Aperçu - Georges Mion

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Journées des infirmier(e)s anesthésiste, d’urgence et de réanimation 2007
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Prise en charge du choc hémorragique
G. Mion, C. Peraldi, G. Auffret, J.-L. Daban, Y. Diraison
Hôpital d’instruction des Armées du Val-de-Grâce, 74, boulevard de Port-Royal, 75230 Paris cedex
05, France
POINTS ESSENTIELS
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Les gestes urgents d’hémostase ou de radiologie interventionnelle sont indissociables
de la restauration d’une volémie correcte, selon les concepts d’hypotension permissive,
éventuellement de remplissage, par faibles volumes, de sérum salé hypertonique.
L’évaluation de la spoliation sanguine est trompeuse : chez le sujet éveillé, l’hypotension
artérielle ne survient que tardivement. La tachycardie est alors un signe alarmant.
La surveillance rapprochée de l’hématocrite est cruciale, mais, en cas de saignement
aigu, il ne s’abaisse qu’avec le remplissage, donc avec retard.
La kétamine et l’étomidate à faibles posologies sont les agents d’induction de choix.
L’utilisation du thiopental et du propofol n’est pas recommandée.
Les anesthésiques volatils halogénés inhibent l’activité sympathique et baroréflexe.
Le protoxyde d’azote entraîne une dégradation hémodynamique.
L’administration précoce d’un vasopresseur est indiquée lorsque le remplissage vasculaire ne corrige pas rapidement l’hypotension.
La lutte continue et obstinée contre l’hypothermie, qui a des conséquences dramatiques sur l’hémostase et l’hémodynamique, doit être une priorité.
La curarisation, pour une séquence d’induction rapide avec manœuvre de Sellick, est
indispensable.
L’utilisation d’un volume courant supérieur à 7 ml/kg de poids théorique est un facteur indépendant de surmortalité.
En cas d’état de choc non contrôlé, de critères de la triade fatale, de transfusion
massive, une approche de type damage control est indiquée de façon à limiter au
maximum le temps opératoire.
INTRODUCTION
Le choc hémorragique reste la principale des causes de décès dans le domaine des
polytraumatismes, de la chirurgie lourde, des hémorragies digestives ou obstétricales…
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Les gestes urgents d’hémostase ou de radiologie interventionnelle, indissociables de
la restauration d’une volémie correcte, nécessitent le plus souvent une anesthésie
générale [1]. Hypotension permissive, remplissage par faibles volumes de sérum salé
hypertonique (SSH), prise en charge de type « damage control », modulation de l’hémostase ou conception de nouveaux transporteurs de l’oxygène visent à l’amélioration constante du pronostic de ce défi hémodynamique [2].
PHYSIOPATHOLOGIE DE L’ÉTAT DE CHOC HÉMORRAGIQUE
L’hémorragie provoque une hypovolémie absolue brutale qui exacerbe l’activité sympathique (phase sympathoactivatrice). Chez le sujet éveillé, la mise en jeu des baroréflexes,
puis de la régulation neurohumorale permet une conservation trompeuse de la PA
moyenne (PAM). Il est essentiel de comprendre que chez le sujet normal, la baisse de PA
ne survient que tardivement, lorsque l’ajustement de la précharge ne suffit plus à maintenir le volume d’éjection systolique (VES). La tachycardie est alors un signe alarmant.
Dans certains cas d’hypovolémie massive, une vasodilatation et une bradycardie (sympatho-inhibition) peuvent cependant détériorer brutalement l’hémodynamique [3].
