Réflexions socialistes #5

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RÉFLEXIONS
SOCIALISTES
REVUE DU COMITÉ ÉTUDIANT-E-S SOCIALISTES UQAM – ESUQAM.COM – #5 ÉTÉ-AUTOMNE 2016 – 3$
DIRECTIONS SYNDICALES ET
TRAVAILLEURS-EUSES,
MÊME COMBAT?
MYTHES SUR LE CAPITALISME
PROPHETS OF RAGE :
LA RAGE NE SUFFIT PAS
SOMMAIRE
2
ÉDITORIAL
LE TRAVAIL POLITIQUE
DES SOCIALISTES
P.3
ANALYSE
DIRECTIONS SYNDICALES ET
TRAVAILLEURS-EUSES,
MÊME COMBAT?
P.5
THÉORIE
PETITE CRITIQUE DU
DROIT BOURGEOIS
P.10
é
CAMPAGNE 15PLUS
P.15
IDÉES REÇUES
LES COLS BLEUS DES
MUNICIPALITÉS,
DES GRAS DURS ?
P.19
CULTURE
PROPHETS OF RAGE :
LA RAGE NE SUFFIT PAS
ARGUMENTAIRE
MYTHES SUR LE CAPITALISME
P.22
P.24
STRATÉGIE
LUTTE DES CLASSES OU
LUTTE SYMBOLIQUE ?
P.27
LE COMITÉ ÉTUDIANT-ES
SOCIALISTES UQAM
L
e comité Étudiant-es socialistes UQAM est
une organisation démocratique gérée par des
étudiants et des étudiantes qui se battent pour
une société socialiste. Le comité a pour but de
diffuser le discours socialiste et de militer pour
défendre les intérêts des jeunes et des travailleureuses.
La variété de nos activités fait d’ES UQAM le
comité le plus dynamique du genre au Québec. Nous
travaillons sur plusieurs projets dont la publication
d’une revue, Réflexions socialistes, et de brochures,
l’organisation de conférences, la réalisation de
murales hommages aux figures socialistes
marquantes de Montréal, la vente de livres usagés et
l’organisation d’action politiques.
La collaboration des étudiant-es et des non étudiantes est indispensable à la vie du comité. C’est
pourquoi nous vous invitons à vous impliquer dans
nos projets ou à apporter vos idées.
Pour plus d’information, nous vous invitons à suivre
notre page Facebook/Twitter et notre site web
esuqam.com. Pour toute question vous pouvez nous
rencontrer à notre local au DS-3217 et nous
contacter à [email protected].
CAMPAGNE 15PLUS
Étudiant-es socialistes UQAM endosse officiellement la campagne 15plus.org. Cette
campagne a pour objectifs d’augmenter le salaire minimum à 15$/h comme première
étape pour l’indexation des salaires au coût de la vie pour tous. Il s’agit du grand
mouvement pour l’amélioration des conditions de vie de millions de travailleurs-euses
en Amérique du Nord depuis des décennies. Plusieurs campagnes pour l’augmentation
du salaire minimum ont réussi aux États-Unis à faire augmenter le salaire minimum
dans des villes ou États. Enjoignons le pas et mobilisons-nous!
AIDEZ-NOUS À FAIRE VIVRE LA CAMPAGNE 15+ !
CONTRIBUEZ À AMÉLIORER VOS CONDITIONS DE VIE!
15plus.org – [email protected]
CRÉDITS
COORDINATION :
GRAPHISME :
COLLABORATION :
ISBN : 978-2-9816273-0-8
ÉDITORIAL
3
LE TRAVAIL POLITIQUE
DES SOCIALISTES
un premier bilan de cette trahison
(Directions
syndicales
et
travailleurs-euses, même combat?)
ayant mené à une entente à
rabais.
Les différents articles de nos
camarades
viennent
aussi
apporter un important outillage
théorique en remettant en cause le
discours dominant, notamment sur
les conditions des cols bleus de
Montréal (Les cols bleus des
municipalités, des gras durs?),
sur le capitalisme comme stade
ultime
(Mythes
sur
le
capitalisme) et sur le droit
libéral (Petite critique du droit
bourgeois).
L'année qui s'achève cet automne a donné
de multiples exemples de l'implication des
militants socialistes. La campagne pour
l'augmentation du salaire minimum a pris
un essor fulgurant par rapport à l'an passé
et le débat s'est plus d'une fois transporté à
l'Assemblée nationale et au gouvernement.
Les liens avec les groupes de pression,
communautaires, politiques et syndicaux,
se sont raffermis et l'on peut prévoir un
automne chaud sur le sujet du 15$/h.
On ne peut passer à côté de la campagne à
l'investiture du parti démocrate de l'autre
côté de la frontière : un socialiste aurait pu
briguer la présidentielle ?! Malgré l'échec
de la campagne de Bernie Sanders et le
fait qu'il a trahi sa base en appuyant
Clinton, on a pu voir un regain d'intérêt
pour le socialisme. Socialist Alternative US
a d'ailleurs tenté de former un mouvement
autour de la base de Bernie Sanders afin de
mobiliser la grogne anti-establishment.
Malgré son échec, ce travail politique mené
par des socialistes a tenté
de pousser Bernie Sanders
en dehors du parti
démocrate et de constituer
les premières bases d'un
parti du 99%. Ces
événements ne manqueront
pas d'alimenter les rangs
des socialistes et pourraient
constituer une première étape
à la formation d'une véritable
force révolutionnaire aux
États-Unis.
Dans le mouvement syndical on a pu voir
un reflux provoqué par l'affaissement de la
mobilisation des membres
syndiqués du secteur public.
Alors qu'en novembre on
voyait l'établissement d'un
rapport de force monstre
contre le gouvernement, les
directions syndicales ont
appuyé sur le frein, craignant
perdre le contrôle sur leurs
syndicats locaux. Dans ce
numéro, un militant socialiste
du front commun nous dresse
Les questions de stratégies sont
aussi relevées dans une analyse
de la lutte anti-embourgeoisement
à Montréal. Il est important
d'apporter une perspective socialiste aux
pratiques en cours.
Et la suite ? Le travail de formation de
militants socialistes est une tâche longue
et ardue. Étudiant-es Socialistes se veut le
premier outil pour les militants
progressistes et socialistes à l'UQAM.
Construire une organisation combative et
implantée dans les milieux passe par
l'implication des membres de ces mêmes
milieux. C'est pourquoi nous vous
invitons à vous informer sur notre comité
et de la manière dont vous pouvez
apporter vos projets et expériences. Sur
cet appel à la mobilisation, je vous
souhaite une bonne lecture et une bonne
rentrée.
ANALYSE
5
DIRECTIONS SYNDICALES ET
TRAVAILLEURS-EUSES, MÊME COMBAT?
Après le front commun de l'automne
dernier, un bilan s'impose. Dans cet
article, l'auteur propose une première
ébauche.
« Je ne crois plus au mouvement syndical,
mais je crois encore au mouvement ouvrier. »
Robert Valiquette,
Pâtissier et délégué du SECHUM.
L
’automne 2015 a été marqué par
une mobilisation impressionnante
des travailleurs-euses du système
public partout au Québec et a ainsi
détrompé ceux et celles qui croyaient le
mouvement syndical mort. Alors pourquoi
encore rentrer la tête basse? Comment les
dirigeant-e-s syndicaux peuvent-ils, à
peine sauver les meubles d’une maison en
feu et en être « fiers1 »?
En décembre 2014, les dirigeant-e-s du
Front
commun
trouvaient
qu’une
augmentation de 3% sur cinq ans et la
retraite à 62 ans étaient des offres
« arrogantes, méprisantes et insultantes2 ».
Un an plus tard, 5,25% sur cinq ans devient
un « gain significatif3 ». De plus, ils
s’aventurent sur une pente très glissante en
reculant sur la retraite, alors que notre fond
est pleinement capitalisé. Cela nous amène à
devoir poser des questions qui, au nom de
l’unité du mouvement, ont été mises de côté
depuis trop longtemps.
La lutte des travailleurs-euses du système
public qui se construit depuis plus d’un an
est un éloquent témoignage du divorce entre
les directions syndicales et les membres,
mais également entre les directions
syndicales et la classe ouvrière dans son
ensemble. Trois éléments témoignent de
cela : le refus des directions de faire un
débat sur l’adoption possible d’une loi
spéciale, le décalage entre les objectifs de la
grève pour les directions et pour les
travailleurs-euses, ainsi que sur la façon
dont ces journées de grèves ont été menées.
Un mouvement de cette ampleur n’arrive
pas souvent. Nous devons impérativement
en tirer les conclusions qui s’imposent et
proposer les mesures nécessaires pour les
éviter à l’avenir.
[1] « Le Front commun présente avec satisfaction
l’entente de principe », TVA Nouvelles, 20 décembre
2015, [En ligne]
http://www.tvanouvelles.ca/2015/12/20/le-frontcommun-presente-le-contenu-de-lentente-deprincipe
[2] « Des offres arrogantes, insultantes et
méprisantes », Infos-Négo # 1, 16 décembre 2014,
[En ligne] http://frontcommun.org/materiel/infonego-1-offres-arrogantes-meprisantes-insultantes/
[3] « Le Front commun fait des gains significatifs
pour les travailleuses et les travailleurs du secteur
public », CSN-Secteur public, 20 décembre 2015,
[En ligne]
http://entrenosmains.org/project/negociations-dusecteur-public-le-front-commun-fait-des-gainssignificatifs-pour-les-travailleuses-et-les-travailleursdu-secteur-public/
ANALYSE
LOI SPÉCIALE : « NOUS NE
SOMMES PAS RENDUS LÀ »
même pas fait un débat préalable sur le
sujet.
Avant même la fin de notre convention
collective, les militants-e-s de la base ont
exigé rapidement une réponse des
directions advenant une loi spéciale lors
des négociations à venir. Peu importe
l’instance syndicale où la question fut
posée, la réponse était « nous ne sommes
pas rendus là ». La même réponse nous fut
servie sous différentes moutures pendant
plus d’un an.
GAGNER L’OPINION PUBLIQUE
OU FAIRE PLIER LE
GOUVERNEMENT?
Pourtant, la question est tout sauf
saugrenue. Lorsque nous mobilisions les
travailleurs-euses, bien souvent le premier
commentaire était « ça donne quoi, ils
vont nous décréter? ». Dès 2013, le texte
de Martin Petitclerc et Martin Robert sur
la récurrence de l’adoption des lois
spéciales dans les négociations du secteur
public était bien connu des milieux
militants4. Nous ne comptons plus le
nombre d’articles et de conférences sur le
sujet.
Toutes les centrales ont d’immenses
services juridiques, et pas une n’a jugé
pertinent de produire un document nous
expliquant les conséquences d’une loi
spéciale pour les différents secteurs et les
moyens de la contourner. Surtout dans un
contexte où la Cour suprême avait
réaffirmé le droit de grève pour les
employés du système public5.
Il y a bien sûr eu plusieurs initiatives
locales, mais sans les moyens de diffusion
et l’expertise des centrales, ces
informations ont uniquement circulé dans
les cercles restreints. Il est impossible de
défier une loi spéciale si nous n’avons
Qu’est-ce qu’une grève? Une grève est
d’abord une cessation de travail. C’est la
conséquence d’un désaccord entre deux
parties.
Dans
une
entreprise privée, l’arrêt
de travail est en soi une
pression
économique
parce que la production
s’arrête. Lors d’une
grève dans les services
publics, l’arrêt de travail
ne va pas toujours de
pair avec la pression
économique.
Nous
donnons des services à
la population, nous ne
« produisons »
pas.
C’est particulièrement
vrai dans le milieu de
l’éducation et en santé. Il faut donc rajouter
ce volet à la grève pour qu’elle soit efficace.
La pression économique est le seul moyen
pour faire reculer un patron. Et cet aspect fut
totalement absent de la stratégie du Front
commun.
Depuis le début,
toute la stratégie
syndicale
tournait
autour de la visibilité.
Les gens doivent
nous
voir,
les
journaux
doivent
parler de nous. Ce
qui est le point de
départ nécessaire à
toute
mobilisation
d’envergure, mais
rendu à la deuxième journée de grève
régionale nous répétions exactement la
même chose qu’à la première. Aucune
gradation de moyens de pression n’était
planifiée, nous avions l’impression de
rejouer dans la même pièce de théâtre.
Quand le gouvernement, depuis des
semaines, durcit le ton, ce n’est pas le temps
de mettre de l’eau dans son vin, surtout à un
moment où les forces de l’ordre, ellesmêmes en moyen de pression, étaient plus
6
que tolérantes lors de nos actions et qu’un
sondage donnait un appui de 51% aux
syndicats6, du jamais vu.
Pourquoi est-ce arrivé? N’est-ce pas tout
simplement parce les travailleurs-euses et
les directions syndicales n’ont pas fait la
grève pour les mêmes raisons? C’est à
dire, que l’objectif des uns n’était pas le
même que l’objectif des autres.
SAUVER LES MEUBLES OU
VAINCRE?
« On n’aime jamais présenter la
préservation d’acquis comme un gain7 ».
Voilà ce que déclarait le président de la
FTQ Daniel Boyer. Premièrement, nous
n’avons pas préservé grand-chose, mais
plutôt empêché le gouvernement de nous
gruger davantage, nuance.
