Position de thèse - Université Paris

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE 1. Mondes anciens et médiévaux
Etudes grecques
ED 0022
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Etudes grecques
Présentée et soutenue par :
Mme Aurore VIOLAS
le 6 décembre 2014
Les préverbes a)na- et kata- en grec ancien
(Homère, Hésiode, Hérodote)
étude linguistique
Sous la direction de :
M. Charles de LAMBERTERIE Professeur émérite de l’Université Paris IV
JURY
Mme Isabelle BOEHM
Mme Claire LE FEUVRE
M. Jean-Pierre LEVET
M. Daniel PETIT
Professeur à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée
Professeur à l’Université Paris IV
Professeur à l’Université de Limoges
Professeur à l’ENS d’Ulm-Sèvres
1
Position de thèse
Cette thèse se propose d’examiner les différentes significations recouvertes par les
préverbes a)na- et kata- en grec ancien, à travers l’examen des occurrences de ces deux
préverbes dans les œuvres d’Homère, d’Hésiode, d’Hérodote et dans les Hymnes Homériques.
Les préverbes a)na- et kata- forment dans la langue grecque une sorte de paire
complémentaire, notamment parce qu’ils évoquent deux déplacements qui s’opposent : vers le
haut pour a)na- et vers le bas pour kata-. On trouve ainsi des composés qui constituent un
couple d’antonymes comme les verbes a)nabai/nw « monter » et katabai/nw « descendre ».
Cependant, ils n’ont pas seulement une signification spatiale et ont été utilisés dans la formation
de nombreux composés, dès l’épopée homérique, sans qu’il soit toujours évident de déterminer
l’apport sémantique au prédicat verbal.
Les recherches sur la préverbation manifestent souvent le souci de déterminer une
signification originelle dont découlerait l’ensemble des emplois du préverbe. Si le sens de « vers le
haut » pour la particule a)na/ semble bien établi et que la comparaison avec d’autres langues
indo-européennes permet de dire que la particule a très tôt signifié « vers le haut » ou « en
hauteur », les faits sont moins clairs pour la particule kata-. En effet, les rapprochements avec
les autres langues et l’examen de la langue grecque elle-même a souvent conduit les linguistes à
considérer que les emplois de la particule seraient issus d’un sens général de « s’adapter à »1, dont
dériveraient les sens de « vers, conformément à, contre, du haut de (avec le génitif) ». Cette
analyse n’est pas très satisfaisante au regard des emplois de la particule en tant que préverbe.
De plus, on a tendance à considérer que le préverbe kata- a le plus souvent une valeur
intensive pour souligner l’achèvement de l’action. Or, cette valeur aspectuelle d’accomplissement
est aussi représentée dans les emplois du préverbe a)na-, alors que sa signification concrète et
spatiale est totalement différente. A de très nombreuses reprises, le rôle du préverbe kata- est
difficile à déterminer et de très nombreux auteurs (linguistes ou traducteurs) se contentent
d’indiquer que le préverbe a un rôle d’intensif, terme trop vague pour pouvoir nous satisfaire.
Le préverbe a)na- quant à lui recouvre des significations très variées qu’il semble
difficile de rattacher à cette signification originelle de « vers le haut ».
Nous avons donc cherché à prendre en considération les différents sens et emplois de ces
deux préverbes afin de voir s’il est possible d’isoler des catégories de verbes qui mettraient en
lumière une familiarité de chacun de ces deux préverbes avec des procès particuliers et
permettraient de comprendre les connotations recouvertes par les préverbes, expliquant ainsi la
variété de leurs emplois.
Afin d’éclairer l’emploi des deux préverbes dans notre corpus, nous avons également pris
en considération les emplois des prépositions a)na/ et kata/. En effet, même si les
prépositions n’ont pas les mêmes significations, ni la même évolution que les préverbes, ne
pouvant notamment pas avoir de valeur aspectuelle, leurs emplois permettent parfois d’éclairer tel
ou tel passage obscur. Les deux prépositions s’opposent lorsqu’elles indiquent une direction
1
Voir par exemple P. Chantraine, Dictionnaire Etymologique de la Langue grecque.
