SICILE L’ETNA Dominant l’Est de la Sicile de son énorme masse sombre, c’est le plus haut volcan d’Europe, et l’un des plus actifs de la terre. Les Siciliens l’appellent Mongibello ❖ ce qui pourrait signifier “la montagne des montagnes”. Sa base, elliptique, occupe une surface d’environ 1250km2 (38km d’est en ouest, 48km du nord au sud). Son activité, surtout effusive(coulées de lave) est presque permanente. ❖ de l’arabe djebel = montagne Sur le pourtour du massif, on observe les témoins de la première activité volcanique CÔNE TERMINAL • Sur le flanc Est, la VALLE DEL BOVE, grande échancrure de 8 km de long sur 5 de large, est bordée au N, à l’O et au S d’impressionnantes falaises de 600 à 1000m de haut • UN VOLCAN RÉCENT L’Etna, qui apparaît de loin comme un cône unique bien régulier, est en fait composé de volcans successifs, juxtaposés, dont l’activité s’est étagée dans le temps. FORMATION N MER IONIENNE CATANE L’Etna tel qu’il pouvait se présenter au début du 20e s. Le cratère central constitué de la V ORAGINE (1945) et de la BOCCA NUOVA (1968). Dans un proche avenir, la paroi qui sépare du cratère du Voragine de son voisin s’écroulera et ils laisseront la place à un immense et unique cratère ! Toute la plaine de Catane et l’emplacement de l’Etna étaient jadis occupés par un vaste golfe. Il y a 300 000 ans (tout récemment à l’échelle géologique), des éruptions sous-marines marquent le début d’une activité volcanique sur la faille entre les plaques européenne et africaine. ÉVOLUTION Elle est marquée par l’alternance d’une phase d’édification d’un statovolcan suivie d’un effondrement formant une caldera. ➵ Il y a 150 000 ans, le premier stratovolcan commence à s’édifier. Une vaste caldera se forme au sommet il y a 110 000 ans. ➵ Entre 75 000 et 30 000 ans, cinq centres éruptifs se succèdent. C’est à la fin de cette période que s’ouvre la Valle del Bove. ➵ Puis un autre cône s’édifie jusqu’à 3800m, avant de s’effondrer il y a 14 000 ans. C’est dans la grande caldera formée alors que se construit le Mongibello actuel. ➵ En 122 av JC s’ouvre le cratère del Piano qui peu à peu se comble en un vaste plateau, le Piano del Lago (2900m). Le cratère NORD-EST (1911), le plus ancien, a vu ➵ A la fin du 18e siècle, le cône terminal actuel apparaît sur ce plateau. son altitude se modifier au Jusqu’en 1940 il est couronné d’un cratère unique. fil des éruptions : 3263 m en 1932, 3323m en 1964, 3318 en 1989 et - pour l’instant - il est le plus haut avec ses 3345m. Le cratère SUD-EST (1971) est le plus actif au cours de ces dernières années. Si son niveau d’activité se maintient, il deviendra rapidement plus haut que le cône Nord-Est. L’ETNA AUJOURD’HUI La partie inférieure Toute cette partie est constellée par plus de 250 petits cônes et cratères adventifs, même à très basse altitude. Peu pentue, la zone cultivée qui entoure le volcan est extrêmement fertile en raison des sels minéraux contenus dans les cendres volcaniques. On y trouve des orangers jusqu’à 500 m d’altitude, de la vigne et des arbres fruitiers jusqu’à 1300 m. La forêt (chênes, châtaigniers, pins, hêtres) s’élève jusqu’à 2000 m. Au delà c’est l’espace désertique des coulées de lave grises, rouges ou noires, décorées de genêts au printemps, de neige durant 7 mois de l’année. Le sommet Il comporte actuellement quatre cratères (ou bouches) qui se sont ouvertes au cours du 20e siècle. L’altitude et la grandeur de ces bouches se modifient sans cesse au gré de leur activité.Ainsi, la Bocca Nuova qui n’avait que quelques mètres lors de son ouverture en 1968 est aujourd’hui un cratère de plus de 400m de diamètre. Leur profondeur peut également varier : de quelques dizaines de mètres à plus de 1000 m... L’activité volcanique sommitale se développe tantôt dans un cratère, tantôt dans l’autre, souvent dans deux à la fois, voire dans les quatre ! 