Th. Pourcher et al. Le transporteur d’iode (NIS) : nouvelles perspectives en oncologie nucléaire Th. Pourcher, S. Lindenthal, C. Basquin, O. Ferhat, R. Marsault, P. Carrier, M. Koulibaly, F. Bussière et J. Darcourt Unité TIRO - Commissariat à l’Energie Atomique et Université de Nice Sophia Antipolis - Faculté de Médecine - Nice Résumé Le symporteur Na/iode (NIS) est une protéine membranaire qui catalyse les accumulations d’iode dans la thyroïde et d’autres organes comme l’estomac ou les glandes salivaires. Le clonage du gène codant pour le NIS a permis son expression dans différents types cellulaires en utilisant des techniques de thérapie génique. La présence du transporteur permet d’induire des accumulations d’iode dans des cellules cibles. Le NIS peut alors être utilisé comme rapporteur en imagerie non invasive. Le NIS est aussi à l’origine d’une nouvelle stratégie permettant de détruire des cellules cancéreuses d’origines diverses. Les techniques d’imagerie et de radiothérapie métabolique, utilisées avec les cellules thyroïdiennes en médecine nucléaire, seront alors utilisables pour visualiser et détruire les tumeurs d’origines diverses. De nombreux essais sur des cellules in vitro et sur des animaux ont été menés : ils ont déjà permis d’établir les avantages de cette approche d’irathérapie génique. Des études récentes effectuées sur des myélomes multiples implantés dans des souris et des hépatocarcinomes chez le rat, ont abouti à des rémissions importantes des tumeurs. Toutefois, des études, sur la compréhension des régulations posttranscriptionnelles du NIS ou l’utilisation de divers radio-isotopes substrats du NIS, doivent être effectuées pour améliorer cette approche très prometteuse. Symporteur sodium iode / Thérapie génique / Gène rapporteur en imagerie / Radiothérapie INTRODUCTION : LE SYMPORTEUR D’IODE OU NIS !L’iode est un élément essentiel à la synthèse des hormones thyroïdiennes et donc à la fonction thyroïdienne. Cet élément étant rare dans la bios- phère, les mammifères ont développé des moyens pour concentrer l’iode dans la thyroïde. Il a été clairement établi que cette accumulation est catalysée par le symporteur sodium iode (NIS pour Natrium Iodide Symporter) (voir revue [1]). L’identification moléculaire du NIS a été réalisée par le clonage de l’ADNc du NIS de rat à partir d’une lignée de thyrocyte [2]. Ce clonage a permis l’identification de la séquence humaine [3] et plus tard de celui de la souris dans notre laboratoire [4]. Le NIS est localisé dans la membrane basolatérale des thyrocytes. Il cotransporte un ion iodure avec deux ions sodium, et le gradient électro- Correspondance : Thierry Pourcher Unité TIRO, - CEA-UNSA, Faculté de Médecine - 28 Av de Valombrose - 06300 Nice Tél. 0493377712 - Fax : 0493377717 - Email : [email protected] Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 237 Le transporteur d'iode (NIS) : nouvelles perspectives en oncologie nucléaire chimique de sodium est utilisé comme énergie pour accumuler l’iode dans la cellule. Le NIS est à l’origine d’accumulation d’iode dans la thyroïde, les glandes salivaires, l’estomac et la glande mammaire pendant la lactation. Au niveau de la thyroïde, l’expression du NIS est essentiellement sous le contrôle de la TSH et de l’iode circulant (voir également revue [1]). Ces régulations se traduisent par des modifications des niveaux d’ARNm codant pour le NIS. Mais des variations du profil de phosphorylation et de la localisation de protéine au niveau de la membrane plasmique seraient également impliquées dans les régulations physiologiques de la capacité de transport de l’iode dans la thyroïde [5]. Dans des cellules thyroïdiennes normales, ces différences seraient également associées à la présence d’une protéine régulatrice en interaction [6, 7]. Au niveau de la glande mammaire, l’expression du NIS est induite pendant la période de lactation mais les hormones impliquées (prolactine ou ocytocine) dans cette activation doivent être précisées. L’EXPRESSION DU SYMPORTEUR D’IODE DANS LES CANCERS Le symporteur d’iode et les cancers thyroïdiens !La capacité d’accumulation d’iode dans la thyroïde a permis l’essor de la médecine nucléaire dans le diagnostic scintigraphique et le traitement par radiothérapie métabolique des cancers différenciés de la thyroïde. D’une part, la transformation tumorale des thyrocytes entraîne des pertes de capacité d’accumulation d’iode qui expliquent qu’elles apparaissent scintigraphiquement comme une zone "froide" en scintigraphie (à l’iode 123 ou au pertechnétate de technétium 99m). D’autre part, les métastases de ces