La polémique à propos du « relativisme
culturel » appelle un autre commentaire. Le
domaine de compétence des ethnologues est
grosso modo toujours le même, leur « feuille de
route » en quelque sorte, est l’explication des
tenants et aboutissants de l’équilibre instable,
sans cesse redéfini, entre l’un et le multiple,
l’unité et la diversité, le même et l’autre. Mais
les débats politiques les amènent à approfondir
leurs analyses, à complexifier leur propos et à
reprendre les enquêtes. C’est cette actualité de
l’anthropologie, c’est-à-dire sa double contex-
tualisation dans la société et dans les « débats
de société », qui fait avancer la connaissance,
suscite de nouvelles questions, de nouveaux
objets de recherche. Dans les années 1950,
dans les années 1970, et aujourd’hui, les ethno-
logues parlent différemment, les mots qu’ils
utilisent ne sont plus exactement les mêmes,
l’état des connaissances sur l’humain en géné-
ral a énormément évolué, et surtout les « ques-
tions de société » dans lesquels ils situent leur
recherche ont changé comme les sociétés elles-
mêmes. Le débat universaliste – qui interpelle
11
strictement « ethnologique », le respect des
autres et des peuples différents, et même le
fameux « relativisme culturel », concept qui
s’opposait selon lui à toute idée de supériorité
d’une culture ou d’un peuple sur l’autre. Au
début des années 1950, face au racisme et à
l’antisémitisme qui avaient conduit aux crimes
et au génocide de la Seconde Guerre mondiale,
il critiquait le regard de l’Occident sur le reste
du monde, regard dominateur et arrogant. La
reconnaissance des différences, le respect des
peuples minoritaires étaient la bonne réponse,
il me semble, à cette arrogance. Vingt-cinq ans
plus tard, l’ethnopolitique se répand dans le
monde comme une expression des mouve-
ments sociaux, des conflits fonciers, des luttes
urbaines. De part et d’autre, la séparation est
valorisée, comme le sont le « conflit d’identité »,
la fragmentation – toutes les fragmentations:
raciale, ethnique, urbaine, etc. Il importe alors
de rappeler que toute idée d’identité substan-
tielle est vaine, et qu’il existe un « minimum
d’identité » entre tous les humains. C’est ce
qu’ont fait clairement, à ce moment-là, Lévi-
Strauss et d’autres anthropologues, qui conti-
nuent de le faire, pour la plupart 2.
10
antérieur au Séminaire sur l’identité mentionné plus haut). Ils ont
été récemment regroupés et présentés par Michel Izard dans un
seul volume, ce qui contribue grandement à leur mise en per-
spective (Lévi-Strauss C., Race et histoire, Race et culture, Préface
de M. Izard, Albin Michel/Unesco, 2001).
2. Les deux textes développant ces points de vue de Lévi-
Strauss datent, le premier de 1952, le second de 1971 (un peu