SICILE
LETNA
Dominant l’Est de la Sicile de son énorme masse sombre, c’est le plus haut volcan
d’Europe, et l’un des plus actifs de la terre. Les Siciliens l’appellent Mongibello ce qui
pourrait signifier “la montagne des montagnes”. Sa base, elliptique, occupe une surface
d’environ 1250km2(38km d’est en ouest, 48km du nord au sud). Son activité, surtout
effusive(coulées de lave) est presque permanente.
UN VOLCAN RÉCENT
L’Etna, qui apparaît de loin comme un cône unique bien régulier,
est en fait composé de volcans successifs, juxtaposés, dont l’acti-
vité s’est étagée dans le temps.
FORMATION
Toute la plaine de Catane et l’emplacement de l’Etna étaient jadis
occupés par un vaste golfe. Il y a 300 000 ans (tout récemment
à l’échelle géologique), des éruptions sous-marines marquent le
début d’une activité volcanique sur la faille entre les plaques
européenne et africaine.
ÉVOLUTION
Elle est marquée par l’alternance d’une phase d’édification d’un statovolcan suivie
d’un effondrement formant une caldera.
Il y a 150 000 ans, le premier stratovolcan commence à s’édifier.Une vaste cal-
dera se forme au sommet il y a 110 000 ans.
Entre 75 000 et 30 000 ans, cinq centres éruptifs se succèdent. C’est à la fin de
cette période que s’ouvre la Valle del Bove.
Puis un autre cône s’édifie jusqu’à 3800m,avant de s’effondrer il y a 14 000 ans.
C’est dans la grande caldera formée alors que se construit le Mongibello
actuel.
En 122 av JC s’ouvre le cratère del Piano qui peu à peu se comble en
un vaste plateau, le Piano del Lago (2900m).
A la fin du 18e siècle,le cône terminal actuel apparaît sur ce plateau.
Jusqu’en 1940 il est couronné d’un cratère unique.
L’ETNA AUJOURD’HUI
La partie inférieure
Toute cette partie est constellée par plus de 250 petits cônes et cratères
adventifs, même à très basse altitude.Peu pentue,la zone cultivée qui entou-
re le volcan est extrêmement fertile en raison des sels minéraux contenus
dans les cendres volcaniques. On y trouve des orangers jusqu’à 500 m d’al-
titude, de la vigne et des arbres fruitiers jusqu’à 1300 m. La forêt (chênes,
châtaigniers, pins, hêtres) s’élève jusqu’à 2000 m. Au delà c’est l’espace
désertique des coulées de lave grises, rouges ou noires, décorées de genêts
au printemps, de neige durant 7 mois de l’année.
Le sommet
Il comporte actuellement quatre cratères (ou bouches) qui se sont ouver-
tes au cours du 20e siècle. L’altitude et la grandeur de ces bouches se modi-
fient sans cesse au gré de leur activité.Ainsi, la Bocca Nuova qui n’avait que
quelques mètres lors de son ouverture en 1968 est aujourd’hui un cratère
de plus de 400m de diamètre. Leur profondeur peut également varier : de
quelques dizaines de mètres à plus de 1000 m...
L’activité volcanique sommitale se développe tantôt dans un cratère, tantôt
dans l’autre, souvent dans deux à la fois, voire dans les quatre !
de l’arabe
djebe
l
= montagne
Le cratère central consti-
tué de la V ORAGINE
(1945) et de la BOCCA
NUOVA (1968).
Dans un proche avenir, la
paroi qui sépare du cratè-
re du Voragine de son voi-
sin s’écroulera et ils laisse-
ront la place à un immense
et unique cratère ! Le cratèreNORD-EST
(1911), le plus ancien, a vu
son altitude se modifier au
fil des éruptions : 3263 m
en 1932, 3323m en 1964,
3318 en 1989 et - pour
l’instant - il est le plus haut
avec ses 3345m.
Le cratèreSUD-EST (1971) est le plus actif
au cours de ces dernières années. Si son
niveau d’activité se maintient, il deviendra
rapidement plus haut que le cône Nord-Est.
CATANE
N
MER IONIENNE
CÔNE TERMINAL
Sur le pourtour du mas-
s i f , on observe les
témoins de la première
activité volcanique
Sur le flanc Est, la VALLE DEL BOVE,
grande échancrure de 8 km de long
sur 5 de large,est bordée au N, à l’O
et au S d’impressionnantes falaises
de 600 à 1000m de haut
L’Etna tel qu’il pouvait se présenter au début du 20e s.