2
(« vers le haut » et « vers le bas »), par exemple dans le contexte assez particulier d’un
déplacement fluvial : a)na_ to_n r(o/on « en remontant le courant » / kata_ to_n
r(o/on « en suivant le sens du courant ».
Les deux prépositions sont aussi employées localement de façon similaire, pour un
mouvement horizontal, au sens de « parmi », dans les syntagmes a)n’/kaq’ o3milon et
a)na_ /kata_ strato/n que l’on trouve dans les épopées homériques et qui signifient « à
travers la masse (des guerriers)/ à travers la troupe ». Dans ce type d’emploi, il est plus difficile de
déceler une nuance qui permette de distinguer les deux prépositions. Nous voyons donc que les
prépositions elles-mêmes ont à la fois des significations qui les opposent et des emplois qui les
rapprochent.
Enfin, on constate en étudiant les occurrences des deux prépositions dans nos textes que
seule la préposition kata_ possède des emplois au sens figuré (notamment avec le sens de
« conformément à » dès les épopées homériques), alors que la préposition a)na/ ne présente que
des significations spatiales (et temporelles chez Hérodote), mais aucun emploi figuré.
D’autre part, notre étude aborde l’emploi adverbial des particules a)na/ et kata/, c’està-dire lorsqu’elles ne sont liées ni à un verbe ni à un nom. Les emplois comme particules
adverbiales de a)na/ et kata/ sont peu nombreux, mais on trouve aussi d’autres adverbes
formés sur les particules a)na/ et kata/, à savoir a1nw, a1nwqen, a1nanta, ka/tw,
ka/twqen, kaqu/perqen et kato/pisqen. Ces adverbes sont peu représentés, mais
indiquent que les indications spatiales sont davantage marquées dans les adverbes dérivés de
a)na/ que dans ceux qui sont dérivés de kata/.
Les occurrences des deux particules en emplois indépendant nous imposent également
d’aborder le problème du statut du préverbe, puisque les préverbes du grec comme dans les autres
langues indo-européennes sont d’anciennes particules adverbiales indépendantes2. En effet, ainsi
que l’ont rappelé A. Meillet et J. Vendryes3, en indo-européen, « les mots de la phrase étaient
autonomes et indépendants les uns des autres. ». Ce n’est que par la suite que ces éléments
adverbiaux se sont rapprochés des verbes ou des noms, devenant ainsi des préverbes et des
prépositions, ce qui se vérifie pour nos deux particules a0na/ et kata/.
Ainsi, dès les plus anciens textes, les particules a0na/ et kata/ ont été employées de
trois manières : en emploi indépendant, en lien avec un verbe ou en lien avec un nom. Lorsque ces
particules se rapportent à un verbe, elles peuvent être soudées au verbe ou séparées de lui : on
parle alors de tmèse.
Il n’est pas toujours aisé de déterminer si une particule est employée comme adverbe,
comme préposition ou comme préverbe séparée du verbe, puisque l’autonomie des mots dans la
phrase indo-européenne est encore vivante en grec ancien, notamment dans la langue épique, et
donc, en ce qui concerne notre corpus, chez Homère4, Hésiode et dans les Hymnes homériques. On
2
Voir notamment les analyses présentes dans les ouvrages de grammaire comparée : E. Schwyzer, Griechiche
Grammatik, II, p 419 sqq ; K. Brugmann, Grundriss, II, 2, p 758 sqq ; A. Meillet, Introduction, § 193, p 358-359 ;
J. Wackernagel, Vorlesungen über Syntax, II, p 165-167.
3
Traité de grammaire comparée des langues classiques, p 572, § 840.
