epreuve de synthese

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CONCOURS IPAG
2012
EPREUVE DE SYNTHESE
Durée : 3 heures
Coefficient attribué à cette épreuve : 3
Il est demandé au candidat de faire la synthèse en 450 mots (avec une tolérance de plus ou moins
10%) de l’ensemble des documents. Le candidat doit mettre un signe après chaque groupe de
50 mots et indiquer, en fin de copie, le nombre total de mots.
La synthèse demandée ne saurait être un résumé successif des différents documents. Elle doit être
un texte entièrement rédigé, construit autour d’une problématique posée en introduction,
ordonné selon un plan clair et s’achevant par une conclusion. Il n’est pas nécessaire de faire
référence aux documents (“ le document 1 précise…, “ Untel s’oppose à… ”).
Au final, le lecteur de la synthèse doit pouvoir comprendre, sans avoir à se reporter aux documents,
les enjeux du débat posé par les différents documents.
Nous attirons l’attention du candidat sur :
•
la nécessité absolue de poser une problématique d’ensemble permettant ensuite
d’ordonner de manière logique et nuancée les arguments ;
•
l’importance des qualités d’orthographe et de rédaction.
- 32 -
Document 1 :
Le 6 juillet 2005, Londres est désignée ville organisatrice des Jeux Olympiques (JO) d’été de
2012. Le projet London 2012 l’emporte face aux autres villes candidates, parmi lesquelles Paris,
Moscou, New York et Madrid. Il ne s’agit pas d’une première pour Londres : la ville a accueilli les
JO en 1908 et en 1948. Les manifestations s’étaient tenues dans l’ouest de Londres, à Shepherd’s
Bush puis à Richmond. Les JO d’été de 2012 seront cette fois organisés à Stratford, dans la banlieue
est ainsi que sur plusieurs autres sites disséminés dans la capitale et le reste du pays. Stratford sera
l’épicentre de l’événement qui se déroulera du 27 juillet au 12 août et du 29 août au 9 septembre
pour les Jeux paralympiques.
Si la stratégie proposée dans le dossier de candidature est d’utiliser en décor le Londres
emblématique, il s’agit surtout de concentrer le village olympique et la majorité des équipements
sportifs sur un même site, à proximité du centre-ville. À ce point fort de la candidature s’ajoute le
projet de legs olympique qui repose sur une vaste opération de renouvellement urbain de Stratford,
banlieue de l’est londonien en difficulté. Contrairement aux précédentes éditions qui n’avaient
suscité qu’une médiatisation et des infrastructures modestes dont il ne subsiste rien aujourd’hui, les
JO 2012 mobilisent l’État, le Grand Londres et des acteurs privés pour la construction de grands
équipements, d’infrastructures de transport, de logements au sein mais aussi autour du site de
Stratford. Le coût total de l’organisation des JO s’élève à présent à 10,7 milliards d’euros, un
investissement qui dépasse largement la seule organisation de la manifestation.
Le contexte contemporain est bien différent, l’événement est devenu mondial et les
investissements consentis servent une stratégie de transformations urbaines à plus long terme dans
la lignée des projets de renouvellement urbain menés à Barcelone (1992), Sydney (2000) mais aussi
Athènes (2004) et Pékin (2008). Les enjeux sont certes le bon déroulement des compétitions
sportives, mais aussi et surtout l’élaboration d’un projet urbain qui entend profiter des
investissements engagés : le legs territorial. L’aménagement de Stratford s’inscrit alors dans une
filiation, celle des projets de renouvellement urbain post olympiques d’Athènes, de Sydney et
surtout de Barcelone. La concentration des équipements sur un même site est au service d’une
stratégie qui vise à transformer physiquement Stratford à long terme selon l’agenda et la
programmation du Grand Londres et de l’État. Une vaste opération de renouvellement urbain
permet à l’État et à la municipalité de Londres de substituer à Stratford, banlieue industrielle en
déclin de l’est londonien, un territoire plus compétitif dans le contexte de mondialisation et de
métropolisation. Le legs de l’événement révèle alors une planification entrepreneuriale pour une
"territorialisation olympique" (Danselo et Mela, 2006) qui capitalise sur la bonne accessibilité de
Stratford tout en niant une grande partie de ce qui constituait son territoire. (…)
Le programme de rénovation urbaine et d’équipement est ainsi relativement conforme aux
autres opérations d’aménagement menées dans le Grand Londres depuis 2000. Depuis la
publication du premier London Plan en 2004, la municipalité du Grand Londres a identifié des
zones à réaménager en priorité : les opportunity areas. Ces espaces, qui ont en commun un niveau
élevé de précarité et/ou un niveau d’accessibilité important, doivent assurer (et/ou absorber)
l’essentiel de la croissance de la ville durant les vingt prochaines années. Contrainte spatialement
par une ceinture verte, Londres mise sur une croissance urbaine compacte, faiblement
consommatrice d’espace et d’énergie. Le principe est alors de densifier ponctuellement les nœuds
de réseaux de transports collectifs pour minimiser les déplacements motorisés (Appert, 2005 et
2009). (…)
Stratford représente une opportunité pour envisager un renouvellement urbain en adéquation
avec l’agenda des acteurs publics et privés de la gouvernance néo-libérale du Grand Londres.
"Après les JO, on assistera à la création d’un nouveau quartier urbain pour l’Est de Londres, la plus
importante opportunité à saisir pour des entreprises de stature internationale, entrepreneurs et
investisseurs". Le potentiel de développement urbain anticipé est en effet le plus important depuis
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l’opération des Docklands. Mais les pouvoirs publics doivent justifier l’investissement financier
nécessaire, qu’il s’agisse de la taxe locale de 23 euros prélevée par la mairie de Londres, les 2,8
milliards de la loterie nationale et les 6,9 milliards d’euros fournis par l’État central (Evans, 2010).
Il s’agit alors de capitaliser sur la bonne accessibilité des lieux, sur l’abondance des terrains
jugés sous-utilisés et sur l’affaiblissement territorial de Stratford dont on anticipe peu de résistances.