cancers conservent des capacités d’accumulation d’iode réduites mais qui sont mises à profit pour leur élimination par radiothéra- 238 pie métabolique à l’iode 131. Ce traitement est aussi utilisé pour éliminer les éventuels résidus thyroïdiens postopératoires. Ce sont alors les capacités de concentration des thyrocytes normaux qui sont mises à profit. L’identification du NIS a permis de fournir des bases moléculaires susceptibles d’expliquer les variations des capacités d’accumulation d’iode dans les cancers thyroïdiens. Ainsi, d’importantes variations d’expression du NIS ont été observées dans les différents types de tumeurs thyroïdiennes. Plusieurs études ont mis en évidence une diminution d’expression des ARNm du hNIS dans la plupart des carcinomes thyroïdiens [810]. Parallèlement, des diminutions d’expression de la protéine ont été retrouvées par immunodétection dans certaines études [11]. Néanmoins, certains travaux ont apporté des résultats contradictoires en montrant des surexpressions des transcrits et de la protéine NIS dans certains carcinomes, non corrélées à une activité de transport d’iodure dans ces tumeurs [12]. De plus, des études d’immunohistochimie ont montré un marquage essentiellement localisé dans le cytoplasme et pratiquement absent au niveau de la membrane plasmique [13-15]. Des travaux complémentaires sont encore requis pour comprendre ces dérégulations. Le symporteur d’iode et les cancers du sein !Dans des tumeurs mammaires, un fort pourcentage de prélèvements testés expriment NIS [16-19]. Le NIS a été immunodétecté à la surface des cellules tumorales mammaires mais aussi à l’intérieur des cellules [17]. Des capacités d’accumulation d’iode ont été observées avec les fibromes [16]. Des accumulations d’iode ont été également observées par scintigraphie sur des tumeurs mammaires [19-21]. Toutefois, les capacités d’accumulation obtenues sont trop faibles pour envisager, dans l’état, un traitement par radiothérapie métabolique à l’iode 131. Pour développer une telle approche, il serait nécessaire d’augmenter les capacités d’accumu- Médecine Nucléaire - lation d’iode de ces tumeurs. Dans ce contexte, des travaux ont montrés sur des lignées tumorales mammaires que l’acide rétinoïque induisait l’expression du NIS [22]. Une meilleure connaissance des régulations transcriptionnelles mais également post-transcriptionnelles du NIS dans les cellules tumorales mammaires serait souhaitable pour pouvoir induire de fortes accumulations d’iode. Le symporteur d’iode et les autres cancers !Une étude récente indique l’existence d’expressions spontanées du NIS dans de nombreux cancers [18] : de la prostate, des ovaires, des poumons, du colon... Des études supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ces expressions et pour mesurer les accumulations d’iode qu’elles pourraient induire. LE SYMPORTEUR D’IODE ET LA THÉRAPIE GÉNIQUE : NOUVELLE STRATÉGIE ANTI TUMORALE !Le clonage du gène de structure (ADNc) du NIS permet son transfert via des vecteurs plasmidiques ou viraux dans tous les types de cellule. Son expression donne alors la capacité à ces cellules d’accumuler de l’iode. Cette possibilité permet d’une part une nouvelle approche thérapeutique que l’on peut appeler "irathérapie génique" et d’autre part l’utilisation d’un nouveau rapporteur en imagerie médicale (revue [23, 24]). Le symporteur d’iode en irathérapie génique anticancéreuse !Plusieurs études visent à analyser l’utilisation du NIS afin d’induire des accumulations d’iode dans des cellules tumorales avec comme objectif de les détruire par irathérapie. Ces captations d’iode permettent égale- Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 Th. Pourcher et al. ment de suivre les cellules exprimant le NIS, une fois réimplantées dans des animaux, par des techniques d’imagerie. L’imagerie est associée à ces travaux en permettant de suivre toutes les étapes de l’irathérapie génique. Les études limitant l’utilisation du NIS uniquement à un rôle de gène rapporteur feront l’objet du chapitre suivant. La stratégie utilisée comporte plusieurs étapes : le transfert du gène NIS, les tests d’accumulation d’iode in vitro ou par imagerie in vivo pour suivre l’expression du NIS après transfert de son gène NIS et les essais de radiothérapie métabolique. De nombreux essais de transfert du gène du NIS dans des lignées cellulaires cancéreuses d’origines très diverses ont été effectués : de la peau [25, 26], de la prostate [26-32], du colon [25, 29, 32-35], des ovaires [25, 26], du foie [25, 30, 36, 37], de la thyroïde [34, 38-40], du sein [26, 29, 41, 42], du col de l’utérus [29], de cellules gliales [34, 43-48], du poumon [29, 49, 50], du rein [26], du pancréas [51], de cellules myélomateuses [52] et du pharynx [53]. Dans la majorité des travaux publiés, le transfert du gène NIS a été effectué sur les cellules cultivées in vitro et les cellules modifiées ont été implantées chez l’animal. Dans des travaux plus récents, la vectorisation du gène NIS a été effectuée vers des lignées dérivées de myélome multiple après injection intraveineuse de virus recombinant dérivés du virus de la rougeole [52]. De même, le transfert du gène NIS a été réalisé sur des hépatocarcinomes induits chimiquement par injection des particules virales dans la veine porte [54]. Le contexte de ces dernières expériences est plus proche d’une éventuelle thérapie génique chez l’homme puisque les cellules tumorales étaient préalablement implantées chez l’animal et modifiées pour l’expression du NIS in vivo dans une seconde étape. Afin d’introduire le gène du NIS dans les cellules cibles, des techniques de transfection in vitro suivies de la sélection de clone exprimant de façon stable le transporteur ont été souvent utilisées [27, 28, 33-35, 37-39, 41, 43, 45, 47, 49, 51, 55]. Toutefois, des par- Médecine Nucléaire - ticules virales recombinantes portant le gène du NIS ont été rapidement élaborées. Dès 1999, Mandel et ses collaborateurs ont publié un travail utilisant un rétrovirus recombinants pour dériver des clones stables exprimant le NIS [25]. En 2000, Boland et ses collaborateurs ainsi que Cho et son équipe ont montré que des adénovirus recombinants permettent d’induire des expressions transitoires du NIS dans des cellules [29, 44]. D’autres travaux ont mis à profit des rétrovirus [26, 30-32, 36, 40, 46, 48, 50] ou des adénovirus [32, 35, 42, 53, 54] recombinants pour vectoriser le gène du NIS. Plus récemment, l’utilisation de virus recombinants de la rougeole a permis de cibler plus spécifiquement la vectorisation vers un type cellulaire [52]. La transcription du gène du NIS introduit, dans la plupart des expériences, était sous le contrôle d’un promoteur induisant un haut niveau d’ARNm dans la plupart des types cellulaires. Toutefois, dès 1999, Spitzweg et ses collaborateurs ont publié un premier travail utilisant un promoteur spécifique des cellules de la prostate [27] et plus récemment un autre promoteur a été utilisé pour cibler l’expression dans cet organe [56]. Un promoteur spécifique a été également utilisé pour des lignées dérivées de cancers neuro-endocrines du pancréas [51]. Un travail récent illustre aussi la possibilité de mettre à profit des systèmes CRE/lox pour obtenir des systèmes d’expression permettant à la fois d’obtenir une haute spécificité et d’induire de forts niveaux d’expression [57]. Des capacités d’accumulation ont été ainsi induites et mesurées in vitro. En fonction du type cellulaire dans lequel est exprimé le NIS, d’importantes variations de la capacité d’accumulation d’iode ont été observées [25, 26, 29, 34]. Ces différences résultent probablement de l’existence de régulations, agissant sur l’expression du NIS, variables d’une lignée à une autre. Ces régulations peuvent intervenir au niveau des différentes étapes de la synthèse du NIS. D’une part, au niveau transcriptionnel, par des niveaux d’ARNm moins élevés consé- Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 cutifs à une efficacité variable suivant la cellule hôte du promoteur contrôlant le gène du NIS. D’autre part, des résultats expérimentaux indiquent que le NIS subit d’importantes régulations au niveau post-transcriptionnel. Ces régulations modulent notamment sa présence à la membrane plasmique de la cellule et cette localisation est essentielle pour sa fonction de transport. Dans ce contexte, une publication récente a montré que le NIS de rat induisait une accumulation d’iode supérieure à celle induite par le NIS humain quand il était exprimé avec les mêmes vecteurs dans les mêmes cellules tumorales [26]. Les deux protéines sont très proches, mais nous avons montré que l’expression de la protéine de rongeur induisait chez différents types cellulaires de plus hauts niveaux de transporteur actif que la protéine humaine (données non publiées). Malgré l’ensemble de ces facteurs de variabilité, les accumulations obtenues sont souvent suffisantes pour détruire les cellules in vitro [25, 28, 29, 31, 35, 37, 47, 51]. Dans la plupart des essais réalisés sur des animaux, des lignées cellulaires, dérivées de cellules tumorales et dans lesquelles l’expression du NIS a été introduite, ont été implantées chez des souris. Les accumulations