La dette en oxygène est reflétée par une acidose proportionnelle à la quantité spoliée d’hémoglobine. La faillite des pompes adénosine triphosphate (ATP)-dépendantes
entraîne un œdème endothélial et érythrocytaire (translocation sodée) qui aggrave
les conditions microcirculatoires. La vasoconstriction provoque une ischémie dans
les territoires cutané, rénal mais surtout splanchnique, dont la circulation, partie
immergée de l’iceberg, est sacrifiée au profit du cerveau et du myocarde. L’ischémie
est responsable de lésions digestives de stress et de l’activation des polynucléaires
(PNN) qui génèrent des lésions tissulaires (syndrome de détresse respiratoire aiguë
[SDRA]) par l’intermédiaire d’enzymes et de radicaux libres (stress oxydatif), sources
de mortalité secondaire par défaillance multiviscérale (SDMV). La séquence ischémie–reperfusion provoque également des lésions endothéliales responsables d’une
fuite capillaire des liquides et des macromolécules (capillary leak syndrome) et déclenche une réponse inflammatoire systémique (SIRS). Enfin, une paralysie immunitaire
augmente la susceptibilité des traumatisés aux infections [4].
EFFETS DES AGENTS ANESTHÉSIQUES DANS LE CONTEXTE
DE L’ÉTAT DE CHOC
Anesthésiques volatils halogénés et protoxyde d’azote
À partir de 1 CAM, l’isoflurane, le sévoflurane et, à un moindre degré, le desflurane,
inhibent l’activité sympathique et baroréflexe. En cas d’hypovolémie, le protoxyde
d’azote dégrade l’hémodynamique, et risque d’augmenter le volume des cavités ou
des épanchements aériques lié à sa diffusion.
Agents intraveineux
L’état de choc influence les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques
des anesthésiques et la plupart d’entre eux inhibent de façon dose-dépendante l’activité sympathique et baroréflexe. Le bas débit diminue le volume de distribution et
l’efficacité des émonctoires ; la baisse de la protidémie et l’hypothermie modifient la
pharmacocinétique. Dans tous les cas, les posologies doivent être diminuées [5].
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Thiopental et propofol
Le thiopental, vasodilatateur et dépresseur myocardique, aurait fait plus de victimes
à Pear Harbor que les bombes japonaises. Le propofol provoque une hypotension
artérielle plus marquée encore. L’augmentation de la forme libre (hypoprotidémie)
modifie la pharmacodynamie. Son utilisation chez le patient en état de choc, non
recommandée, devrait se limiter au 5e ou au 10e de la posologie habituelle.
Kétamine
L’anesthésie au cours du choc hémorragique reste l’une de ses principales indications, car elle est utilisable pour l’intubation de l’estomac plein et la stimulation sympathique provoque une augmentation de la fréquence cardiaque (FC), de la PA et
du débit cardiaque. Cependant, son effet vasodilatateur direct pourrait expliquer le
collapsus parfois observé [6]. La posologie doit être réduite (0,5 à 1,5 mg/kg). Elle
demeure l’anesthésique des conditions défavorables comme la médecine de guerre
[7], de catastrophe, des pays émergeants et est utilisée, en médecine préhospitalière,
chez le patient incarcéré [8]. En cas d’hypercapnie, elle augmente la pression intracrânienne. En revanche, si la capnie est contrôlée, une induction avec l’association
midazolam-kétamine ou propofol-kétamine préserve la pression de perfusion cérébrale, sans augmentation de pression intracrânienne (PIC) [8].
Étomidate
C’est le seul agent intraveineux qui n’altère pas l’activité baroréflexe. Il permet l’induction rapide des patients hypovolémiques sans effondrement de la pression artérielle (PA). Il diminue la pression intracrânienne (PIC) et sa pharmacologie est peu
modifiée par l’état de choc. Toutefois, même au décours d’une injection unique de
0,3 mg/kg, il interfère avec la réponse à l’agression en inhibant l’activité 11-hydroxylase surrénalienne, ce qui le disqualifie pour l’entretien de l’anesthésie.
Morphinomimétiques
Les morphinomimétiques diminuent l’activité sympathique, réduisent la CAM, et
sont bradycardisants.
