l'isostasie et calcul de l'épaisseur de la croûte continentale On suppose que la lithosphère est en équilibre sur l'asthénosphère. Pour simplifier, on considère que la croûte est en équilibre sur le manteau, et on fait passer une "surface de compensation" virtuelle passant dans le manteau lithosphérique juste sous la croûte continentale. La masse de deux colonnes de roches surmontant cette surface de compensation doit être égale pour que l'ensemble soit en équilibre. Plusieurs modèles ont été proposés (doc. 3 page hair=840m ρair≈ 0 t.m-3 145) : heau= – modèle d'Airy : la densité de la croûte est ρeau=1 t.m-3 3800m supposée constante, seule son épaisseur change ; ce modèle est adapté à la lithosphère continentale. croûte – modèle de Pratt : dans ce modèle, ce sont hco= océanique seulement des différences de densité qui 7000m croûte ρco=2,9 t.m-3 expliquent les différences d'altitude ; ce hcc = ? continentale dernier modèle est en partie adapté à la ρcc= 2,8 t.m-3 lithosphère océanique : la densité globale Moho de celle-ci varie latéralement. On utilise un modèle mixte pour expliquer la différence d'altitude entre océans et continents : on est obligé de considérer que la croûte manteau continentale est moins dense (ρcc ≈ masse hml = ? lithosphérique -3 volumique du granite ≈ 2,8 t.m-3), mais aussi que ρml=3,3 t.m la croûte continentale est plus épaisse et que la base de la croûte n'est pas à la même profondeur. Si on découpe par la pensée une colonne de Moho Surface de compensation roche de section S, on a dans ce modèle : manteau lithosphérique négligeable car ρair est très petit devant les autres masses volumiques ρcc × S × hcc = ρair × S × hair+ ρeau × S × heau+ ρco × S × hco+ ρml × S × hml On divise par S à gauche et à droite et on remplace h ml par hcc – hair – heau – hco : ρcc × h cc= ρeau × h eau + ρco × h co + ρml ×(h cc−h air −heau −hco ) soit ( ρcc− ρml )× hcc = ρeau × heau + ρco × hco + ρml ×(−hair −h eau −hco ) d'où h cc= ρeau × h eau + ρco × h co − ρml ×(h air +heau +h co ) . ρcc− ρml Application numérique : h cc= 1 × 3800+ 2,9×7000−3,3×(840+3800+7000) On a donc hcc = 28624 m ≈ 29 km. 2,8−3,3 2. Mesure de l'épaisseur de la croûte continentale Les ondes sismiques produites par les séismes (ou par un camion-vibreur) sont réfractées en profondeur par les discontinuités du globe terrestre, et notamment par le Moho qui est la limite entre croûte et manteau. La sismique réfraction consiste à comparer, pour une même station d'enregistrement, l'heure d'arrivée des ondes provenant directement du foyer du séisme et l'heure d'arrivée des ondes réfractées par une discontinuité. En effet, pour les stations d'enregistrement situées à plus de 300 km du foyer d'un séisme, on constate que deux trains d'onde du même type (ondes p) arrive à quelques secondes d'intervalle. Les ondes P̄ arrivent en ligne droite depuis le foyer du séisme. Les ondes P, réfractées par le Moho, parcourent un chemin plus long. Pourtant les ondes P arrivent plus tôt. En effet, la vitesse de déplacement des ondes sismiques est nettement plus élevée dans le manteau lithosphérique que dans la croûte. Ainsi, les ondes P "doublent" les ondes P̄ . Cette constatation effectuée en 1909 par M. Mohorovičić suite à un séisme survenu à Zagreb en Yougoslavie, lui a permis de proposer l’idée que la base de la croûte était située vers 50 km de profondeur. La limite croûte-manteau est, depuis, appelée Moho en hommage à ce savant. Sur cette carte, relever la profondeur du Moho : - sous les océans : moins de 10 km - sous la France sauf les Alpes : entre 30 et 40 km (est-ce cohérent avec la valeur calculée? oui ) - sous les grands "cratons", zones continentales stables, Afrique, Sibérie, nord de l'Amérique du nord p.ex. : aux alentours de 40 km - sous les chaînes de montagnes récentes les plus hautes : 40 km sous les Alpes, 70 km sous l'Himalaya, 60 sous les Andes. 