d’iode catalysées par ces cellules ont pu être visualisées sur l’animal vivant par imagerie à l’aide de gamma-caméras. Les origines des lignées tumorales sont diverses. Ces mesures ont été suivies d’expériences de radiothérapie métabolique chez l’animal. Des lignées cellulaires de différentes origines ont été testées : thyroïdiennes [55], du col de l’utérus [29], prostatiques [28, 32], pulmonaires [49], du pharynx [53], de cellules myélomateuses et hépatiques [37]. Les premières expériences réalisées n’ont généralement pas aboutit à une réduction de la masse des cellules implantées [29, 55]. Toutefois, celles réalisées sur des lignées dérivées de la prostate publiées en 2000 par Spitzweg et ses collaborateurs ont permis d’obtenir des réductions des cellules implantées [28]. Il doit être toutefois noté que la dose 239 Le transporteur d'iode (NIS) : nouvelles perspectives en oncologie nucléaire utilisée de 111 MBq (3 mCi) d’iode 131 par souris était disproportionnée par rapport aux doses utilisées en thérapie clinique. La dose utilisée par Boland et ses collaborateurs était de 1,1 à 2,2 MBq (30 à 60 µCi) par animal, correspond davantage à la quantité utilisée chez l’homme en respectant un même rapport radioactivité/ poids, mais aucune réduction des tumeurs n’a été observée [29]. Des analyses complémentaires sur chaque modèle sont probablement nécessaires pour établir la dose adaptée à une irathérapie génique à l’iode 131. Il faudrait en particulier en étudier les effets secondaires. Cette étude pourrait bénéficier des analyses actuellement menées sur les traitements par irathérapie des carcinomes thyroïdiens (voir [58]). De plus, des augmentations du temps de survie des animaux ont été rapportées après radiothérapie métabolique à l’iode 131 (3 fois 148 MBq (3x4 mCi)) sur des cellules gliales implantées dans le cerveau [46]. Dans une publication plus récente, la même équipe a montré que les augmentations de survie étaient dépendantes de la dose utilisée et a observé de façon surprenante que la substitution partielle l’iode 131 par de l’iode 125 entraînait les mêmes effets. Ils montrent aussi que l’utilisation du 188ReO4 (voir ci-dessous) est plus efficace [48]. Plus récemment, Gaut et ses collaborateurs [53] ont publié des résultats intéressants obtenus sur des cancers du pharynx. Ils ont obtenu la régression des cellules exprimant le NIS et implantées dans des souris après une dose de 37 MBq (1 mCi) d’iode 131. De même, Mitrofanova et ses collaborateurs [32] ont implanté des cellules d’une lignée dérivée de la prostate dans une souris. Ils ont injecté, directement dans la tumeur formée, des adénovirus recombinants (NIS est sous contrôle d’un promoteur non spécifique fort) puis ils ont administré à l’animal 111 MBq (3 mCi) d’iode 131. Ce dernier traitement a entraîné un arrêt de l’accroissement de la tumeur et une augmentation de la survie des animaux [32]. Des résultats remarquables ont été également obtenus sur des lignées de myélome multiple par Dingli et ses collaborateurs [52]. Après implantation des cellules dans 240 des souris, le gène du NIS a été transféré en utilisant des vecteurs viraux. Des régressions complètes des tumeurs ont été observées en utilisant une dose unique de 37 MBq (1 mCi). Ce résultat très encourageant est attribué en partie à la grande radiosensibilité de ces cellules tumorales. Cette étude laisse présager que l’irathérapie génique utilisant le NIS semble rapidement utilisable contre les tumeurs radio-sensibles. Enfin, Faivre et ses collaborateurs [54] ont également montré que la stratégie semble particulièrement adaptée aux hépatocar-cinomes. De telles tumeurs ont été provoquées par traitement chimique chez des rats. L’expression du NIS dans les cellules du foie (normales et tumorales) a été induite après transfert du gène du NIS à l’aide d’adénovirus recombinant injecté dans la veine porte. Des temps de rétention importants de l’iode dans le foie ont été observés et une dose de 666 MBq (18 mCi) entraîna une complète réduction des métastases. Il a été remarqué un effet sélectif sur les cellules tumorales par rapport aux cellules normales. Ce phénomène pourra être sans doute accentué par l’utilisation de promoteurs spécifiques des cellules tumorales. La dose utilisée reste élevée, mais il faut rappeler que les rats possèdent une masse corporelle nettement plus élevée que les souris. Il semble important de comprendre la raison de la longue rétention de l’iode dans les hépatocytes. Il est important de noter que la thyroïde peut être protégée de l’irathérapie par un prétraitement hormonal [21, 46, 54]. Une