Anesthésie périmédullaire
Les effets des anesthésies axiales sur le système nerveux autonome (SNA) et la chute
des résistances périphériques sont d’installation brutale [9]. Plus l’activité sympathique est élevée, plus la chute de PA est importante, ce qui les contre-indique formellement dans les états de choc [2].
PÉRIODE PRÉOPÉRATOIRE
Une prise en charge précoce, agressive et monitorée diminue la mortalité. Remplissage
vasculaire, geste d’hémostase et réanimation doivent être menés de front. La gestion
des produits sanguins, la prévention constante de l’hypothermie, le maintien d’un
état hémodynamique et d’une narcose suffisante sont un défi permanent qui exige
expérience et organisation ; procédures et check-lists sont recommandées [2].
L’équipe chirurgicale est présente à l’accueil du patient pour une intervention
de sauvetage (massage cardiaque interne, clampage aortique, trachéotomie…). La
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banque du sang est prête, les techniques d’imagerie doivent être disponibles : échographie, embolisation, scanner si l’hémodynamique le permet. Dans une ambiance
d’urgence extrême, évaluation et préparation sont raccourcies, le patient parfois transféré sans délai au bloc opératoire. Le médecin-anesthésiste doit s’entourer d’aides et
le matériel être prêt : dispositifs de réchauffement des solutés et d’accélération de
perfusion, de mesure du taux d’hémoglobine, pousse-seringue de noradrénaline, cell
saver, bair-hugger, PA invasive, etc.
L’évaluation relève l’horaire du dernier repas, les antécédents, traitements ou allergies, les mesures de réanimation déjà entreprises et recherche des critères d’intubation difficile. L’évaluation de la spoliation sanguine est trompeuse ; un faciès altéré,
des marbrures, une altération du temps de recoloration, de l’état de conscience ou
de la diurèse précèdent l’hypotension puis la tachycardie, qui sont les signes alarmants d’une hypovolémie au moins supérieure à 30 % de la masse sanguine. Le bilan
comprend groupe sanguin, recherche d’agglutinines irrégulières (RAI), numérationformule sanguine (NFS), hémostase, puis gaz du sang (GDS), lactates, bilan enzymatique. La surveillance rapprochée de l’hématocrite est cruciale, sans perdre de vue le
piège qu’en cas de saignement aigu, il ne s’abaisse qu’avec le remplissage, donc avec
retard [10].
REMPLISSAGE VASCULAIRE. OBJECTIFS DE PRESSION ARTÉRIELLE
Abords vasculaires
Deux cathéters périphériques de calibre 14 ou 16 G aux plis des coudes permettent un
remplissage massif et rapide. L’abord veineux central, plutôt fémoral, d’au moins 7 F,
n’est indiqué qu’en seconde intention. La mesure sanglante de la PA, dont les variations
respiratoires sont le moyen le plus fiable de détecter une hypovolémie, est impérative [4].
Cristalloïdes, colloïdes, ou hypertoniques ?
Les colloïdes exposent à des risques d’allergie, de troubles de l’hémostase et d’altérations de la fonction rénale [11], mais le volume nécessaire de cristalloïdes est trois à cinq
fois supérieur pour des valeurs identiques de Qc et de TaO2. Les dextrans, disqualifiés
par le risque anaphylactique, ont laissé la place aux hydroxy-éthyl-amidons de troisième
génération (HEA 130/0,4/6 %, Voluven®) qui peuvent être administrés jusqu’à 50 ml/kg
[12]. Ils sont beaucoup plus efficaces et bien moins allergisants que les gélatines [13].