Stratford est desservie par l’autoroute A12, 3 lignes de métro, 3 services ferroviaires et elle est
traversée par la ligne TGV entre le tunnel sous la Manche et Londres depuis 2007. Le site est ainsi à
moins de 15 minutes de la City, 7 minutes de la gare de St Pancras et à 10 minutes de Canary Wharf
via la Jubilee Line ouverte en 2000 (Appert, 2006). La présence de vastes friches ferroviaires offre
un foncier facilement mobilisable pour un grand projet urbain qui serait difficilement réalisable par
le seul secteur privé. Enfin, la population de Stratford est hétérogène, pauvre et politiquement peu
mobilisée (Florio et Edwards, 2001). Elle est aussi peu qualifiée et vit, pour partie, dans des
logements et dans un environnement dégradés. Le taux de chômage élevé des jeunes, le faible
revenu des ménages, l’importante population immigrée et la forte proportion de logements sociaux
sont instrumentalisés pour illustrer la précarité des lieux, ces maux étant corrélés implicitement dans
les discours officiels à une forte criminalité et à la dégradation du lien social. (…)
M. Appert : Les Jeux olympiques de Londres : un grand événement, alibi du renouvellement
urbain à l'est de la capitale ; http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc
Document 2 :
Les années 1980 ont vu l’émergence d’un nouvel espace stratégique : la « ville globale »
réunissant des secteurs spécialisés dans les services dont l’organisation en réseau est un avantage
vis-à-vis du degré élevé d’incertitudes et de spéculations propres aux secteurs économiques
mondialisés. Comme New York, Paris, Francfort, Hong Kong, ou Tokyo, Londres est devenue une
ville globale capable de produire autant qu’elle absorbe. (…)
Au milieu des années 1980, la strate supérieure du système des centres financiers se composait
de New York, Londres et Tokyo qui représentaient 60 à 70 % de l’ensemble des marchés financiers.
Une décennie plus tard au milieu des années 1990, Francfort et Paris rejoignaient ce peloton de tête.
En 2006, ces cinq villes dominent largement l’ensemble des marchés financiers et concentrent
d’énormes ressources stratégiques. (…)
Le trait fondamental de Londres, c’est son caractère foncièrement dénationalisé. Tandis que
l’internationalisme de New York est dû au déploiement mondial des sociétés américaines, Londres peut-être en raison de la tradition ancienne de l’Empire – est l’un des principaux réceptacles des
capitaux étrangers. Les immeubles de la City appartiennent à des investisseurs néerlandais,
américains, français, japonais ou allemands notamment. Londres arrive en tête de toutes les Bourses
du monde pour le nombre de firmes étrangères cotées. Toute transaction majeure comme la fusion
entre deux grandes sociétés européennes passe obligatoirement par Londres ou New York. Seuls ces
deux marchés peuvent mobiliser les énormes capitaux nécessaires. Ainsi, France Télécom est passé
par Londres pour privatiser une grande partie de son capital.
Cette spécificité de Londres renvoie au phénomène plus large de la division du travail qui règne
au sein du réseau global. On souligne souvent la concurrence entre les grands centres, qui est certes
une réalité. Mais on pouvait dès les années 1980 discerner une division des tâches entre les trois
villes globales dominantes (New York, Londres et Tokyo). Si Tokyo était le centre de l’exportation
des capitaux et New York celui de leur importation en même temps que le centre des innovations
financières, Londres était déjà le centre principal de l’attribution et de la répartition des capitaux
grâce à son vaste réseau bancaire relié aux autres pays du monde – cette fonction particulière
dévolue à Londres en raison de son caractère de marché dénationalisé. (…)
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Londres donne un exemple des défis politiques qui attendent les villes globales.
Historiquement, les villes ont fonctionné comme des espaces de politisation de la société. C’est
toujours le cas. Dans les nouvelles villes globales, des populations venues du monde entier se
croisent plus que n’importe où ailleurs. La diversité se lit dans tous les aspects de la vie
quotidienne, dans les lieux de travail, les transports en commun, les événements urbains, sociaux ou
culturels. Cet espace est d’autant plus politisé que les acteurs les plus puissants ont tendance à
vouloir écarter les acteurs les moins puissants qui réagissent en retour. Le mouvement international
émergent pour la gouvernance de ces villes est emblématique de ce conflit qui pourrait bien
déterminer une nouvelle façon de faire de la politique. C’est dans les villes globales que résident
aujourd’hui la plupart des défis sociaux, politiques et économiques de l’avenir : les inégalités et la
lutte pour le logement, les questions d’immigration et d’intégration. Les économies les plus
puissantes et les plus mondialisées sont aussi un réservoir d’économies informelles. Ces réseaux de
villes offrent un terrain d’expérimentation pour de nouveaux modes de gouvernance globale.
S. Sassen : Londres, une ville globale, Questions internationales, La documentation Française,
juillet-août 2006
Document 3 :
Malgré la crise, le Square Mile reste le cœur économique du Royaume-Uni, et l’une des
premières places boursières du monde. Si la City compte 11 500 habitants en 2009, elle emploie
environ 350 000 personnes, dont 63 % dans la finance et l’assurance. La City s’incarne avant tout
dans le London Stock Exchange (LES), la Bourse de Londres. Elle figure au premier rang mondial
devant Tokyo pour les activités bancaires et devant New York pour les transactions et le marché des
devises. Elle domine également le secteur de l’assurance symbolisée par la Lloyd’s. La City
accueille la Banque d’Angleterre, plus de 240 banques étrangères en provenance des cinq
continents, les sièges sociaux de grandes firmes nationales ou à forte participation nationale comme
Shell ou BP.
La réussite de la City est en partie liée à son autonomie historique qui remonte au Moyen Age.
Dès 886, la City bénéficie en effet d’un statut particulier avec sa propre administration. En 1215, les
corporations des grands marchands obtiennent de Jean sans Terre, ruiné par le coût, entre autres, des
Croisades, une autonomie face au pouvoir royal. Les bourgeois de la City gèrent ainsi seuls leurs
affaires et élisent leur maire, qui dispose de compétences judiciaires et d’une police propre. La City
a conservé en partie cet héritage. Ainsi, elle a toujours son propre maire qui n’est pas celui de
Londres. (…)
Mais sa réussite actuelle tient également à sa forte capacité d’adaptation aux évolutions du
marché, notamment l’abolition du contrôle des changes ou la dérégulation, initiées par Margaret
Thatcher dans les années 1980. La City bénéficie également d’une fiscalité britannique avantageuse,
le statut de l’anglais, principale langue du commerce, lui confère un atout supplémentaire, d’autant
plus que la ville, située sur le fuseau horaire de Greenwich, peut dialoguer en temps réel avec l’Asie
le matin, New York et Toronto l’après-midi.