[4] Martin Petitclerc et Martin Robert, « La loi
spéciale et son contexte historique. La désinvolture
du gouvernement quant au droit de grève », Histoire
engagée, 7 juillet 2013, [En ligne]
http://histoireengagee.ca/?p=3388
[5] « La Cour suprême invalide la loi limitant le
droit de grève des services essentiels », Ici RadioCanada, 30 janvier 2015, [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/regions/saskatchewan/2015/01/30/002services-essentiels-cour-surpemeinconstitutionnelle.shtml
[6] « Un non ferme à l’austérité », Journal de
Québec, 21 novembre 2015, [En ligne]
http://www.journaldequebec.com/2015/11/21/unnon-ferme-a-lausterite
[7] « Le Front commun fait des gains significatifs
pour les travailleuses et les travailleurs du secteur
public », CSN-Secteur public, 20 décembre 2015,
[En ligne]
http://entrenosmains.org/project/negociations-dusecteur-public-le-front-commun-fait-des-gainssignificatifs-pour-les-travailleuses-et-les-travailleursdu-secteur-public/
ANALYSE
7
L’ancien président de la CSQ, Réjean
Parent, va plus loin. Le 4 janvier dernier,
il déclarait que « plusieurs se réjouissaient
de cette entente patronale-syndicale qui
assurerait la paix dans les relations du
travail pour les prochaines années entre
les travailleurs de l’État et le
gouvernement8». Je vous épargne ma
réaction lorsque j’ai lu le mot
« réjouissance ». Concentrons-nous sur
l’élément le plus important : cette entente
« assure la paix ».
Quelle paix!
Voit-il cette entente
comme un traité de
paix? Pour que cela
soit vrai, il faut que
les deux parties en
litiges cessent les
hostilités. Ce n’est
pas le cas, le
gouvernement libéral
fonce toujours vers
son principal objectif
qui
vise
le
démantèlement du
système
public.
Chaque coupure dans
le système public
est un acte de
guerre. Dans ces
circonstances, renoncer au droit de grève
est une reddition pure et simple.
Ce qui est préservé dans cette entente,
c’est la machine syndicale. Il faut se
rendre à l’évidence, la lutte de classe
existe également dans le mouvement
syndical. (Au sens où les intérêts matériels
d’un groupe social s’opposent aux intérêts
matériels d’un autre.) Il est de plus en plus
difficile de le nier, surtout lorsque ces
mêmes directions nous présentent depuis
plus de 10 ans des reculs comme des
gains…
LUTTER CONTRE L’AUSTÉRITÉ
OU « POUR UN RÈGLEMENT
NÉGOCIÉ » ?
Le communiqué du Front commun du 8
novembre 2015 stipulait ceci : « les 400
000 travailleuses et travailleurs du secteur
public membres du Front commun
entameront dès demain une seconde série
de grèves tournantes afin de parvenir à un
règlement négocié9 ». Depuis le début, nous
voyons ce genre de déclaration, sans trop y
porter attention et pourtant tout est là.
L’objectif pour les directions syndicales est
d’éviter à tout prix une loi spéciale. Peu
importe la qualité de l’entente, ils vont crier
victoire si celle-ci est signée. Pour nous,
l’objectif de la grève est une bonne
convention collective et la défense de nos
acquis. Pour l’aile gauche du mouvement,
l’objectif est de stopper l’austérité. Si la
logique de la direction est une entente
négociée, la stratégie se comprend, mais si
l’objectif est de stopper les attaques sur le
système public et de gagner une
amélioration de nos conditions de travail,
alors là, la stratégie est perdante puisqu’elle
brise un rapport de force au moment précis
où celui-ci aurait dû se raffermir.
C’est précisément ce que les directions ont
fait à la mi-novembre. Le 17 novembre,
Jacques Létourneau, président de la CSN,
déclare que « le niveau de mobilisation est
très fort. Je dirais même qu’il est historique.
Je pense qu’on n’a pas vu ça depuis les
années 1970 au Québec10». Le lendemain, la
direction du Front commun reculait sur les
demandes salariales et annonçait la
suspension des trois journées de grèves
nationales de décembre11, la même journée
où Coiteux qualifiait les nouvelles demandes
syndicales « d’inacceptables12 ». Tactique
syndicale confuse qui a ébranlé la
mobilisation des membres inutilement.
Heureusement que la pression de la base a
fait en sorte que nous réussissions à tenir au
moins une journée de grève nationale le 9
décembre.
Il y a eu, quelques mois auparavant, un
autre bel exemple. Depuis 2012, plusieurs
syndicats locaux de la CSN poussent pour
une « grève sociale ». Cette question est
revenue lors de nos négociations. La
direction de la CSN tente de repousser la
question le plus longtemps possible, mais
est finalement au moins obligée, de
prendre position, pour le
début
du
mois
de
décembre. Plusieurs sont
convaincus à l’époque que
la lutte du Front commun
sera déjà terminée, mais
c’est mieux que rien.
Heureusement, la lutte est
loin d’être conclue au
début
du
mois
de
décembre 2015, mais,
alors que les organisateurs
du conseil confédéral
devaient y remettre un
rapport sur la faisabilité
d’une « grève sociale »,
celle-ci n’est même pas
inscrite à l’ordre du jour.
Nous attendons toujours
ce rapport.
[8] « Appeler au décret! », Journal de Montréal, 4
janvier 2016, [En ligne]
http://www.journaldequebec.com/2015/11/21/unnon-ferme-a-lausterite
[9] « Secteur public: 400 000 membres du Front
commun en grève tournantes à compter de demain »,
Front commun 2015, 8 novembre 2015, [En ligne]
http://frontcommun.org/communique/secteur-public400-000-membres-du-front-commun-en-grevetournantes-a-compter-de-demain/
[10] « Nouvelle manche entre le front commun et
Québec », La Presse, 17 novembre 2015, [En ligne]
http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politiquequebecoise/201511/17/01-4922049-nouvellemanche-entre-le-front-commun-et-quebec.php
[11] « Front commun : pas de grève les 1er, 2 et 3
décembre », Ici Radio-Canada, 18 novembre 2015,
[En ligne] http://ici.radiocanada.ca/regions/quebec/2015/11/18/007-frontcommun-syndical-report-greve-decembre.shtml
[12] « Négociations: «On est à des années-lumière
de s’entendre», dit Coiteux », La Presse, 18
novembre 2015, [En ligne]
http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politiquequebecoise/201511/18/01-4922240-negociations-onest-a-des-annees-lumiere-de-sentendre-ditcoiteux.php
ANALYSE
Nous voyons cette contradiction depuis
longtemps : à mesure que la lutte
s’amplifiait, les directions faisaient de
plus en plus la distinction entre les négos
et la lutte contre l’austérité. La
contradiction est telle que, dans la même
entrevue, la présidente de la CSQ
recommandait la ratification de l’entente
et la poursuite de la lutte contre
l’austérité…13 Comme s’il était possible
de stopper l’austérité sans grève, sans
rapport de force.
Ce que le mouvement syndical demandait,
et
demande
encore,
est
un
réinvestissement massif dans le système
public.
Comment
convaincre
un
gouvernement qui fait le contraire? Il y a
deux possibilités. Premièrement, une
pression de la rue assez forte pour créer
une situation intenable, ce qui implique
une pression économique importante. La
deuxième option est l’élection d’un
nouveau gouvernement en faveur d’un
réinvestissement. Il n’y a pas d’autre
moyen, alors pourquoi les directions ne
priorisent ni l’un ni l’autre?
Les campagnes des directions syndicales
ne sont pas orientées vers une gradation
des moyens de pression ni vers une
solution politique. Le but des directions
semble davantage s’orienter vers des
actions sans lendemains qui évacuent la
pression de la base, plutôt que de
construire un rapport de force qui fait mal.
Ce n’est pas simplement en étant « vus et
entendus » que nous allons gagner. Nous
le savons, mais pour faire prendre au
mouvement syndical une nouvelle
direction, nous devons nous entendre
entre nous avant, pour déterminer
ensemble, les causes de la défaite et les
façons concrètes de s’en sortir.
POUR DES SYNDICATS
DÉMOCRATIQUES ET
COMBATIFS
Plusieurs camarades ont perdu espoir dans le
mouvement syndical. C’est normal. Mais il
faut faire la distinction entre sa direction et
les militant-e-s de la base. Ce n’est pas en
« vidant » le mouvement ouvrier réel de ses
éléments les plus combatifs que nous allons
pouvoir briser la domination des directions
syndicales conservatrices encore baignées
dans le grand rêve de la
concertation
sociale.
Nous
avons
des
instances
pour
les
contester, il faut le faire.
Ça fait leur affaire que
nous dépensions nos
énergies dans d’autres
projets, ne leur donnons
pas ce plaisir-là. C’est
justement parce que
c’est long, difficile et
frustrant,
qu’il
est
important de le faire.
Tourner le dos au mouvement syndical, sous
prétexte que nous n’aimons pas les
déclarations de ses dirigeant-e-s, c’est
tourner le dos aux militant-es ouvriers les
plus actifs.
Le mouvement syndical n’est pas une
structure statique, il reflète l’état et
l’évolution du rapport de force et le niveau
de conscience de classe à un moment donné.
En d’autres termes, rejeter le mouvement
syndical en bloc, sans nuance, c’est rejeter le
mouvement réel de la classe ouvrière et
donc refuser de mener le combat avec elle. Il
faut voir toutes les organisations de masse
de la classe ouvrière comme un champ de
lutte de classe14. Un terrain de lutte comme
un autre où il faut être. Les syndicats sont à
nous, nous les finançons, défendons-les!
8
peut être atteint, mais celui à plus long
terme, qui consiste à élargir la lutte par la
consolidation et la formation de nouveaux
militant-e-s par la pratique, pourtant
cruciale pour le renouvellement du
mouvement, ne l’est pas.
Cette déresponsabilisation des travailleurseuses entraîne un effet pervers dans la
perception que ceux-ont du syndicalisme.
Combien de fois n’ai-je pas entendu
« vous du syndicat… », comme si la
solution à leurs problèmes était extérieure
à eux-mêmes. Tant que cette perception
sera généralisée, nous n’arriverons à rien.
Le seul moyen de la casser passe par une
prise en charge des problèmes quotidiens
de la lutte syndicale par le plus grand
nombre possible de travailleurs-euses.
Comment faire cela? Par exemple, si un
syndicat local organise une manifestation
sur l’heure du midi pour dénoncer des
licenciements abusifs. Qui assure le
service d’ordre ? Les conseillers
syndicaux. Ce sont des gens qui gagnent
aisément deux fois notre salaire qui vont
décider jusqu’où notre colère doit aller ?
Pourquoi le syndicat local n’élirait-il pas
un service d’ordre à même ses propres
membres ? Cela permettrait de démontrer,
entre autres, que l’organisation d’une
action dépend de nous.
… AU NIVEAU LOCAL
Cette infantilisation des membres entraîne
également une dépendance de chaque
syndicat local envers ses directions
spécifiques. Cela entraîne des situations
où, sur le même plancher, deux délégués
d’organisations
différentes
ne
se
connaissent même pas. Ce manque de
coordination s’aggrave souvent davantage
lorsqu’on parle de différents milieux de
travail,
parfois
très
proches
géographiquement l’un de l’autre.
Construire une solidarité intersyndicale à
la base dans les quartiers et les milieux de
travail par la création de comités d’action
Cette remise en cause des directions
syndicales passe d’abord par la mobilisation
au niveau local. Lors d’une action, il ne faut
pas simplement inviter les travailleurs-euses,
il faut constamment solliciter leurs concours
dans l’organisation du mouvement. Bien
souvent nous sommes infantilisés, il faut
être là, à telle heure et c’est tout. L’objectif à
court terme qui est de réaliser une action
[13] « La Centrale des syndicats du Québec promet
de poursuivre la lutte contre l’austérité », Ici RadioCanada, 3 janvier 2016, [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/nouvelles/societe/2016/01/03/002centrale-syndicats-quebec-csq-lutte-austeriteentente-gouvernement.shtml
[14] Louis GILL, Autopsie d’un mythe:Réflexions
sur la pensée politique de Jean-Marc Piotte,
Montréal, M Éditeur, 2015, p. 39.
ANALYSE
9
est une étape nécessaire pour favoriser
l’unité la plus large possible dans le
mouvement ouvrier. Outil qui pourrait
permettre tout d’abord un décloisonnement
des luttes, tout en fédérant
les militant-e-s les plus
actifs d’un même milieu
de travail ou d’un quartier
pour
nous
permettre
d’augmenter notre force
de frappe.
Mais nos frustrations
envers
les
directions
syndicales nationales ne
doivent pas nous enfermer
dans l’action locale non
plus. La coordination au
niveau
national
des
syndicalistes les plus
combatifs reste vitale.
C’était l’idée d’Offensive
syndicale, reprise par la
suite par Lutte commune.
… ET NATIONAL
Pour l’instant, tout nous porte à croire que
Lutte commune fait la même erreur
qu’Offensive syndicale; celle de la phobie
de la structure. Cette attitude est
compréhensible.
L’appareil
syndical
exerce un contrôle tellement serré sur le
processus démocratique qu’il brise l’élan
spontané. Les militant-e-s critiques de
cela ont donc tendance à faire exactement
l’inverse et ont une phobie des structures
formelles et ne veulent exercer de
leadership sous aucun prétexte. Le résultat
est prévisible, ce qui pourrait être des
foyers d’organisation, devient des cercles
de discussions qui finissent par s’épuiser à
force de tourner en rond. L’exemple le
plus achevé de cette phobie de la structure
fut l’initiative Printemps 2015, où
personne n’était redevable à personne. Il a
fini par être noyauté par les éléments les
plus gauchistes, s’éloigner de la base et
n’a eu pour seul mérite que de « brûler »
le mouvement étudiant avant même que la
lutte des travailleurs-euses du système
public commence.
