A propos du rapport de l’INSERM sur « LE TROUBLE DES CONDUITES CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT » et des réactions qu’il a suscitées. Docteur Colette VIDAILHET Psychiatre d’enfants et d’adolescents Professeur émérite à la Faculté de Médecine de Nancy En septembre 2005, l’INSERM a fait paraître une expertise collective (1) faite à la demande de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Indépendants, le groupe d’experts est pluridisciplinaire, experts en pédopsychiatrie, psychologie, épidémiologie, science cognitive, génétique, neurobiologie, éthologie (dont deux canadiens). Le rapport s’appuie sur plus de 1000 articles de la littérature internationale qui en constituent la base documentaire. Il est précisé dans l’avant-propos que ce rapport ne traite pas de la délinquance mais du trouble des conduites, qui, « en complémentarité avec d’autres facteurs, peut constituer un facteur de risque de délinquance ». La première lecture permet de mesurer l’énorme travail effectué et soulève des questions (c’est bien le moindre), pour un sujet aussi vaste et aussi complexe, donnant aux spécialistes de l’enfance l’occasion de débattre avec le recul nécessaire à la réflexion. Au lieu de cela, on assiste aujourd’hui à un battage médiatique, à des batailles entre théoriciens du psychisme qui semblent oublier qu’il y a des enfants et des familles qui souffrent, et attendraient plutôt des médecins compréhension et aide. Il est vrai que ce rapport survient dans un contexte particulier (ce point sera abordé ultérieurement), qui éclaire peut-être l’excès de certaines réactions, leurs motivations et à mon sens, leur partialité. La polémique est extrême, ne fait pas place aux nuances, les titres de la grande presse sont souvent outranciers, tournant en dérision le rapport de l’INSERM, le ton de certains commentaires est ironique et parfois méprisant, les bons mots abondent : « Les bébés délinquants… Qui veut ficher les enfants… Des enfants sages sur ordonnance… Les médicaments utilisés comme contrôle social… Fliquez pas les enfants… Rapport effrayant… Rapport délirant… Rapport sans valeur scientifique et qu’on ne pourra pas lire sans frémir, etc… ». Une pétition : « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », en réponse à l’expertise de l’INSERM, est mise sur Internet (2). Elle a recueilli à ce jour plus de 96 000 signatures. Il n’est pas sûr que ces milliers de personnes aient lu le rapport de près de 500 pages et sa synthèse d’une soixantaine de pages pour savoir si la pétition qu’elles signaient correspondait bien au rapport. 1 Les « hostilités » ont été réactivées par le rapport parlementaire sur la prévention de la violence, du Député UMP Benisti, qui paraît après la « crise des banlieues ». Tout cela fait qu’une deuxième lecture très attentive est nécessaire pour s’assurer de ce que retient la synthèse du rapport. La synthèse du rapport La définition des troubles des conduites est donnée par le DSM IV R : « Ensemble de conduites, répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet ». Les symptômes au nombre de 15 sont regroupés en 4 catégories. La CIM 10 liste 23 symptômes qu’elle classe en 3 catégories. La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent comporte aussi l’item : « Trouble des conduites et des comportements ». Le rapport de l’INSERM dit que : « Pour que ce diagnostic soit retenu, il faut que les symptômes soient sévères, répétés, durables » (p. 1) et insiste pour que ces symptômes soient différenciés des conduites normales de l’enfant : mensonges, agressivité, vols… en attirant notre attention sur leur persistance au-delà de 4 ans qui doit nous rendre plus attentifs, sachant que les comportements d’opposition et d’agressivité dominent dans l’enfance et tendent à se normaliser. La question est donc de savoir pourquoi certains enfants maintiennent un comportement agressif (p. 2). La prévalence est de 5 à 9 % chez les garçons de 15 ans, deux tiers des sujets ayant le diagnostic dans l’enfance