3. Calcul de l'épaisseur de la racine crustale d'une chaîne de montagnes Bouguer, en 1738, a mesuré la gravité dans les Andes. Il s'attendait à trouver des valeurs plus élevées qu'en plaine, à cause de l'excès de masse dû à la chaîne de montagnes, mais la réalité est que la gravité est plus faible quand on se trouve sur une chaîne de montagnes (doc. 2 p. 144). Cela indique un "déficit de masse" en profondeur, qui implique l'existence d'une "racine crustale" sous la chaîne de montagnes. Cette racine crustale, c'est de la croûte continentale ; elle a donc une densité plus faible que le manteau lithosphérique avoisinant, d'où le "déficit de masse" mesuré dans la chaîne de montagnes. On cherche, en utilisant le principe d'isostasie vu précédemment, à calculer hair= l'épaisseur de la croûte continentale au ρair≈ 0 t.m-3 8800-840 Relief niveau d'une chaîne de montagnes : = 7960m l'Himalaya, dont l'altitude maximale est de 8800 m. On prend pour épaisseur moyenne de la croûte continentale hcc ≈ 30km = croûte 30000m. hcc = continentale 30000m croûte ( ρair × h air + ρcc × h cc + ρml × h rc= ρcc × hhim ρcc=2,8 t.m-3 hhim = ? continentale ρcc= 2,8 t.m-3 où h him=h air +hcc + hrc , donc : ) Moho Racine crustale hrc = ? manteau lithosphérique ρml=3,3 t.m-3 Moho Surface de compensation manteau lithosphérique négligeable ρair × h air + ρcc × h cc + ρml × h rc= ρcc ×(hair +h moy + hrc ) soit, en développant : ρcc × h cc + ρml × hrc = ρcc × h air + ρcc × h cc + ρcc × hrc d'où ρml × h rc− ρcc × hrc = ρcc × h air ( ρml − ρcc )× hrc = ρcc × h air h rc= h rc = ρcc × h air ( ρml − ρcc ) 7960×2,8 hrc = 44 576 m ≈ 45 km. 3,3−2,8 Les reliefs des chaînes de montagnes sont compensés en profondeur par une racine crustale, épaississement de la croûte continentale, d'environ 45 km dans le cas de l'Himalaya (conforme à l'épaisseur mesurée, voir 2). III. Indices tectoniques et pétrographiques de l'épaississement crustal 1. Indices tectoniques Il existe sur les continents de nombreux indices d'un épaississement de la croûte. Le plus évident est l'existence de plissements (doc. 1 p. 148) et de failles inverses (doc. 2 p. 148). Si on fait appel à la stratigraphie pour déterminer l'âge des terrains à l'aide de leur contenu en fossiles, on peut constater dans la photographie cicontre, prise dans les Alpes, une anomalie. Laquelle ? Les terrains oligocène, plus récents, se retrouvent sous des terrains plus anciens. Cela est dû à un charriage : une écaille tectonique a été poussée par dessus une autre au cours de la compression alpine. 2. Indices pétrographiques Doc. 1 p. 150 : Dans le Limousin (partie ouest du Massif central), on peut observer des roches grenues (entièrement cristallisées) qui présentent une structure particulière : elles ont été déformées suite à une contrainte tectonique. Ce sont des schistes (les minéraux sont tous allongés dans le même plan) ou des gneiss (on observe des lits dont la composition minéralogique est différente). Leur contenu minéralogique indique qu'elles ont subi un métamorphisme, transformation minéralogique à l'état solide due à une augmentation de pression et de température. A l'aide du document 3 p. 151, classer les roches R1 à R3 selon l'intensité du métamorphisme subi (augmentation de pression et de température) : R1 < R2 < R3 En effet, R1 ne contient ni biotite, ni grenat, ni staurotide ; elle a donc été portée à une température <400°C. R2 contient de la biotite et du grenat, mais pas de staurotide ; elle a donc été portée à >400°C mais <500°C. R3 contient grenat et staurotide ; elle a donc été portée à plus de 500°C. On observe également des roches qui ont atteint leur point de fusion (anatexie) et ont en partie fondu. Ce sont des migmatites (doc. 2 p. 151) et plage de St-Briac-sur-Mer. Tous ces indices laissent penser que la croûte continentale subit, lors de la formation des chaînes de montagnes, un épaississement par empilement d'unités tectoniques (chapitre 8). IV. L'âge de la croûte continentale Cet âge peut être mesuré par la radiochronologie, qui repose sur l'utilisation des isotopes radioactifs de certains éléments chimiques. 1. Principe Le noyau d'un isotope radioactif est instable et se « désintègre » spontanément en donnant un noyau qui contient un nombre différent de protons. Exemple : L'isotope 87 du Rubidium est un émetteur β- ; un neutron se désintègre en donnant un proton qui reste dans le noyau et un électron (particule β-) qui est éjecté : 1 0 ( ν̄ : antineutrino) n → 11 p + −1 e + ν̄ 0 Le noyau résultant, qui contient donc le même nombre de nucléons mais un proton de plus est un noyau de Strontium 87 : 87 Rb → 87 Sr + e- + ν̄ 37 38 La quantité de 87Rb présent dans une roche décroît de façon exponentielle en fonction du temps, tandis que la quantité de 87Sr croît. La durée de vie d'un noyau de Rubidium 87 est une fonction qui a une densité de probabilité égale à λ e-λt où λ est la "constante radioactive" du couple 87Rb - 87Sr : λ = 1,42.10-11an-1. On appelle "période" ou demi-vie et on note T le temps