Si la mondialisation et le développement d’internet promettaient une déterritorialisation de
l’économie, la bonne marche des grandes transactions internationales nécessite encore et toujours la
rencontre en un même lieu d’un grand nombre de professionnels hautement qualifiés (directeurs de
firmes, banquiers, experts-comptables, investisseurs, juristes…), professionnels que peu de villes du
monde peuvent concentrer.
La crise financière en 2008-2009 et la crise de la dette en 2011 ont pourtant entamé son
dynamisme. La place financière de Londres est, selon les conclusions de la Commission Vickers sur
la réforme du secteur bancaire, de plus en plus menacée, en particulier par des villes comme Hong
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Kong et Singapour. Entre 2011 et 2012, le Centre pour la recherche sur l’économie et les entreprises
estime que la City perdra 27 000 postes. Le nombre de salariés en 2011 est retombé au niveau de
1998 avec 288 000 salariés, loin du record de 2007, où l’on en comptait 354 000. L’enveloppe
globale des bonus est estimée à 4,8 milliards d’euros, un tiers de celle de 2007. (…)
Cœur de la finance mondiale, Londres est aussi un hub pour une large palette de services aux
entreprises. La présence de grandes firmes multinationales dans le Grand Londres génère une
demande importance en services qui dépasse largement la seule sphère financière. Parmi les
activités de support aux entreprises, les activités juridiques (50 % du chiffre d’affaires du secteur au
Royaume-Uni), de comptabilité et de gestion, d’audit et d’expertise (41 %) se sont développées et
structurées à leur tour en de puissantes firmes présentes à travers le monde. Autour de ces firmes
très profitables s’est aussi déployée toute une gamme de services de l’économie postindustrielle :
communication, publicité, marketing, immobilier ou encore ressources humaines dépendent des
commandes des grands groupes. D’autres activités, relevant des arts et des médias télévisuels sont
encore plus concentrés à Londres.
L’économie de la connaissance (32 % des effectifs britanniques) est devenue un atout pour la
ville, notamment face aux métropoles émergentes. Sont concernés : publicité, télévision et cinéma,
musique, arts mais aussi architecture. Les entreprises de ces secteurs, qu’elles soient britanniques ou
étrangères, sont souvent des leaders mondiaux dans leur domaine. (…)
Si les services aux entreprises sont le premier poste d’emplois de Londres, d’autres activités,
moins prestigieuses mais néanmoins nécessaires, occupent une « armée de travailleurs » venue du
monde entier. Il faut en effet assurer la sécurité, le nettoyage et la restauration des résidents,
travailleurs et visiteurs. Ces activités sont réparties de façon plus diffuse dans le centre et plus
ponctuelle dans les centres secondaires du Grand Londres. Le commerce de détail, qui participe
d’une économie résidentielle et touristique, est lui aussi diffus, à l’exception de concentrations dans
le West End (Oxford Street, Regent Street) et le long de grandes rues dans la banlieue de Londres.
Le tourisme occupe enfin une place de plus en plus importante dans l’économie londonienne,
notamment à l’approche des JO de 2012. Le nombre d’actifs dans l’hôtellerie et la restauration a
progressé de 20 % depuis 2000. (…)
M. Appert, M. Bailoni et D. Papin : Atlas de Londres, Autrement, mars 2012
Document 4 :
Depuis quelques jours, des troubles ont éclaté dans tout le pays. Ces violences s’inscrivent
dans un contexte économique et social aggravé par les mesures d'austérité mises en place par les
conservateurs de David Cameron.
Il y a un an à peine, la coalition composée des conservateurs et des libéraux-démocrates
accédait au pouvoir. Depuis lors, le Royaume-Uni a vu se succéder des protestations étudiantes, des
occupations de dizaines d’universités, de nombreuses grèves, des manifestations qui ont rassemblé
près d'un demi-million de personnes. Maintenant, ce sont des troubles violents qui agitent les rues
de Londres et de quelques grandes villes du pays.
Tous ces événements n'ont certes pas la même origine, mais ils s’inscrivent tous dans un
contexte marqué par des réductions budgétaires brutales et de lourdes mesures d’austérité. Le
gouvernement est parfaitement conscient qu'il fait un pari risqué et que ses décisions menacent
d'entraîner des troubles d'une envergure que le pays n'a plus connue depuis le début des années
1980.
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Les mesures mises en place depuis un an ont mis crûment en lumière le fossé entre riches et
pauvres. Mais le contexte actuel, propice à des troubles sociaux, met en évidence des fractures plus
profondes encore. La mort de Mark Duggan, [un jeune homme de 29 ans tué] jeudi 4 août au cours
d'une fusillade [avec la police], est une nouvelle tragédie dans la longue histoire des rapports entre
Scotland Yard et les Londoniens. Et plus particulièrement entre la police et les Londoniens noirs
issus de minorités ethniques qui subissent une surveillance permanente, des arrestations nombreuses
et un harcèlement quotidien.
Les autorités ciblent spécifiquement certains quartiers et certains individus. Un journaliste s'est
dit surpris par le nombre d'habitants de Tottenham qui connaissaient l'existence de l'IPCC
[Independent Police Complaints Commission, commission indépendante qui gère les plaintes contre
les forces de police] et qui se montraient critiques à son égard. Rien d'étonnant à cela. Il suffit de
consulter le nombre de décès survenus en garde à vue (au moins 333 depuis 1998, et pas une seule
condamnation de policier pour ces faits) pour comprendre pourquoi beaucoup considèrent, plutôt à
juste titre, que l'IPCC et la justice protègent davantage la police que la population.
Au vu de ce cocktail de méfiance et de ressentiment compréhensibles à l'égard de la police, qui
s'explique par un présent et un passé marqués par une grande pauvreté et un chômage élevé, les
raisons qui poussent les Britanniques dans la rue sont évidentes. Le quartier londonien de Haringey,
où se trouve Tottenham, affiche le quatrième taux de pauvreté infantile le plus élevé de Londres et
un taux de chômage de 8,8 %, un taux supérieur à la moyenne nationale.
