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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE 1. Mondes anciens et médiévaux
Etudes grecques
ED 0022
T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Etudes grecques
Présentée et soutenue par :
Mme Aurore VIOLAS
le 6 décembre 2014
Les préverbes a)na- et kata- en grec ancien
(Homère, Hésiode, Hérodote)
étude linguistique
Sous la direction de :
M. Charles de LAMBERTERIE Profess eur émérite de l’Université Paris IV
JURY
Mme Isabelle BOEHM Professeur à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée
Mme Claire LE FEUVRE Professeur à l’Université Paris IV
M. Jean-Pierre LEVET Professeur à l’Université de Limoges
M. Daniel PETIT Professeur à l’ENS d’Ulm-Sèvres
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Position de thèse
Cette thèse se propose d’examiner les différentes significations recouvertes par les
préverbes a)na- et kata- en grec ancien, à travers l’examen des occurrences de ces deux
préverbes dans les œuvres d’Homère, d’Hésiode, d’Hérodote et dans les Hymnes Homériques.
Les préverbes a)na- et kata- forment dans la langue grecque une sorte de paire
complémentaire, notamment parce qu’ils évoquent deux déplacements qui s’opposent : vers le
haut pour a)na- et vers le bas pour kata-. On trouve ainsi des composés qui constituent un
couple d’antonymes comme les verbes a)nabai/nw « monter » et katabai/nw « descendre ».
Cependant, ils n’ont pas seulement une signification spatiale et ont été utilisés dans la formation
de nombreux composés, dès l’épopée homérique, sans qu’il soit toujours évident de déterminer
l’apport sémantique au prédicat verbal.
Les recherches sur la préverbation manifestent souvent le souci de déterminer une
signification originelle dont découlerait l’ensemble des emplois du préverbe. Si le sens de « vers le
haut » pour la particule a)na/ semble bien établi et que la comparaison avec d’autres langues
indo-européennes permet de dire que la particule a très tôt signifié « vers le haut » ou « en
hauteur », les faits sont moins clairs pour la particule kata-. En effet, les rapprochements avec
les autres langues et l’examen de la langue grecque elle-même a souvent conduit les linguistes à
considérer que les emplois de la particule seraient issus d’un sens général de « s’adapter à »
1
, dont
dériveraient les sens de « vers, conformément à, contre, du haut de (avec le génitif) ». Cette
analyse n’est pas très satisfaisante au regard des emplois de la particule en tant que préverbe.
De plus, on a tendance à considérer que le préverbe kata- a le plus souvent une valeur
intensive pour souligner l’achèvement de l’action. Or, cette valeur aspectuelle d’accomplissement
est aussi représentée dans les emplois du préverbe a)na-, alors que sa signification concrète et
spatiale est totalement différente. A de très nombreuses reprises, le rôle du préverbe kata- est
difficile à déterminer et de très nombreux auteurs (linguistes ou traducteurs) se contentent
d’indiquer que le préverbe a un rôle d’intensif, terme trop vague pour pouvoir nous satisfaire.
Le préverbe
a)na-
quant à lui recouvre des significations très variées qu’il semble
difficile de rattacher à cette signification originelle de « vers le haut ».
Nous avons donc cherché à prendre en considération les différents sens et emplois de ces
deux préverbes afin de voir s’il est possible d’isoler des catégories de verbes qui mettraient en
lumière une familiarité de chacun de ces deux préverbes avec des procès particuliers et
permettraient de comprendre les connotations recouvertes par les préverbes, expliquant ainsi la
variété de leurs emplois.
Afin d’éclairer l’emploi des deux préverbes dans notre corpus, nous avons également pris
en considération les emplois des prépositions a)na/ et kata/. En effet, même si les
prépositions n’ont pas les mêmes significations, ni la même évolution que les préverbes, ne
pouvant notamment pas avoir de valeur aspectuelle, leurs emplois permettent parfois d’éclairer tel
ou tel passage obscur. Les deux prépositions s’opposent lorsqu’elles indiquent une direction
1
Voir par exemple P. Chantraine, Dictionnaire Etymologique de la Langue grecque.
