RÉFLEXIONS SOCIALISTES REVUE DU COMITÉ ÉTUDIANT-E-S SOCIALISTES UQAM – ESUQAM.COM – #5 ÉTÉ-AUTOMNE 2016 – 3$ DIRECTIONS SYNDICALES ET TRAVAILLEURS-EUSES, MÊME COMBAT? MYTHES SUR LE CAPITALISME PROPHETS OF RAGE : LA RAGE NE SUFFIT PAS SOMMAIRE 2 ÉDITORIAL LE TRAVAIL POLITIQUE DES SOCIALISTES P.3 ANALYSE DIRECTIONS SYNDICALES ET TRAVAILLEURS-EUSES, MÊME COMBAT? P.5 THÉORIE PETITE CRITIQUE DU DROIT BOURGEOIS P.10 é CAMPAGNE 15PLUS P.15 IDÉES REÇUES LES COLS BLEUS DES MUNICIPALITÉS, DES GRAS DURS ? P.19 CULTURE PROPHETS OF RAGE : LA RAGE NE SUFFIT PAS ARGUMENTAIRE MYTHES SUR LE CAPITALISME P.22 P.24 STRATÉGIE LUTTE DES CLASSES OU LUTTE SYMBOLIQUE ? P.27 LE COMITÉ ÉTUDIANT-ES SOCIALISTES UQAM L e comité Étudiant-es socialistes UQAM est une organisation démocratique gérée par des étudiants et des étudiantes qui se battent pour une société socialiste. Le comité a pour but de diffuser le discours socialiste et de militer pour défendre les intérêts des jeunes et des travailleureuses. La variété de nos activités fait d’ES UQAM le comité le plus dynamique du genre au Québec. Nous travaillons sur plusieurs projets dont la publication d’une revue, Réflexions socialistes, et de brochures, l’organisation de conférences, la réalisation de murales hommages aux figures socialistes marquantes de Montréal, la vente de livres usagés et l’organisation d’action politiques. La collaboration des étudiant-es et des non étudiantes est indispensable à la vie du comité. C’est pourquoi nous vous invitons à vous impliquer dans nos projets ou à apporter vos idées. Pour plus d’information, nous vous invitons à suivre notre page Facebook/Twitter et notre site web esuqam.com. Pour toute question vous pouvez nous rencontrer à notre local au DS-3217 et nous contacter à [email protected]. CAMPAGNE 15PLUS Étudiant-es socialistes UQAM endosse officiellement la campagne 15plus.org. Cette campagne a pour objectifs d’augmenter le salaire minimum à 15$/h comme première étape pour l’indexation des salaires au coût de la vie pour tous. Il s’agit du grand mouvement pour l’amélioration des conditions de vie de millions de travailleurs-euses en Amérique du Nord depuis des décennies. Plusieurs campagnes pour l’augmentation du salaire minimum ont réussi aux États-Unis à faire augmenter le salaire minimum dans des villes ou États. Enjoignons le pas et mobilisons-nous! AIDEZ-NOUS À FAIRE VIVRE LA CAMPAGNE 15+ ! CONTRIBUEZ À AMÉLIORER VOS CONDITIONS DE VIE! 15plus.org – [email protected] CRÉDITS COORDINATION : GRAPHISME : COLLABORATION : ISBN : 978-2-9816273-0-8 ÉDITORIAL 3 LE TRAVAIL POLITIQUE DES SOCIALISTES un premier bilan de cette trahison (Directions syndicales et travailleurs-euses, même combat?) ayant mené à une entente à rabais. Les différents articles de nos camarades viennent aussi apporter un important outillage théorique en remettant en cause le discours dominant, notamment sur les conditions des cols bleus de Montréal (Les cols bleus des municipalités, des gras durs?), sur le capitalisme comme stade ultime (Mythes sur le capitalisme) et sur le droit libéral (Petite critique du droit bourgeois). L'année qui s'achève cet automne a donné de multiples exemples de l'implication des militants socialistes. La campagne pour l'augmentation du salaire minimum a pris un essor fulgurant par rapport à l'an passé et le débat s'est plus d'une fois transporté à l'Assemblée nationale et au gouvernement. Les liens avec les groupes de pression, communautaires, politiques et syndicaux, se sont raffermis et l'on peut prévoir un automne chaud sur le sujet du 15$/h. On ne peut passer à côté de la campagne à l'investiture du parti démocrate de l'autre côté de la frontière : un socialiste aurait pu briguer la présidentielle ?! Malgré l'échec de la campagne de Bernie Sanders et le fait