1
LES ÉRUPTIONS
Depuis l’éruption de 122 av JC,l’Etna a connu entre 15 et 20 éruptions importan-
tes par siècle. Entre ces éruptions, l’activité volcanique persistante se manifeste dans
les cratères du sommet par des explosions et un dégagement de gaz provenant du
magma (activité de type strombolienne) et, souvent, par l’émission lente de coulées
de lave. Les phases de repos complet sont très rares : la dernière a suivi l’éruption
de 1991/93.
On peut distinguer trois types d’éruption importante :
ÉRUPTIONS SOMMITALES
Parfois, un des cratères du sommet présente un paroxysme, comme en 1986 dans
le cratère Nord-Est. De façon imprévisible,une fontaine de lave jaillit, pouvant
atteindre plusieurs centaines de mètres de hauteur.Ce phénomène,très spectacu-
laire, peut durer de quelques minutes à quelques dizaines de minutes (cf. éruption
du 24 septembre 1986). Généralement la lave (900 à 1100°) s’écoule lentement (0,5
à 2km/h) par une brèche sur la lèvre du cratère.Aucun cône adventif ne se forme.
ÉRUPTIONS LATÉRALES
Des fissures s’ouvrent sur les pentes entre 2900 et 2000m, reliées à la cheminée
centrale. Le magma jaillit et donne des coulées très chaudes (plus de 1050°) et très
fluides, dont la vitesse peut atteindre 40km/h. Des cônes de cendres s’édifient sur
les fissures. Lorsque la pente est forte, des tunnels de lave se forment parfois et
entraînent la lave à des kilomètres du point d’émission, toujours aussi chaude et
aussi fluide.Ce type d’éruption dure de quelques jours à quelques semaines (cf.
éruption de 1991).
ÉRUPTIONS EXCENTRIQUES
Ce sont les plus destructrices, mais heureusement les plus rares. Des bouches s’ou-
vrent à basse altitude (1900 à 600m), alimentées directement depuis la poche mag-
matique, phénomène accompagné de violents tremblement de terre. Un ou plu-
sieurs cônes de cendres et de scories se construisent, tels les Monti Rossi en 1669.
“Du mont sortent, vomies par ses abîmes, les
sources les plus pures du feu inabordable, et
pendant le jour ces torrents répandent un
flot de fumée ardente ; mais, dans les ténèb-
res, une flamme rouge roule et entraîne jus-
qu’aux profondeurs de la plaine marine des
blocs de roche avec fracas”.
PINDARE (476 av. JC)
LES COLÈRES DUN GÉANT...
Depuis lantiquité, on ne compte plus les éruptions destructives du volcan. Parmi
elles, notons :
Les plus anciennes (de mémoire dhomme)
Pindare cite une éruption en 475 av JC (voir texte) au cours de laquelle le fameux
philosophe Empédocle perdit la vie en tombant dans le cratère.
Les Carthaginois voulant attaquer la cité de Naxos en 396 av JC doivent reculer
devant un fleuve de feu qui s’écoule dans la mer.
La plus longue
Entre 1614 et 1624, les laves coulent sans arrêt sur le flanc nord, saccumulant sur
des dizaines de mètres d’épaisseur.
La plus destructrice
En 1669, vers 800 m daltitude, une énorme crevasse déchire le flanc sud du vol-
can. En un mois, la lave arrive à Catane et avance jusqu’à la mer sur une largeur de
1,5 km ; au passage, une douzaine de villages et une partie de Catane sont détruits.
L’éruption entraîne la formation des Monti Rossi (250 m), les plus grands cônes
adventifs de lEtna.
La plus spectaculaire
Le 24 septembre 1986 , après plusieurs heures dexplosions projetant des cendres
puis des bombes, une fontaine de lave s’élève du cratère Nord-Est à plus de 1000
m de haut, des bombes dune tonne retombent à plus de 3 km du sommet, les gaz
s’échappent à près de 300 m/s. A Catane, à 27 km de là, les habitants sortent leur
parapluie pour se protéger des cendres. Le phénomène ne dure que 15 minutes seu-
lement !