3
(« vers le haut » et « vers le bas »), par exemple dans le contexte assez particulier d’un
déplacement fluvial : a)na_ to_n r(o/on « en remontant le courant » / kata_ to_n
r(o/on « en suivant le sens du courant ».
Les deux prépositions sont aussi employées localement de façon similaire, pour un
mouvement horizontal, au sens de « parmi », dans les syntagmes a)n’/kaq o3milon et
a)na_ /kata_ strato/n que l’on trouve dans les épopées homériques et qui signifient « à
travers la masse (des guerriers)/ à travers la troupe ». Dans ce type d’emploi, il est plus difficile de
déceler une nuance qui permette de distinguer les deux prépositions. Nous voyons donc que les
prépositions elles-mêmes ont à la fois des significations qui les opposent et des emplois qui les
rapprochent.
Enfin, on constate en étudiant les occurrences des deux prépositions dans nos textes que
seule la préposition kata_ possède des emplois au sens figuré (notamment avec le sens de
« conformément à » dès les épopées homériques), alors que la préposition a)na/ ne présente que
des significations spatiales (et temporelles chez Hérodote), mais aucun emploi figuré.
D’autre part, notre étude aborde l’emploi adverbial des particules a)na/ et kata/, c’est-
à-dire lorsqu’elles ne sont liées ni à un verbe ni à un nom. Les emplois comme particules
adverbiales de a)na/ et kata/ sont peu nombreux, mais on trouve aussi d’autres adverbes
formés sur les particules a)na/ et kata/, à savoir a1nw, a1nwqen, a1nanta, ka/tw,
ka/twqen, kaqu/perqen et kato/pisqen. Ces adverbes sont peu représentés, mais
indiquent que les indications spatiales sont davantage marquées dans les adverbes dérivés de
a)na/ que dans ceux qui sont dérivés de kata/.
Les occurrences des deux particules en emplois indépendant nous imposent également
d’aborder le problème du statut du préverbe, puisque les préverbes du grec comme dans les autres
langues indo-européennes sont d’anciennes particules adverbiales indépendantes
2
. En effet, ainsi
que l’ont rappelé A. Meillet et J. Vendryes
3
, en indo-européen, « les mots de la phrase étaient
autonomes et indépendants les uns des autres. ». Ce n’est que par la suite que ces éléments
adverbiaux se sont rapprochés des verbes ou des noms, devenant ainsi des préverbes et des
prépositions, ce qui se vérifie pour nos deux particules a0na/ et kata/.
Ainsi, dès les plus anciens textes, les particules a0na/ et kata/ ont été employées de
trois manières : en emploi indépendant, en lien avec un verbe ou en lien avec un nom. Lorsque ces
particules se rapportent à un verbe, elles peuvent être soudées au verbe ou séparées de lui : on
parle alors de tmèse.
Il n’est pas toujours aisé de déterminer si une particule est employée comme adverbe,
comme préposition ou comme préverbe séparée du verbe, puisque l’autonomie des mots dans la
phrase indo-européenne est encore vivante en grec ancien, notamment dans la langue épique, et
donc, en ce qui concerne notre corpus, chez Homère
4
, Hésiode et dans les Hymnes homériques. On
2
Voir notamment les analyses présentes dans les ouvrages de grammaire comparée : E. Schwyzer, Griechiche
Grammatik, II, p 419 sqq ; K. Brugmann, Grundriss, II, 2, p 758 sqq ; A. Meillet, Introduction, § 193, p 358-359 ;
J. Wackernagel, Vorlesungen über Syntax, II, p 165-167.
3
Traité de grammaire comparée des langues classiques, p 572, § 840.
4
Dans sa Grammaire Homérique, P. Chantraine indique que « le texte homérique, fort archaïque, permet
particulièrement bien de montrer avec quelle souplesse s’emploient ces mots et comment leur emploi dans la phrase
peut varier. » Gr. Hom. II p 82. Il ajoute des exemples pour préciser la place que pouvaient avoir les « préverbes » par
rapport au verbe, rappelant qu’il n’est pas toujours possible de choisir entre adverbe, préverbe ou préposition.