qu'il a trahi sa base en appuyant Clinton, on a pu voir un regain d'intérêt pour le socialisme. Socialist Alternative US a d'ailleurs tenté de former un mouvement autour de la base de Bernie Sanders afin de mobiliser la grogne anti-establishment. Malgré son échec, ce travail politique mené par des socialistes a tenté de pousser Bernie Sanders en dehors du parti démocrate et de constituer les premières bases d'un parti du 99%. Ces événements ne manqueront pas d'alimenter les rangs des socialistes et pourraient constituer une première étape à la formation d'une véritable force révolutionnaire aux États-Unis. Dans le mouvement syndical on a pu voir un reflux provoqué par l'affaissement de la mobilisation des membres syndiqués du secteur public. Alors qu'en novembre on voyait l'établissement d'un rapport de force monstre contre le gouvernement, les directions syndicales ont appuyé sur le frein, craignant perdre le contrôle sur leurs syndicats locaux. Dans ce numéro, un militant socialiste du front commun nous dresse Les questions de stratégies sont aussi relevées dans une analyse de la lutte anti-embourgeoisement à Montréal. Il est important d'apporter une perspective socialiste aux pratiques en cours. Et la suite ? Le travail de formation de militants socialistes est une tâche longue et ardue. Étudiant-es Socialistes se veut le premier outil pour les militants progressistes et socialistes à l'UQAM. Construire une organisation combative et implantée dans les milieux passe par l'implication des membres de ces mêmes milieux. C'est pourquoi nous vous invitons à vous informer sur notre comité et de la manière dont vous pouvez apporter vos projets et expériences. Sur cet appel à la mobilisation, je vous souhaite une bonne lecture et une bonne rentrée. ANALYSE 5 DIRECTIONS SYNDICALES ET TRAVAILLEURS-EUSES, MÊME COMBAT? Après le front commun de l'automne dernier, un bilan s'impose. Dans cet article, l'auteur propose une première ébauche. « Je ne crois plus au mouvement syndical, mais je crois encore au mouvement ouvrier. » Robert Valiquette, Pâtissier et délégué du SECHUM. L ’automne 2015 a été marqué par une mobilisation impressionnante des travailleurs-euses du système public partout au Québec et a ainsi détrompé ceux et celles qui croyaient le mouvement syndical mort. Alors pourquoi encore rentrer la tête basse? Comment les dirigeant-e-s syndicaux peuvent-ils, à peine sauver les meubles d’une maison en feu et en être « fiers1 »? En décembre 2014, les dirigeant-e-s du Front commun trouvaient qu’une augmentation de 3% sur cinq ans et la retraite à 62 ans étaient des offres « arrogantes, méprisantes et insultantes2 ». Un an plus tard, 5,25% sur cinq ans devient un « gain significatif3 ». De plus, ils s’aventurent sur une pente très glissante en reculant sur la retraite, alors que notre fond est pleinement capitalisé. Cela nous amène à devoir poser des questions qui, au nom de l’unité du mouvement, ont été mises de côté depuis trop longtemps. La lutte des travailleurs-euses du système public qui se construit depuis plus d’un an est un éloquent témoignage du divorce entre les directions syndicales et les membres, mais également entre les directions syndicales et la classe ouvrière dans son ensemble. Trois éléments témoignent de cela : le refus des directions de faire un débat sur l’adoption possible d’une loi spéciale, le décalage entre les objectifs de la grève pour les directions et pour les travailleurs-euses, ainsi que sur la façon dont ces journées de grèves ont été menées. Un mouvement de cette ampleur n’arrive pas souvent. Nous devons impérativement en tirer les conclusions qui s’imposent et proposer les mesures nécessaires pour les éviter à l’avenir. [1] « Le Front commun présente avec satisfaction l’entente de principe », TVA