4
Dans sa Grammaire Homérique, P. Chantraine indique que « le texte homérique, fort archaïque, permet
particulièrement bien de montrer avec quelle souplesse s’emploient ces mots et comment leur emploi dans la phrase
peut varier. » Gr. Hom. II p 82. Il ajoute des exemples pour préciser la place que pouvaient avoir les « préverbes » par
rapport au verbe, rappelant qu’il n’est pas toujours possible de choisir entre adverbe, préverbe ou préposition.
3
trouve même encore des exemples de tmèse chez Hérodote, ce qui crée une certaine unité entre les
différentes œuvres de notre corpus.
Pour les Anciens, ce phénomène de la tmèse était un effet de style. Ils interprétaient la
tmèse comme une réelle coupure de mots, d’où le nom de « tmèse ». Ils pensaient que les poètes
choisissaient de séparer le préverbe de son prédicat pour produire un effet. On sait aujourd’hui
qu’il s’agit en fait d’un archaïsme, puisque les préverbes ont été libres, avant d’être soudés au
verbe, lorsqu’ils étaient associés à un prédicat verbal. Nous abordons la question de la tmèse en
préliminaire de notre étude puisque nous souhaitons donner un aperçu de l’emploi des particules
a)na/ et kata/ employées comme prépositions et comme adverbes indépendants dans notre
corpus. La question se pose d’ailleurs en plusieurs occasions de savoir si nous sommes en présence d’un préverbe disjoint, d’une préposition ou d’un adverbe en emploi indépendant. C’est notamment le cas, lorsque la particule a)na/ est utilisée avec des verbes signifiant « se lever »,
puisque la particule en emploi adverbial indépendant peut signifier « debout ! » dans des propositions injonctives chez Homère.
Nous ne nous livrons pas à une étude détaillée des cas de tmèse présents dans notre corpus,
mais dans certains cas, le lien entre le choix de la tmèse et le sémantisme du verbe mérite d’être
considéré de près, pour voir si le préverbe disjoint permet de donner une valeur forte au préverbe
ou si le phénomène n’est dû qu’à la reformulation d’une tournure dans laquelle le verbe était
accompagné d’un syntagme nominal introduit par une préposition.
Pour ce qui est du fonctionnement des préverbes, notre étude se trouve à la convergence de
deux domaines de l’analyse linguistique, puisque les préverbes sont des morphèmes
grammaticaux, qui ont donc un rôle morphologique et syntaxique, mais ce sont aussi des
morphèmes lexicaux qui modifient la signification du verbe simple auquel ils sont associés.
Dans la recherche linguistique récente, le statut du préverbe et son fonctionnement est mis
en parallèle avec l’emploi des prépositions5. Les problèmes du rapport entre préposition et
préverbe ne constituent pas le but de notre étude et il est difficile de tenter une recherche sur le
processus de grammaticalisation des préverbes dans un état de langue où la séparabilité du
préverbe figure encore. Cependant, nous pouvons comparer certains emplois du verbe simple avec
une préposition et les emplois du composé correspondant, afin de voir s’il est possible de parler
d’équivalence, ou si le verbe composé apporte un sémantisme réellement différent. Du point de
vue syntaxique, la question de la valence des verbes composés par rapport aux verbes simples se
pose également. Enfin, on voit que chacun des deux préverbes a)na- et kata- entretient des
liens avec les différentes catégories d’évolutif, statif, factitif et causatif. Par exemple, nous
constatons que le préverbe a)na- n’est que rarement utilisé avec des verbes statifs, et qu’il est au
contraire fréquent avec des verbes de mouvement, ce qui n’est pas le cas du préverbe katapuisque beaucoup de composés en kata- dénotent une installation.
La question de l’aspect est également un des points importants de notre étude, puisque les
préverbes que nous avons choisis ont une valeur aspectuelle, dès les premiers textes, mais aussi
5
Ainsi, K. Van Goethem, L’emploi préverbal des prépositions en français s’interroge sur le fonctionnement des
préverbes par rapport aux préfixes et aux prépositions, reprenant notamment la terminologie de C. Vandeloise qui
désigne par le mot « site » ce qui est désigné par le régime d’une préposition et par le mot « cible » ce qui est localisé
par la préposition. K. Van Goethem oriente son étude sur les relations entre l’objet et la cible, dans l’emploi des
préverbes.