Ceux qui condamnent les événements de ces dernières nuits dans le nord de Londres et ailleurs
seraient bien avisés de prendre un peu de recul pour voir le tableau dans son ensemble : un pays où
les 10 % les plus aisés sont aujourd'hui 100 fois plus riches que les plus pauvres ; un pays où le
consumérisme fondé sur l'endettement personnel est encouragé depuis des années comme le remède
à une économie en berne ; un pays enfin qui, selon l'OCDE, détient le triste record de la mobilité
sociale la plus faible dans l'ensemble des pays développés.
Comme le soulignent Richard Wilkinson et Kate Pickett dans The Spirit Level: Why Equality is
Better for Everyone [L'Egalité c'est la santé, éd. Demopolis], ce qu'on qualifie généralement de
"problèmes sociaux" (criminalité, mauvais état de santé, taux d'emprisonnement, troubles mentaux)
est bien plus répandu dans les sociétés inégalitaires que dans celles qui assurent une meilleure
redistribution des richesses et où le fossé est moins grand entre riches et pauvres. Or des décennies
d'individualisme, de concurrence et d'égoïsme encouragés par l'Etat, combinées à un travail
systématique de sape des syndicats et à une stigmatisation croissante de la différence, ont fait de la
Grande-Bretagne l'un des pays les plus inégalitaires du monde développé.
Les images de bâtiments en flammes, de véhicules incendiés et de magasins pillés sont pain
béni pour des médias insatiables, toujours avides de nouveaux "coups" et de nouveaux boucs
émissaires. Mais nous ne pouvons pas comprendre ces événements si nous persistons à ignorer le
contexte historique et social dans lequel ils s'inscrivent.
The Guardian, 10 août 2012, http://www.courrierinternational.com/article
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Document 5 :
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Document 6 :
Londres présente certaines similitudes avec Paris. Comme elle, elle a bénéficié dans son essor
historique de la connexion maritime, via la Tamise, à la mer du Nord et à la Manche. Contrairement
à elle cependant, elle n’a pas bénéficié d’un arrière-pays suffisamment riche pour assurer ses
besoins et les débouchés de son activité économique, florissante dès les origines. Londres est
devenue une ville internationale par nécessité de commerce, pas par vocation universaliste ni
comme capitale politique d’une grande puissance continentale.
Tradition et modernité
Londres est un symbole ambigu de modernité et de tradition. De modernité, car elle a été à la
tête de la naissance du capitalisme industriel européen et de l’essor des techniques (elle a eu le
premier métro au monde et inauguré la tradition des expositions universelles avec celle de 1851).
Elle reste aujourd’hui un grand centre de la mode et du design dans tous les domaines et un grand
centre universitaire mondial (20 collèges constituent l’University of London) qui contribue à sa
réputation d’innovation et de recherche. Dans le même temps, la ville est celle de la grande tradition
royale et impériale britannique, le centre principal du patrimoine du pays malgré plusieurs
destructions, et une ville à la réputation de conservatisme assumé, ce qui lui vaut d’attirer quelque
27 millions de touristes par an. Les difficultés de transports ont même poussé la ville à restaurer la
vieille tradition de l’octroi : les véhicules accédant au centre-ville doivent s’acquitter d’un péage,
sans que cela fluidifie sensiblement par ailleurs une circulation très dense.
Cette ambiguïté se retrouve dans son architecture sans unité et parfois malheureuse, et montre
une ville qui se veut simultanément mondiale et unique.
Le monde plus que l’Europe
Londres a développé des particularismes du fait de sa tradition de « splendide isolement » face
à une Europe nécessaire mais menaçante. C’est par le commerce atlantique et, au-delà, mondial
qu’elle a bâti son âge d’or au XIXe siècle. Cette orientation historique a laissé des traces, et Londres
aujourd’hui présente le paradoxe d’être le principal hub aéroportuaire transatlantique, la tête de pont
de l’Amérique en Europe, mais aussi une plate-forme relativement secondaire des échanges
intereuropéens, alors que, dans le même temps, elle appartient à l’Union européenne, à laquelle elle
est aujourd’hui physiquement rattachée par le tunnel sous la Manche.
La tradition commerçante et industrielle de Londres, son passé de capitale impériale d’un
empire marchand mondial expliquent son rôle économique. Londres est en concurrence directe avec
New York pour le leadership sur les marchés des capitaux, et demeure la première place pour le
négoce des matières premières, dont elle fixe l’essentiel des cours. Elle est aussi la première place
mondiale de l’assurance. Elle accueille aujourd’hui le plus grand nombre de sièges de
multinationales au monde (mais est devancée par Paris pour les plus grandes). Cette évolution a des
conséquences sociologiques majeures : la population a bénéficié d’une immigration de haute
qualification contribuant à son tour à sa richesse, mais au prix d’une augmentation constante du
coût de l’immobilier et des infrastructures, d’autant que les limites de la ville n’ont pas bougé
depuis 1945. Le résultat est une paupérisation des parties les plus défavorisées de la population.
L’autre phénomène est la communautarisation d’une population aux origines très diverses.
L’apparition de tensions confessionnelles rend son multiculturalisme dangereux, d’autant que
l’alignement international du Royaume-Uni sur la politique étrangère américaine fait de Londres
une cible privilégiée du terrorisme international, comme l’ont démontré les attentats de 2005.
La ville a longtemps été l’un des symboles de la mondialisation capitaliste et d’une modernité
économique triomphante, perdant ses industries dans les années 1970 au profit d’une tertiarisation
de ses activités, et générant une richesse qui permettait à la Grande-Bretagne de continuer à se
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considérer à part – une ville plus mondiale qu’européenne ou même britannique. La capitale d’un
empire non plus colonial mais immatériel. Concurrente européenne de Paris, elle s’est enorgueillie
de se voir désignée pour l’organisation des jeux Olympiques de 2012 au détriment de la capitale
française. La crise financière de 2007, qui a entraîné son activité financière dans une chute de près
de 40 % en 2008 et les difficultés de financement des infrastructures des Jeux ont quelque peu
refroidi (au moins temporairement) l’optimisme de la ville et montré les risques d’une tertiarisation
à outrance. La crise financière a montré par ailleurs que sa prospérité ne lui appartenait pas en
propre, mais que les conditions fiscales et le savoir-faire de Londres lui permettaient de concentrer
une richesse produite ailleurs, et dont elle ne pouvait maîtriser les soubresauts.