La structure la plus antidémocratique au
monde reste l’absence de structure. J’aime
mieux un responsable élu, qu’un
responsable qui ne l’est pas. De toute
façon, ce n’est pas la structure du groupe
qui mène à la bureaucratisation et à la
collaboration de classe, mais sa composition
sociale. Dans le mouvement syndical, le
problème n’est pas qu’un exécutif détermine
une ligne politique, mais que cette ligne soit
déterminée par des gens qui gagnent autant
que nos patrons. La solution ne passe pas
par une valorisation de l’horizontalisme,
mais par la promotion de l’auto-organisation
de la base et sa construction consciente. Ce
type d’opposition existe depuis longtemps.
En Angleterre, il existe une longue tradition
de shop stewards’ committee (comités de
délégués). Par exemple, dans les grandes
usines anglaises, il pouvait y avoir une
dizaine de syndicats différents. Les
travailleurs-euses ont donc décidé de
s’organiser entre eux. Aujourd’hui, cette
tradition se perpétue sous la forme du
National Shop Steward Network (NSSN).
L’objectif est de coaliser l’opposition du
plancher à l’approche concertationiste des
directions dans les instances. L’adhésion au
NSSN est soit faite sur une base individuelle
ou de groupe, plusieurs syndicats en sont
membre, notamment, le National Union of
Rail, Maritime and Transport Workers
(RMT), le Public and Commercial Services
Union (PCS), le National Union of
Minesworkers (NUM), la Fire Brigades
Union (FBU) et plusieurs autres.
Aux États-Unis, l’une des expériences les
plus proche du NSSS existe à l’intérieur
d’une organisation syndicale. Le groupe
Teamsters for a Democratic Union (TDU)
fut créé pour briser l’influence de la mafia
sur la direction du syndicat des Teamsters.
Ils y sont parvenus par une lutte pour la
démocratisation des structures et la
valorisation de l’implication des membres
de la base (rank-and-file unionism).
Aujourd’hui, ceux-ci s’organisent
démocratiquement comme
tendance dans le syndicat
et sont présentement très
actifs dans la campagne
pour
remplacer
le
leadership syndical. Entre
autres, ils présentent leurs
propres candidats sur une
liste commune. Ces deux
organisations
ont
un
leadership élu, révocable,
qui partage les mêmes
conditions de vie que la
majorité des membres15.
À mon sens, c’est vers ce
type d’organisation que
nous devons aller. Ce
n’est que par la construction patiente d’un
rapport de force à l’intérieur du
mouvement syndical que nous pourrons
briser la suffisance de certains dirigeant-es et ainsi redonner le goût à plusieurs de
s’investir dans le mouvement syndical.
Avant même d’avoir terminé la lecture de
ce texte, certains apparatchiks du
mouvement syndical vont sans doute crier
à la « déloyauté » ou au « noyautage ».
Profitons-en donc maintenant pour
répondre à cette première critique. Le
processus démocratique n’inclut pas
uniquement le droit d’exprimer son
désaccord, mais également celui de
s’organiser et de proposer d’autres
avenues. Ce qui implique d’avoir
l’information pour l’assemblée avant que
celle-ci
commence…
L’assemblée
générale est souveraine, la loyauté du
syndicaliste est là, uniquement là.
[15] Contrairement au NSSN et à TDU, Labor
Notes et Rank-and-file.ca n’ont pas de leardership
élu, ce qui ne les empêche pas de faire un très bon
boulot en terme d’analyse et de formation des
militant-e-s, mais malheureusement ne sont pas
démocratiques et ne peuvent conséquemment être un
réel levier dans la lutte contre les directions
syndicales.
THÉORIE
10
PETITE CRITIQUE DU DROIT BOURGEOIS
En retournant aux racines de la théorie
libérale du droit, on aperçoit une
sacralisation de la propriété privée,
couplée avec une déconnexion de la
réalité inégalitaire de la société. Une
application progressiste des droits de
l'homme nécessite une atteinte au droit
de propriété.
D
ans son célèbre essai sur la «
Métaphysique de mœurs (1785) »,
Emmanuel Kant prétendait que
s’il :
« doit y avoir un principe pratique
suprême, et au regard de la volonté
humaine un impératif catégorique, il faut
qu'il soit tel qu’[…] il constitue un
principe objectif de la volonté, que par
conséquent il puisse servir de loi pratique
universelle.
[…] agis de telle sorte que tu traites
l'humanité aussi bien dans ta personne
que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen. »1
des gens en accepte les devoirs préalables
qu’ils imposent.
Ces quelques mots légèrement rhétoriques
du vieux philosophe laissent tout de même
entendre qu’une volonté réellement
universelle de mener le genre humain là où
il doit aller passe inévitablement par la mise
en place de principes de vie « impératifs », «
catégoriques » et « objectif », qui auront
pour base pratique de servir le genre humain
comme fin en soi. Ceci en évitant tout
asservissement de l’autre a ses propres fins.
Ces droits, qui dans la thématique qui
nous intéresse aujourd’hui, sont ceux liés
à la dignité humaine et qui, du fait que le
droit ne peut être légitimement valable
que s’il est universel, s’applique à tous
sans considération. Ces droits, incarnation
politique de l’impératif catégorique de
l’homme comme fin en soi, ont d’abord
été pensés dans la tradition politique
classique sur une base simple, soit celui
de « notre liberté s’arrête là où celui des
autres commence ». Tout le combat du
libéralisme politique contre le féodalisme
et le despotisme de l’épopée des Lumières
en a tiré sa ligne directrice. Rationalité,
individualité & liberté en sont les
synonymes et la démocratie et le droit en
seraient la pratique concrète.
Quoique l’application concrète de ces «
impératifs catégoriques » soit d’abord de
nature déontologique (moral), ces principes
doivent aussi fatalement s’incarner dans le
droit, car la déontologie est avant tout
quelque chose que l’on s’impose à soimême, alors que la chose commune nous
impose de tracer des lignes directrices dans
les devoirs que l’on a envers ses semblables.
Car il n’existe de droit, que si l’ensemble
[1] http://www.acgrenoble.fr/PhiloSophie/logphil/textes/textesm/Kant
7.htm
THÉORIE
11
Comme vous le savez pertinemment,
l’idéal de justice, promu par le libéralisme
et incarné principalement par les principes
de l’égalité devant la loi et de la noningérence de l’État sur l’individu, a
engendré une société certes libre sur le
plan formel, mais dont l’impératif
catégorique « des humains comme fin en
soi » n’est en rien respecté. Et il ne serait
pas saugrenu de prétendre que
l’exploitation de l’homme par l’homme
est l’un des fondements les plus profonds
de la société capitaliste. Et le capitalisme
est encore pour l’heure, le système
économique préconisé par la grande
majorité des penseurs libéraux.
L'ANALYSE DE KARL MARX
SUR LE DROIT LIBÉRAL
Comme l’a fort justement dénoncé Karl
Marx dans ses écrits de jeunesse2, le droit
bourgeois (à l’époque représentée par
Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de la France révolutionnaire) a
surtout eu pour fonction la protection de la
propriété privée par une vision particulière
de la liberté et de l’égalité. Ce droit, ici
celui de la France de 1789, est fondé sur
le principe d’homme comme monade isolé
et dont la liberté fondamentale serait de
s’extirper de sa communauté et de ses
ingérences. Un peu comme si les citoyens
d’une Nation seraient tous de petits «
Robinsons » n’acceptant l’action de l’État
que dans le cadre étroit de la défense de
leurs intérêts personnels, mais sans autres
dispositions. L’égalité entre les individus
n’étant limitée que comme une égalité
devant la loi, la responsabilité de tous face
à ce qu’il serait souhaitable de définir
comme la finalité des institutions
humaines, s’en trouve outrageusement
évacué.
C’est en cela que Marx déclare que ces
droits de l'homme et du citoyen « ne
dépass[ent pas] l'homme égoïste […],
c'est-à-dire un individu séparé de la
communauté, replié sur lui-même,
uniquement préoccupé de son intérêt
personnel et obéissant à son arbitraire
privé. L'homme est loin d'y être considéré
comme un être générique; tout au
contraire, la vie générique elle-même, la
société, apparaît comme un cadre
extérieur à l'individu, comme une
limitation de son indépendance originelle.
Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité
naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la
conservation de leurs propriétés et de leur
personne égoïste.»3 C’est donc ici la
protection de la propriété privée qui justifie
l’État et nullement la mise en place de
l’universalité des droits de l’homme, malgré
tous les grands principes que cette charte
promeut.
DROIT ET ÉGALITÉ
ÉCONOMIQUE
Mais qu’est-ce que seraient des droits
humains qui seraient en phase avec le
principe impératif du bien de l’homme
comme fin en soi ? La réponse est tout
simplement un système de droit dont l’objet
premier serait de permettre aux individus de
pouvoir orienter leur vie sans que la volonté
de ceux-ci puisse limiter celles des autres. Et
ces choix de vie, si particuliers aux
individus, sous-entendent un « impératif
catégorique » que notre société de droit
libéral nous refuse, au nom de cette vision
réduite des droits humains. Cet impératif est,
vous le devinez, l’égalité économique4. Non
pas une stricte égalité systématique, mais
une égalité délimitée par les capacités et les
besoins de tout un chacun. « De chacun
selon ses moyens, à chacun selon ses
besoins », comme le dit l’expression.
L’égalité économique est un élément de la
justice qui semble aller de soi dans une
société soucieuse des droits de l’homme.
Mais sur le bienfondé moral de cette
intuition se braque le mur soi-disant
rationnel du « juste » devant précéder le «
bien ». Car pour un esprit libéral, l’idée du «
bien » (autrement dit la morale) est un
principe lié à l’individu, non pas à
l’ensemble. Pour les penseurs libéraux, les «
valeurs » n’ont rien de rationnelle et donc
relèveraient de l’ordre du privé. L’État doit
donc se camper dans le domaine du « juste
», ce qui ne serait pas toujours le « bien » de
première apparence, mais relèverait du «
juste » sur le point de vue de l’équité. C’est
dans ce cadre que l’inégalité économique est
présentée. Comme un effet apparemment
négatif de l’exercice de la liberté.
Inversement, l’application du « bien » à
priori qu’est l’égalité serait une entrave à la
liberté. Ce qui, d’après eux, ne respectera
pas les droits de l’homme.
L’inégalité est donc théorisée comme la
conséquence obligatoire de la pratique de
la liberté dans les activités humaines et
notamment sur le plan économique. Ainsi,
remédier à cette situation reviendrait à
privilégier une catégorie de la population
que l’exercice de la liberté aurait mal
servie. Une analogie qui pourrait être
utilisée, afin d’illustrer cette affirmation,
serait de donner un moteur aux coureurs
les moins performants d’une course dont
tous auraient volontairement choisi de
participer. Autrement dit, cela reviendrait
à fausser la nature « darwinienne » ou «
compétitive » de la société en favorisant
les médiocres au détriment des meilleurs.
Évidemment, la vie des êtres humains n’a
rien d’une course et les droits de ceux-ci
ne dépendent pas de leurs capacités, mais
bien de leur nature humaine, si l’on se
remémore son principe de base.
D’ailleurs, il est plus que contestable que
l’inégalité économique soit la seule façon
de valoriser l’excellence des individus.
Enfin, pour mettre en perspective le droit
libéral bourgeois d’un droit qui s’inscrirait
vraiment dans la dynamique de l’homme
comme fin en soi, il faut revenir sur une
notion entre les droits, qui explique cet
apparent désaccord entre ceux-ci, car il y
a bien forfaiture dans les principes
quelque part.
DROITS ET DEVOIRS - DROIT
NÉGATIF ET DROIT POSITIF
Du moment où l’on évacue du droit son
équivalent en devoir, il existe deux types
de droit et ceux-ci provoquent souvent de
la confusion. Le premier est ce que l’on
appelle le « droit négatif » ou « droit
naturel ». Ce droit est celui qui est le plus
souligné chez les libéraux de toutes
tendances et est celui qui impose à la
collectivité la non-ingérence et de la nondiscrimination aux individus. Ce type de
droit englobe l’ensemble de ce qui est
jugé comme émanant des individus (via le
contrat social) et non de la société.
[2] La question juive, 1843
[3] La question juive, 1843
[4] Les questions liées aux statuts identitaires sont un
autre domaine qui peut être mis de côté dans le cadre
présent.
THÉORIE
Les exemples les plus communs sont la
liberté d’expression, d’association, de
participation dans les affaires publiques et
les droits relatifs à la propriété de sa
propre personne (contre l’esclavage
notamment) et des produits du travail.
Le second type de droit est le droit dit «
positif » ou « droit social ». Ce droit est
directement lié à ce que la société
considérera comme une responsabilité
envers ses citoyens. L’accessibilité
générale à l’éducation, aux soins de santé
et au logement en est un des exemples
bien connus. Évidemment, ce genre de
droit est plus souvent qu’autrement
délimité par des considérations d’ordre
économique (la capacité de payer) et par
le fameux principe de « l’utilisateur
payeurs ».
Ce qui se constat rapidement entre ces
types de droit, c’est que, du point de son
application, le droit naturel n’est pas ou
peu nécessitant des devoirs envers autrui,
tandis que les droits sociaux impliquent
minimalement un devoir de financement.
En somme, le droit social et le droit
naturel divergent sur ce principe que l'un
est dicté par « les Hommes », et le second
par la « nature humaine ».