Quatre à 6 ml/kg (small volume resuscitation) de SSH à 7,2 %, associé à un HEA
(Hyper-HES®) ont un pouvoir de remplissage sept à 11 fois supérieur à celui du salé
isotonique (figure 1). Le SSH améliore rapidement le débit cardiaque [14] et la microcirculation en diminuant l’œdème endothélial. La vasodilatation, qui redistribue le
débit vers les territoires coronaire, rénal et mésentérique, contrecarre les lésions intestinales de stress, l’adhésion des PNN et le stress oxydatif. L’hypernatrémie transitoire a
des effets antiœdémateux (effet mannitol-like) au niveau cérébral et pulmonaire [15].
Concept de réanimation hypotensive
En cas d’hémorragie non contrôlée, dans l’attente du geste d’hémostase, un objectif de 80 à 90 mmHg de PA systolique (50 mmHg de PAM, seuil d’autorégulation
des circulations cérébrale et coronaire) doit être toléré pour éviter de majorer le
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2000
Dextran 40 (10 %)
HEA (130/0,4/6 %)
Expansion volémique (mL)
Gélatine 3,5 %
1500
Ringer Lactate
250 mL HyperHES
1000
500
0
0
30
60
90
120
150
Temps (Min)
Figure 1. Évolution de l’expansion volémique au cours d’une perfusion de 500 ml en 30 min.
Les dextrans sont les colloïdes les plus efficaces, le Voluven® procure un remplissage stable
(qui perdure 6 h), les gélatines ne sont guère plus efficaces que les cristalloïdes. Pour faciliter la
comparaison, on a simulé une perfusion de 250 ml du soluté hypertonique commercialisé (fort
pouvoir d’expansion volémique, limité dans le temps).
saignement, exception faite des terrains cardiovasculaires (patients âgés, cardiomyopathies) ou neurologiques (traumatisme crânioencéphalique ou médullaire).
Dans ce cas, l’objectif de pression artérielle systolique (PAS) doit être à trois chiffres, diastolique supérieure à 50 mmHg pour préserver la circulation coronaire,
pression artérielle systolique (PAS) minimale de 120 mmHg en cas d’atteinte
neurologique [16].
Catécholamines
L’administration précoce d’un vasopresseur est indiquée lorsque le remplissage
vasculaire ne corrige pas rapidement l’hypotension. La noradrénaline, agoniste
a-adrénergique puissant, permet d’atteindre plus rapidement l’objectif tensionnel,
de prévenir un désamorçage au cours de l’induction anesthésique, de diminuer les
volumes perfusés donc l’œdème, de lutter contre la vasoplégie. L’adrénaline reste
indiquée en cas de défaillance myocardique [17].
INDUCTION
Choix des produits anesthésiques
La volémie est rarement restaurée lors de l’induction où la sous-estimation de l’hypovolémie [10] peut entraîner un collapsus fatal. Malgré le choix de faibles doses et
d’hypnotiques les moins dépresseurs (étomidate ou kétamine), il faut disposer d’emblée d’une seringue électrique de noradrénaline.
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Monitorage
Température centrale
La prévention de l’hypothermie qui, dès 35 °C, a des conséquences dramatiques sur
l’hémostase et l’hémodynamique, doit être une priorité : il n’y a pratiquement pas de
survivants au-dessous de 32 °C [18].
Hémodynamique
La perception d’un pouls radial garantit une PAS de 70–80 mmHg. L’évaluation du
débit cardiaque, fondée d’abord sur la PetCO2 (figure 2), se fonde sur les variations
respiratoires de la PA invasive, puis fait appel aux techniques non invasives, comme
le doppler œsophagien [4, 17].
Oxygénation cellulaire
La surveillance du taux d’hémoglobine, malgré ses limites, est fondamentale. Elle est
complétée par le dosage itératif du lactate et la surveillance de la diurèse horaire. La
saturation du sang veineux central (SvcO2) peut être utile : une diminution de plus de
5 % indique la nécessité d’un remplissage vasculaire, et d’un apport d’érythrocytes
selon l’hématocrite.