L’avenir dira si, pour Londres comme pour la Grande-Bretagne, les clefs se trouvent dans
l’Union européenne, voire la zone euro, et peut-être une forme de ré-industrialisation, ou dans un
capitalisme financier mieux maîtrisé, ce qui aura des conséquences profondes sur la place et
l’évolution de la cité. Mais ce serait une forme de déclin car, pour Londres, seul le monde est
aujourd’hui assez grand.
J.-M. Huissoud, Londres, Dictionnaire de géopolitique, PUF, 2011
Document 7 :
Crise ou pas, les investissements étrangers affluent à nouveau vers la City et les grosses
fortunes de tous horizons s'y bousculent. Plongée dans une ville qui ne cesse de se réinventer à
l'heure où, du mariage princier aux Jeux olympiques, elle se retrouve sous les projecteurs de toute
la planète.
Bien sûr, il y a la crise et une économie au ralenti. Bien sûr, le risque d'attentats terroristes est
accru avec l'intervention militaire en Libye, qui inquiète les services de renseignements. Et puis, le
mariage princier, le 29 avril, fait le miel des échotiers... En ce jour de printemps, pourtant, c'est une
autre question qui préoccupe mon interlocuteur londonien : y aura-t-il encore des jonquilles à
Pâques ? Car un mois de février clément a avancé leur floraison. Et Pâques, sans cette poussée d'or
qui illumine les parcs de la capitale, ce n'est plus tout à fait Pâques. Telle est Londres. Aspirant à
grandes goulées le souffle de la modernité et fière gardienne de ses traditions. Ouverte à l'appel du
grand large et jalouse de ses jardins, publics ou secrets.
Les Rastignac des pays émergents montent à l'assaut de la City
Prenez les noces de William et de Kate. "Nous savons que le monde aura les yeux rivés sur
eux, le 29 avril, et le couple est très, très désireux que le spectacle soit un exemple classique de ce
que la Grande-Bretagne fait de mieux", a commenté Jamie Lowther-Pinkerton, le secrétaire
particulier du prince, en annonçant, en novembre dernier, la date des noces. Le mariage de Diana
Spencer avec le prince de Galles, en 1981, avait rassemblé 800 millions de téléspectateurs ; ses
funérailles, en septembre 1997, 2,5 milliards de terriens : 1 sur 2. La cérémonie de Westminster
pourrait battre ce record.
La séduction universelle qu'exerce ce couple jeune, beau, à la décontraction insouciante,
renvoie à la fascination qui entoure Londres, la ville-monde. "Londres est la salle de machines du
capitalisme mondial", résume le romancier Jonathan Coe. Au-delà des frontières du
Commonwealth, cette cité dépourvue de grâce apparente captive, il est vrai, l'imagination des
ambitieux de la planète. Venus des mondes émergents, les nouveaux Rastignac - qu'ils se
prénomment Igor, Joao, Raj ou Mehmet - partent à l'assaut de la City sans complexes. Car Londres
est la cité de tous les possibles. Si Paris préfère l'égalité à la liberté, sa rivale d'outre-Manche
inverse la hiérarchie. Ce qui séduit nombre de jeunes Français.
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Insolemment sûre de son destin
Les cassandres avaient prédit la débâcle sous les coups de la crise financière ; la ville des bords
de la Tamise n'a jamais été aussi insolemment sûre de son destin. D'autant que le printemps 2011
ouvre une séquence de quinze mois qui placera la capitale britannique sous les projecteurs du
monde. Après le mariage princier, qui sera accompagné de "fêtes de voisinage" dans les rues de la
capitale, 2012 verra célébrer le Jubilé de diamant de la Reine - ses 60 ans de règne. Et, bien sûr, les
Jeux Olympiques, arrachés à Paris par deux voix en 2005 et qui redessinent déjà la carte de l'Est
londonien.
Confinée au nord, à l'ouest, au sud par sa "ceinture verte" - une campagne prospère qui résiste
au béton - la ville se développe vers l'est afin de faire face aux prévisions de croissance
démographique des deux prochaines décennies. L'aménagement résidentiel autour du futur stade
olympique de 80 000 places - achevé dans les délais prévus, le 28 mars, sans dépassement
budgétaire - et surtout les 500 hectares des anciens Royal Docks convertis en un quartier d'affaires
autour de l'aéroport de la City marquent la nouvelle frontière d'une métropole résolue à séduire les
investisseurs, à coups de zones franches.
Les nouveaux riches sont partout
Et ça marche. Après deux ans d'attentisme, les capitaux étrangers affluent du monde entier :
"Un investisseur chinois vient de nous contacter, raconte Stephen Kennard, directeur du foncier à la
London Development Agency, l'organisme municipal chargé du développement économique. Il a
réuni derrière lui cinquante entreprises qui veulent construire sur les docks un centre d'affaires
panasiatique." Non loin, la famille royale d'Abu Dhabi s'est offert les 100 000 mètres carrés du
centre de conférences d'ExCel qui abriteront, à l'été 2012, judokas, lutteurs, boxeurs, etc.
Plus au nord, à Stratford, au sein du prochain quartier olympique, l'australien Westfield - leader
mondial dans son secteur - va ouvrir le plus important centre commercial urbain d'Europe. Le
ralentissement économique n'a pas différé la décision d'investissement : "Le marché londonien
forme un marché séparé du reste du pays", a expliqué son directeur général, Peter Lowy. Londres,
ou la ville de tous les superlatifs: sur la rive sud, dans le quartier de Southwark, le Shard (l'Echarde)
sera, une fois achevé en 2012, la plus grande tour d'Europe (310 mètres). (…)
Le statut universel de la langue anglaise, la sécurité renforcée dans les rues grâce aux caméras
de vidéosurveillance, la réputation des écoles privées, un régime fiscal clément à l'égard des nonrésidents : les raisons ne manquent pas pour que les grosses fortunes mondiales s'implantent ici.