DROIT « NATUREL » ET
DROIT DE PROPRIÉTÉ
C’est ici que le dilemme survient, car
l’épicentre du droit naturel est le droit de
propriété5 et dans une société hyper
industrielle comme l’est celle dans
laquelle nous vivons et où tout ce qui peut
l’être est déjà incorporé au principe de
propriété, il est du domaine de
l’abstraction pure que de prétendre que
l’emprise du capital est contournable et
relèverait d’un « choix » rationnel. Dans
le monde capitaliste, tout est valeur, donc
tout est argent. Tous les humains
possèdent un certain « capital » de départ,
car nous possédons naturellement un
corps qui est en mesure de créer de la
valeur, mais il s’adonne que d'autres, plus
chanceux, héritent aussi parfois d’une
accumulation de travail sous les formes
varié du capital à la naissance ou plus tard
dans leur vie. Ces gens, ont donc la
chance, via le « contrat librement
consentis » d’acheter la force de travail de
ceux qui n’ont pas ou peu de capitaux, car
12
ceux-ci ont été en mesure de se procurer les
outils de production nécessaire à la
production de masse qu’impose la
compétitivité du capitalisme moderne6.
Or ce qui survient la plupart du temps est
que le capital s’accumule plus rapidement
chez ceux qui possèdent la production que
pour ceux qui la produisent. Dès lors, le
contrat librement consenti entre l’acheteur et
le vendeur de la force de travail, l’est de
facto sur le plan formel (légal), mais ne tient
pas compte des éléments vitaux à la
reproduction de la force de travail et du
contexte social constitutif du choix du
vendeur. Autrement dit, s’il y a 100
vendeurs de force de travail et 10 acheteurs
et que c’est 100 vendeurs ont faim et que les
10 acheteurs sont patient, bien le rapport de
force capital-travail est à l’avantage certain
de l’acheteur. C’est le fameux principe de
l’offre et de la demande qui donc engendre
cette situation.
Selon ce point de vue, il est donc évident
que la liberté d’agir de ces vendeurs est
compromise, non pas sur le plan légal, mais
de manière économique et concrète. Voilà
pourquoi l’égalité économique est un droit
tout aussi naturel que le droit de propriété et
qu’il doit être régi de telle sorte que le
devoir de l’acheteur devrait minimalement
être d’offrir un prix définit non pas par
l’offre et la demande, mais par la société en
fonction des besoins des travailleurs. Il est
important de garder à l’esprit que le concept
de « nature » chez l’humain, n’est pas lié
aux considérations de l’époque du stade
primitif des hommes, comme le
prétendent certains penseurs du contrat,
mais bien de ce qui relève de sa nature
propre dans le temps. Et comme la nature
des hommes change en même temps que
leur condition de vie (car conditionnée par
elle), il est donc normal de faire évoluer
les droits selon les nécessités qu’impose
notre stade de développement propre et
non pas de le limiter sur les bases factices
des robinsonnades pensées par
imaginations déconnectées du réel.
les
DROITS DE L'HOMME ET
DROIT DE PROPRIÉTÉ
Mais c’est bien là que le problème se
corse. Dès lors que les droits humains sont
définis comme « naturels », déconnectée
du devoir civique et centré sur la
protection de la propriété privée, la mise
en place de l’égalité est dénoncée comme
étant une atteinte aux droits de l’homme.
Et ceci bien sûr malgré que le respect de
ces droits ne protège en rien les humains
de l’exploitation éhontée que l’on constate
tous les jours. Malgré son aspect social
relativement avancé, la Déclaration
universelle des droits de l’homme
(DUDH) comporte ce même problème,
[5] Art. 17 de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme (DUDH)
[6] Ici, pour des fins de clarté, je néglige
volontairement le domaine financier.
THÉORIE
13
car l’article 17 précise bien que « toute
personne […] a droit à la propriété » et
que « nul ne peut être arbitrairement
privé de sa propriété ». De plus, l’article
2 nous précise que « chacun peut se
prévaloir de tous les droits et de toutes les
libertés proclamés dans la présente
Déclaration, sans distinction aucune (et
notamment) […] de fortune ». Et pour
ceux qui comprendraient pas encore le
caractère « impératif » & « catégorique »
de ce droit de propriété, il est inscrit dans
l’article 30 qu’ « aucune disposition de la
présente Déclaration ne peut être
interprétée comme impliquant pour un
État, un groupement ou un individu un
droit quelconque de se livrer à une
activité ou d'accomplir un acte visant à la
destruction des droits et libertés qui y sont
énoncés ».
De
manière
plus
polémique
et
interprétative, cette charte nous apporte la
logique qui suit : l’homme a le droit à la
propriété (art.17). Il ne peut en aucun cas
être discriminé en raison de sa fortune ou
propriété (art. 2). Il a le droit de s’extraire
de ses responsabilités civiques s’il
n’enfreint pas les autres droits (art. 12). Il
a le droit de quitter la collectivité qu’il a
spoliée s’il en ressent le besoin (art. 13) et
aucun de ces droits n’est limitable d’une
quelconque façon (art. 30).
De ce point de vue, la DUDH ne respecte
que les droits de l’homme bourgeois et non
pas les droits des humains dans leur
ensemble, car, même si celle-ci invite les
gouvernants aux mesures sociales, elle
condamne les bases de leur mise en pratique
dans le monde réel.
« même si celle-ci invite les
gouvernants aux mesures
sociales, elle condamne les
bases de leur mise en
pratique dans le monde réel »
LES LIMITES FONDAMENTALES
DU DROIT LIBÉRAL
Le problème que contiennent ces chartes de
droits est que la notion de « propriété » n’est
pas définie et englobe tout ce qui rentre dans le
domaine de la propriété du monde capitaliste.
De la paire de souliers aux puits de pétrole en
passant par les moyens de communication. Il
est pourtant évident qu’il y a une différence de
nature entre la valeur d’usage et la valeur
d’échange d’une propriété. L’une est dédiée à
l’individu et l’autre à la société. C’est donc de
manière tout à fait arbitraire que l’on postule
un droit de propriété absolu sans même tenir
compte de l’effet social que cette possession
peut engendrer sur la condition de vie des
autres. Il est donc inexact de prétendre que
l’évolution du féodalisme au capitalisme en
termes de droit humain serait une grande
avancée pour l’ensemble du peuple. Le
despotisme de droit divin et la propriété
foncière ne sont pas plus juste que le droit de
propriété tout court, si celle-ci impose un
contrôle tout aussi despotique sur la vie des
citoyens dans les faits. Car ne l’oublions pas,
il n’y a nul choix pour le salarié de s’extraire
de sa condition si celui-ci n’est pas
possesseur de ses propres moyens
d’existence. Alors, de choix il n’est nulle
question et le despotisme envers les pauvres
n’est en rien dépassé dans cette société de
droit bourgeois.
CONCLUSION
La seule façon d’en finir une fois pour toutes
avec l’asservissement et de mettre en place
un droit réellement humain est de
circonscrire le droit de propriété à sa nature
d’usage et d’inscrire le « devoir » comme
élément constitutif du droit, car de cette
façon nous officialisons sa contrepartie
nécessaire. Tout ce qui revient à la société
devra donc être socialisé afin de pouvoir
mettre en place les droits universels des
humains moins rêvés que concrets, soit ceux
qui vivent en société de manière
interdépendante. Le caractère social du
travail et de la production sera enfin en
phase avec sa nature et les droits de
l’homme seront enfin respectés.
« L e C I R F A e n t e n d c o n t r i b u e r a u d é c l o i s o n n e m e n t d e s e sp a c e s d e p r o d u c t i o n d e l a p e n s é e p r o g r e s s i s t e e t d u
savoi r engagé. Son Cent re de reche rche Sta n ley Bréha ut Rye rson en co urage la re che rche académ ique e t
mil itan te en science s so ciale s et hu main es a u Canada/ Québe c. I l ten te de dyna mi ser les é cha nges ent re des
lieux in telle ctue ls de productio n et le s réal ités concrètes de s travail leurs et des be soi ns h uma ins essen tiel s. »
centreinternationalisterfa.org
ÉVÉNEMENTS
14
VENTE DE LIVRES USAGÉS À L'UQAM!
Le 15 et le 16 novembre prochains aura lieu la
traditionnelle vente de livres usagés organisée
par Étudiant-es socialistes UQAM . Il s'agit de notre
activité de financement principale. Les fonds amassés servent
principalement
à financer le
fonctionnement
du
comité,
ainsi que nos
projets au courant de l'année. Venez encourager
les activités du comité socialiste de l'UQAM et
profiter par la même occasion d’une aubaine !
L a ve n t e a u r a l i e u à l ' a g o r a de l ' U Q A M
( p a v i l l o n J u d i t h - J a s m i n ) . 4 0 5 r u e Sa i n t e Catherine est. Métro Berri-UQAM.
CAMPAGNE
15
LES GRANDS
PATRONS VONTILS REFILER LA
FACTURE D’UNE
HAUSSE DE
SALAIRE AUX
CONSOMMATEURS ?
Il est plus tentant pour
un patron de hausser
ses prix que de couper
dans
ses
profits.
Lorsque cela se produit,
la hausse des coûts
n’est ni immédiate ni
brutale.
En 1999, une étude
effectuée aux ÉtatsUnis a révélé qu’une
augmentation de 1$ au
salaire minimum des
employés de McDonald ajouterait 0,02$ au
coût d’un hamburger. Dans certains magasins
Walmart, l’augmentation du salaire minimum des
employés à 12,50$ ne s’est pas répercutée sur
les prix. Si cette hausse avait été transmise
aux consommateurs, le coût d’une séance
de magasinage aurait augmenté de 1,1%.
LA HAUSSE DU SALAIRE
MINIMUM À
15$/H
15PLUS.ORG
Y AURA-T-IL UNE
AUGMENTATION DES COÛTS
DES BIENS ET DES SERVICES ?
L’augmentation des salaires a un impact
minime sur le coût des biens et des
services. Pourtant, on entend la menace
d’une flambée immédiate et brutale des
prix chaque fois qu’il est question de
hausser le salaire des employés au bas de
l’échelle.
La hausse du coût des matières
premières, comme le pétrole, ou celle du
coût des produits importés a des impacts
beaucoup plus significatifs sur notre
pouvoir d’achat.
Par exemple, la hausse du prix des
aliments au Québec a été presque deux
fois plus élevée en 2015 que
l’augmentation du salaire moyen. Selon
le Food Institute, le prix du panier
d’épicerie risque d’augmenter de 350$ en
2016. Cela se produira même si aucune
hausse majeure de salaire n’est envisagée
dans le secteur de l’alimentation.
L’INFLATION NE VA-T-ELLE PAS
ANNULER LES EFFETS D’UNE
HAUSSE DE SALAIRE ?
Notre pouvoir d’achat est sans cesse
menacé par l’inflation (perte du pouvoir
d’achat de la monnaie canadienne), peu
importe si les salaires augmentent ou non.
En plus de se battre pour hausser le salaire
minimum, il est essentiel de réclamer son
indexation automatique au coût de la vie.
De cette manière, il est possible de
maintenir un pouvoir d’achat au-dessus du
seuil de pauvreté pour tout le monde.
LES BAS SALARIÉS NE SONTILS PAS DES ÉTUDIANTS QUI
TRAVAILLENT À TEMPS
PARTIEL POUR GAGNER DE
L’ARGENT DE POCHE ?
Selon l’ISQ, la moitié des employés au
salaire minimum travaillent à temps plein
et ne sont pas aux études. De ce nombre, le
2/3 a plus de 25 ans. La même proportion
est constituée de femmes et 10% ont plus
de 55 ans.
Pour ces personnes, le travail au salaire
minimum n’est pas une réalité passagère.
Elles dépendent de leur emploi pour
survivre. Chaque année, cette situation se
traduit par une augmentation des
demandes aux banques alimentaires
venant de ménages ayant au moins un
emploi. En 2014, il s’agit d’une demande
sur dix.
Les emplois faiblement rémunérés dans
le secteur de la restauration rapide, par
exemple, offrent peu de perspectives de
promotion ou d’avancement. La plupart
des employés à bas salaire ne sont pas en
mesure de se qualifier pour des emplois
mieux rémunérés.
POURQUOI NE PAS TERMINER
SES ÉTUDES AFIN DE SE
GARANTIR UN MEILLEUR
EMPLOI?
Ce qui est garanti pour la majorité des
étudiants, c’est s’endetter.
Les frais de scolarité élevés et la
diminution des bourses étudiantes
poussent 70 % des étudiants canadiens à
s’endetter. Les diplômés de 1er cycle
universitaire terminent leur formation
avec une dette moyenne de 14 000 $. La
plupart mettent 10 ans à rembourser leurs
dettes.
Le trois quarts des étudiants travaillent à
temps partiel durant l’année scolaire pour
subvenir à leurs besoins. Ceux et celles
qui travaillent au salaire minimum
doivent le faire deux fois plus longtemps
qu’il y a 40 ans pour payer leurs études.
De plus, les employés au salaire
minimum sont plus instruits que jamais.
L’IRIS signale que la moitié des bas
salariés qui ne sont pas aux études
possèdent
un
diplôme
d’études
postsecondaires.
MINIMUM
TOUT AUGMENTE SAUF NOS SALAIRES!
CAMPAGNE
18
UNE HAUSSE DU SALAIRE
MINIMUM ENTRAINERA-T-ELLE
DES PERTES D’EMPLOIS ?
LES COMPAGNIES NE
SERONT-ELLES PAS TENTÉES
DE DÉMÉNAGER AILLEURS ?
Starbucks, McDonald, Dollarama et la
majorité des autres grandes compagnies
affichent des profits records et versent de
généreux salaires et bonus à leurs PDG.