Les plus récentes
Depuis le début du siècle, lEtna connaît une période dactivité exceptionnelle, en
particulier dans le cratère Sud-Est.
En 2001 la Bocca Nuova et le cratère Sud-Est présentent une activité paroxysma-
le. Une coulée détruit larrivée du téléphérique et le restaurant, à 2500m sur le
flanc sud. Un nouveau petit cratère, le Laghetto, se forme.
En 2002/2003 une coulée part de 2700 m et se divise en deux branches, lune vers
le sud, lautre le S-E.
En septembre 2004, une nouvelle bouche effusive sest ouverte à 2600 m dans la
Valle del Bove.
A suivre...
Petit dico du parfait volcanologue
Caldera (ou caldeira, d’un mot portugais
signifiant chaudière) : vaste dépression vol-
canique de forme circulaire au fond plat.
Coulée de lave : écoulement de matériaux
plus ou moins fluides selon la nature des
roches en fusion (les coulées de basalte
peuvent atteindre 100 km, les coulées aci-
des 6 km seulement)
Fontaine de lave : soulèvement violent de la
colonne en fusion, jusqu’à 1km de hauteur
au dessus de la bouche éruptive.
Lapilli : petits blocs de cendres agglomé-
rées.
Dyke : fissure remplie de magma. Lorsqu’il
est solidifié, l’érosion naturelle peut le mett-
re en évidence, comme c’est le cas dans la
Valle del Bove.
2
2900 m
2000 m 2000 m
600 m
0
Poche magmatique
(à - 20 000 m?)
ER U P T I O N E X C E N T R I Q U E . Bouche
directement reliée au réservoir
magmatique. Coulée très abon-
dante et dévastatrice
ER U P T I O N L AT É R A L E .
Dyke relié à la chemi-
née centrale. Lave très
chaude et fluide.
ACTIVITÉ SOMMITALE
Presque permanente. De type strombolien
(dégazage, jets de bombes, coulée lente de lave)
avec des phases paroxysmales de courte durée.
Schéma des différents types d’éruption de l’Etna
L’éruption excentrique de 1669 détruisit douze
villages et un tiers de la ville de Catane.
Gravure du 17e s.
Texte, conception, réalisation : Magali & Claude CHARPENTIER, Michèle GOZARD - Edition 2004
Le géant Encelade enter sous l’Etna.
Gravure du 17e s.
DU VOLCAN ET DES HOMMES
Poètes, chroniqueurs et savants ont depuis toujours témoigné de l’histoire de l’Etna,
qui fascine et qui fait peur.
L'ETNA , HAUT LIEU DE LA MYTHOLOGIE
Les Grecs y ont situé les forges du dieu du Feu, Héphaïstos, le disgracié, rejeté par
sa mère Héra et qui, habile et ingénieux, forge à coup de marteau sur l’enclume la
foudre de Zeus et les armes des héros de légende.
C’est aussi la demeure des Cyclopes, ses compagnons (géants dont l’oeil unique et
rond rappelle le cratère de l’Etna) qui hurlent et lancent des rochers (cf.L’Odyssée”).
Chaque fois qu’ils battent le fer dans leur fournaise,le feu jaillit du volcan.
Selon Virgile, le géant Encelade,qui s'était révolté contre les dieux, fut enterré sous
l'Etna par Athéna. Les séismes sont ses soubresauts, les grondements sa voix et les
éruptions sa respiration brûlante.
CHRISTIANISME ET SUPERSTITION
Il y a en Sicile une relation magique avec l’Etna, craint et vénéré encore aujourd’hui,
et la fertilité extraordinaire de la terre des plaines environnantes n’explique peut-
être pas tout l’attrait qu’il exerce. Pour se protéger des colères du géant, les hom-
mes établis au pied du volcan ont recours à leur saint patron. Des processions,
empreintes de superstition, sont plus où moins suivies d’effet : ainsi Catane fut épar-
gnée en 253, un an après son martyre, sur la présentation des reliques de sainte
Agathe, mais en 1669, le miracle ne se renouvela pas ; pas plus qu’en 1928 la statue
de saint Léonard n'arrêtera la coulée qui détruisit Mascali, sur la pente Est.
L’ETNA ET LA SCIENCE
Dès le 5e s. av JC des hommes ont tenté d’expliquer les phénomènes volcaniques.