"D'autant que le rapport à l'argent est différent", glisse pudiquement un banquier français. Pas de
jalousie ou d'envie. Pas de questions indiscrètes, non plus, sur l'origine des fonds. Londres ne cesse
de se réinventer. A Shoreditch, comme dans d'autres quartiers en proie à une effervescence créatrice
dans les domaines de la mode et du design, un nouveau lifestyle britannique s'épanouit. Une
nouvelle modernité. Un nouveau modèle ?
J.M. Demetz, L’Express 27 avril 2011
Document 8 :
Ex-capitale d’un empire « où le soleil ne se couche pas », Londres abrite une mosaïque de
nationalités : un londonien sur quatre est né en dehors du Royaume-Uni, plus de 300 langues sont
parlées et 40 communautés de plus de 10 000 membres y sont recensées. Les différentes
communautés qui ont peuplé la ville sont arrivées en plusieurs vagues de migration. Leur répartition
se traduit géographiquement par des quartiers ethniquement identifiables.
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Très tôt dans l’histoire, Londres a joué le rôle de terre d’asile pour de nombreux persécutés
religieux et politiques d’Europe continentale. Beaucoup d’entre eux étaient Français : des huguenots
après la révocation de l’édit de Nantes en 685 aux communards après 1871… Au XXe siècle, la
ville accueillera d’autres réprouvés, des Russes après la révolution d’Octobre, des Polonais et des
Hongrois anticommunistes après la Seconde Guerre mondiale (…) Londres a également été un lieu
d’accueil pour les Juifs persécutés d’Europe centrale et orientale au cours du XXe siècle et dans les
années 1930. Londres abrite aujourd’hui la seconde communauté juive d’Europe (150 000
personnes en 2001, soit 2 % de la population). (…)
C’est à l’époque de la révolution industrielle qu’est née la communauté irlandaise, une des plus
anciennes de Londres, qui représente 3 % de la population en 2001. Pauvres et catholiques, les
Irlandais font souvent l’objet de discrimination. Ils jouent pourtant un rôle crucial dans l’Angleterre
du XIXe siècle. Ils occupent les métiers les plus difficiles dans la construction des nouvelles
infrastructures (usines, voies ferrées, canaux…) et sont nombreux à s’engager dans l’armée
britannique. (…)
L’après-1945 est marqué par un bouleversement radical des flux avec l’arrivée de migrants en
provenance des colonies ou ex-colonies africaines, antillaises et asiatiques. Cette rupture s’inscrit
dans une période de reconstruction, puis de croissance économique soutenue, et répond notamment
à une demande importante de main-d’œuvre. Le caractère cosmopolite de la capitale britannique
s’en trouve renforcé, notamment par la constitution de quartiers communautaires devenus les pièces
d’un puzzle urbain multiculturel. (…)
Les mouvements à l’œuvre depuis une vingtaine d’années sont plus disparates, sans lien direct
avec l’histoire coloniale. Mais le flux ne se tarit pas, confirmant plus que jamais l’attractivité intacte
de la capitale à la fois terre d’exil et d’opportunités. Londres compte ainsi de plus en plus de Russes
(200 à 300 000 personnes). Parmi eux, des opposants au régime d’Eltsine puis de Poutine, des
oligarques fortunés qui ont investi dans des entreprises prestigieuses, comme Roman Abramovich,
acquéreur du club de football de Chelsea en 2003. Ils résident dans les quartiers ouest de la capitale.
Pour de nombreux Européens de l’Est, la ville de Londres est devenue une des principales
destinations de travail au cours des années 2000, à l’époque de l’élargissement de l’Est de l’Union
européenne : la BBC a même qualifié l’arrivée des Polonais de plus importante vague migratoire en
Europe en temps de paix. De nombreux jeunes Polonais sont venus occuper des emplois dans
l’hôtellerie et le bâtiment. Mais leur installation s’est souvent révélée temporaire : le coût de la vie
de la capitale et la crise économique, depuis la fin 2008, ont forcé nombre d’entre eux à rentrer.
Grâce à des politiques migratoires restées longtemps favorables, Londres reste une destination
prioritaire pour l’immigration économique et surtout les réfugiés politiques. (…)
L’installation de migrants à Londres est allée de pair avec une concentration géographique
faisant apparaître des quartiers ethniques, une « ségrégation » qui n’est pas toujours vécue comme
un échec, mais comme un moyen pour la municipalité de valoriser les différences culturelles. La
ville met en avant cette diversité par l’organisation d’un certain nombre de festivals : carnaval
antillais de Nothing Hill, les Mela Bangladeshi, le nouvel an chinois…
Cette valorisation de la différence résulte d’un long processus dont on trouve les racines dans la
constitution d’un Etat multinational où les nations (Ecosse, Irlande du Nord, Pays de Galles,
Angleterre) jouent toujours un rôle puissant. Le modèle culturaliste a été adopté au cours des années
1970 pour faire barrage à la violence et à l’intolérance vis-à-vis des immigrés arrivés après guerre
en provenance majoritairement du Commonwealth. (…)
La célébration de la différence a des incidences sur la définition et la perception de l’identité
britannique, la « britannicité ». La nation britannique repose en effet aujourd’hui sur la « tolérance »
de l’autre. Pourtant beaucoup de Britanniques appartenant à la « majorité » ne trouvent pas
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forcément leurs marques dans cette approche de la nation. De plus en plus de « minorités », qu’elles
soient ethniques ou régionales, se réfèrent à des particularismes identitaires, entretiennent leurs
héritages culturels, parlent leurs propres langues, célèbrent leurs fêtes nationales et religieuses, tout
cela grâce à des financements publics. Pour certains Britanniques qui connaissent par ailleurs des
difficultés, la relégation sociale, la « tolérance » est imposée sans contrepartie, et semble menacer le
sentiment d’appartenance et la cohésion nationale. Ainsi l’institutionnalisation de la différence
entraîne aujourd’hui des réactions de repli, un renouveau identitaire anglais et la multiplication de
symboles nationaux de plus en plus visibles. La Croix de Saint-Georges a ainsi supplanté l’Union
Jack comme emblème de l’Angleterre.
Moins anecdotique, la réaction nationaliste et identitaire de certains Anglais se manifeste
également par un vote d’extrême droite. Au cours des années 2000, les résultats du British National
Party (BNP) ont en effet fortement progressé, notamment dans certaines localités. Londres et plus
particulièrement l’est de la capitale, apparaît d’ailleurs comme un territoire privilégié. Le parti a
développé un discours sécuritaire, anti-islam et anti-immigration particulièrement virulent. Il profite
des problèmes sociaux des Britanniques les plus en difficultés pour attiser leurs ressentiments.