Les études concernant les récentes
augmentations du salaire minimum aux
États-Unis montrent que le scénario
catastrophe des pertes d’emplois ne s’est
pas réalisé.
Les grands patrons utilisent différentes
menaces pour contrer les hausses de
salaire : mécaniser la production pour
supprimer des emplois, engager des soustraitants ou encore déménager leurs
commerces.
En 2014, les 100 PDG les mieux
rémunérés du Canada ont gagné le salaire
moyen annuel d’un Canadien en une
journée et demie. Le PDG de CoucheTard, Alain Bouchard, gagne 2 320$/h
tandis que la plupart de ses employés
travaillent au salaire minimum.
Les pertes d’emplois massives des
dernières années n’ont pas été causées par
les bas salariés. Elles découlent des
répercussions de la crise économique de
2008 engendrée par les spéculateurs de
Wall Street et les politiques avides des
banques et des multinationales.
Chaque travailleur et travailleuse mérite
un salaire décent. Personne ne devrait
avoir à vivre dans la pauvreté en
travaillant à temps plein. Nos sociétés
n’ont jamais été aussi riches. Il n’y a
aucun doute qu’on a les moyens de
garantir un niveau de vie décent pour
tout le monde.
Près de 614 000 personnes sont sans
emploi ou sous employées au Québec, soit
14 % de la population active. Les
Canadiens n’ont jamais été aussi endettés.
Pour chaque dollar dépensé, ils doivent
1,63$.
LES ENTREPRISES PEUVENTELLES SE PERMETTRE DE
PAYER LEURS EMPLOYÉS
15$/H?
QU’EN EST-IL DES PETITES ET
MOYENNES ENTREPRISES
(PME) QUI NE PEUVENT PAS
SE PERMETTRE UNE HAUSSE
DU SALAIRE MINIMUM À
15$/H?
Les salariés de PME méritent aussi un
salaire décent. Les patrons de PME
pâtissent également de la compétition
impitoyable des grandes corporations.
Le gouvernement devrait taxer ces
grandes entreprises afin d’offrir des
subventions aux PME qui font la
démonstration, chiffre à l’appui, de leur
incapacité de payer leurs employés au
moins 15$/h. Une telle politique serait
plus avantageuse pour la majorité de la
population que les allégements fiscaux et
les milliards de dollars offerts en
cadeaux aux multinationales comme
Bombardier.
L’augmentation du salaire minimum
améliore le pouvoir d’achat des bas
salariés. Quand ces personnes peuvent
consommer davantage, l’économie locale
est stimulée. Au bout du compte, ces
hausses bénéficient aux PME.
Payer des centaines de milliers de
personnes aux moins 15$/h leur permettrait
de consommer davantage. Ces dépenses de
consommation ont un impact beaucoup
plus grand sur la croissance économique et
la création d’emplois que l’argent donné
aux multinationales et aux banques.
Cela dit, même si les travailleurs et les
travailleuses réussissent à obtenir des
augmentations de salaire, les entreprises
essaieront de récupérer cet argent par
d’autres moyens.
LES FAITS
Or, la plupart des employés à salaire
modique occupent des emplois qui sont
difficiles à délocaliser. Ces personnes
réalisent leur travail sur place : cuisine et
service de restauration, hôtellerie, caisse,
soins de santé, etc. Le marché d’un
Starbucks ou les résidents d’un centre
pour personnes âgées ne se trouvent pas
au milieu d’une zone franche, mais bel et
bien ici. La plupart des emplois pouvant
être délocalisés l’ont déjà été. C’est le
cas de ceux du secteur du textile, par
exemple.
En définitive, la seule manière d’arrêter
la dégradation de nos conditions de vie
consiste à lutter pour les améliorer,
autant ici qu’ailleurs.
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historique !
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salaire (salaire minimum ou presque) au
Québec.
Salaire minimum : 10,75$/h
(9,20$/h pour salariés aux pourboires)
Une personne qui travaille 40h/semaine à
10,55$ gagne un salaire 10 % inférieur
au seuil de faible revenu de
Statistique Canada (24 328$/an).
Source : Institut de la Statistique du Québec (ISQ), CNESST
Signez la pétition:
15plus.org/petition/
et aidez-nous à financer
la lutte pour le 15$/h!
INFORMATION
15plus.org
[email protected]
C.P. 32207,
succ. Saint-André,
Montréal, QC, H2L 4Y5
19
IDÉES REÇUES
LES COLS BLEUS DES MUNICIPALITÉS, DES GRAS DURS?
Les administrations municipales cherchent
continuellement à entretenir le mythe selon
lequel leurs employés sont des « gras durs ».
Cette stratégie vise à désolidariser la
population vis-à-vis des cols bleus et à miner
le rapport de force des syndicats,
notamment lors des négociations pour le
renouvellement des conventions collectives.
Un coup d'œil aux études sur la
rémunérations des cols bleus nous montre
que ce discours est soutenus par des
données erronées, voire volontairement
biaisées.
D
ans tout conflit de travail, on
assiste fréquemment à un conflit
de la part des partis patronal et
syndical. L'argumentaire patronal tourne
surtout sur une supposée lucidité de leur
part. L'entreprise n'a pas assez d'argent
pour
obtempérer
aux
demandes
«faramineuses»
des
syndicats
de
travailleurs. Pour répondre à cette
affirmation, soulignons que plusieurs
études ont démontré qu'avant une
négociation syndicale, les entreprises font
de la gestion de résultat en réduisant le
bénéfice inscrit dans les états financiers et
en intentionnellement manipulant les
chiffres comptables (par exemple, Liberty et
Zimmerman, 1986; Scott 1994; Mora et
Sabater, 2008). Bien sûr, elles ont engendré
de gros profits, mais sur papier, il n'en est
rien.
Il va de soi que les entreprises et
organisations gouvernementales utilisent
d'autres stratégies, par exemple comparer les
conditions salariales avec d'autres groupes
du «même secteur». Regarder le voisin, il
est moins payé que vous. Vous êtes donc des
gras durs. Cela signifie que vous gagnez trop
que nous répètes les riches patrons qui
pourtant leurs salaires ne cessent
d'augmenter. Le cas dont nous voulons
parler est celui des cols bleus de Montréal.
En effet, le Laboratoire d'études socioéconomiques de l'UQAM a récemment
publié une étude intitulée Analyse socioéconomique des conditions de travail des
cols bleus de Montréal Sont-ils si choyés
qu’on le prétend? : Un mythe à défaire. Un
mythe à défaire en effet. Plusieurs études
écrites par des institutions néolibérales ou
gouvernementales dressent un portrait très
peu fiable de la situation salariale des
employés municipaux de Montréal. La
légende de l'employé qui creuse un trou
alors que quatre autres employés
l'observent tranquillement est une image
véhiculée par les médias, mais qui en
réalité n’arrive pratiquement jamais.
LES DONNÉES DE L'ISQ
D'abord, discutons des analyses effectuées
à partir de documents de recherche de
l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).
ISQ semble conclure, selon plusieurs
experts, élus et chroniqueurs, que les
employés municipaux auraient un avantage
salarial de plus 38,6% comparativement
aux employés de la fonction publique
québécoise.
La
fonction
publique
québécoise subirait un retard salarial de
8,4% à comparer du secteur privé. En
faisant un lien boiteux, on arrive avec le
38,6% ajouté à 8,4% à un avantage salarial
de 47% des employés des villes si on les
compare à des travailleurs du privé.
L'employé d'une ville gagnerait un salaire
de 47% plus élevé que si son travail avait
été effectué par un travailleur du privé. Les
pauvres contribuables seraient victimes
dans cette histoire alors que le privé leur
permettrait d'économiser considérablement.
IDÉES REÇUES
Cependant, l’ISQ indique analyser que 14
emplois repères réservés aux ouvriers
(opérateur, machiniste, électricien, etc.)
alors qu’il y a plus de 191 postes nommés
dans la convention collective de la Ville
de Montréal. Plusieurs métiers ne sont pas
nommés, comme les éboueurs et les
plombiers, sans compter qu’on n’inclut
pas les employés de l'industrie de la
construction. En fin de compte, cela ne
vaut rien et même que l'ISQ arrive aux
mêmes conclusions. On pouvait, le 12 juin
2012, lire sur le site Internet de la chaîne
Argent : « Au niveau des emplois de la
construction, nos chiffres à nous, on est de
10 à 25% en retard sur les emplois de la
construction, a ajouté Marc Ranger. À
Montréal, juste récemment, on a essayé
d'embaucher des mécaniciens, des
fonctions
spécialisées
d'électro
techniciens. On n'est pas
capables de recruter le monde.
Pourquoi
on
n'est
pas
capables? Parce qu'ils s'en vont
dans le secteur de la
construction ». Le document
de l'ISQ n'a aucune valeur de
comparaison acceptable sans
inclure les employés de la
construction.
location et frais de transport. En somme, les
coûts du public s’expliquent surtout par
l'octroi de contrats de location. Il est évident
que ces coûts liés aux divers contrats
pourraient être moindres s'il y avait une
négociation plus serrée menée par un
organisme public indépendant des élus et
des hauts fonctionnaires. Il est étrange que
les coûts de location et les frais de transport
par métrage au public soient à 21,29$ au
métrage alors que le privé, ayant à subir les
mêmes coûts, vend ses services à 21,23$ au
métrage tout en assumant 21,29$ de coût en
location et frais de transport par métrage
(puisqu'on peut supposer que le privé doit
encourir les mêmes coûts de location et frais
de transport) sans compter les salaires et la
marge de profit. On devrait, selon nos
analyses, regarder du côté des hauts
fonctionnaires et les élus qui octroient des
vérificateur comptable. Il suffit d'analyser
les chiffres pour voir des irrégularités
frappantes. Par exemple, à Montréal entre
2010 et 2011, la charge d'avantages
sociaux moyenne par employé en
équivalent temps des avantages sociaux
des cols bleus à plus que triplée passant de
8 561$ en 2010 à 29 739$ en 2011. Autre
fait inusité, la ville de Châteauguay a
déclaré un salaire moyen identique pour
tout les groupes de travailleur soit les cols
bleus, les cols blancs, les cadres, les
contremaîtres et professionnels. Ils ont
tous gagné 100 191$ en 2013. Les chiffres
ne sont pas assez fiables pour tirer une
conclusion fiable.
« On devrait, selon nos analyses, regarder
du côté des hauts fonctionnaires et les
élus qui octroient des contrats trop
lucratifs aux firmes privées
au lieu de blâmer la
rémunération des cols bleus.
»
LES COLS BLEUS DE
MONTRÉAL EN
COMPARAISON DES
AUTRES GRANDES
VILLES
CANADIENNES
LES CALCULS DE
L'ADMINISTRATION
MUNICIPALE
Les villes utilisent aussi des
indicateurs de gestion (comme le coût par
porte de la collecte des déchets ou le coût
du déneigement par métrage) dans leurs
analyses. L'étude a eu accès à certains de
ces indicateurs via la loi d'accès à
l'information. Il y a encore des
irrégularités comme dans le cas du coût au
métrage du déneigement entre le privé et
le public. Selon les chiffres de la Ville de
Montréal, il en coûtait 28,80$ par métrage
au public contre 21,23$ par métrage au
privé pour le déneigement durant la
période 2013-2014. Les néolibéraux
pointeraient rapidement ici une preuve
irréfutable de l'efficacité du privé. N'en
déplaise à eux, il est important d'analyser
les chiffres de plus près. Il faut expliquer
pourquoi que seulement 26,1% des coûts
du public étaient attribuables au salaire
des employés municipaux. Le reste se
répartissait entre les nombreux contrats de
20
contrats trop lucratifs aux firmes privées au
lieu de blâmer la rémunération des cols
bleus. En plus, il faut, avant de tirer des
conclusions hâtives, tenir compte du fait que
ces calculs comprennent une bonne dose de
frais ventilés, estimés et budgétés qui font
alors appel à beaucoup de subjectivité.
LES DONNÉES
GOUVERNEMENTALES
Enfin, le Centre sur la productivité et la
prospérité de l'École des hautes études
commerciales de Montréal archive chaque
année un palmarès des municipalités du
Québec qui utilise des chiffres du Ministère
des Affaires municipales et de l’Occupation
du territoire (MAMOT). On compare alors
avec les 10 plus grandes villes du Québec.
Nous avons encore une fois décerné
quelques problématiques. D'abord, les
chiffres ne sont pas audités par un
Même si nous devrions
accepter comme fiable les
chiffres du MAMOT, le
Palmarès compare Montréal dans un
groupe des dix plus grandes villes, donc
aucun n’a des équipes professionnelles et
des métros. On ne déneige pas les rues de
Terrebonne comme on déneige les routes
montréalaises. Il faut la comparer à
d'autres
métropoles
canadiennes
(Montréal, Calgary, Toronto, Edmonton,
Ottawa et Vancouver) ce que nous avons
fait dans l'étude. Nous avons analysé le
taux horaire de plusieurs groupes de
métier. Les conventions collectives nous
donnant des chiffres plus fiables
puisqu’ils sont imposés par un contrat. On
évite ainsi des distorsions possibles.
Les conclusions indiquent que les
avantages sociaux découlant de régimes
de retraite et de vacances sont équivalents
entre les six grandes villes canadiennes.
21
Toutefois, une analyse du taux horaire
versé aux employés démontre un fort
avantage dans la plupart des autres grandes
villes canadiennes comparativement à
Montréal. Seule la Ville d’Ottawa, un taux
désavantageux
comparativement
à
Montréal. Nous avons comparé 15
groupes de métiers représentant 48,7 %
des postes inscrits dans la convention
collective des cols bleus de Montréal. Les
métiers rejetés furent ceux qui ne se
trouvaient pas dans
les autres conventions
collectives et des métiers
d’aide, d’apprenti et de
contremaître.