l’ont toujours à l’adolescence, le pronostic est moins bon quand le trouble débute avant 10 ans, la très grande majorité des adultes présentant une personnalité anti-sociale ont des antécédents de troubles des conduites, mais seulement la moitié des jeunes ayant eu un trouble des conduites développent par la suite une personnalité anti-sociale (p. 7) (c’est donc bien d’un facteur de risque dont on parle et non pas d’une fatalité). La seule étude épidémiologique française est citée, menée dans 18 écoles primaires à Chartres, qui rapporte une prévalence de 6,5 %, voisine donc de ce qui est indiqué dans les autres études. Le rapport dit que le trouble des conduites est rarement isolé, et qu’il y a une comorbidité élevée et très diversifiée : le trouble hyperactif avec déficit de l’attention, le trouble dépressif (avec risque de tentative de suicide), les troubles anxieux (le syndrome de stress posttraumatique est développé), l’usage de drogues psychoactives avec influence réciproque (plus on a de troubles des conduites et plus il y a risque d’usage de drogues, et plus il y a usage de drogues et plus il y a risque de troubles des conduites). Le rapport mentionne l’intérêt d’un suivi longitudinal, mais il fait état du peu d’études à ce sujet. Dans la petite enfance, filles et garçons utilisent l’agression physique de façon assez semblable, la différence se creuse à l’adolescence où l’écart devient substantiel. 2 Le score d’héritabilité génétique est proche de 50 %. Le rapport insiste sur le fait que les facteurs génétiques sont à appréhender dans une dynamique d’interaction et de synergie avec les autres facteurs en particulier événements de vie et pratiques éducatives parentales (p. 15). Le rapport à plusieurs reprises cite la multifactorialité, les interactions entre gènes et environnement. Il note aussi les résultats très hétérogènes des études génétiques. Un tempérament et une personnalité dits « difficiles » ont une influence vis-à-vis de l’apparition d’un trouble des conduites, mais le rapport insiste sur le fait que ce type de caractéristique tempéramentale, ainsi que l’ensemble des facteurs de risque, n’ont pas de spécificité, qu’ils constituent des facteurs non spécifiques vis-à-vis du trouble des conduites, mais aussi de tout trouble mental en général. Comme il s’agit de risque, c'est-à-dire une notion statistique et non individuelle, un enfant au tempérament un peu difficile peut d’évoluer tout à fait normalement. Les caractéristiques mentionnées à propos des personnalités dites difficiles, sont : « qualité négative de l’humeur, faible adaptabilité, forte distractibilité, réaction émotionnelle intense, hyperactivité, repli social, agressivité, indocilité, impulsivité, absence de culpabilité ». Le rapport relève ensuite d’autres facteurs de risque. Ils sont dits semblables pour la délinquance, le trouble des conduites et pour d’autres difficultés ou troubles mentaux. Le rapport insiste à nouveau là sur la non-spécificité de ces facteurs (p. 20). - - Antécédents de comportements anti-sociaux chez les parents. Très jeune âge de la mère à la naissance du premier bébé. Faible niveau scolaire de la mère. Discorde familiale (mais le rapport dit que le trouble des conduites précède la séparation et que les conflits constitueraient davantage un facteur de risque que le divorce en lui-même). Pratiques éducatives inadaptées. Pauvreté. Comportement coercitif des parents à l’égard de l’enfant Rôle de la dépression parentale, en particulier de la dépression maternelle. Influence négative d’un frère ou d’une sœur délinquant ou en prison et des pairs délinquants. L’exposition à la violence télévisuelle qui entraîne désensibilisation, banalisation, habituation, passivité, déculpabilisation et au pire où les comportements violents sont vantés, encouragés, voire glorifiés. Mais ce sont les enfants qui ont déjà des problèmes de violence qui sont influencés. Les déficits neurocognitifs sont étudiés car impliqués dans le trouble des conduites : faible niveau