des limitations souvent citée dans les publications réside dans le temps de rétention des radioisotopes [25, 28-30, 39, 44-48, 49, 51, 53-55, 59-61]. Ce temps de rétention est estimé in vitro sur des cellules en culture par des mesures de l’efflux d’iode ou par imagerie sur des cellules tumorales implantées. Certains auteurs ont montré qu’il était possible de ralentir la vitesse d’efflux de l’iode à l’aide de lithium in vitro [33] et sur des cellules implantées dans des souris [40]. Pour la plupart des Médecine Nucléaire - mesures effectuées in vitro, les cellules étalées sur la boite sont incubées en présence d’iode qui est accumulée dans la cellule. Pour mesurer la vitesse de sortie de l’iode (efflux), le milieu des cellules est rapidement changé par la même solution ne contenant pas iode. De telles conditions ne correspondent pas aux variations de concentration externe auxquelles vont être confrontées des cellules tumorales dans un organe. Des travaux indiquent que des différences dans l’organisation tridimensionnelle des cellules tumorales modifient l’efficacité de l’irathérapie métabolique in vitro : des cellules organisées en structure 3D sont plus sensibles que les mêmes cellules en monocouche [31]. Une preuve de la différence des temps de rétention observés in vitro et ceux obtenus dans l’organe est fournie par les résultats de Faivre et collaborateurs sur les hépatocarcinomes chimiquement induits chez le rat [54]. Des équipes ont tenté d’augmenter le temps de rétention intra-cellulaire de l’iode radioactif en co-exprimant le NIS avec la thyropéroxidase dans les cellules, mais les résultats ont été plus [49] ou moins [59] convaincants. Toutefois, cette stratégie pose le problème lié à l’activité de l’enzyme exprimée dans les cellules. De façon plus surprenante, Zhang et ses collaborateurs ont également constaté sur une lignée dérivée de cellules tumorales du poumon et modifiée pour exprimer le NIS et la thyropéroxidase, que l’ajout d’iode non radioactif entraînait une apoptose des cellules et inhibait la croissance de cellules implantées chez la souris [50]. Une autre perspective d’amélioration consiste à utiliser des substrats du NIS autres que l’iode 131 (T1/2 = 8 jours, émetteur β- de 0,13 MeV), comme le rhénium 188 (T1/2 = 16,7 heures, émetteur β- de 0,76 MeV) sous la forme de perrhénate (37, 48, 62) ou comme l’astate 211 (T1/2 = 7,2 heures, émetteur α de 6,8 MeV) émetteur alpha de haute énergie [34, 45, 47]. Ces substrats du NIS ont des périodes physiques plus courtes (compatibles avec des temps de rétention plus réduit que dans la thyroïde) et des émissions de plus haute énergie que Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 Th. Pourcher et al. l’iode 131. Ils ont déjà permis de potentialiser l’effet de l’irathérapie génique utilisant le NIS dans les études réalisées et devraient aboutir à une meilleure efficacité thérapeutique. Le rhénium-188 peut être produit dans un générateur 188W/188Re. L’astate 211 est plus délicat à manipuler, nécessite l’utilisation d’un cyclotron. Le symporteur d’iode comme rapporteur en imagerie !Dans les stratégies mettant à profit la thérapie génique utilisant des gènes suicides par exemple, il est important de pouvoir suivre le transfert des gènes. De même dans les stratégies de thérapie cellulaire, il est nécessaire d’avoir un moyen de suivre les cellules implantées et leur viabilité. Le NIS permet l’utilisation de méthodes d’imagerie isotopique non invasive utilisables chez des rongeurs et l’humain : scintigraphie en projection, tomographie d’émission monophotonique (TEMP) ou tomographie par émission de positons (TEP). De nombreux exemples décrits dans le paragraphe ci-dessus illustrent l’utilisation du NIS en imagerie dans des stratégies anti-tumorales associées à l’irathérapie. Plus spécifiquement, certaines études ne mettent à profit que l’utilisation du NIS comme rapporteur. Ainsi, un travail par imagerie TEMP réalisé chez le chien pour obtenir une résolution suffisante par rapport aux organes de l’animal illustre le potentiel de l’utilisation du NIS comme rapporteur [63] et la possibilité d’effectuer des mesures quantitatives (64). Une étude a été réalisée chez la souris sur des métastases pulmonaires formées par injection de cellules tumorales d’origine pancréa-tique [65]. L’utilisation de techniques d’imagerie TEMP a permis la détection de tumeurs d’un diamètre de 3 mm. La localisation des tumeurs a été réalisée par double marquage : iode 125 pour l’activité du NIS et 99m Tc-MAA (macro-agrégas d’albumine) pour la perfusion pulmonaire. Un travail récent indique également