Nous
avons comparé les
taux horaires minimaux
et maximaux indiqués
dans les conventions
collectives et nous
avons observé que
Montréal a subi plusieurs
retards salariaux dans
plus de groupes de
métiers que les six
autres villes sauf pour les taux horaires
minimums de la Ville d’Ottawa.
Un exemple pour vous le démontrer, un
col bleu du groupe électricien/électronicien
à Montréal gagnait au maximum à peine
34,81 $ de l’heure contre 39,05 $ à
IDÉES REÇUES
Toronto, 40,79 $ à Vancouver, 41,60 $ à
Ottawa, 45,58 $ à Edmonton et 47,98 $ à
Calgary. Nous avons aussi refait les mêmes
calculs en incorporant cette fois le coût de la
vie ce qui a donné des résultats similaires.
Notre conclusion est que les salaires sont
généralement inférieurs, et non le contraire,
comparativement aux autres grandes villes
canadiennes, et ce, même en tenant compte
du coût de la vie, différent dans chacune des
grandes villes analysées.
sont trop payés. Tout le monde est trop
payé, sauf les grands patrons d'entreprises
qui font parfois plus de 200 fois plus que
l'employé moyen. Il est toutefois à se
demander véritablement si un employé
bien payé est une mauvaise chose. En
effet, une ville ayant des employés bien
payé génère une activité économique dont
les villes ont besoin. Une ville comme
Québec, dont les radios penchant très à
droite vantent souvent le dynamisme
économique, a une activité économique
performance grâce au salaire des
fonctionnaires bien payées. On sait très
que ce constat dont l'économiste John
Maynard Keynes avait observé ne plaît
guère aux ultralibéraux.
Pour lire l’étude, c’est ici :
www.lese.uqam.ca/pdf/rec_16_remunerat
ion_colsbleus.pdf
Liberty, S. E., & Zimmerman, J. L. (1986). Labor
union contract negotiations and accounting choices.
Accounting Review, 692-712.
CONCLUSION
Force est de constater que les employés
municipaux de Montréal ne sont pas des
gras durs. Bien sûr plusieurs diront que tous
les employés municipaux sont trop payés en
général, quelles que soient leurs villes. La
construction est mieux payée, mais eux aussi
Mora, A., et Sabater, A. (2008). Evidence of incomedecreasing earnings management
before
labour negotiations within firms. investigaciones
económicas, 32(2), 201230.
Scott, T. W. (1994). Incentives and disincentives for
financial disclosure: Voluntary disclosure
of
defined benefit pension plan information by
Canadian firms.
Accounting Review, 26-43.
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CULTURE
22
PROPHETS OF RAGE :
LA RAGE NE SUFFIT PAS
« Vocals not to soothe/ But to ignite and
put in flight/ My sense of militance »
Prophets of Rage mise sur le fait que sa
musique
réussira
à
soulever
l’indignation des masses partout en
Amérique du nord, puis dans le monde.
Cependant, l’indignation à elle seule ne
peut suffire pour changer le monde.
Comment doivent réagir les marxistes
face à cette volonté de faire rager le
99% ?
L
e groupe Prophets of Rage,
composé d’anciens membres de
Rage Against The Machine,
Cypress Hill et Public Enemy ont un
objectif assez louable : « Make America
Rage Again ». Dans le but de faire rager
les États-Unis contre la « machine » à
laquelle s’opposait Rage Against The
Machine, la « machine » de
l’impérialisme américain et de l’injustice du
capitalisme, le super-groupe a organisé une
tournée en Amérique du nord (laquelle
comportait un passage à Québec et à
Montréal) pour tenter de conscientiser et
d’agiter les masses. Tom Morello, guitariste
du groupe, a incité les spectateurs, durant le
spectacle à Québec, à « commencer dès
maintenant à agir contre les injustices »,
entre deux chansons abordant le sujet de
la prise du pouvoir par le peuple.
Néanmoins, si les intentions de Prophets
of Rage sont bonnes (qui oserait critiquer
CULTURE
23
la volonté d’agir contre les injustices),
l’agitation, la montée de la colère envers
la machine en place, ne suffit pas. La
nature vague des propos politiques du
groupe ne mène pas vers un engagement
de leurs fans envers un changement
radical de société, mais les mène vers une
colère qui peut trouver écho dans
n’importe quel discours politique. Le
discours antisystème n’est pas en soi
révolutionnaire : les libertariens, les
fascistes, les nationalistes et même les
partis bourgeois utilisent constamment
l’idée selon laquelle le système est pourri
pour justifier leurs mesures réactionnaires.
Ce
qui
constitue
une
position
révolutionnaire, c’est la volonté de
concrètement amener à une société autre,
socialiste.
IL NOUS FAUT UN BUT, PAS
SEULEMENT LA FORCE DE
L’ATTEINDRE
Au concert de Québec, les spectateurs
n’étaient majoritairement pas engagés
politiquement : outre quelques anarchistes
et quelques rares sympathisant-e-s des
idées socialistes, toutes les discussions
que j’ai entendues ou menées donnaient le
constat que le message de Prophets of
Rage est décalé du résultat qu’il produit
chez ses amateurs. Ceux-ci, bien que
convaincus qu’il y a
quelque chose d’intelligent
et de vrai dans les paroles
du groupe, ne sont qu’en
infime partie impliqués dans
des campagnes ou des
organisations politiques. Ce
n’est pas parce que les
paroles du groupe ne sont
pas assez explicites. Ce
n’est pas parce que les
membres ne sont pas
animés
d’une
volonté
révolutionnaire. Au contraire,
l’échec de Prophets of
Rage
quant
à
une
mobilisation politique de
gauche est due au fait
qu’ils ne proposent rien de
concret, d’accessible. Ils
scandent : « It has to start
somewhere. It has to start
sometime./ What better
place than here, what better time than now?
», mais ne disent pas ce qui,
matériellement,
empiriquement, doit
commencer maintenant.
POUR BATTRE LE FER CHAUD,
NOUS DEVONS AVOIR LE FEU
Évidemment, nous insurger contre le fait
qu’un groupe de musique n’ait pas une
bonne conduite révolutionnaire relèverait de
l’insignifiance. Par contre, il nous faut tirer
des conclusions de l’incapacité qu’a
Prophets of Rage à réellement
mobiliser ses fans. Si Prophets of
Rage ne peut faire qu’augmenter la
colère chez ses fans, il faut qu’une
entité canalise cette colère pour
éviter
de
la
perdre
dans
d’éventuelles actions futiles comme
le vandalisme ou le terrorisme
individuel. Il faut, en d’autres mots,
que le parti révolutionnaire tire
profit de cette incroyable capacité
qu’a l’art de Prophets of Rage, mais
aussi l’art en général, à indigner les
masses. Bien souvent, Killing In The
Name aura plus d’effet que de la
propagande communiste pour faire
s’insurger un-e travailleur-euse,
mais le parti a la capacité et le
devoir d’orienter l’insurrection de
manière constructive. Si des gens
peuvent être convaincus par la
musique qu’il faut Take The Power
Back, c’est néanmoins chez les
marxistes et dans leur parti que se
trouvent les instruments d’analyse qui
Le parti révolutionnaire se doit d’aller
chercher ce brasier que constitue la foule
éprise
des
groupes
à
tendance
révolutionnaire ou gauchiste. Il peut
parfois sembler ridicule de tenir un stand
devant un concert de nu metal, mais ce
sont là de très riches concentrations de
jeunes, de moins jeunes, d’étudiant-e-s, de
travailleur-euses, qui ressentent un besoin
de changement, qui demandent une
catharsis à leur colère face au système.
Aussi bien que ce soit le socialisme qui ait
cet aspect cathartique, plutôt que
n’importe quelle idéologie réactionnaire
pouvant combler ce vide. Au Parti
socialiste de lutte, en Belgique, les
membres vont parfois vendre des
autocollants dans des festivals de musique
électronique. A priori, rien ne fait le lien
entre marxisme révolutionnaire et
musique électro, hormis le fait que le vrai
marxisme révolutionnaire ne cherche pas
à rejoindre les ultragauchistes seulement,
mais bien toute la classe prolétaire. Avec
des événements comme des concerts de
Prophets of Rage, non seulement le parti
peut aller rejoindre les membres de notre
classe, mais en plus peut aller rejoindre
des éléments déjà convaincus d’une
nécessité de changement dans la société.
peuvent permettre d’effectivement prendre
le pouvoir.
ARGUMENTAIRE
24
ou d’une autre, et peut ainsi construire sa
conception de celle-ci à partir de ses
expériences empiriques ; de l’autre,
l’économie est un sujet d’une très grande
complexité, vu qu’elle mélange des
notions
de
mathématique,
de
communication, de psychologie et de
rationalité, entre autres, le tout sous-tendu
par un système de valeurs latent qui est
contingent à la réalité sociale, un
ensemble dont les supposées lois
naturelles sont difficilement vérifiables.
L’économie, après tout, est un jeu
d’individus qui agissent seuls ou forment
des groupes, pour des raisons différentes
et avec des niveaux d’efficacité variables.
Cependant, malgré sa complexité, c’est un
sujet qui concerne chacun-e d’entre nous,
car l'économie représente la distribution
des ressources dans la société, voire celle
de la richesse. Nous avons tous notre mot
à dire dans le fonctionnement d’un
système qui nous affecte tous.
MYTHES SUR LE
CAPITALISME
L'immuabilité supposée du capitalisme
reposerait sur ses vertus et supérieures
à tout autre système économique.
L'auteur décompose théoriquement ce
soi-disant système ultime et repose la
nécessité
d'une
alternative
:
le socialisme.
L
orsque nous discutons de l’économie,
que ce soit entre ami-e-s, collègues
de
travail
et
même
entre
académiques, il existe un paradoxe au
niveau de la connaissance de cette matière :
d’un côté, la forte majorité de la population
active
participe
quotidiennement
à
l’organisation de l’économie d’une manière
Pour cette raison, il est très important de
ne pas entretenir de fausses idées au sujet
de l’économie, ou plus spécifiquement de
ne pas prendre pour acquis des vérités
absolues qui nous empêchent de
reconnaître
la
complexité
et
l’imprévisibilité de l’homo economicus.
Depuis 250 ans, le système économique
dominant en Occident est celui du
capitalisme libéral, et ce mode de
fonctionnement s’est infiltré dans tous les
aspects de notre vie au point où l’on
oublie facilement qu’il s’agit d’une
évolution très récente à l’échelle
historique. Après deux siècles et demi,
nous avons appris à attribuer tout le
progrès de notre société à ce seul système,
faisant fi des autres facteurs ayant
contribué à notre développement. Ceci
étant dit, même les adversaires du
capitalisme reconnaissent la contribution
de celui-ci au progrès historique de
l’humanité : Pierre-Joseph Proudhon,
socialiste libertaire, notait que la
concentration de pouvoir était un
important moteur de développement
économique ; Karl Marx, grand auteur de
la théorie communiste, considérait que le
capitalisme était une étape douloureuse,
mais nécessaire, menant à l’avènement du
communisme. Chacun reconnaissait ainsi
deux
choses :
d’abord,
que
la
centralisation du pouvoir économique
25
ARGUMENTAIRE
pouvait engendrer des niveaux supérieurs
de croissance ; ensuite, que ce mode
d’organisation était destiné à être
temporaire, et que suite à cette période de
développement, les travailleurs devaient
reprendre possession de la richesse qu’ils
avaient eux-mêmes créées, établissant une
société socialiste. Ni l’un ni l’autre a fait
l’erreur d’entretenir des idées absolues et
intemporelles sur l’économie : face à cette
réalité fluctuante, ils ont cherché à
comprendre son histoire et de prédire son
avenir afin de s’orienter vers ce qu’il y
avait de plus souhaitable pour tous. Cette
démarche est la seule qui est sensée.
marchés : c’est plutôt une question de
l’organisation du marché dans son ensemble,
soit ses canaux de distribution, la qualité des
informations et leur accessibilité aux
offreurs et demandeurs, l’accès au crédit et
les barrières à l’entrée, entre autres. Selon
l’historien Fernand Braudel, le capitalisme
se différencie de l’économie de marché en
étant un système où le principal motif
derrière les échanges commerciaux n’est pas
de combler les besoins de tous, mais
d’assurer un profit au propriétaire. Nous
pourrions alors affirmer que le capitalisme
est véritablement en contradiction avec la
raison d’être d’un marché.
Nous devons donc tenter de défaire
certains mythes concernant l’actuel
système économique afin d’éclaircir le
débat sur notre avenir. Face à
l’accroissement des inégalités et aux
crises du capital, une remise en question
s’impose, et nous devons aborder les
fondements mêmes de notre mode de
fonctionnement si nous souhaitons
réellement identifier les sources de son
dysfonctionnement. Le texte qui suit
adressera certaines croyances sur
lesquelles sont fondés les arguments des
défenseurs du capitalisme.
À l’échelle individuel, il est souvent dit que
le capitalisme est un régime plus adapté à la
nature humaine que le socialisme.
