Notre Judaïsme
Par Rabbi Abraham Dahan*
La religion peut être la plus belle des cho-
ses parce qu'au cœur de l'homme de quelque
nation, de quelque culture ou sensibilité qu'il
soit, il y a le sens du mystère de nos existences,
la question de Dieu, l'espérance. Et peut-être
même chez celui qui se dit athée…
La religion, c'est d'abord l'expression institu-
tionnalisée de cette donnée là, de cet élan.
Quant à sa base, après la vie et la liberté (pre-
mières des Dix Paroles), il y a l'Etude, le ques-
tionnement humble et infini, alors la religion
est vivante, mouvement, interrogation perma-
nente vers ce qui donne sens à nos vies, et par
là même les exalte et les sanctifie.
Mais quand l'institution s'alourdit, s'épaissit,
quand le mouvement de vie s'arrête, le ques-
tionnement se ferme en dogmatique, le trem-
blement intérieur de l'être, « Réjouissez-vous
dans le tremblement » (Ps.2) se fige en certi-
tude. L'institution devient sa propre fin.
La prescription religieuse, la mitsva, au lieu
d'être rappel, repère, lumière sur le chemin
« Ta parole est une lampe sur mon chemin,
une lumière… » (Ps. 118) devient une idole,
un fétiche, la porte ouverte à la superstition
et à l'esprit de magie. La tentation de la reli-
gion – pouvoir est alors à la porte avec toutes
ses dérives, littéralisme, bigoterie, ritualisme
obsessionnel, surenchère religieuse, exclusi-
visme et enfermement. C'est l'extrémisme reli-
gieux et ses dangers mortels.
Toutes les religions connaissent ces tentations
et notre vieux Judaïsme aussi. Sauf que je
crois, de par son âge et sa Tora, qu’il est guéri
des menaces et des meurtres au nom de Dieu.
Les blocages dogmatiques, les excès et les déri-
ves du cléricalisme, le ritualisme, discréditent
la religion.
Notre approche vise à essayer d'éviter ces piè-
ges. Par l'étude, par la remise en question avec
humilité et conscience de la gravité de sa tâche,
par le courage de prendre des décisions parfois
traumatisantes au premier abord, le Judaïsme
non orthodoxe essaie de redonner à l'antique
religion d'Israël sa lumière et sa cohérence.
Innombrables sont les textes dans la Tora elle-
même et dans ses infinis développements, qui
sont des indications qui non seulement nous en
donnent le droit, mais en font un devoir. Voir
par exemple Deut. 30, versets 12 et suivants.
Mais la liste est longue, impressionnante.
Si Israël a survécu à une histoire de cauche-
mars les plus impensables, c'est parce que nos
maîtres, dans les temps anciens, ont su trou-
ver la réponse aux bouleversements inouïs que
nous avons connus : la perte de notre pays, la
destruction de Jérusalem et du Temple, cœur
vibrant d'Israël, la disparition des prêtres et du
culte, la dispersion, l'éclatement du peuple, les
accusations, les persécutions et les malédic-
tions les plus incroyables…
Il a fallu reprendre, retrouver le génie de la tra-
dition orale, ses interrogations audacieuses,
permanentes et vivantes pour faire que la Tora
reste socle de vie et son enseignement antique
renouvelé et toujours neuf.
La clôture du Talmud pour des raisons histo-
riques et les codifications qui l'ont suivies ont
tari la source vive que constituait le concept
génial de tradition orale.
Le mouvement s'est figé, durci, ossifié en une
institution vénérable peut-être, mais qui ne
répond plus pour la majorité du peuple juif.
Nous devons, comme nos pères l'ont fait, rele-
ver le défi et depuis plus de deux siècles, le
Judaïsme non orthodoxe s'est attaché à cet
effort, avec certainement des erreurs, des fai-
blesses, mais avec le courage qui ose dépasser
les traumatismes et avec vision…
* Le Shofar, juillet-août 2007/Av-Eloul 5767, n°286, p.7