au bout duquel la moitié du 87Rb s'est transformée en 87Sr. T = ln2 / λ; cette période est une constante qui ne dépend pas de la quantité de 87Rb présente au départ. La probabilité qu'un noyau de 87Rb ne se soit pas encore désintégré au temps t est le complément à 1 de la précédente valeur : e-λt . Si on note le nombre de noyaux de 87Rb encore présent au temps t, c'est le nombre de noyaux présents au temps 0 et qui ne se sont pas encore désintégrés au temps t : 87 Rb(t) = 87 Rb(0) × e-λt donc 87 Rb(0) = 87 Rb(t) × eλt. 37 37 37 37 La probabilité qu'un noyau se désintègre dans l'intervalle de temps [0; t] vaut 1- e-λt . La quantité q(t) de 87Rb qui s'est désintégrée depuis la formation de la roche vaut donc : 87 Rb(0) × (1-e-λt) 37 soit : q(t) = 87 37 Rb(t) × eλt × (1 - e-λt) = 87 37 Rb(t) × (eλt - 1) La quantité de 87Sr présente dans une roche au temps t (aujourd'hui) est égale à la quantité de 87Rb qui s'est désintégrée depuis la formation de la roche + la quantité de 87Sr déjà présente au départ : 87 Sr (t ) = 87 Rb(t) × (eλt - 1) + 87 Sr (0) . 38 37 38 On peut mesurer 87Sr(t) et 87Rb(t) mais on ne connaît pas 87Sr(0). On résoud le problème en mesurant les quantités de ces isotopes dans différents minéraux et en mesurant aussi la quantité de 86 Sr, un isotope stable du strontium, dont la quantité n'a donc pas varié depuis la formation de la roche. On divise l'équation ci-dessus par la quantité de 86Sr : 87 87 87 Sr Rb Sr λt (t ) (t ) ( )(0 ) . = × (e – 1) + 86 86 86 Sr Sr Sr 87 87 Rb Sr Dans un diagramme avec 86 en abscisse et 86 en ordonnée, les points s'alignent sur une Sr Sr droite dont la pente est d'autant plus forte que l'âge de la roche (ou du massif) est plus ancien (voir graphique page suivante). Si on écrit l'équation de cette droite sous la forme y=ax+b, a = eλ t – 1, d'où λt = ln(a+1) et ln (a+ 1) . t= λ (Approximation : comme a<<1, on considère souvent ln(a+1) ≈ a, d'où λt ≈ a et t ≈ a/λ. Cette même approximation s'écrit aussi : eλ t – 1 ≈ λt car λt<<1.) Cette méthode est applicable pour des âges supérieurs à 100 Ma environ. 2. Applicabilité de la méthode La datation ne peut se faire que sur un échantillon dans lequel les éléments 87Rb et 87Sr sont restés prisonniers de la roche depuis sa formation, sans qu’il y ait eu d’apport de l’extérieur ni de fuite de ces éléments. Un tel système, qui ne réalise aucun échange avec l’extérieur, est un système fermé ; la date obtenue correspondra à celle de la fermeture du système. Pour une roche plutonique (ex. : granite), la fermeture du système correspond au moment où la cristallisation du magma est achevée (les isotopes radioactifs sont alors piégés dans les minéraux), c'est-à-dire au moment où la température diminue en-dessous d'un certain seuil. La méthode est aussi applicable aux roches volcaniques, la fermeture du système correspondant à la date de l'éruption, ainsi qu'à certaines roches métamorphiques. Par contre, les roches sédimentaires ne sont pas des systèmes fermés : elles réalisent des échanges avec l’environnement. Sauf cas particulier (datation au 14C de restes d'êtres vivants), la radiochronologie ne permet pas de dater les roches sédimentaires. 3. Choix de l'isotope radioactif La datation n'est valide que si l'on mesure des âges allant environ du centième jusqu'à dix fois la période de l'isotope choisi. (En-deçà, la quantité d'élément-fils ne peut pas être déterminée assez précisément, au-delà, c'est la quantité d'élément-père qui devient insuffisante pour une mesure précise.) Couple père-fils 14 C → 40 K → 87 Rb → 14 Période en années Plage de validité N +... 5730 de quelques années à 50 000 ans Ar +... 1,3.109 de 50 000 ans à 109 ans 5.1010 de 100 millions d'années à l'âge du système solaire 40 87 Sr +... La seule méthode à connaître est la méthode 87Rb-87Sr. Exercice : déterminer l'âge du granite de Saint-Sylvestre (doc. 3 p. 153). Conclusion du chapitre : - La croûte continentale est constituée essentiellement de granitoïdes, roches magmatiques riches en silice, et de gneiss (roches métamorphiques de même composition chimique globale). - Elle a une densité plus faible (2,8) que la croûte océanique (2,9), et une épaisseur plus grande (30 km environ hors chaînes de montagnes), encore plus au niveau des chaînes de montagnes, ce qui est lié à un épaississement par plissement et superposition d'unités. - L'âge de la croûte continentale est par endroits très ancien (plus de 4 Ga, voir doc. 4 p. 153).