qu’un transfert de gène dans le coeur par injection directement dans l’or- Médecine Nucléaire - gane d’adénovirus recombinant peut être suivi par l’expression du NIS [66]. Il a été aussi montré que l’injection d’adénovirus recombinant (induisant l’expression du NIS utilisé comme protéine rapporteur en imagerie par tomographie par émission de positon (TEP) utilisant l’iode 124) dans la circulation sanguine induit l’expression du transporteur essentiellement dans le foie et les glandes surrénales mais également à un niveau plus faible dans les poumons, le pancréas et la rate [67, 68]. Le transfert de gène par des adénovirus au niveau des poumons a été également étudié en utilisant le NIS et des techniques d’imagerie (TEMP avec du 99mTcO4 et TEP avec de l’iode 124) [69]. Récemment, Niu et ses collaborateurs [42] ont montré qu’il était possible de suivre des accumulations d’iode sur des cellules en culture par différentes approches d’imagerie : par autoradiographie en utilisant de l’iode 125 ; par scintigraphie gamma avec du 99mTcO4 ; par TEP avec du brome 76. Enfin, afin de suivre l’activité des télomérases par imagerie, le gène du NIS a été placé sous le contrôle du promoteur des ARN de la télomérase (hTR) ou d’un de ses composés catalytiques (hTERT) dans des adénovirus recombinants. Les expériences réalisées montrent qu’il a été possible d’étudier l’activité de ses deux promoteurs chez l’animal par tomographie par émission de positon. Ce travail constitue un des premiers exemples des multiples possibilités envisageables avec NIS comme gène rapporteur en imagerie TEP ou TEMP. DISCUSSION !Les avantages de l’utilisation du NIS en thérapie anti-cancéreuse sont nombreux. Les techniques et les équipements nécessaires sont déjà présents dans les services de médecine nucléaire. La radiothérapie métabolique utilisant des isotopes de Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 l’iode est bien maîtrisée. Il sera possible d’estimer le pourcentage de cellules exprimant le NIS exogène et son niveau d’expression par un simple examen scintigraphique permettant également d’évaluer la dose de radioactivité spécifique qui sera reçue par les cellules ciblées. De plus, la radiothérapie métabolique permet d’induire un effet ciblé sur les cellules tumorales qui sont parfois plus radiosensibles [52]. Une des limites de toutes les approches en thérapie génique dirigées contre des cellules tumorales est liée à la vectorisation d’un gène tueur qui n’atteint pas 100 % des cellules cancéreuses. Le bénéfice est donc très relatif si seules les cellules exprimant le gène transféré sont tuées. Avec l’utilisation associée du NIS et de la radiothérapie, les cellules adjacentes à celles exprimant le NIS dans un foyer de cellules tumorales par exemple, sont également atteintes par les β- émis par les cellules voisines (effet bystander). Cette approche rend possible une efficacité complète du traitement alors même que le transfert génique ne serait que partiel. L’expression du NIS dans des cellules permet son utilisation comme rapporteur en imagerie. Il existe d’autres rapporteurs utilisables sur des animaux vivants. Par exemple, l’expression de thymidine-kinase du virus de l’herpès (HSV1-tk) entraîne des accumulations de sonde [70] qui peuvent être visualisées par imagerie TEP [71, 72]. Il est vrai que cette approche permet d’effectuer, pour l’instant, des mesures avec une plus grande sensibilité et de manière théoriquement plus "quantitatives".Toutefois, il s’agit d’une imagerie beaucoup plus lourde et la synthèse des substrats utilisés nécessite des moyens beaucoup plus importants (cyclotron et radiochimie). Une autre stratégie utilisant l’expression de la luciférase dans les cellules qui permet la production de lumière suivie par des caméras CCD est de plus en plus utilisée en imagerie du petit animal. Mais cette technique a quelques limitations notamment pour la transmission de la lumière au travers de certains tissus et elle est pour 241 Le transporteur d'iode (NIS) : nouvelles perspectives en oncologie nucléaire l’instant difficilement transposable à l’humain. L’utilisation du NIS permet de faire de l’imagerie sur des gamma-caméras en utilisant des substrats (123I ou 99m Tc04) couramment utilisés en médecine nucléaire et facilement disponibles. Dans ce cadre, il est important de développer les méthodes nécessaires pour pouvoir effectuer des mesures plus quantitatives. De plus, pour l’expérimentation animale, il est nécessaire d’accroître le nombre de plateformes d’imageries équipées de caméras TEMP dédiées aux petits animaux ou de caméras médicales