4
dans la suite de l’histoire de la langue grecque. En étudiant de façon précise les occurrences de nos
deux préverbes, on constate que ces valeurs aspectuelles sont issues des emplois concrets des deux
préverbes6, et notamment leurs significations locales. Conformément à la théorie proposée par B.
Pottier7, nous envisageons les trois domaines d’application de la deixis, spatial > temporel > notionnel. Mais le cœur de notre analyse ne concerne pas la validité des préverbes en tant que marqueurs aspectuels.
Le but de notre étude est de dresser un état des emplois des préverbes a)na- et katadans ce que l’on considère comme les premiers textes de la littérature grecque qui nous sont parvenus avec une réelle cohérence narrative, à savoir les poèmes homériques, les œuvres d’Hésiode
et d’Hérodote. Ce travail passe d’abord par une approche sémantique et par l’examen de la totalité
des emplois de ces deux préverbes, considérant comme É. Benveniste que « le ‘sens’ d’une forme
linguistique se définit par la totalité de ses emplois, par leur distribution et par les types de liaisons
qui en résultent »8.
L’étude des composés présents dans notre corpus montre bien que, du point de vue spatial,
un certain nombre d’emplois du préverbe a)na- marquant un mouvement ascendant s’oppose à
un mouvement descendant marqué par le préverbe kata-. Mais les emplois de nos deux
préverbes qui ne correspondent pas à ces deux sèmes sont les plus nombreux.
Comme attendu, le préverbe a)na- est associé à des verbes qui signifient « se lever »
(a)ni/sthmi, a)no/rnumai), ainsi qu’à des verbes de déplacement qui décrivent notamment
un déplacement vers le haut. Il s’agit sans doute d’une des significations les plus anciennes du
préverbe. Le mouvement vers le haut est perceptible dans les verbes de déplacement du type
a)nabai/nw, mais surtout dans des verbes qui signifient « lever quelque chose ». Ce sont ces
verbes qui sont en fait les plus nombreux, soit qu’il s’agisse de lever un objet en l’air
(a)napa/llw, a)naei/rw), soit de les ramasser à terre (a)nale/gw), soit de les placer en
hauteur (a)nabiba/zw, a)na/ptw).
Mais le préverbe a)na- est associé à d’autres types de mouvements : vers l’avant, vers
l’extérieur et vers l’arrière.
Le mouvement vers l’avant est illustré par des verbes pour lesquels il n’est pas toujours
évident de savoir s’il s’agit de se lever ou de s’élancer, comme les verbes a)nai5ssw ou
a)norou=sai. Ils permettent de mettre en évidence le fait que le préverbe a)na- est lié à un
élan, qui permet au sujet de se lancer vers l’action. C’est à travers ce type de verbes que l’on
perçoit que le préverbe a)na- est un préverbe de l’action. C’est sans doute en raison de cette
capacité qu’a le préverbe de marquer un mouvement vers l’avant qu’il en est venu à aider à la
formation de verbes qui évoquent une libération ou un relâchement, comme les verbes a)ni/hmi
6
Dans son article « Aspects de l’aspect », Jean Perrot rappelle d’ailleurs que c’est parce qu’on a perdu de vue les
« orientations spatiales » indiquées par les préverbes que l’on s’est contenté de retenir les « effets perfectivants des
préverbes au titre de l’aspect en les séparant des autres effets, de caractère concret » ; et plus loin : « Les emplois qui
donnent lieu à l’identification d’une valeur d’aspect se situent dans le prolongement abstrait de [leur] apport
sémantique : de l’orientation spatiale on passe à un dynamisme inhérent à l’action, passage auquel certains préverbes
se prêtent particulièrement bien. » (Mélanges Lejeune, Paris, 1978, p 188).
7
Systématique des éléments de relation, Paris, 1955.