Accusant le laisser-aller des autorités face aux pratiques de la communauté musulmane et aux
dérives intégristes, le parti joue sur la peur, surtout après les attentats de 2005. (…)
Les bons résultats du BNP s’accompagnent de ceux du parti europhobe UKIP, dont certains
membres ne cachent pas leurs idées xénophobes, et de l’émergence de groupes plus radicaux tels
que l’English Defense League (ELD), fondée en 2009 pour lutter contre « l’islamisation de
l’Angleterre ».
M. Appert, M. Bailoni et D. Papin : Atlas de Londres, Autrement, mars 2012
Document 9 :
En 2012, Londres est à l'affiche partout, grâce au jubilé de diamant de la reine Elizabeth II (du
3 au 5 juin) et à l'organisation des Jeux olympiques (du 27 juillet au 12 août). Dans ces
circonstances, l'élection, le 3 mai, du maire de cette métropole de 7,8 millions d'habitants prend un
relief particulier. La course au City Hall oppose les mêmes adversaires qu'en 2008 : le conservateur
Boris Johnson, tenant du titre, le travailliste Ken Livingstone et le libéral-démocrate Brian Paddick.
Malgré une gestion municipale chaotique, M. Johnson est donné favori. Cette campagne municipale
a mis en exergue les profondes transformations d'une capitale où l'ancien décor, si britannique,
cohabite avec le nouveau monde, cosmopolite et futuriste, en un cocktail détonnant.
Quels sont les rapports de forces politiques dans la capitale ?
Londres est traditionnellement une ville de gauche de par la forte présence d'une population de
condition modeste qu'atteste un taux de chômage (9 %) supérieur à la moyenne nationale, surtout
parmi les jeunes des quartiers déshérités. Ce bastion du Labour constitue une exception dans le sudest prospère de l'Angleterre, contrôlé par les conservateurs.
Pourtant, en 2008, Boris Johnson a ravi haut la main la mairie à Ken Livingstone. Et au sein de
l'assemblée municipale sortante les conservateurs disposent de 11 sièges, contre 8 au Labour et
3 aux libéraux-démocrates. Dans cette cité multiculturelle, les soutiens des deux principaux
candidats se divisent sur le plan ethnique. La grande banlieue et l'électorat blanc, auxquels s'ajoute
la partie aisée de la communauté indo-pakistanaise, constituent la base électorale de B. Johnson.
K. Livingstone est populaire auprès des musulmans et des Antillais des quartiers populaires. Les
supporteurs de Brian Paddick se recrutent essentiellement chez les bobos.
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En 2000 et 2004, Ken Livingstone avait gagné la mairie grâce à la forte mobilisation des
minorités ethniques du centre-ville et de la banlieue sud ainsi que des yuppies. Aujourd'hui, la
droite est favorisée par l'irrésistible poussée d'une nouvelle élite sociale qui envahit le West End
(centre), rejetant les perdants aux confins, voire en dehors de la capitale à coups de spéculation
immobilière. Le coût de la vie élevé, le manque de HLM et l'essor des services au détriment de la
petite industrie renforcent cette tendance. (…)
Quel est l'impact des Jeux olympiques sur la ville ?
Il y a sept ans, à Singapour, Londres a obtenu les Jeux olympiques de 2012 grâce à son projet
de rénovation de l'Est, en particulier autour de l'ancienne zone industrielle de Stratford. La majorité
des 100 000 contrats d'embauche pour ces Jeux ont été attribués aux habitants des cinq boroughs
concernés, parmi les plus pauvres du royaume.
L'organisation des JO a accentué le rééquilibrage du centre de gravité de la capitale de l'Ouest
élégant vers l'Est crasseux. Cette image ancestrale est en train de changer. Dans les années 19801990, l'expansion de l'aéroport d'Heathrow et de l'autoroute du Sud-Ouest (M4), l'explosion des
services financiers ainsi que l'excellence de la ligne de métro Central Line, qui relie les quartiers
chics à la City, avaient favorisé l'Ouest. A la même époque, l'hémorragie de la classe moyenne de
l'Est vers les faubourgs du Nord, l'installation d'immigrés du tiers-monde démunis et la disparition
des industries traditionnelles avaient accentué le déclin d'un secteur associé aux ghettos, à la
pauvreté, à la violence.
Cette division s'est atténuée. La rénovation des anciens docks, l'allongement de la ligne de
métro Jubilee jusqu'à la nouvelle cité financière de Canary Wharf, la construction du futur réseau
régional express (Crossrail) tout comme le nouveau terminal Eurostar de Saint Pancras illustrent
l'essor nouveau de cette zone. L'éclosion des quartiers branchés de Shoreditch et de Dalston, ainsi
que le succès du "Silicon Roundabout", consacré à la haute technologie et aux industries de demain,
donnent le la de la diversité ethnique et de la mixité sociale.
Grâce aux JO, l'East End se construit, se rénove et se régénère. Et le projet de développement
du corridor de la Tamise sur une cinquantaine de kilomètres, entre Londres et l'estuaire du fleuve,
devrait créer une tête de pont vers l'Europe. Interrogé par Le Monde, Lord Sebastian Coe, président
du comité organisateur des JO, évoque "un héritage économique et social très fort et très riche à
l'Est".