verbal et déficit exécutif. La difficulté du diagnostic est largement soulignée. Il s’agit bien d’un diagnostic médical, qui nécessite une évaluation rigoureuse, plurimodale, prenant en compte l’histoire et le mode de fonctionnement familial (p. 26). Les données sont recueillies auprès de l’enfant, de la famille, des enseignants, des pairs… La prévention est ensuite abordée. Les experts constatent que le dépistage, la prévention et la prise en charge médicale du trouble des conduites en France restent insuffisants au regard de ses conséquences (risque de mort prématurée…) et du coût pour la société (instabilité professionnelle, délinquance, criminalité…). 3 Il propose des mesures très variées, différenciées en fonction des facteurs de vulnérabilité, portant sur l’enfant, la famille, l’environnement : • • • • • • • • • • • • • • Identifier et aider les familles présentant des facteurs de risque, pendant la grossesse et à la maternité (visites à domicile, etc.). Développer les compétences sociales, émotionnelles, cognitives, en crèche et en maternelle (travail avec la PMI et l’Education Nationale recommandé). Prendre en charge la globalité de la famille avec une application non violente du respect de la discipline. Prendre en charge l’enfant sur un plan psychothérapique, et, à ce sujet, le rapport mentionne essentiellement les thérapies cognitivo-comportementales évaluées dans la littérature internationale, en signalant leur effet léger à modéré sur l’agressivité (p. 33), et leur plus grande efficacité à partir de 10-11 ans. Eviter de regrouper des adolescents déviants, car ils risquent d’élargir leur répertoire agressif, les experts préconisent des familles d’accueil. Ne mettre en route le traitement médicamenteux qu’en deuxième intention, après les interventions psychologiques et sociales. Le rapport mentionne le peu d’études sur les médicaments et le peu d’efficacité de ces derniers contre l’agressivité. La question de la RITALINE est très peu abordée dans la synthèse. Recommande l’information des enseignants, des professions de santé, des intervenants en PMI, CMP, CMPP, AEMO, et recommande les échanges avec les juges et les juges aux affaires familiales puisqu’au cours de son évolution, le trouble des conduites peut conduire à la délinquance. Développer les structures d’accueil et d’écoute pour enfants et adolescents, car, le rapport dit que beaucoup de questions se posent quant à la signification de ces conduites. Mieux utiliser les bilans systématiques de 8 jours, 9 mois, 24 mois, 5-6 ans, et préconise un examen de santé à 36 mois « à cet âge on peut faire un premier repérage d’un tempérament difficile ». Introduire dans le carnet de santé quelques items supplémentaires concernant les troubles du langage et la persistance d’un niveau élevé d’agressivité et de colères intenses et fréquentes (l’enfant mord, frappe…). Mettre en place un repérage et un suivi des enfants à risque dès la période ante et péri natale : antécédents familiaux de troubles des conduites, criminalité au sein de la famille, mère très jeune, consommation d’alcool, de substances psychoactives pendant la grossesse… et favoriser les liens mère-enfant lors des naissances prématurées. Suivre régulièrement les enfants de l’ASE. Mettre en place un repérage et un suivi des adolescents à haut risque ou présentant déjà des signes d’appel et suivre également les adolescents incarcérés, évaluer et assurer un suivi psychologique de tous les adolescents ayant effectué une tentative de suicide. Faire une évaluation clinique rigoureuse pour aboutir à un diagnostic, même si l’usage des questionnaires destinés aux enfants, aux parents et aux enseignants est mentionné, il n’est nulle part dit qu’un questionnaire remplace un diagnostic et le rapport insiste sur la difficulté de ce diagnostic qui nécessite une évaluation clinique rigoureuse. Il recommande l’usage de plusieurs outils de diagnostic, préconise des évaluations régulières réalisées par une équipe pluridisciplinaire puisqu’il s’agit d’un diagnostic évolutif chez un être en développement et en changement (p. 26). 