Profondeur de l’anesthésie
L’index bispectral (BIS) ou entropie permettent de naviguer entre les écueils du sousdosage anesthésique (risque de mémorisation) et du surdosage relatif aux modifications pharmacologiques. L’effondrement de l’activité électroencéphalogramme (EEG),
qui traduit la baisse de perfusion cérébrale, incite à corriger d’urgence l’hypotension
(figure 2).
Intubation
La curarisation (succinylcholine 1 mg/kg, voire, pour certains, 0,6 mg/kg [19], rocuronium en cas de contre-indication) pour une séquence d’induction rapide avec manœuvre de Sellick est indispensable (estomac plein, « crash induction »). Il faut penser à
préserver la stabilité du rachis cervical [5]. Dans les cas d’hémopéritoine sous tension,
la myorésolution peut avoir le même effet que le déglonflage d’un pantalon antichoc.
PÉRIODE PEROPÉRATOIRE
Ventilation artificielle
La FiO2 doit être ajustée pour obtenir une SpO2 ³ 95 % car l’oxygène pur favorise les
atélectasies, et contribuerait à la production de radicaux libres. Le protoxyde d’azote
est déconseillé. L’utilisation d’un volume courant supérieur à 7 ml/kg de poids théorique est un facteur de surmortalité [2].
Dégonflage d’un pantalon antichoc
Le dégonflage d’un pantalon antichoc peut être à l’origine d’un collapsus fatal [5]. Il doit
être progressif, sous couvert du remplissage vasculaire et de la perfusion d’amines, en
présence du chirurgien qui peut être amené à effectuer un clampage de l’aorte (figure 3).
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PA invasive
mmHg
PetCO2
Entropie
15:00
15:30
16:30
Figure 2. Choc hémorragique chez un patient octogénaire opéré en urgence pour une rupture
de l’aorte abdominale. On observe des variations de la capnie et de l’activité EEG (entropie),
qui reflètent les variations du débit cardiaque (hémorragie, réanimation, clampage et déclampage aortique).
20
Kétamine
Alfentanil
20
12
Adrénaline
Noradrénaline
20
135
0.5
0.5
4mg
12
4mg
mg/h
4.365mg
1002
CE
500
856
1858ml
250
PFC
HyperHES 250 mL
500
Voluven
NaCl
135mg
210
2099ml
3000ml
1000ml
200
Hb = 7,6 g/dL
PA mmHg
150
100
50
0
37.5
PetCO2
25.0
12.5
13:30
14:00
14:30
15:00
0.0
Figure 3. Clampages aortiques (flèches) effectués chez le même patient (cf. figure 2), qui a reçu
des bolus i.v. d’adrénaline, de la noradrénaline au pousse-seringue électrique (PSE), un remplissage et une transfusion accélérés.
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Entretien de l’anesthésie
Narcose
Pour certains, les anesthésiques volatiles halogénés (AVH), dont la concentration
alvéolaire minimale (CAM) est réduite par l’hypoxie, l’anémie et l’hypothermie, sont
les agents de choix car ils fournissent analgésie, narcose et immobilisation de façon
titrable et réversible. La perfusion de vasopresseurs permet de contrôler la vasodilatation, mais les AVH restent mal tolérés chez le patient hypovolémique. L’association
kétamine–propofol, combinée à la moitié de leurs ED50 respectives, procure une moindre dépression cardiorespiratoire, une analgésie postopératoire et l’absence de phénomènes dissociatifs au réveil. Cette intéressante alternative permet des actes lourds,
prolongés et douloureux, y compris abdominothoraciques, en se passant de morphiniques. L’induction ne comporte que kétamine et curare : le propofol n’est introduit
qu’après réalisation de l’hémostase, lorsque l’hémodynamique est normalisée [8].
Morphinomimétiques
En cas d’instabilité hémodynamique, des bolus titrés de sufentanil (5 µg) ou du rémifentanil (0,1 à 0,2 mg/kg/min) sont associés à une curarisation. Là encore, l’intérêt
de la kétamine est indiscutable [8] car les morphiniques sont très hypotenseurs et la
curarisation peut poser des problèmes de mémorisation peropératoire.