C’est le cas d’Empédocle pour qui le monde est régi par quatre éléments : l’eau, l’air,
la terre et le feu souterrain. C’est pour étudier ce dernier qu’il serait monté sur
l’Etna ; sans réponse à ses questions, il se serait jeter dans le cratère...
Des Romains comme Lucrèce, Ovide,Vitruve ont chacun donné leur interprétation
de l’activité de l’Etna (rappelons qu’à leur époque le Vésuve n’avait pas encore fait
parler de lui !).
Il faut attendre le 17e siècle pour que les observations deviennent plus rigoureuses.
De nos jours l’Etna est un véritable “volcan laboratoire” pour des volcanologues du
monde entier qui viennent y tester leurs techniques d'analyse et de prévisions.
ETNA ET TOURISME
La fascination qu’exerce l’Etna sur les hommes se traduit aussi dans le domaine tou-
ristique.
Dès le 17e siècle, l’ascension de l’Etna pour assister au lever du soleil est l’une des
étapes obligées du voyage en Italie. Goethe, Alexandre Dumas, Maupassant, entre
autres, l’ont effectuée.
De nos jours des randonnées permettent de découvrir le vaste parc naturel créé il y
a une quinzaine d’années pour protéger l’ensemble du massif en altitude.
Vivre près d’un volcan change-t-il la
façon de concevoir la vie ?
“Ces trois volcans (Etna, Vulcano, Stromboli),
dont l’activité est continue et d’où, de
temps à autre jaillit une éruption meurtriè-
re, non seulement ont excité l’imagination
des Anciens et alimenté leurs mythes (les
forges d’Héphaïstos, la mort d’Empédocle,
l’enlèvement de Perséphone, les royaumes
souterrains de Pluton), ils influent aussi,
par le profil trop bien découpé de leur cône,
par le panache qui en couronne en perma-
nence leur faîte, sur la manière de sentir et
de penser des Siciliens. Ajoutons à cette
menace incessante la crainte des tremble-
ments de terre [...], et l’on admettra que
l’insécurité géologique de l’île n’est pas
sans conséquence sur le tempérament, la
“psychologie” des habitants.
Conviction que la vie, toute vie, est précaire
; goût de l’émotion vive, qui s‘épuise dans
l’instant ; difficulté à construire, à prévoir,
à tirer des plans sur l’avenir ; répugnance à
l’épargne ; hâte à dépenser ; intensité dans
la jouissance du présent ; goût de l’orne-
mentation voyante ; attrait pour un art, le
baroque, qui exalte le précaire, le fugace,
l’instable : il n’y a rien, dans le système éco-
nomique des Siciliens comme dans leurs pré-
férences esthétiques, qui ne puisse se ratta-
cher à la grande inquiétude tellurique dont
ils ne sont jamais quittes. A tout moment,
la terre risque de manquer sous leurs pieds,
ou le feu de se déverser sur leur tête. Quel
sentiment de l’existence peut-on avoir dans
ces conditions ? Dramatique, tourmenté,
excessif, explosif, volcanique, tout, sauf
bourgeois.”
Dominique FERNANDEZ,
Palerme et la Sicile,1998
UNE LUTTE INÉGALE
Le 15 décembre 1991, une fissure souvre à 2300m dans la Valle del Bove. Deux jours
plus tard, la lave atteint les 1600 m. A Noël, la coulée menace le village de
Zafferana. Son débit est estimé à 1 million de m3par jour. Face à cette situation, les
autorités décident d’édifier une immense digue de terre pour détourner la coulée.
Quatre mois plus tard elle est engloutie. On construit dautres barrages à la hâte.
On tente même dobstruer le tunnel de lave avec de gros blocs de béton déposés par
hélicoptère ! Rien ny fait, le volcan continue d’épancher sa lave. Le 30 mars 1993,
la coulée sarrête enfin, faute d’être alimentée : on estime son volume à 240
millions de km3, ce qui en fait la plus abondante depuis 300 ans.
Cette intervention humaine, la première dune telle ampleur, fut très critiquée.
Camions, pelleteuses, création de pistes, hélicoptères, abattage darbres, déplace-
ment de beaucoup de terre, etc. ont crée beaucoup de dégâts, sans doute plus que
la coulée elle-même. Et ils ont coûté bien plus cher !
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