Nouvelles, 20 décembre 2015, [En ligne] http://www.tvanouvelles.ca/2015/12/20/le-frontcommun-presente-le-contenu-de-lentente-deprincipe [2] « Des offres arrogantes, insultantes et méprisantes », Infos-Négo # 1, 16 décembre 2014, [En ligne] http://frontcommun.org/materiel/infonego-1-offres-arrogantes-meprisantes-insultantes/ [3] « Le Front commun fait des gains significatifs pour les travailleuses et les travailleurs du secteur public », CSN-Secteur public, 20 décembre 2015, [En ligne] http://entrenosmains.org/project/negociations-dusecteur-public-le-front-commun-fait-des-gainssignificatifs-pour-les-travailleuses-et-les-travailleursdu-secteur-public/ ANALYSE LOI SPÉCIALE : « NOUS NE SOMMES PAS RENDUS LÀ » même pas fait un débat préalable sur le sujet. Avant même la fin de notre convention collective, les militants-e-s de la base ont exigé rapidement une réponse des directions advenant une loi spéciale lors des négociations à venir. Peu importe l’instance syndicale où la question fut posée, la réponse était « nous ne sommes pas rendus là ». La même réponse nous fut servie sous différentes moutures pendant plus d’un an. GAGNER L’OPINION PUBLIQUE OU FAIRE PLIER LE GOUVERNEMENT? Pourtant, la question est tout sauf saugrenue. Lorsque nous mobilisions les travailleurs-euses, bien souvent le premier commentaire était « ça donne quoi, ils vont nous décréter? ». Dès 2013, le texte de Martin Petitclerc et Martin Robert sur la récurrence de l’adoption des lois spéciales dans les négociations du secteur public était bien connu des milieux militants4. Nous ne comptons plus le nombre d’articles et de conférences sur le sujet. Toutes les centrales ont d’immenses services juridiques, et pas une n’a jugé pertinent de produire un document nous expliquant les conséquences d’une loi spéciale pour les différents secteurs et les moyens de la contourner. Surtout dans un contexte où la Cour suprême avait réaffirmé le droit de grève pour les employés du système public5. Il y a bien sûr eu plusieurs initiatives locales, mais sans les moyens de diffusion et l’expertise des centrales, ces informations ont uniquement circulé dans les cercles restreints. Il est impossible de défier une loi spéciale si nous n’avons Qu’est-ce qu’une grève? Une grève est d’abord une cessation de travail. C’est la conséquence d’un désaccord entre deux parties. Dans une entreprise privée, l’arrêt de travail est en soi une pression économique parce que la production s’arrête. Lors d’une grève dans les services publics, l’arrêt de travail ne va pas toujours de pair avec la pression économique. Nous donnons des services à la population, nous ne « produisons » pas. C’est particulièrement vrai dans le milieu de l’éducation et en santé. Il faut donc rajouter ce volet à la grève pour qu’elle soit efficace. La pression économique est le seul moyen pour faire reculer un patron. Et cet aspect fut totalement absent de la stratégie du Front commun. Depuis le début, toute la stratégie syndicale tournait autour de la visibilité. Les gens doivent nous voir, les journaux doivent parler de nous. Ce qui est le point de départ nécessaire à toute mobilisation d’envergure, mais rendu à la deuxième journée de grève régionale nous répétions exactement la même chose qu’à la première. Aucune gradation de moyens de pression n’était planifiée, nous avions l’impression de rejouer dans la même pièce de théâtre. Quand le gouvernement, depuis des semaines, durcit le ton, ce n’est pas le temps de mettre de l’eau dans son vin, surtout à un moment où les forces de l’ordre, ellesmêmes en moyen de pression, étaient plus 6 que tolérantes lors de nos actions et qu’un sondage donnait un appui de 51% aux syndicats6, du jamais vu. Pourquoi est-ce arrivé? N’est-ce pas tout simplement parce les travailleurs-euses et