4
trouve même encore des exemples de tmèse chez Hérodote, ce qui crée une certaine unité entre les
différentes œuvres de notre corpus.
Pour les Anciens, ce phénomène de la tmèse était un effet de style. Ils interprétaient la
tmèse comme une réelle coupure de mots, d’où le nom de « tmèse ». Ils pensaient que les poètes
choisissaient de séparer le préverbe de son prédicat pour produire un effet. On sait aujourd’hui
qu’il s’agit en fait d’un archaïsme, puisque les préverbes ont été libres, avant d’être soudés au
verbe, lorsqu’ils étaient associés à un prédicat verbal. Nous abordons la question de la tmèse en
préliminaire de notre étude puisque nous souhaitons donner un aperçu de l’emploi des particules
a)na/ et kata/ employées comme prépositions et comme adverbes indépendants dans notre
corpus. La question se pose d’ailleurs en plusieurs occasions de savoir si nous sommes en pré-
sence d’un préverbe disjoint, d’une préposition ou d’un adverbe en emploi indépendant. C’est no-
tamment le cas, lorsque la particule a)na/ est utilisée avec des verbes signifiant « se lever »,
puisque la particule en emploi adverbial indépendant peut signifier « debout ! » dans des proposi-
tions injonctives chez Homère.
Nous ne nous livrons pas à une étude détaillée des cas de tmèse présents dans notre corpus,
mais dans certains cas, le lien entre le choix de la tmèse et le sémantisme du verbe mérite d’être
considéré de près, pour voir si le préverbe disjoint permet de donner une valeur forte au préverbe
ou si le phénomène n’est qu’à la reformulation d’une tournure dans laquelle le verbe était
accompagné d’un syntagme nominal introduit par une préposition.
Pour ce qui est du fonctionnement des préverbes, notre étude se trouve à la convergence de
deux domaines de l’analyse linguistique, puisque les préverbes sont des morphèmes
grammaticaux, qui ont donc un rôle morphologique et syntaxique, mais ce sont aussi des
morphèmes lexicaux qui modifient la signification du verbe simple auquel ils sont associés.
Dans la recherche linguistique récente, le statut du préverbe et son fonctionnement est mis
en parallèle avec l’emploi des prépositions
5
. Les problèmes du rapport entre préposition et
préverbe ne constituent pas le but de notre étude et il est difficile de tenter une recherche sur le
processus de grammaticalisation des préverbes dans un état de langue où la séparabilité du
préverbe figure encore. Cependant, nous pouvons comparer certains emplois du verbe simple avec
une préposition et les emplois du composé correspondant, afin de voir s’il est possible de parler
d’équivalence, ou si le verbe composé apporte un sémantisme ellement différent. Du point de
vue syntaxique, la question de la valence des verbes composés par rapport aux verbes simples se
pose également. Enfin, on voit que chacun des deux préverbes a)na- et kata- entretient des
liens avec les différentes catégories d’évolutif, statif, factitif et causatif. Par exemple, nous
constatons que le préverbe a)na- n’est que rarement utilisé avec des verbes statifs, et qu’il est au
contraire fréquent avec des verbes de mouvement, ce qui n’est pas le cas du préverbe kata-
puisque beaucoup de composés en kata- dénotent une installation.
La question de l’aspect est également un des points importants de notre étude, puisque les
préverbes que nous avons choisis ont une valeur aspectuelle, dès les premiers textes, mais aussi
5
Ainsi, K. Van Goethem, L’emploi préverbal des prépositions en français s’interroge sur le fonctionnement des
préverbes par rapport aux préfixes et aux prépositions, reprenant notamment la terminologie de C. Vandeloise qui
désigne par le mot « site » ce qui est désigné par le régime d’une préposition et par le mot « cible » ce qui est localisé
par la préposition. K. Van Goethem oriente son étude sur les relations entre l’objet et la cible, dans l’emploi des
préverbes.
5
dans la suite de l’histoire de la langue grecque. En étudiant de façon précise les occurrences de nos
deux préverbes, on constate que ces valeurs aspectuelles sont issues des emplois concrets des deux
préverbes
6
, et notamment leurs significations locales. Conformément à la théorie proposée par B.