modifiées. Même si certaines études, menées avec des caméras gamma conventionnelles équipées de collimateurs "pinhole" [46] ou une caméra TEMP dédiée [65], ont déjà permis de réaliser des études de grande qualité avec des résolutions spatiales de l’ordre du millimètre, il est important d’augmenter encore la sensibilité et la résolution pour pouvoir étudier, sur des tumeurs de plus petites tailles et chez les rongeurs, des stratégies de thérapie génique mettant à profit le NIS. Une telle instrumentation est actuellement développée par plusieurs équipes de recherche et par plusieurs fabricants d’appareils d’imagerie. Il est également possible d’utiliser une caméra TEP avec du 124I plus sensible, mais il est nécessaire de disposer d’une production de cet isotope et la résolution spatiale restera limitée par le parcours du positon. Les approches en thérapie génique nécessitent de développer l’efficacité et la spécificité de la vectorisation des gènes ainsi que des promoteurs spécifiques (tissus et tumeurs). Le développement de tels vecteurs est actuellement réalisé par de nombreuses équipes. Les progrès dans ces domaines (vecteurs et promoteurs) peuvent être illustrés par des essais effectués avec le NIS. A ce jour, les rendements de vectorisation par des particules virales ne permettent pas l’introduction du transgène dans la totalité des cellules. Ceci est particulièrement critique dans le cadre de l’utilisation d’un gène suicide pour des cellules tumorales. La destruction d’une partie seulement des cellules d’une tu- 242 meur n’apporte qu’un bénéfice très relatif. Dans ce contexte, l’intérêt de l’utilisation du NIS réside dans le couplage avec des techniques d’irathérapie qui permettent de détruire non seulement la cellule qui a reçu le transgène et acquis la capacité à accumuler l’iode mais également les cellules environnantes par irradiation : l’effet irradiant de l’iode 131 agit dans un périmètre proche du millimètre. Les nombreux essais, réalisés à ce jour, indique que l’approche semble notamment limitée par des temps de rétention des radioisotopes. Toutefois, les expériences menées sur des hépatocarcinomes induits par traitement chimique puis infectés par des adénovirus recombinants (induisant l’expression du NIS) montrent des temps de rétention de l’iode 131 supérieurs à 11 jours. Le temps de rétention de l’iode dans des conditions de thérapie génique est un phénomène complexe que l’on doit mieux comprendre pour développer cette stratégie. L’organisation tridimentionnelle des cellules, leur irrigation mais aussi l’expression de la protéine sous une forme active sont des paramètres à considérer. De fortes variations dans les capacités d’accumulation ont été observées dans les lignées utilisées dans les études réalisées après transfert du gène du NIS dans des lignées dérivant de tumeurs d’origines diverses. De même, des différences entre niveaux d’expression du NIS et niveaux d’accumulation d’iode ont été également observées dans des cellules exprimant de façon endogène le transporteur notamment dans les tumeurs thyroïdiennes et mammaires. L’introduction de l’expression du NIS par les vecteurs utilisés en thérapie génique est suffisamment forte pour induire des capacités d’accumulation d’iode malgré ces régulations. Toutefois, l’efficacité d’une radiothérapie métabolique nécessite d’augmenter au maximum la capacité d’accumulation obtenue en optimisant notamment l’expression de transporteurs fonctionnels à la membrane plasmique. Une partie de nos travaux consiste actuellement à l’amélioration de Médecine Nucléaire - l’activité du NIS exprimé dans différents types cellulaires. Pour cela, nous étudions les régulations posttranscriptionnelles modulant son activité dans des cellules cibles. Nous avons notamment identifié des sites de phosphorylation importants pour le contrôle de l’adressage de la protéine de souris. Nous avons généré toute une collection de mutants qui sont actuellement testés pour leur capacité à échapper aux régulations de cellules hôtes. Nous élaborons également des transporteurs chimériques qui pourraient corriger la plus faible capacité de transport entraînée par l’expression du NIS humain que celui de rongeur [26] en conservant une séquence protéique correspondant essentiellement à celle de l’homme. De plus, nous cherchons à identifier les protéines partenaires qui pourraient moduler l’expression du symporteur d’iode. Enfin, nous tentons de caractériser les voies passives de sortie d’iode qui pourraient être présentes dans les cellules cibles. Dans ce contexte, nos travaux nous ont conduit à identifier un