les directions syndicales n’ont pas fait la grève pour les mêmes raisons? C’est à dire, que l’objectif des uns n’était pas le même que l’objectif des autres. SAUVER LES MEUBLES OU VAINCRE? « On n’aime jamais présenter la préservation d’acquis comme un gain7 ». Voilà ce que déclarait le président de la FTQ Daniel Boyer. Premièrement, nous n’avons pas préservé grand-chose, mais plutôt empêché le gouvernement de nous gruger davantage, nuance. [4] Martin Petitclerc et Martin Robert, « La loi spéciale et son contexte historique. La désinvolture du gouvernement quant au droit de grève », Histoire engagée, 7 juillet 2013, [En ligne] http://histoireengagee.ca/?p=3388 [5] « La Cour suprême invalide la loi limitant le droit de grève des services essentiels », Ici RadioCanada, 30 janvier 2015, [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/regions/saskatchewan/2015/01/30/002services-essentiels-cour-surpemeinconstitutionnelle.shtml [6] « Un non ferme à l’austérité », Journal de Québec, 21 novembre 2015, [En ligne] http://www.journaldequebec.com/2015/11/21/unnon-ferme-a-lausterite [7] « Le Front commun fait des gains significatifs pour les travailleuses et les travailleurs du secteur public », CSN-Secteur public, 20 décembre 2015, [En ligne] http://entrenosmains.org/project/negociations-dusecteur-public-le-front-commun-fait-des-gainssignificatifs-pour-les-travailleuses-et-les-travailleursdu-secteur-public/ ANALYSE 7 L’ancien président de la CSQ, Réjean Parent, va plus loin. Le 4 janvier dernier, il déclarait que « plusieurs se réjouissaient de cette entente patronale-syndicale qui assurerait la paix dans les relations du travail pour les prochaines années entre les travailleurs de l’État et le gouvernement8». Je vous épargne ma réaction lorsque j’ai lu le mot « réjouissance ». Concentrons-nous sur l’élément le plus important : cette entente « assure la paix ». Quelle paix! Voit-il cette entente comme un traité de paix? Pour que cela soit vrai, il faut que les deux parties en litiges cessent les hostilités. Ce n’est pas le cas, le gouvernement libéral fonce toujours vers son principal objectif qui vise le démantèlement du système public. Chaque coupure dans le système public est un acte de guerre. Dans ces circonstances, renoncer au droit de grève est une reddition pure et simple. Ce qui est préservé dans cette entente, c’est la machine syndicale. Il faut se rendre à l’évidence, la lutte de classe existe également dans le mouvement syndical. (Au sens où les intérêts matériels d’un groupe social s’opposent aux intérêts matériels d’un autre.) Il est de plus en plus difficile de le nier, surtout lorsque ces mêmes directions nous présentent depuis plus de 10 ans des reculs comme des gains… LUTTER CONTRE L’AUSTÉRITÉ OU « POUR UN RÈGLEMENT NÉGOCIÉ » ? Le communiqué du Front commun du 8 novembre 2015 stipulait ceci : « les 400 000 travailleuses et travailleurs du secteur public membres du Front commun entameront dès demain une seconde série de grèves tournantes afin de parvenir à un règlement négocié9 ». Depuis le début, nous voyons ce genre de déclaration, sans trop y porter attention et pourtant tout est là. L’objectif pour les directions syndicales est d’éviter à tout prix une loi spéciale. Peu importe la qualité de l’entente, ils vont crier victoire si celle-ci est signée. Pour nous, l’objectif de la grève est une bonne convention collective et la défense de nos acquis. Pour l’aile gauche du mouvement, l’objectif est de stopper l’austérité. Si la logique de la direction est une entente négociée, la stratégie se comprend, mais si l’objectif est de stopper les attaques sur le système public et de gagner une amélioration de nos conditions de travail, alors là, la stratégie est perdante puisqu’elle brise un rapport de force au moment