L’incitation au travail du capitalisme se
manifeste de deux manières, soit l’instinct
de survie ou soit la soif de richesses. Dans le
ÉCONOMIE DE MARCHÉ ET
INCITATION AU TRAVAIL
Tout d’abord, il ne faut pas confondre
capitalisme et économie de marché,
quoiqu’il existe toujours des marchés dans
une économie capitaliste. L’économie de
marché est une évolution historique
suivant la vie matérielle primitive, où
chacun produit pour combler ses propres
besoins : grâce aux marchés, la division
du travail permet aux différents acteurs de
la société de se spécialiser afin de combler
à davantage de besoins en se rencontrant
librement pour échanger des biens et
services. Ce n’est pas strictement grâce à
la propriété privée des moyens de
production que les marchés peuvent
opérer : ce n’est pas le socialisme qui est
en contradiction avec l’économie de
marché, mais bien l’économie planifiée.
Rien n’empêcherait une entreprise sans
propriétaire de se spécialiser et d’échanger
ses biens et services sur le marché. La
propriété n’a plus ou moins rien à voir
avec l’efficience que l’on attribue aux
premier cas, la possibilité d’éliminer la
pauvreté absolue grâce à l’automatisation et
une quantité de plus en plus négligeable de
travail humain dans les secteurs d’économie
de subsistance rend cette incitation caduque.
Dans le deuxième cas, il s’agit d’encourager
l’égoïsme des seuls propriétaires du capital
tout en poussant les travailleurs à soumettre
le plus de travail possible aux besoins de
production de leurs patrons afin de toucher
une plus grande partie de la richesse qu’ils
ont pourtant eux-mêmes généré.
Inversement, nous supposons que le
socialisme est un régime où le
gouvernement redistribue gratuitement la
richesse à tous ses citoyens, ce qui
éliminerait l’incitation au travail. Or, cette
conception est fausse pour deux raisons :
premièrement, le socialisme n’est pas
simplement un système de redistribution
gratuite de la richesse, mais plutôt un régime
de propriété des moyens de production par
les ouvriers ; deuxièmement, nous savons
très bien que lorsque les gens ont la
possibilité de le faire, ils « travaillent »
déjà gratuitement, sans quoi ne nous
pourrions jamais expliquer pourquoi les
retraités profitent de leur temps libre pour
bâtir, jardiner, faire du bénévolat, c’est-àdire donner un sens à leur vie en œuvrant,
même si c’est sans salaire. Comment
Wikipedia aurait-il connu le jour si ce
n’était du travail gratuit de plusieurs
millions de personnes ? Comment
expliquer l’existence d’artistes, ces gens
qui sont le plus souvent sans aucune
rémunération, voire contraints de dépenser
afin de produire leur art ? Comment
expliquer les logiciels libristes, qui
n’appartiennent à personne, mais qui sont
améliorés à chaque jour ? Comment, en
fait, expliquer tout le progrès humain
précédant l’avènement du capitalisme?
Enfin, il faut reconnaître que même les
capitalistes les plus enrichis ne
cessent de travailler même
après
avoir
accumulé
suffisamment de revenu pour
vivre plus que décemment
pour le restant de leurs jours.
Les oisifs existeront toujours,
mais la nature humaine nous
incite à l’ouvrage sans besoin
pour un système qui nous
menace de mourir de faim si
l’on ne travaille pas pour
quelqu’un d’autre.
DÉMOCRATIE ET ÉTAT
Dire que le capitalisme promeut la
démocratie est un pur non-sens. Le
capitalisme et le socialisme n’ont absolument
rien à voir avec la hiérarchisation du pouvoir
politique, car ces deux modes d’organisation
définissent plutôt la hiérarchisation du
pouvoir économique. Mais encore, le
socialisme, par sa nature, encourage la
démocratie au sein de la société productrice
en distribuant la propriété des moyens de
production entre les ouvriers, ce qui nécessite
une forme d’organisation démocratique. Ce
n’est pas pour rien si les syndicats sont
organisés démocratiquement alors que le
patronat est organisé comme une aristocratie,
voire une oligarchie. Encore une fois, il y a
confusion entre capitalisme de libre- marché
ARGUMENTAIRE
et socialisme d’économie planifiée : le
capitalisme
n’est
pas
strictement
libertaire, et le socialisme n’est pas
strictement autoritaire ; cependant, si l’un
des régimes tend davantage vers la
démocratie, c’est clairement le socialisme,
par sa nature même.
Une autre idée fallacieuse au sujet du
capitalisme est que ce régime est en
opposition avec l’État, c’est-à-dire que «
moins d’État » permet « plus de
capitalisme ». En fait, le capitalisme et
l’État sont indissociables : seul un État
peut garantir le bon fonctionnement du
capitalisme à travers son monopole de la
violence et ses tribunaux, ce qui garantit
le respect de la propriété privé. Non
seulement l’État et le capitalisme sont-ils
indissociables en théorie, mais l’histoire
du capitalisme témoigne
d’un partenariat de fait
entre le classe politique et
celle des détenteurs des
moyens de production,
que ce soit via des
mesures protectionnistes,
des subventions, de la
collusion ou même les
industries de la guerre et
des prisons privées. Si les
défenseurs
du
libre
marché disent que ce
copinage État-entreprise est contraire à
l’idéal
capitaliste, nous pourrions
répliquer que le capitalisme de libre
marché est une de ces idées qui fonctionne
seulement en théorie...
CROISSANCE ET PAUVRETÉ
Lorsque nos politiciens pro-capitalistes
affirment que notre économie est en
croissance, il faut se garder de voir en cet
indicateur réducteur une mesure adéquate
de notre bien-être. Dès qu’il y a
croissance, on s’imagine qu’il y a eu
création de valeur, et qui dit valeur dit
bien-être : cependant, la valeur annoncée
par le PIB présente deux principaux
défauts. Tout d’abord, la valeur monétaire
de l’ensemble de la consommation, des
investissements
et
des
dépenses
gouvernementales
est
très
peu
représentative du bien-être engendré par
ceux-ci.
Pour
paraphraser
Robert
Kennedy, le PIB augmente à chaque fois
que nous construisons des bombes, que
nous déployons plus de forces d’ordre, que
nous nous médicamentons avec des drogues,
que nous payons de l’intérêt sur nos dettes ;
le PIB diminue à chaque fois que nous
décidons de faire la paix, de réduire la
surveillance policière, de prévenir plutôt que
de guérir, de pardonner la dette au lieu
d’encourager le crédit facile. Le deuxième
défaut du PIB est qu’il représente
l’économie dans son ensemble, en
négligeant de présenter la redistribution de
la richesse. Ainsi, tant que les plus riches
gagnent plus de richesse que les pauvres en
perdent, le PIB augmente. Le régime
capitaliste dépend sur une croissance
perpétuelle, peu importe la provenance de
cette croissance. Ainsi, il faut distinguer
entre amélioration du bien-être et croissance
économique : le lien de causalité entre les
deux est ténu.
26
défendre les intérêts des propriétaires
locaux contre l’arrivée de produits
étrangers. Smith n’était pas un défenseur
du capitalisme, mais d’une économie libre
et ouverte à tous. D’ailleurs, Karl Marx
lui-même considérait le capitalisme
comme étant un progrès par rapport à la
propriété privée des terres agricoles, qui
étaient souvent tragiquement sousutilisées par des producteurs totalement
inefficaces. Le capital doit circuler là où il
peut être employé le plus efficacement, et
la propriété privée de celui-ci contribue
seulement à cette circulation lorsqu’elle
garantit des profits pour le capitaliste.
Nous pouvons faire bien mieux que de
dépendre de la bonne volonté des
propriétaires, ou de tenter d’attirer leurs
investissements en sacrifiant de notre
souveraineté et de notre bien-être pour
leur garantir des profits.
CONCLUSION
Les capitalistes se féliciteront souvent
d’avoir fait reculer la pauvreté absolue dans
le monde. Encore une fois, il y a ici
confusion entre ce mode de propriété des
moyens de production et les autres
caractéristiques du système économique
actuel : ce n’est pas la propriété privée qui a
fait reculer la pauvreté absolue, mais bien le
libéralisme économique. En ouvrant les
frontières aux déplacements du capital, les
états pauvres du monde ont connu un certain
progrès marginal : plus de pain sur la table
peut très bien se traduire en plus de miettes
sur le plancher. Lorsque nous parlons de
libéralisme économique, nous faisons
souvent référence à Adam Smith, fondateur
de la science économique moderne. Or, cet
auteur, tragiquement mal cité, s’est montré
très critique du régime des producteurs. Il se
prononçait en faveur du libéralisme non
parce qu’il préconisait la conquête des
marchés étrangers par des capitalistes, mais
parce qu’il dénonçait les mesures
protectionnistes gouvernementales visant à
En conclusion, reprenons un mythe tenace
au sujet du capitalisme : selon ses
défenseurs, c’est le seul régime qui garantit
la liberté. Or, nous devons ici rappeler que
la liberté peut être conçu de deux
manières : la liberté négative, c’est-à-dire
l’absence de limite externe, la « liberté de »
; et la liberté positive, qui représente plutôt
une absence de limite interne, la « capacité
de ». La liberté négative est fondamentale
au bon fonctionnement du capitalisme, car
elle tend vers la non-intervention de l’État
afin de protéger le droit des riches d’user et
d’abuser de leurs capitaux au nom du seul
profit, et de s’approprier le travail des
autres sans entrave. Le socialisme tend vers
l’intervention de structures sociales afin de
redistribuer les capitaux afin de permettre à
tous de profiter de la richesse sociale, ce
qui constitue une forme de liberté positive.
Afin de vivre harmonieusement et de
donner à tous la chance de profiter de
l’immense richesse d’une société aussi
développée que la nôtre, il est clair qu’une
approche basée sur le développement de la
liberté positive est plus souhaitable que la
non-intervention auprès des acteurs les plus
puissants et égoïstes de la planète. Cessons
d’entretenir une foi aveugle en ce qui a été
une étape douloureuse de l’histoire
humaine, et amorçons une transition vers
un avenir meilleur.
STRATÉGIES
27
LUTTE DES CLASSES OU
LUTTE SYMBOLIQUE ?
La question de la stratégie et de la
tactique sont au cœur de toute action
politique. Contre la gentrification,
certains militant-e-s ont optés pour des
attaques ciblées sur des commerces de
quartiers gentrifiés. L'auteur remet en
question cette pratique en croissance.
L
e sujet fait polémique et les
occasions n’ont guère manqué ces
dernières années, car au moins 4 ou
5 fois par année à Montréal nous
apprenons qu’un commerce se fait
vandaliser en raison de cette question. J’ai
bien sûr eu l’occasion de polémiquer sur
le sujet à plusieurs reprises, mais je
n’avais jamais perçu ce débat autrement
que comme une erreur tactique due au
manque d'expérience de certains militants
trop épris de sensations fortes. Comme ces
polémiques ne me semblaient pas
particulièrement sérieuses et que celles-ci
sont presque exclusivement internes à la
gauche1, je n’ai jamais cru bon d’en faire
un article. Mais depuis la dernière « action
directe » à l’encontre de l’épicerie 3734
du quartier St-Henri2, j’ai commencé à
accepter l’idée que cette pratique devait
réellement être considérée par bien des
gens comme étant une bonne chose, car de
plus en plus soutenu par des textes3 se
voulant sérieux. Malgré le fait que ce genre
« d’action directe », en plus d’être nuisible
sur le plan de la politique traditionnelle4, soit
totalement erronée du point de vue de la
lutte des classes. Donc cette fois, je me dois
de m’incliner devant l’actualité et revenir
sur cette question qui me paraissait pourtant
si simple il y a à peine 10 ans, mais qui se
trouve à être aujourd’hui un vecteur de
confusion chez ceux qui cherchent à
s’attaquer à ce qui engendre l’injustice.
Mais d'abord, revenons aux faits. La lutte
contre la gentrification n’est pas vieille,
mais est tout de même le produit d’un
processus qui lui est visible depuis plusieurs
décennies. Pour faire court, disons que
plusieurs quartiers ont historiquement été
bâtis ou peuplés par les masses ouvrières
dans les périodes d’industrialisation (pour
Montréal, c’est surtout au court de la fin du
19e siècle). Ces secteurs pauvres, par
définition, étaient bâtis pour être clairement
distincts et séparés des secteurs bourgeois,
pour des raisons que vous connaissez sans
doute déjà. Après la Seconde Guerre
mondiale, l’occident tout entier connut une
croissance économique fulgurante (les
Trente Glorieuses), ce qui, avec le concours
d’une industrialisation accélérée, fit
émerger chez nous une nouvelle élite
francophone et une large classe moyenne.
Cette industrialisation donna le coup de
grâce au modèle de société rurale
ultramontaine et fit augmenter de
beaucoup la population urbaine, encore
majoritairement pauvre. Le centre-ville de
Montréal ayant à cette époque un très haut
[1] Toutes les tendances de droite sont
évidemment unies pour condamner ce genre
d’action.
[2] http://ici.radiocanada.ca/regions/montreal/2015/05/25/002quartier-saint-henri-vague-vandalismeembourgeoisement-anarchistes.shtml
[3] https://ricochet.media/fr/1193/le-saucissierdu-coin-de-la-rue
[4] Rares sont les citoyens de ces quartiers et de
l’ensemble de la population qui approuvent ce
genre d’action, même si certains en
comprennent les motivations et aucun parti de
gauche ne s’en revendique. Ces actions ont donc
comme seul effet de donner du grain à moudre
aux démagogues réactionnaires et faire bifurquer
les débats centraux, vers ce genre d’évènements.
STRATÉGIES
niveau de criminalité5, c’est surtout les
banlieues qui profitèrent de l’essor de ces
années de croissance.