Pottier
7
, nous envisageons les trois domaines d’application de la deixis, spatial > temporel > no-
tionnel. Mais le cœur de notre analyse ne concerne pas la validité des préverbes en tant que mar-
queurs aspectuels.
Le but de notre étude est de dresser un état des emplois des préverbes a)na- et kata-
dans ce que l’on considère comme les premiers textes de la littérature grecque qui nous sont par-
venus avec une réelle cohérence narrative, à savoir les poèmes homériques, les œuvres d’Hésiode
et d’Hérodote. Ce travail passe d’abord par une approche sémantique et par l’examen de la totalité
des emplois de ces deux préverbes, considérant comme É. Benveniste que « le ‘sens’ d’une forme
linguistique se définit par la totalité de ses emplois, par leur distribution et par les types de liaisons
qui en résultent »
8
.
L’étude des composés présents dans notre corpus montre bien que, du point de vue spatial,
un certain nombre d’emplois du préverbe a)na- marquant un mouvement ascendant s’oppose à
un mouvement descendant marqué par le préverbe kata-. Mais les emplois de nos deux
préverbes qui ne correspondent pas à ces deux sèmes sont les plus nombreux.
Comme attendu, le préverbe a)na- est associé à des verbes qui signifient « se lever »
(a)ni/sthmi, a)no/rnumai), ainsi qu’à des verbes de déplacement qui décrivent notamment
un déplacement vers le haut. Il s’agit sans doute d’une des significations les plus anciennes du
préverbe. Le mouvement vers le haut est perceptible dans les verbes de déplacement du type
a)nabai/nw, mais surtout dans des verbes qui signifient « lever quelque chose ». Ce sont ces
verbes qui sont en fait les plus nombreux, soit qu’il s’agisse de lever un objet en l’air
(a)napa/llw, a)naei/rw), soit de les ramasser à terre (a)nale/gw), soit de les placer en
hauteur (a)nabiba/zw, a)na/ptw).
Mais le préverbe a)na- est associé à d’autres types de mouvements : vers l’avant, vers
l’extérieur et vers l’arrière.
Le mouvement vers l’avant est illustré par des verbes pour lesquels il n’est pas toujours
évident de savoir s’il s’agit de se lever ou de s’élancer, comme les verbes a)nai5ssw ou
a)norou=sai. Ils permettent de mettre en évidence le fait que le préverbe a)na- est lié à un
élan, qui permet au sujet de se lancer vers l’action. C’est à travers ce type de verbes que l’on
perçoit que le préverbe a)na- est un préverbe de l’action. C’est sans doute en raison de cette
capacité qu’a le préverbe de marquer un mouvement vers l’avant qu’il en est venu à aider à la
formation de verbes qui évoquent une libération ou un relâchement, comme les verbes a)ni/hmi
6
Dans son article « Aspects de l’aspect », Jean Perrot rappelle d’ailleurs que c’est parce qu’on a perdu de vue les
« orientations spatiales » indiquées par les préverbes que l’on s’est contenté de retenir les « effets perfectivants des
préverbes au titre de l’aspect en les séparant des autres effets, de caractère concret » ; et plus loin : « Les emplois qui
donnent lieu à l’identification d’une valeur d’aspect se situent dans le prolongement abstrait de [leur] apport
sémantique : de l’orientation spatiale on passe à un dynamisme inhérent à l’action, passage auquel certains préverbes
se prêtent particulièrement bien. » (Mélanges Lejeune, Paris, 1978, p 188).
7
Systématique des éléments de relation, Paris, 1955.
8
É. Benveniste, « Lexique et culture : Problèmes sémantiques de la reconstruction », Problèmes de Linguistique
Générale, II, p 290. Il ajoute : « En présence de morphèmes identiques pourvus de sens différents, on doit se
demander s’il existe un emploi ces deux sens recouvrent leur unité. La réponse n’est jamais donnée d’avance. Elle
ne peut être fournie que par une étude attentive de l’ensemble des contextes où la forme est susceptible d’apparaître. »
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