Myorelaxation
Le monitorage lève les incertitudes pharmacologiques du contexte de bas débit.
Autotransfusion, produits sanguins labiles
Bien que dépourvu de facteurs de la coagulation et de plaquettes, le sang retransfusé
(épanchement thoracique, cell-saver) est rapidement disponible, sans risque d’alloimmunisation ni de transmission d’agents infectieux. Un concentré érythrocytaire
(CE) augmente l’hémoglobinémie de 1 g/dl ou de trois points d’hématocrite. Si la
transfusion ne peut souffrir un délai de 2 h, les patients sont transfusés en concentrés
O négatif (ou positif chez les hommes) et la RAI n’est pas indispensable. L’objectif
est un hématocrite compris entre 25 et 30 % (hémoglobine ³ 7 g/100 ml), sauf si
l’hémorragie n’est pas contrôlée, en présence d’une lésion neurologique, ou d’un terrain cardiaque, où on vise une hémoglobine supérieure à 10 g/100 ml. Lors de remplissages massifs, l’hémodilution concerne successivement l’hématocrite, le taux de
prothrombine (TP), les plaquettes. On transfuse 2 PFC (plasma frais congelé) pour 5
à 10 CE et 6 à 8 unités (U) plaquettaires pour 15 à 20 CE, du fibrinogène (0,1 g/kg)
lorsque sa concentration est inférieure à 1 g/l. L’objectif de concentration plaquettaire supérieure à 50 000/mm3, de TP supérieur à 45 % et de taux de fibrinogène
supérieur à 0,5 g/l. doit être revu à la hausse en cas de lésions intracrâniennes ou de
polytraumatisme [17] (figure 4).
Hypothermie, « triade de la mort » et damage control
L’hémorragie non contrôlée amorce un cercle vicieux où se conjuguent hypothermie,
acidose métabolique et troubles de l’hémostase (lethal triad). Chaque degré Celsius
perdu ampute l’hémostase de 10 %. La lutte continue et obstinée contre l’hypothermie est primordiale : l’environnement, le patient (bair-hugger), le circuit respiratoire
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Diminution des paramètres (%)
Prise en charge du choc hémorragique
Plaquettes
0
0
100
150
50
% Masse sanguine remplacée
Figure 4. Actualisation du schéma de Lundsgaard-Hansen, pour une introduction hiérarchisée
des solutés et des dérivés du sang (d’après [4]).
et les solutés de remplissage et dérivés sanguins doivent être réchauffés de façon
« paranoïaque ». En cas d’état de choc non contrôlé en moins de 1 heure, de critères
de la triade fatale, ou de transfusion massive, il faut transformer la stratégie initiale
en approche de type damage control [18], destinée à limiter au maximum le temps
opératoire. L’hémostase de plaies veineuses inaccessibles, les interventions complexes, doivent faire place à des techniques chirurgicales simplifiées ou l’abdomen
est refermé temporairement sur un tamponnement (packing) abdominal. Une reprise
n’est programmée qu’à 24 h ou à 48 h après réchauffement, correction de la coagulopathie et optimisation hémodynamique en réanimation. Une revue récente précise
la place du facteur VII recombinant activé (NovoSeven®) [20] lorsque les différentes
étapes du damage control ne jugulent pas l’hémorragie.
CONCLUSION
La technique anesthésique prend en compte l’estomac plein et la décompensation
hémodynamique prévisible ; elle est indissociable des mesures de réanimation qui intègrent la gestion du remplissage vasculaire et des produits sanguins, le souci constant
de préserver la température centrale et l’emploi des amines pressives, sans se laisser
prendre au piège d’une pression artérielle ou d’un hématocrite maintenus, sous peine
d’une sous-estimation fatale de l’hypovolémie.
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