C’est donc à partir de
la
génération
suivante6
que ce
retour en ville de gens
plus ou moins aisés
fût initié.De manière
modeste, il est vrai,
ces
nouveaux
arrivants souhaitaient
d’abord profiter de la
baisse
de
la
criminalité et des bas
loyers, afin de se
placer près du centreville, où les emplois
avaient tendance à se
centraliser7. On doit
aussi ajouter à ces
considérations que les
divers paliers de
gouvernement ont mis
en place plusieurs
plans de réaménagement urbain pendant
les années 80, afin d’inciter de potentiels
nouveaux arrivants8 pour ainsi profiter des
taxes que cet exode des banlieues et des
régions pouvait engendrer.
C’est surtout à la fin des années 90 que ce
que l’on
appelle aujourd’hui «
l’embourgeoisement
des
quartiers
populaires » se fit le plus sentir, avec la
troisième génération : les Y. Cette
génération reconnue pour sa tendance
artistique, son ouverture sur le monde et
son côté passablement bohème fût le socle
de ce que les Français, et nous par la suite,
appellerons les « bobos », ou « bourgeois
bohèmes ». Cette nouvelle classe sociale,
sans être vraiment bourgeoise au sens
strict du mot9, est par contre friande du
mode de vie urbain, de culture, des
produits du terroir et d’écologie. C'est
pourquoi les commerces du genre épicerie
fine,
produits
équitables
et
boutiques/restaurants/bars
thématiques
et/ou artistiques ont émergé de cette
population même, au cours des années
2000. Enfin, le terme de « bobo »,
d'ailleurs issu du vocabulaire de l’extrême
droite française10, définirait des citoyens
qui se veulent engagés socialement, mais
qui ne voudraient pas trop sacrifier de leur
confort et qui donc se limitaient aux
éléments
surtout
esthétiques
(et
28
consommables) du progressisme. Ce terme,
comme
vous
l’avez
compris,
est
qu’occasionnent le « libre marché » et le
néolibéralisme.
évidemment péjoratif et a surtout pour
objectif (pour la gauche) d’afficher le mépris
des militants de terrain envers la « petite
bourgeoisie11 urbaine ». Les fameux «
young urban professionals » diront certains.
Or,
il
est
pourtant
notablement facile à intégrer
que la concurrence entre
multinationales est un mythe
aussi « rationnel » que la
résurrection du Christ ! Cette
collaboration entre les divers
acteurs
du
capitalisme
engendre ce que Lénine
dénonçait déjà en 191612,
soit les cartels et les
monopoles
industriels.
Groupes multiples, mais, à
l’instar
des
leurs
homologues
du
crime
organisé,
capables
de
s’entendre sur les prix et les
pratiques commerciales. Ces
cartels ayant de longue date
colonisé
les
centres
commerciaux, les jeunes
entrepreneurs sont contraints
la plupart du temps13 aux commerces de «
niches ». Soit le commerce dont les
produits ont une survaleur non
économique, comme le
Évidemment, l’espace de ces quartiers étant
limités et le libre marché étant de rigueur
dans notre civilisation néolibérale, les
premiers quartiers embourgeoisés ont vite
débordé sur les autres et de fil en aiguille,
les quartiers défavorisés ont vite fait place
aux quartiers « branchés » et les prix des
loyers ont de ce fait explosé en peu de
temps. Sauf exception de quelques îlots
majoritairement composés de personnes
issues de l’immigration, qui ne tarderont
probablement pas non plus à suivre cette
tendance. Évidemment, il y a encore peu de
temps, il ne venait à personne de la gauche
radicale de blâmer les « bobos » pour ces
conséquences indirectes et même qu’il était
reconnu que la base sociale de cette
population était l’une des composantes de
cette gauche radicale. À cette récente
époque, la gentrification était surtout
associée
à
une
conséquence
du
néolibéralisme,
qui
réfute
toutes
organisations sociales et qui devait être
combattu comme telle. Mais par un étrange
processus, certains militants en sont
aujourd’hui venus à blâmer les petits
commerces de ces quartiers, comme
principale source de l’effet pervers
[5] Dû pour une bonne part à l’augmentation de la
population de jeunes, la hausse de la richesse
générale (autrement dit, des magots), ainsi qu’à
l’effondrement de l’influence de l’Église.
http://classiques.uqac.ca/contemporains/cusson_mau
rice/cycles_criminalite_securite/cycles_criminalite_s
ecurite_texte.html#cycles_criminalite_2_3
[6] La génération X pour faire simple.
[7] Les années 80-90 se caractérisent par un déclin
de l’industrie des secteurs premiers des régions,
d’une hausse du prix de l’essence et d’un centralisme
métropolitain issu des mécaniques de la nouvelle
mondialisation économique, qui culminera avec
l’ALÉNA.
[8] Immigrants d’autre pays comme d’autre région
ou de ville.
[9] Cette classe est souvent issue du salariat des
services gouvernementaux (hôpital, école, fonction
publique, etc.) et du haut tertiaire (sièges sociaux,
gestion, publicité, technologie, etc.) et non pas des
propriétaires de moyen de production.
[10] D’abord utilisé par le philosophe Michel
Clouscard dans les années 70, le terme fût repris par
Alain Soral dans les années 90, puis popularisé dans
le langage de l’extrême droite dans les années 2000.
[11] J’emploie ce terme ici au sens que ces militants
l’utilisent et non dans son sens exact.
[12] L'impérialisme, stade suprême du capitalisme
[13] Exception faite des nouvelles technologies.
29
commerce
équitable,
écologique,
biologique et de luxe. De cette façon, les
commerçants peuvent utiliser l’éthique
(dans le cas des produits équitables, bio,
etc.) des habitants du quartier pour
concurrencer les grandes bannières. C’est
d’ailleurs l’un des points d’attraction
qu’ont ces quartiers chez cette classe «
bobo », comme je l’ai déjà mentionné. Et
ceci, sans compter que ce type de pratique
commerciale était depuis longtemps
pratiquée par communauté issue de
l’immigration avant d’être imitée par ces
populations.
En plus du commerce, il y a de plus en
plus de condos dans ces centres. Et là, on
nage en terrain un peu plus connu, car la
lutte contre la gentrification était
auparavant centrée sur cette question.
Mais comme pour le commerce, les
habitations de ce type suivent les
demandes de cette nouvelle population,
car pour un grand nombre de ces Y, les
logements locatifs sont perçus avec raison
comme de l’usure. C’est pourquoi un
grand nombre d’entre eux sont amenés à
quitter leur ancien logement locatif (dont
l’entretien est souvent négligé afin d’en
augmenter les profits) pour aller se
trouver un endroit dont la responsabilité
leur revient. C’est d’ailleurs de cette façon
que les quartiers avoisinants se font
coloniser par cette population. Soit en
quittant un logement souvent trop cher,
pour emménager dans un condo dans un
quartier moins cher (ce qui contribue
évidemment à en augmenter le coût
global). Comme pour le commerce, c’est
souvent en passant par des pratiques
responsables sur le plan individuel que les
effets gentrificateurs se font le plus sentir
et il n’est guère pertinent de juger les gens
qui font ces choix, car, sauf à vouloir
attendre le grand soir de la révolution
sociale, ceux-ci ne peuvent choisir
qu’entre ces deux types d’habitations. Les
logements sociaux étant bien évidemment
réservés aux familles les plus pauvres.
À partir de maintenant, le décor est planté
et il nous est déjà possible de voir ce qui
cloche dans « l’action directe » de nos
militants anti-embourgeoisement. Selon
les dires de leurs défenseurs, il ne serait
pas question de nier la bonne conscience
progressiste des acteurs de ce problème,
mais de leur faire comprendre (par des
STRATÉGIES
actes bien peu diplomatiques) qu’ils rendent
la vie impossible aux premiers habitants (les
pauvres) de par leurs trains de vie
sardanapalesque (bio, équitable, etc.).
D’après Fred Burrill14 il ne serait pas non
plus question de justifier la présence des
multinationales, mais de simplement
reconnaître qu’ils offrent les produits dont
les pauvres auraient besoin (McDonald,
Dollorama, Insta-Chèques, dépanneurs à
bière, prêteurs sur gages, tavernes à machine
à sous, etc.). Pour les logements,
l’argumentaire est passablement le même,
soit ne pas vanter le système locatif
classique, même si tacitement soutenu, tout
en réclamant des logements sociaux, car
l’accès aux condos ne serait pas
envisageable pour cette population.
La première chose que l’on note dans cette
rhétorique, c’est que malgré son « ni-ni »15,
il y a quand même des effets qui se
démarquent clairement en faveur de l’une
des parties, car ceux qui en font les frais sont
bien sûr les plus faibles des deux. Il est,
comme vous savez, beaucoup plus facile de
s’attaquer aux petits commerces et aux
habitations que de faire grand tort aux
franchises de multinationales et aux rentiers
du logement des beaux quartiers. Ensuite,
ces attaques se veulent surtout «
symboliques » et, de ce fait, visent les
commerces ayant surtout une « apparence
bourgeoise » et ceci sans vraiment tenir
compte de ce que signifie le concept de «
bourgeoisie ».
Ces commerces «
d’apparence bourgeoise » sont, comme nous
l’avons vu, basés sur la survaleur non
économique pour exister, mais comme ils ne
sont pas le fruit d’un choix véritable, mais
d’une nécessité issue du
cadre
économique néolibéral actuel, et que, de
surcroît, il soit basé sur des offres de
consommation se voulant généralement
plus responsables16. Il est difficile de ne
pas y voir un support objectif au
commerce le plus immonde qui existe,
soit le commerce de la pauvreté. Car, si
cette industrie offre, il est vrai, des
produits
de
consommation
plus
abordables aux « consommateurs pauvres
», celle-ci le fait bien évidemment sur le
dos des « travailleurs pauvres », qui (sans
parler des esclaves du tiers monde) sont
bien souvent la même personne !
Car le commerce de la pauvreté est un
cercle vicieux où le travailleur pauvre et le
consommateur pauvre sont souvent le
même, mais où le second (par
schizophrénie sociale) ne respecte pas
l’intérêt de classe du premier. Donc
répudier le commerce « bobo » est une
façon
de
valoriser
l’intérêt
du
consommateur pauvre au détriment de son
intérêt de classe, en tant que travailleur
pauvre. Car le niveau de retombée
économique de ce genre de commerce est
incontestablement supérieur d’avec celui
[14] http://ici.radio-canada.ca/audio-video/media7536637/violences-anti-embourgeoisement-danssaint-henri
[15] Ni l’un ni l’autre.
[16] Il est vrai que le commerce équitable n’est pas
toujours si équitable, mais une grande partie des
produits locaux le sont incontestablement.
STRATÉGIES
des Walmarts, Dollorama, etc17. Par
ailleurs, il n’est pas ici question de
prétendre,
comme
le
font
les
néopoujadistes, qu’il y aurait une
différence de nature entre petit et grand
commerce et qu’il faille revenir aux petits
commerces d’antan pour plus de justice.
Mais de démontrer que de combattre le
petit commerce de niche revient à montrer
que l’on ne comprend pas du tout le
monde dans lequel on vit et donc que l’on
n’est aucunement en mesure de se battre
pour l’améliorer concrètement. Comme
vous le savez surement déjà, les
multinationales ont depuis longtemps
compris que leur intérêt était de séparer
l’égoïsme du consommateur de son intérêt
de classe en tant que travailleur(se), car le
premier est le pire ennemi du second.
Mais de voir des militants se revendiquant
de l’anticapitalisme ne pas voir cette
évidence, relève de l’exploit ! Et je ne
parle pas de toute la vanité avec lequel ces
analystes du dimanche vantent leurs
analyses
«
macroéconomiques
»
uniquement composées de consommateurs
et de marchandises !
Encore une fois, je ne prétends pas que le
petit commerce serait la voie du socialisme,
mais bien de souligner que le petit
commerce engendre beaucoup plus de
retombées à l’ensemble du peuple (et donc
des plus pauvres) que toutes ces grandes
bannières qui appauvrissent le peuple tout en
s’en nourrissant. Il est donc absurde de
croire que de combattre le commerce de
niche (souvent local et écologique), en
évoquant le pouvoir d’achat des classes les
plus
défavorisées,
quand
celles-ci
engendrent objectivement plus de richesse et
d’emploi que les grandes chaînes. De plus, il
est patent de voir que toute cette question
évacue le problème central qu’est la
question du revenu ! Car c’est précisément
la logique d’optimisation du capital
variable18 qui engendre la pauvreté extrême
et non pas le prix des objets de
consommation. De ce point de vue, il est
certes
pertinent
de
dénoncer
l’embourgeoisement artificiel des grandes
villes par les politiciens et les entrepreneurs,
mais pas au prix d’un irresponsable combat
contre la basse classe moyenne. La seule
chose utile à faire (hors de la politique et de
la révolution, qui n’est pas à l’ordre du jour),
si l’on tient à cœur l’intérêt des classes
pauvres, est de lutter pour l’augmentation
30
des salaires19 (et/ou le salaire minimum à
vie20), l’augmentation des services
sociaux ainsi que tous autres types de
pression contre les mesures d’austérité. Et
ceci, tout en revendiquant plus de
logements sociaux, comme le fait le
FRAPPU depuis longtemps. En dehors de
ces actions concrètes, la guerre au
capitalisme reste le point fixe de notre
horizon. Mais de se laisser aller vainement
à une lutte de classe factice entre sousprolétariats et classe moyenne urbaine,
autrement-dit entre ceux qui peuvent se
payer des saucisses bio ou pas, relève
d’un confusionnisme tout à fait détestable.
[17] Via une interprétation plus réaliste du principe
libéral du « ruissellement des richesses ».
[18] L’on doit mettre de côté la question des
personnes assistées sociales, qui sont une autre
question.
[19] Comme dans le cas de la très pertinente
campagne de 15plus.org
[20]
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