transporteur AIT (pour Apical Iodide Transporter) que nous avons impliqué dans la sortie de l’iode au pôle apical du thyrocyte [73, 74]. De telles études sont essentielles pour optimiser ces approches en thérapie génique utilisant le NIS en augmentant la capacité d’accumulation des cellules cibles. CONCLUSION !L’étude de l’utilisation du NIS en thérapie génique anti-tumorale fait l’objet d’un nombre croissant de travaux. Cette approche est basée sur l’introduction du NIS qui catalyse une accumulation cellulaire d’iode. Ces accumulations sont visibles par des techniques d’imagerie et permettent de détruire les cellules par irathérapie métabolique. Cette stratégie cumule un certain nombre d’avantages : toutes les étapes (du transfert de gène à l’effet thérapeutique) peuvent être suivies par des techniques d’image- Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 Th. Pourcher et al. rie applicables chez l’animal et l’homme ; un effet bystander permet de corriger les problèmes de la vectorisation des gènes ne ciblant pas la totalité des cellules tumorales ; mis à part les aspects de vectorisation, les techniques mises en œuvre sont identiques à celles couramment utilisées dans les départements de médecine nucléaire, par conséquent les structures nécessaires aux premiers essais cliniques sont déjà existantes puisque l’irathérapie est une stratégie bien maîtrisée. Toutefois, il reste beaucoup d’améliorations à apporter à cette stratégie. Certaines sont communes à toutes les approches de thé- rapie génique comme l’amélioration de la vectorisation par la recherche de nouvelles particules virales plus efficace et spécifique. De même, la découverte de promoteurs spécifiques à certaines tumeurs permettra de cibler l’expression du NIS. Plus spécifiquement, il est essentiel de développer l’imagerie (plus particulièrement TEMP) du petit animal afin d’effectuer des travaux sur des rongeurs avec des outils plus performants pour les tests pré-cliniques. De plus, il est important de bien connaître les régulations post-traductionnelles du NIS afin d’induire de plus fortes accumulations et cela dans tous les types cellulaires. Sur la base des travaux déjà publiés, il apparaît déjà que cette stratégie est particulièrement appropriée dans certains cancers comme les hépatocarcinomes et les myélomes multiples. Cette approche peut ne pas conduire à des résultats aussi spectaculaires ou se révéler inappropriée à traiter d’autres tumeurs. Une perspective très intéressante consiste également à coupler cette stratégie à une autre basée sur d’autres gènes suicides : un effet synergique peut certainement potentialiser l’effet de «l’irathérapie génique» anti-tumorale utilisant le NIS. The iodide symporter (NIS): new perspectives in nuclear oncology The sodium iodide symporter (NIS) is the plasma membrane protein that mediates uptake of iodide in the thyroid and other organs such as the stomach and the salivary gland. The cloning of its cDNA allows the targeting of NIS expression into any cell using gene therapy. This enables iodide uptake and thus NIS can be used as «reporter imaging» for live animals. More intriguingly, this new technique has potential using radioiodide therapy to selectively destroy tumour cells. These two approaches employ common techniques in nuclear medicine. Many experiments on cultured cells and on animals have been carried out ; they established clearly the advantages of this genetically targeted radiotherapy. Recent studies employing this therapy on multiple myeloma cell lines implanted in mice or on hepatocarcinoma-bearing rats, resulted in important tumour remission. However, additional studies on NIS regulation and the use of alternative radioisotopes transported by NIS are required to further develop this promising approach. Sodium iodide symporter / Gene therapy / Imaging reporter gene / Radionuclide therapy Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°4 243 Le transporteur d'iode (NIS) : nouvelles perspectives en oncologie nucléaire RÉFÉRENCES 1. Dohan O, De La Vieja A, Paroder V, Riedel C, Artani M, Reed M et al. The Sodium/Iodide Symporter (NIS): Characterization, Regulation, and Medical Significance. Endocr Rev 2003;24(1):48-77. 2. Dai G, Levy O, Carrasco N. Cloning and characterization of the thyroid iodide transporter. Nature 1996; 379(6564):458-60. 3. Smanik PA, Liu Q, Furminger TL, Ryu K, Xing S, Mazzaferri EL et al. Cloning of the human sodium lodide symporter. Biochem Biophys Res Commun 1996;226(2):339-45. 4. Perron B, Rodriguez AM, Leblanc G, Pourcher T. 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