1 LES ÉRUPTIONS Petit dico du parfait volcanologue Caldera (ou caldeira, d’un mot portugais signifiant chaudière) : vaste dépression volcanique de forme circulaire au fond plat. Depuis l’éruption de 122 av JC, l’Etna a connu entre 15 et 20 éruptions importantes par siècle. Entre ces éruptions, l’activité volcanique persistante se manifeste dans les cratères du sommet par des explosions et un dégagement de gaz provenant du magma (activité de type strombolienne) et, souvent, par l’émission lente de coulées de lave. Les phases de repos complet sont très rares : la dernière a suivi l’éruption de 1991/93. On peut distinguer trois types d’éruption importante : Coulée de lave : écoulement de matériaux plus ou moins fluides selon la nature des roches en fusion (les coulées de basalte peuvent atteindre 100 km, les coulées acides 6 km seulement) Fontaine de lave : soulèvement violent de la colonne en fusion, jusqu’à 1km de hauteur au dessus de la bouche éruptive. ÉRUPTIONS SOMMITALES Parfois, un des cratères du sommet présente un paroxysme, comme en 1986 dans le cratère Nord-Est. De façon imprévisible, une fontaine de lave jaillit, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de hauteur. Ce phénomène, très spectaculaire, peut durer de quelques minutes à quelques dizaines de minutes (cf. éruption du 24 septembre 1986). Généralement la lave (900 à 1100°) s’écoule lentement (0,5 à 2km/h) par une brèche sur la lèvre du cratère. Aucun cône adventif ne se forme. Lapilli : petits blocs de cendres agglomérées. Dyke : fissure remplie de magma. Lorsqu’il est solidifié, l’érosion naturelle peut le mettre en évidence, comme c’est le cas dans la Valle del Bove. ACTIVITÉ SOMMITALE Presque permanente. De type strombolien (dégazage, jets de bombes, coulée lente de lave) avec des phases paroxysmales de courte durée. LATÉRALE . ER U P T I O N Dyke relié à la cheminée centrale. Lave très chaude et fluide. 2900 m 2000 m ERUPTION EXCENTRIQUE. Bouche directement reliée au réservoir magmatique. Coulée très abondante et dévastatrice ÉRUPTIONS LATÉRALES Des fissures s’ouvrent sur les pentes entre 2900 et 2000m, reliées à la cheminée centrale. Le magma jaillit et donne des coulées très chaudes (plus de 1050°) et très fluides, dont la vitesse peut atteindre 40km/h. Des cônes de cendres s’édifient sur les fissures. Lorsque la pente est forte, des tunnels de lave se forment parfois et entraînent la lave à des kilomètres du point d’émission, toujours aussi chaude et aussi fluide. Ce type d’éruption dure de quelques jours à quelques semaines (cf. éruption de 1991). 2000 m LES COLÈRES D’UN GÉANT... 600 m 0 Poche magmatique (à - 20 000 m?) Schéma des différents types d’éruption de l’Etna “Du mont sortent, vomies par ses abîmes, les sources les plus pures du feu inabordable, et pendant le jour ces torrents répandent un flot de fumée ardente ; mais, dans les ténèbres, une flamme rouge roule et entraîne jusqu’aux profondeurs de la plaine marine des blocs de roche avec fracas”. PINDARE (476 av. JC) Depuis l’antiquité, on ne compte plus les éruptions destructives du volcan. Parmi elles, notons : Les plus anciennes (de mémoire d’homme) Pindare cite une éruption en 475 av JC (voir texte) au cours de laquelle le fameux philosophe Empédocle perdit la vie en tombant dans le cratère. Les Carthaginois voulant attaquer la cité de Naxos en 396 av JC doivent reculer devant un fleuve de feu qui s’écoule dans la mer. La plus longue Entre 1614 et 1624, les laves coulent sans arrêt sur le flanc nord, s’accumulant sur des dizaines de mètres d’épaisseur. La plus destructrice