8
É. Benveniste, « Lexique et culture : Problèmes sémantiques de la reconstruction », Problèmes de Linguistique
Générale, II, p 290. Il ajoute : « En présence de morphèmes identiques pourvus de sens différents, on doit se
demander s’il existe un emploi où ces deux sens recouvrent leur unité. La réponse n’est jamais donnée d’avance. Elle
ne peut être fournie que par une étude attentive de l’ensemble des contextes où la forme est susceptible d’apparaître. »
5
ou a)napau/w. Le mouvement vers l’avant est également perceptible dans les verbes employés
en contexte de navigation (a)naple/w, a)na/gw).
Le déplacement vers l’extérieur pourrait avoir une origine moins claire, mais il s’agit sans
doute aussi d’un élément ancien, puisque c’est une signification bien représentée chez Homère. Il
correspond en fait à des procès de jaillissements qui peuvent se produire vers le haut, notamment
pour la croissance des plantes ou le jaillissement de l’eau. Il est possible que la notion d’extériorité
vienne de là. C’est une nuance que l’on trouve dans les composés qui évoquent l’extériorisation
d’un son, a)nakhru/ssw, a)nastena/xw, ou une découverte, a)nafai/nw,
a)neuri/skw. Ce sont procès où le sujet est pleinement actif.
Le préverbe est aussi associé à un mouvement en arrière et l’origine de ce sémantisme est
plus difficile à saisir, mais il ne pourrait s’agir que d’éléments contextuels.
Le mouvement est une signification dominante pour le préverbe a)na-. Les composés en
a)na- qui ne sont pas de verbes de mouvement sont peu nombreux et décrivent le plus souvent
des activités qui s’inscrivent dans la durée et qui requièrent des efforts, de la résistance, ou qui
évoquent une attente. Le mouvement et l’extension sont perceptibles dans des composés qui
décrivent des déplacements physiques, mais également à travers les composés qui correspondent
au cheminement de la pensée, comme a)napei/qw ou a)napunqa/nomai.
Le sème cinétique semble dominant dans les emplois du préverbe a)na- : il dénote le
plus souvent une activité, un déplacement et c’est sans doute ce qui l’a amené à pouvoir évoquer
le fait de se déplacer « contre le courant », puisque cela impose une activité sans relâche. C’est
une idée que l’on retrouve aussi dans les verbes signifiant « supporter » et « tenir jusqu’au bout »
(comme le verbe a)ne/xomai) qui impliquent une attitude combattive et constante.
Le préverbe a)na- a également permis de souligner que le procès s’accomplissait d’un
bout à l’autre d’un espace et de ce fait, au niveau abstrait pour la réalisation d’un procès jusqu’à
son terme. C’est ce qui semble lui conférer une valeur aspectuelle perfectivante. Le préverbe
possède d’autres valeurs aspectuelles, notamment une valeur itérative, mais cela concerne des
verbes spécifiques qui décrivent en fait un retour vers un état antérieur plus favorable. Il semble
donc possible de lier cette valeur aspectuelle à une signification proprement locale. De même, les
cas où le préverbe a)na- marque une inversion du procès sont en fait contextuels et
correspondent à un glissement de sens que l’on retrouve dans d’autres langues, notamment en latin
ou en français pour le préverbe re-9. Dans notre corpus, la capacité du préverbe a)na- à servir
d’inverseur de procès n’est donc encore qu’en gestation.
Ainsi la valeur aspectuelle du préverbe a)na- semble encore peu vivante dans notre
corpus et le préverbe possède avant tout une signification concrète qui met en valeur l’action.
Le préverbe kata-, quant à lui, est finalement assez peu associé à un mouvement. Le
mouvement de descente est présent pour un certain nombre de verbes de déplacement, mais pour
les verbes signifiant « s’asseoir », « s’installer » ou « déposer », le préverbe semble dénoter
davantage le fait que le procès aboutit à une stabilité que le déplacement vers le site, vers une
surface sur laquelle on arrive par au-dessus, mais sur laquelle on ne bouge plus. Le préverbe est en
effet beaucoup plus souvent lié à des verbes qui décrivent un état statique, généralement contraint,
9
La polysémie de re- a notamment été étudiée avec soin par A. Darmesteter, Traité de la formation des mots
composés dans la langue française comparée aux autres langues romanes et au latin, Paris, 1874, p 115-120 et Cl.