Marc Roche : Londres : les métamorphoses d'une capitale, Le monde géo et politique, 22 avril
2012
Document 10 :
La capitale du Royaume-Uni est entrée dans une nouvelle phase de croissance urbaine depuis
les années 1980. Croissance économique d’abord, puis croissance démographique avec la mise en
place d’un puissant courant d’immigration internationale. La base économique de la ville s’en est
trouvée bouleversée et sa structure sociale modifiée. Cœur d’une aire urbaine de près de 12 millions
d’habitants dans les années 1960, Londres solidarise aujourd’hui une vaste région métropolitaine
polycentrique dans laquelle les dynamiques spatiales prennent appui sur des structures spatiales
héritées ou nouvelles. (…)
Le passage d’une société fordiste à une société post-fordiste, le nouveau contexte d’ouverture
des marchés, de concurrence exacerbée et les innovations technologiques congruentes ont conduit à
l’actuelle « économie d’archipels » (Veltz, 2000), dans laquelle les « îles » métropolitaines, telles
que Londres et New York, fonctionnent en réseau pour encadrer l’économie mondiale (Sassen,
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1991 ; Taylor, 2004). Capitale du Royaume-Uni et ancienne capitale impériale, Londres figure aux
premiers rangs des îles à vocation de commandement mondial, rôle qu’elle esquissait dès le XVIIIe
siècle et que les récentes mutations économiques n’ont fait que conforter. Par ces fonctions,
Londres remodèle la hiérarchie urbaine, nationale et internationale. (…)
La croissance du Produit Urbain Brut du Grand Londres a connu une accélération rapide à la
fin des années 1980 et au cours des années 1990. D’un point de vue relatif, la croissance
londonienne est restée supérieure à celle du Royaume-Uni durant la quasi-totalité des deux derniers
cycles économiques (graphique 1) grâce à sa spécialisation dans les activités à forte valeur ajoutée.
Graphique 1 - La croissance économique du Grand Londres par rapport à celle du R-U, 1971-2007
(Royaume-Uni = 0)
L’évolution de la ventilation de la croissance entre les différentes régions administratives qui
composent la métropole révèle que le South East et l’East, les deux régions limitrophes au Grand
Londres, sont encore plus performantes. Ces deux régions combinent en effet une dynamique
propre et partagent les retombées (par diffusion) de la croissance du Grand Londres.
Si globalement le nombre d’emplois a augmenté dans la même proportion dans la région
métropolitaine que dans le reste du pays, tant le déclin de l’industrie que l’essor des services y ont
été largement plus marqués. L’emploi industriel est désormais résiduel dans le Grand Londres.
Après l’industrie lourde, ce fut ensuite au tour de l’industrie manufacturière de s’effondrer dans les
années 1970-1990. Au total, entre 1981 et 2001, l’emploi industriel a reculé de 61 % dans le Grand
Londres et de 43 % dans le reste de la région. À l’inverse, le secteur des services a plus que
compensé les pertes d’emplois industriels. Au total, près de 1,2 millions d’emplois ont été créés
dans la région. Parmi les secteurs les plus dynamiques figurent les services aux entreprises, reflet du
rôle de ville mondiale. Le Grand Londres représente 65 % du gain total de la région dans ce secteur.
(…)
Cependant, tous les sous-espaces de la région ne participent pas au même degré à cette
tertiarisation sophistiquée. La partie Est de la région semble être restée à l’écart de cette dynamique.
(…) Le recouvrement quantitatif des pertes d’emplois industriels masque une transformation de la
structure professionnelle et un accroissement des déséquilibres socio-spatiaux. Les mutations
économiques engendreraient une « dualisation » de la structure socio-professionnelle et des revenus
(Sassen, 1991) et un accroissement corrélatif des inégalités (Fainstein et al., 1992). (…)
Londres souffre comme de nombreuses métropoles des pays développés du spatial mismatch
(Ghorra-Gobin, 2003). Cela signifie qu’une partie de la population résidente ne dispose pas des
qualifications nécessaires pour occuper les emplois très qualifiés générés par le développement du
secteur tertiaire supérieur. Il s’ensuit un chômage structurel et une baisse significative du taux
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d’activité dans certains quartiers à l’Est et au Sud de Londres. L’estuaire de la Tamise, du centre de
Londres aux rivages de la Mer du Nord, accumule désormais les handicaps professionnels,
physiques et géographiques liés à son ancienne spécialisation industrialo-portuaire alors que l’Ouest
londonien bénéficie des délocalisations d’activités à haute valeur ajoutée (R&D, back office de la
City, TIC, etc.) et d’un environnement de qualité.
La géographie sociale du pays est souvent résumée par le fameux North-South divide, qui
oppose la région londonienne prospère aux espaces en déclin du Nord de l’Angleterre (Hall, 1989 ;
Dorling et Thomas, 2004). Cependant avec la métropolisation, l’hétérogénéité infra-régionale du
Sud-Est de l’Angleterre deviendrait telle que l’opposition entre grandes régions serait moins
pertinente. Les arrondissements de l’Inner East London (Tower Hamlets, Hackney, Newham,
Barking and Dagenham et Southwark) enregistrent en effet des niveaux de précarité équivalents aux
local authorities les plus défavorisées du Nord du pays. Toutefois, la géographie de l’inégalité est
fort stable dans le temps : « la carte du degré de précarité que l’on dresse aujourd’hui serait proche
de celle que dessinait Charles Booth à la fin du XIXe siècle » (Travers et al., 2000, p. 29).
Durant la dernière période intercensitaire (1991-2001), le fameux North-South divide est resté
très prégnant car la croissance démographique relativement rapide des régions du Sud, dans la
mouvance londonienne, a contrasté avec la stagnation du Nord du Royaume-Uni. Les régions East
et South East qui composent avec Le Grand Londres la région métropolitaine enregistrent un taux
de croissance décennal supérieur à 5 % entre 1991 et 2001. C’est donc toute la région
métropolitaine qui croît de concert. Tel n’a pas toujours été le cas, puisque jusque dans les années
1980, la population du Grand Londres diminuait au profit des régions voisines (tableau 1).
Cette croissance récente semble davantage le fait de la partie interne de la ville (Inner London)
que de ses banlieues proches (Outer London). En effet, c’est dans le centre et le péricentre que
l’immigration internationale est la plus forte, et c’est aussi dans cet espace que le croît naturel est le
plus important. L’immigration rajeunirait la population du Grand Londres, dans la mesure où les
étrangers sont plutôt de jeunes actifs. Le solde positif des migrations internationales compense
aujourd’hui le solde resté fortement négatif des migrations internes. Le Grand Londres serait
finalement entré dans une phase de ré-urbanisation qui n’induirait pas un mouvement de retour des
populations périphériques vers le centre mais plutôt d’un mouvement centripète (attraction) à
l’échelle internationale, qui, en rajeunissant localement la population, compenserait l’exode de plus
en plus massif des Londoniens vers les périphéries.
Tableau 1 - Evolution de la population du grand Sud-Est Anglais, 1961-2001
Source : O.N.S., 2001
M. Appert : Londres, métropole globale, http://geocarrefour.revues.org
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