4 • • Adapter la thérapeutique à la sévérité du trouble, le trouble des conduites est traité dans un premier temps par des interventions psychologiques et sociales. Implanter des méthodes et des programmes de prévention validés, le rapport fait état d’une vingtaine de programmes développés dans les pays anglosaxons qui ont été validés. C’est un énorme travail, qui soulève des questions importantes, qui suscitent la réflexion. Fallait-il en faire un esclandre dans les médias ? Quelles ont été les critiques ? Confondre le social et le médical, mélanger le comportement antisocial avec le mal-être personnel, médicaliser, psychiatriser… C’est faux. Le rapport traite bien d’un trouble mental, répertorié dans toutes les classifications médicales, étrangères et française des troubles mentaux, trouble qui, non repéré, non pris en compte tôt, peut conduire à des comportements de délinquance, de violence en général ou à divers troubles mentaux. Ce trouble est analysé en tant que facteur de risque parmi d’autres, les experts ne traitent pas de la délinquance. Ils insistent sur la pluralité des facteurs étiopathogéniques dans le développement de conduites délinquantes ou de violence en général. Ils n’abordent qu’un point très particulier auquel les classifications médicales se sont attachées : trouble des conduites et des comportements. En rester au plan symptomatique et ne pas replacer les symptômes dans le cadre du développement de la personnalité. C’est une lecture tendancieuse. Le rapport dit combien le diagnostic est difficile, nécessite une évaluation précise et pluridisciplinaire au cours de laquelle le psychiatre est libre de sa démarche diagnostique. Il est recommandé l’usage de plusieurs outils diagnostiques. Le rapport insiste sur le caractère sévère et durable des troubles, afin de ne pas les confondre avec les symptômes normaux de l’enfant qui sont énumérés dans le rapport (p. 10). Les experts posent donc bien la question si difficile du normal et du pathologique. Le rapport insiste aussi sur le caractère évolutif du diagnostic. Le pédopsychiatre pourra user de sa façon de faire habituelle pour comprendre : s’agit-il d’un enfant normal ? de troubles réactionnels ? de difficultés d’ordre éducatif ? de troubles dépressifs, de troubles anxieux, classés ici dans les co-morbidités mais qui pourraient être aussi envisagés comme diagnostic différentiel ou facettes de la personnalité d’un enfant. Ceci montre bien la complexité de ce diagnostic pour l’établissement duquel le rapport insiste sur la sévérité et la persistance des troubles. Cette critique tendancieuse est en lien direct avec un débat très particulier à la psychiatrie : faut-il ou non traiter le symptôme ? Le symptôme est souvent la manifestation d’un conflit, d’un dysfonctionnement, qu’il faudra aborder… Mais, ici, ces symptômes font souffrir l’enfant, sa famille, son maître, ses copains de classe. Un enfant qui a des troubles des conduites sera réprimandé, puni, exclu des jeux, se sentira dévalorisé, développera mésestime de lui-même, souffrance voire dépression, majoration de l’agressivité. Traiter le symptôme peut déjà prévenir les conséquences pathogènes et soulager l’enfant. Il n’est pas question de choisir entre deux camps, ceux qui respectent le symptôme et ceux qui le combattent. A la fois on ne peut laisser un enfant s’enfermer et se structurer dans un symptôme qui lui est nuisible, et à la fois on ne peut ignorer qu’il s’agit d’un signe d’appel ou de l’expression d’une souffrance. 