Moussy, « La polysémie du préverbe re- », Revue de Philologie, 1997, LXXI, p 227-242.
6
ce qui nous amène à penser que le préverbe kata- n’est pas en premier lieu un préverbe qui
marque un déplacement.
Ainsi, les mouvements décrits par les composés en kata- ne sont que rarement
volontaires. Le plus souvent, le déplacement est subi, lié au procès lui-même ou à l’endroit sur
lequel se déroule le procès, notamment pour des verbes comme « tomber » ou « verser ». On
pourrait presque dire qu’il s’agit davantage d’un glissement qui suivrait la pente naturelle du relief
ou du procès lui-même. En effet, pour les verbes comme katapi/ptw ou kataba/llw le fait
que le déplacement se fasse vers le bas est davantage lié au procès lui-même (et à la pesanteur qui
attire au sol) qu’à la présence de notre préverbe. De même pour l’ensemble des composés qui
signifient « verser » et « couler » (katei/bw, katalei/bw et kataxe/w), on ne peut pas dire
que le préverbe indique le sens du déplacement, puisque d’une part il ne peut pas se produire dans
une autre direction, d’autre part les verbes simples font concurrence aux composés. Il est possible
de faire le même genre de remarques au sujet des verbes qui décrivent le fait de naviguer dans le
sens du courant, puisque descendre le courant ne demande aucune volonté et indique simplement
que l’on se laisse porter. Il ne nous semble donc pas possible de dire que le sens du préverbe « de
haut en bas » viendrait de ce type de contexte.
D’ailleurs, lorsque le préverbe kata- s’oppose au préverbe a)na-, pour les verbes qui
évoquent une montée ou une descente sur un relief, le lever ou le coucher du soleil, la remontée au
la descente le long du courant d’un fleuve, le préverbe a)na- correspond au procès actif et
volontaire, alors que le préverbe kata- est associé à des déplacements passifs ou qui conduisent
le sujet vers l’inaction. L’opposition est donc réelle, mais il n’est pas assuré qu’elle soit issue des
emplois directifs des deux préverbes. Nous pensons en revanche que la préposition kata/ a sans
doute signifié assez tôt « le long de », en étant liée à une extension et que c’est pour cette raison
qu’elle est associée à un mouvement descendant qui suit le mouvement de la pente.
D’autre part, le préverbe kata- est très souvent lié à une position, soit que le préverbe
souligne l’extension, soit qu’il indique que le procès conduit à l’immobilité. C’est ce que l’on
observe pour des verbes comme kaqe/zomai, kaqi/zw, ka/qhmai ou encore
katakei=mai. Ces composés en kata- ne décrivent pas des procès de déplacement vers un
lieu, mais plutôt un établissement, parfois une mise à l’écart, une immobilité par opposition à
l’action, et dans un certain nombre de cas, le procès du composé en kata- décrit une stabilité par
opposition à la fuite, surtout chez Hérodote, pour des verbes comme kate/rxomai, utilisé au
sens de « revenir d’exil », ou katoiki/zw, qui s’est spécialisé pour parler de l’installation des
exilés.
Le préverbe kata- est également associé à de nombreux composés qui évoquent l’idée de
« couvrir » ou de « cacher ». Ces composés sont souvent formés sur des verbes simples de sens
proche, comme pour les verbes katakru/ptw et katakalu/ptw. Ils évoquent une
immobilité, qui est généralement contrainte, soit pour se protéger, soit pour se dissimuler par ruse,
soit encore parce que l’on entrave la marche de l’objet. Cette dernière nuance apparaît dans les
verbes qui signifient « enfermer » et « retenir », kateru/kw, kate/xw ou katade/w. On
trouve encore sur ce point une opposition avec les composés en a)na- qui évoquent un passage
vers l’extérieur et une découverte : ce qui est caché est inactif, en attente, alors que ce qui est
visible est au cœur de l’action. Lorsque le préverbe kata- est employé avec des verbes signifiant
« retenir », c’est avant tout parce que c’est un préverbe qui souligne l’immobilité.