En 1669, vers 800 m d’altitude, une énorme crevasse déchire le flanc sud du volcan. En un mois, la lave arrive à Catane et avance jusqu’à la mer sur une largeur de 1,5 km ; au passage, une douzaine de villages et une partie de Catane sont détruits. L’éruption entraîne la formation des Monti Rossi (250 m), les plus grands cônes adventifs de l’Etna. La plus spectaculaire Le 24 septembre 1986 , après plusieurs heures d’explosions projetant des cendres puis des bombes, une fontaine de lave s’élève du cratère Nord-Est à plus de 1000 m de haut, des bombes d’une tonne retombent à plus de 3 km du sommet, les gaz s’échappent à près de 300 m/s. A Catane, à 27 km de là, les habitants sortent leur parapluie pour se protéger des cendres. Le phénomène ne dure que 15 minutes seulement ! Les plus récentes Depuis le début du siècle, l’Etna connaît une période d’activité exceptionnelle, en particulier dans le cratère Sud-Est. En 2001 la Bocca Nuova et le cratère Sud-Est présentent une activité paroxysmale. Une coulée détruit l’arrivée du téléphérique et le restaurant, à 2500m sur le flanc sud. Un nouveau petit cratère, le Laghetto, se forme. En 2002/2003 une coulée part de 2700 m et se divise en deux branches, l’une vers le sud, l’autre le S-E. En septembre 2004, une nouvelle bouche effusive s’est ouverte à 2600 m dans la Valle del Bove. A suivre... ÉRUPTIONS EXCENTRIQUES Ce sont les plus destructrices, mais heureusement les plus rares. Des bouches s’ouvrent à basse altitude (1900 à 600m), alimentées directement depuis la poche magL’éruption excentrique de 1669 détruisit douze matique, phénomène accompagné de violents tremblement de terre. Un ou pluvillages et un tiers de la ville de Catane. sieurs cônes de cendres et de scories se construisent, tels les Monti Rossi en 1669. Gravure du 17e s. 2 DU VOLCAN ET DES HOMMES Poètes, chroniqueurs et savants ont depuis toujours témoigné de l’histoire de l’Etna, qui fascine et qui fait peur. L'ETNA , HAUT LIEU DE LA MYTHOLOGIE Les Grecs y ont situé les forges du dieu du Feu, Héphaïstos, le disgracié, rejeté par sa mère Héra et qui, habile et ingénieux, forge à coup de marteau sur l’enclume la foudre de Zeus et les armes des héros de légende. C’est aussi la demeure des Cyclopes, ses compagnons (géants dont l’oeil unique et rond rappelle le cratère de l’Etna) qui hurlent et lancent des rochers (cf.“L’Odyssée”). Chaque fois qu’ils battent le fer dans leur fournaise, le feu jaillit du volcan. Selon Virgile, le géant Encelade, qui s'était révolté contre les dieux, fut enterré sous l'Etna par Athéna. Les séismes sont ses soubresauts, les grondements sa voix et les éruptions sa respiration brûlante. Le géant Encelade enterré sous l’Etna. Gravure du 17e s. Vivre près d’un volcan change-t-il la façon de concevoir la vie ? “Ces trois volcans (Etna, Vulcano, Stromboli), dont l’activité est continue et d’où, de temps à autre jaillit une éruption meurtrière, non seulement ont excité l’imagination des Anciens et alimenté leurs mythes (les forges d’Héphaïstos, la mort d’Empédocle, l’enlèvement de Perséphone, les royaumes souterrains de Pluton), ils influent aussi, par le profil trop bien découpé de leur cône, par le panache qui en couronne en permanence leur faîte, sur la manière de sentir et de penser des Siciliens. Ajoutons à cette menace incessante la crainte des tremblements de terre [...], et l’on admettra que l’insécurité géologique de l’île n’est pas sans conséquence sur le tempérament, la “psychologie” des habitants. Conviction que la vie, toute vie, est précaire ; goût de l’émotion vive, qui s‘épuise dans l’instant ; difficulté à construire, à prévoir, à tirer des plans sur l’avenir ; répugnance à l’épargne ; hâte à dépenser ; intensité dans la jouissance du présent ; goût de l’ornementation voyante ; attrait pour un art, le baroque, qui exalte le précaire, le fugace, l’instable : il n’y a rien, dans le système économique des Siciliens comme dans leurs préférences esthétiques, qui ne puisse se rattacher à la grande inquiétude tellurique dont ils ne sont jamais quittes. A tout moment, la terre risque de manquer sous leurs pieds, ou le feu de se déverser sur leur tête. Quel sentiment de l’existence peut-on avoir dans ces conditions ? Dramatique, tourmenté, excessif, explosif, volcanique, tout, sauf bourgeois.” Dominique FERNANDEZ, Palerme et la Sicile,1998 CHRISTIANISME ET SUPERSTITION Il y a en Sicile une relation magique avec l’Etna, craint et vénéré encore aujourd’hui, et la fertilité extraordinaire de la terre des plaines environnantes n’explique peutêtre pas tout l’attrait qu’il exerce. Pour se protéger des colères du géant, les hommes établis au pied du volcan ont recours à leur saint patron. Des processions, empreintes de superstition, sont plus où moins suivies d’effet : ainsi Catane fut épargnée en 253, un an après son martyre, sur la présentation des reliques de sainte Agathe, mais en 1669, le miracle ne se renouvela pas ; pas plus qu’en 1928 la statue de saint Léonard n'arrêtera la coulée qui détruisit Mascali, sur la pente Est. L’ETNA ET LA SCIENCE Dès le 5e s. av JC des hommes ont tenté d’expliquer les phénomènes volcaniques. C’est le cas d’Empédocle pour qui le monde est régi par quatre éléments : l’eau, l’air, la terre et le feu souterrain. C’est pour étudier ce dernier qu’il serait monté sur l’Etna ; sans réponse à ses questions, il se serait jeter dans le cratère... Des Romains comme Lucrèce, Ovide,Vitruve ont chacun donné leur interprétation de l’activité de l’Etna (rappelons qu’à leur époque le Vésuve n’avait pas encore fait parler de lui !). Il faut attendre le 17e siècle pour que les observations deviennent plus rigoureuses. De nos jours l’Etna est un véritable “volcan laboratoire” pour des volcanologues du monde entier qui viennent y tester leurs techniques d'analyse et de prévisions. ETNA ET TOURISME La fascination qu’exerce l’Etna sur les hommes se traduit aussi dans le domaine touristique. Dès le 17e siècle, l’ascension de l’Etna pour assister au lever du soleil est l’une des étapes obligées du voyage en Italie. Goethe, Alexandre Dumas, Maupassant, entre autres, l’ont effectuée. De nos jours des randonnées permettent de découvrir le vaste parc naturel créé il y a une quinzaine d’années pour protéger l’ensemble du massif en altitude. UNE LUTTE INÉGALE Le 15 décembre 1991, une fissure s’ouvre à 2300m dans la Valle del Bove. Deux jours plus tard, la lave atteint les 1600 m. A Noël, la coulée menace le village de Zafferana. Son débit est estimé à 1 million de m3 par jour. Face à cette situation, les autorités décident d’édifier une immense digue de terre pour détourner la coulée. Quatre mois plus tard elle est engloutie. On construit d’autres barrages à la hâte. On tente même d’obstruer le tunnel de lave avec de gros blocs de béton déposés par hélicoptère ! Rien n’y fait, le volcan continue d’épancher sa lave. Le 30 mars 1993, la coulée s’arrête enfin, faute d’être alimentée : on estime son volume à 240 millions de km3, ce qui en fait la plus abondante depuis 300 ans. Cette intervention humaine, la première d’une telle ampleur, fut très critiquée. Camions, pelleteuses, création de pistes, hélicoptères, abattage d’arbres, déplacement de beaucoup de terre, etc. ont crée beaucoup de dégâts, sans doute plus que la coulée elle-même. Et ils ont coûté bien plus cher ! Texte, conception, réalisation : Magali & Claude CHARPENTIER, Michèle GOZARD - Edition 2004 3