5 C’est un reproche tendancieux fait au rapport que de l’accuser d’être « une approche réductionniste centrée sur le symptôme ». Traiter le symptôme n’a jamais fait obstacle à un abord global. L’un n’empêche pas l’autre. C’est comme si on ne traitait pas les conséquences physiques parfois mortelles d’une anorexie mentale au prétexte que les mécanismes en sont psychopathologiques. Dans ce dernier cas, les aspects nutritionnels et psychopathologiques doivent être abordés dans leurs interactions et dans le même temps. Ce n’est pas parce qu’on essaie de soulager un enfant d’un symptôme qui le fait souffrir qu’on s’empêche de s’intéresser à lui et à sa souffrance. Ce n’est pas parce qu’on s’intéresse à la souffrance d’un enfant qu’on est empêché de faire des travaux d’ordre épidémiologique. Il y a un côté manichéen dans ces reproches qui ne va pas avec la complexité du problème abordé. Le rapport laisse le psychiatre libre de sa démarche diagnostique… dit que parents et enfant doivent être reçus pour comprendre les significations de tels comportements (il s’agit donc bien là du sens latent du symptôme), le terme de personnalité est utilisé, et l’intérêt de resituer le symptôme dans l’histoire de l’enfant et du contexte familial est souligné à plusieurs reprises. Le rapport n’attente en rien à la complexité de notre travail : à trop attendre, à négliger le symptôme, voire à le dénier, on risque de passer à côté de la souffrance de l’enfant et de voir se développer des comportements de plus en plus fixés, voire des troubles psychiatriques, à se précipiter on risque en effet de médicaliser l’enfant normal. Il n’est pas facile de naviguer entre Charybde et Scylla, c’est pour cela que le rapport insiste sur la rigueur qui doit être apportée au diagnostic. - - - Passer un peu vite du rat de laboratoire au petit de l’homme. En effet, un chapitre très intéressant évoque les études sur le rongeur. Il est habituel en effet d’analyser les modèles animaux sans pour autant faire d’assimilation rapide. De là à lui faire un tel reproche, c’est vraiment « chercher la petite bête » ! Justifier le dépistage du trouble des conduites au regard de ses conséquences et du coût pour la société. Ce reproche est un procès d’intention. Si le rapport invite à repérer les troubles, certes c’est parce que ces troubles peuvent, dans certains cas, conduire à des comportements de délinquance, de violence ou à d’autres troubles mentaux (il est bien dit qu’il n’y a pas de spécificité). Mais c’est, avant tout, pour repérer, peut-être, un enfant en souffrance dans une famille en souffrance ; repérer tôt les troubles, c’est aussi chercher à éviter la souffrance, conséquence de ce trouble. Si le médecin est invité à intervenir tôt, c’est bien dans l’intérêt de l’enfant qui est la préoccupation du médecin. Le médecin soigne un enfant dans une famille, un enfant qui risque, peut-être, d’aller mal si on ne cherche pas de comprendre et à être vigilant par rapport à des difficultés. Il n’est pas du rôle du médecin de soigner la société. Par contre, quant au coût pour la société, il est réel, le médecin le sait. Intervenir au niveau de l’individu peut avoir des conséquences au niveau social. Dans ce rapport, il est bien question du travail au niveau de l’individu dans sa famille et son environnement immédiat. N’avoir comme seule réponse que le médicament. Il est en effet reproché les risques de sur-médicalisation et d’utilisation des médicaments comme un contrôle social et dans l’intérêt des firmes pharmaceutiques. C’est là aussi une critique injuste. Le rapport ne préconise les médicaments qu’en deuxième intention (p. 33), après un abord relationnel et social. Le rapport souligne au contraire le peu d’études faites sur les médicaments et leur efficacité limitée contre l’agressivité. Quant à la prescription de RITALINE, le rapport mentionne 7 études contrôlées, montrant « une certaine 6 - - efficacité » du méthylphénidate sur l’agressivité pour des formes modérées du trouble des conduites associées au trouble hyperactivité avec trouble de l’attention (p. 35). Pourtant cela n’a pas empêché un certain discours sur la RITALINE de ressurgir, sans lien direct avec ce que dit le rapport qui sert alors de prétexte pour rallumer une vieille querelle. Il est dit qu’à prescrire la RITALINE, le mystère resterait entier… à ne pas la prescrire, on ne peut pas dire que le mystère va forcément s’éclaircir, il reste