7
L’idée de « couvrir » qui est associée au préverbe kata- lui a également permis de servir
dans la formation de composés dénominatifs comme kataxruso/w « couvrir d’or » ou
katakhro/w « couvrir de boue ». Cette fois, on ne peut plus parler d’immobilité, mais on
constate que ce sont des procès de changement d’état qui affectent la surface de l’objet. Le procès
renvoie alors à une superposition : on pose une matière sur un objet qui est ainsi caché et
transformé en apparence. Si on devait parler ici de valeur intensive du préverbe, ce serait pour
indiquer que le préverbe souligne l’enveloppement total de l’objet.
Enfin, une grande quantité de verbes évoquent une destruction. Le mouvement vers le bas
correspond bien à ce genre de procès, mais il semble que la chute du corps qui tombe ou de la
construction qui s’effondre n’est pas soulignée par la présence du préverbe kata-. C’est un
mouvement vers le bas qui est normal, attendu, nécessaire. Pour ces verbes, le préverbe katasouligne davantage l’aboutissement et le résultat de l’anéantissement. Cet anéantissement équivaut
nécessairement à l’inactivité, puisque ce qui est détruit ne peut plus servir et ceux qui sont morts
ne peuvent plus agir.
Le fait que le préverbe kata- soit particulièrement familier de ce type de procès et ne soit
pas associé à des procès de création fait question. Il semble qu’une des valeurs intrinsèques du
préverbe puisse être l’immobilité et l’inaction. De ce fait, la valeur aspectuelle du préverbe que
l’on considère comme déterminée et mettant en valeur le terme du procès indique avant tout la
cessation du procès. Même pour les verbes qui évoquent la consommation d’une ressource, c’est
lorsque la ressource est épuisée que le procès cesse.
Pour les verbes qui signifient « mourir » et « tuer » et pour lesquels le préverbe kataentre en concurrence avec le verbe simple, comme pour les verbes signifiant « (s’)asseoir », il
apparaît que le préverbe kata- souligne encore l’immobilité, une des valeurs fondamentales du
préverbe. Pour ces verbes, une fois de plus, ce n’est pas le déroulement, mais l’état qui résulte du
procès qui est associé à notre préverbe.
Pour ce qui est des cas où le préverbe kata- semble signifier que le procès est réalisé
« contre quelqu’un » et des verbes qui évoquent une dévalorisation morale du patient, nous
pensons que ce développement est ultérieur. En effet, ce sont des emplois du préverbe peu
représentés chez Homère et le composé a souvent une signification comparable au verbe simple. Il
semble néanmoins que la dévalorisation est liée à notre préverbe, sans doute parce qu’il est associé
à un mouvement vers le bas.
Nous constatons que plusieurs idées directrices permettent de relier les différentes
significations sans qu’il soit nécessaire de passer par l’« idée d’une conformité » évoquée par
plusieurs grammaires. Il ne faut pas se demander comment le préverbe kata- évolue d’une
« idée de conformité » à des emplois marquant le mouvement vers le bas, l’accomplissement du
procès ou l’opposition, mais plutôt constater que tous ces procès impliquent la passivité du patient.
Le préverbe kata- marque plutôt une chute vers le bas qu’une véritable direction et est
volontiers lié à des processus de destruction, de mort, de dévalorisation.
Le préverbe kata- est donc avant tout un préverbe statif ou passif et non directif. C’est
aussi sur ce point que le préverbe kata- s’oppose au préverbe a)na- qui est un préverbe du
mouvement et de l’action.
8
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