hélas bien souvent entier, car il s’agit d’un phénomène complexe et plurifactoriel. Par ailleurs prescrire un médicament doit toujours s’inscrire dans le cadre d’un suivi de l’enfant, de la famille, de liens avec l’école… Prescrire un médicament est un acte relationnel et non pas « une approche réductionniste centrée sur le symptôme ». Stigmatiser le jeune enfant et raboter les comportements en le « fliquant » dès son plus jeune âge… Mensonge ! On ne stigmatise pas un enfant en repérant tôt les difficultés sévères et durables, en les évaluant, en étant vigilant quand il y a cumul et synergie de facteurs de risques, et en prenant en charge si nécessaire. Hélas ce sont ses troubles qui stigmatisent un enfant et non pas le fait de les identifier pour l’aider. Sans compter la souffrance du fait de l’exclusion dont l’enfant est souvent la première victime. Ces mêmes mots… en particulier stigmatisation… ont été employés à propos de l’obésité. A vouloir repérer tôt l’obésité, à vouloir la traiter pour éviter les conséquences et les complications catastrophiques qu’elle a à l’adolescence et à l’âge adulte, il a été reproché à certains pédiatres de « stigmatiser » l’enfant obèse ! La médecine préconise la prévention. Le pédopsychiatre y est familiarisé depuis des dizaines d’années et en particulier depuis les travaux de M. Soulé sur la prévention médico-sociale précoce qui l’ont largement sensibilisé, non pas à la valeur d’un « clignotant » unique, mais à la valeur de l’accumulation de plusieurs clignotants, devant, alors, nous rendre plus vigilant mais non pas plus intrusif. Beaucoup de pédopsychiatres pensent qu’en repérant tôt, en traitant tôt, on peut avoir de meilleurs résultats thérapeutiques, ils le font en particulier pour l’autisme, sans être accusés de « flicage ». Qu’il y ait des « récupérations » à droite et à gauche, qu’il y ait une utilisation plus ou moins honnête à d’autres fins que celle de la médecine, une confusion entre la partie et le tout, n’est pas à mettre sur le compte des experts qui n’ont fait que leur travail. Ne privilégier que les thérapies cognitivo-comportementales. Il ne privilégie pas uniquement les thérapies cognitivo-comportementales, il préconise un mode d’approche extrêmement varié et diversifié. Les experts font l’état des lieux des connaissances et des travaux à caractère scientifique et validés. Il y a davantage de travaux concernant les thérapies cognitivo-comportementales que de travaux concernant les psychothérapies d’ordre psychanalytique, pour lesquelles manquent des travaux d’évaluation. C’est leur faire un procès d’intention que de dire qu’ils ne préconisent que ce type de psychothérapie puisque le pédopsychiatre est laissé libre de sa démarche diagnostique et du choix thérapeutique qu’il fera. D’autant que, dans le choix thérapeutique qu’ils proposent, les experts préconisent des modes d’approche très diversifiés, portant sur l’enfant, la famille, l’environnement. Il en est de même pour le dispositif de prévention qu’ils recommandent. Il leur est cependant reproché de : - Préconiser un dispositif de prévention, qui n’est pas nouveau, est déjà mis en œuvre. C’est vrai, et tant mieux. Il correspond à nos pratiques, il correspond à toutes les actions de la pédopsychiatrie dans les maternités, dans les prisons, à l’ASE. Il fait référence à nos liens avec la justice, la protection judiciaire de la jeunesse, etc. On devrait plutôt s’appuyer sur le rapport de l’INSERM pour renforcer ce qui existe déjà 7 pour faire mieux encore, pour avoir des arguments supplémentaires, pour renforcer la pédopsychiatrie, pour mieux former les spécialistes de la petite enfance, non seulement à repérer des situations à risque, mais aussi à mieux les prendre en charge à leur niveau de compétence. Alors pourquoi tant de violence ? Pourquoi tant de parti pris ? Pourquoi une phrase, un mot, ont été mis en exergue, en les sortant de leur contexte, en oubliant toutes les nuances et la prudence de ce rapport qui, au fond, devrait nous rendre plutôt modestes, devant de la complexité des choses ? Le contexte particulier dans lequel survient ce rapport n’est peut-être pas étranger à la violence des réactions qu’il a suscitées. Ce rapport fait suite à d’autres conflits qui ont alimenté les médias : l’autisme il y a quelques années (3) (en 1993, S. LEBOVICI exprimait déjà son inquiétude face aux « idéologies impérialistes, qu’elles soient neurobiologique ou psychanalytique, qui s’opposent si inutilement dans le champ de la santé mentale »), le trouble hyperactif avec déficit de l’attention et la question de la prescription de la RITALINE, le rapport de l’INSERM sur les psychothérapies (qui a été retiré par le ministre de la santé Douste Blazy en raison des réactions passionnelles, syndicales et corporatistes qu’il a engendrées), l’amendement Accoyer : projet de réglementation de l’usage de titre de « psychothérapeute » qui fait crier au risque d’instituer une « psychothérapie d’état » alors qu’à présent nombre de psychothérapeutes ne « s’autorisent que d’eux-mêmes » et que l’on connaît même de plus en plus de dérives sectaires, enfin ce rapport fait suite au livre noir de la psychanalyse suivi d’un anti livre noir de la psychanalyse. Ce contexte est important à connaître pour comprendre les enjeux qui se sont noués autour de ce rapport, donc les réactions dont beaucoup sont passionnelles, excessives, tant dans quelques revues médicales que dans la grande presse : Elle, Famili, Libération, L’Humanité, Le Canard Enchaîné, Le Monde, ainsi qu’à la radio et à la télévision. Quant aux analyses de presse régulières de l’INSERM, le trouble des conduites y occupe autant de place que le H5N1 et le chikungunya ! La clinique psychiatrique infantile ne peut se passer ni des théories du développement ou du comportement, ni des cadres nosographiques, même si ceux-ci apparaissent parfois figés. Le pédopsychiatre sait que les troubles d’un enfant sont mouvants, évolutifs, et échappent parfois aux classifications. Cependant ces classifications nous fournissent un cadre, des références, des repères, même s’ils ne sont ni exacts ni significatifs, ils sont incontournables et nous permettent de comparer nos travaux et de parler un certain langage commun. Les théories aussi sont incontournables, à condition de ne pas prendre un caractère exclusif et passionnel. Aucune théorie ne peut prétendre à elle seule expliquer le psychisme humain, aucune ne détient la vérité et apporte aujourd’hui l’ensemble des éclairages nécessaires à la compréhension. Certes appartenir à une école de pensée rassure : tout s’explique, on a des modèles, on sait comment penser. « Chacun croit ferme à l’inconscient, la réticulée, le conditionnement, la sérotonine… pas de concession, chacun son école, sa chapelle, ses œillères, ignorant la contribution des autres ». Ces propos de Paule Aymard (4), en 1980, 8 sont encore, hélas, un quart de siècle après, d’actualité. Il est toujours plus inconfortable d’emprunter à droite et à gauche. La pédopsychiatrie s’inscrit dans l’histoire des mentalités, dans son contexte historique, socio-culturel et éthique, elle se situe aux confins de beaucoup d’autres disciplines, elle est vulnérable. La pédopsychiatrie ne peut que souffrir du spectacle lamentable qu’elle donne aujourd’hui à des parents soucieux et inquiets pour leurs enfants, qui ne sauront plus à qui faire confiance. Cette « guerre des psy », comme certains l’ont appelée, dépasse, hélas, largement le cadre de la psychiatrie, atteint de front la pédiatrie et l’ensemble de la médecine qui n’avaient pas besoin de ça ! Quant à l’INSERM, certains ne se priveront pas d’essayer de le disqualifier ! Nancy, le 13 mars 2006 1. http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites 2. http://www.pasdeodeconduite.ras.eu.org. 3. « La métaphore, une arme contre l’idéologie en psychopathologie, spécialement chez le très jeune enfant ». Nouvelle Revue d’Ethnopsychiatrie, N° 22/23, 171-80, 1993. 4. Psychopathologie de l’enfant. Simep éd., 1980. 9