précis où celui-ci aurait dû se raffermir. C’est précisément ce que les directions ont fait à la mi-novembre. Le 17 novembre, Jacques Létourneau, président de la CSN, déclare que « le niveau de mobilisation est très fort. Je dirais même qu’il est historique. Je pense qu’on n’a pas vu ça depuis les années 1970 au Québec10». Le lendemain, la direction du Front commun reculait sur les demandes salariales et annonçait la suspension des trois journées de grèves nationales de décembre11, la même journée où Coiteux qualifiait les nouvelles demandes syndicales « d’inacceptables12 ». Tactique syndicale confuse qui a ébranlé la mobilisation des membres inutilement. Heureusement que la pression de la base a fait en sorte que nous réussissions à tenir au moins une journée de grève nationale le 9 décembre. Il y a eu, quelques mois auparavant, un autre bel exemple. Depuis 2012, plusieurs syndicats locaux de la CSN poussent pour une « grève sociale ». Cette question est revenue lors de nos négociations. La direction de la CSN tente de repousser la question le plus longtemps possible, mais est finalement au moins obligée, de prendre position, pour le début du mois de décembre. Plusieurs sont convaincus à l’époque que la lutte du Front commun sera déjà terminée, mais c’est mieux que rien. Heureusement, la lutte est loin d’être conclue au début du mois de décembre 2015, mais, alors que les organisateurs du conseil confédéral devaient y remettre un rapport sur la faisabilité d’une « grève sociale », celle-ci n’est même pas inscrite à l’ordre du jour. Nous attendons toujours ce rapport. [8] « Appeler au décret! », Journal de Montréal, 4 janvier 2016, [En ligne] http://www.journaldequebec.com/2015/11/21/unnon-ferme-a-lausterite [9] « Secteur public: 400 000 membres du Front commun en grève tournantes à compter de demain », Front commun 2015, 8 novembre 2015, [En ligne] http://frontcommun.org/communique/secteur-public400-000-membres-du-front-commun-en-grevetournantes-a-compter-de-demain/ [10] « Nouvelle manche entre le front commun et Québec », La Presse, 17 novembre 2015, [En ligne] http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politiquequebecoise/201511/17/01-4922049-nouvellemanche-entre-le-front-commun-et-quebec.php [11] « Front commun : pas de grève les 1er, 2 et 3 décembre », Ici Radio-Canada, 18 novembre 2015, [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/regions/quebec/2015/11/18/007-frontcommun-syndical-report-greve-decembre.shtml [12] « Négociations: «On est à des années-lumière de s’entendre», dit Coiteux », La Presse, 18 novembre 2015, [En ligne] http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politiquequebecoise/201511/18/01-4922240-negociations-onest-a-des-annees-lumiere-de-sentendre-ditcoiteux.php ANALYSE Nous voyons cette contradiction depuis longtemps : à mesure que la lutte s’amplifiait, les directions faisaient de plus en plus la distinction entre les négos et la lutte contre l’austérité. La contradiction est telle que, dans la même entrevue, la présidente de la CSQ recommandait la ratification de l’entente et la poursuite de la lutte contre l’austérité…13 Comme s’il était possible de stopper l’austérité sans grève, sans rapport de force. Ce que le mouvement syndical demandait, et demande encore, est un réinvestissement massif dans le système public. Comment convaincre un gouvernement qui fait le contraire? Il y a deux possibilités. Premièrement, une pression de la rue assez forte pour créer une situation intenable, ce qui implique une pression économique importante. La deuxième option est l’élection d’un nouveau gouvernement en faveur d’un réinvestissement. Il n’y a pas d’autre moyen, alors pourquoi les directions ne priorisent ni l’un ni l’autre? Les campagnes des directions syndicales ne sont pas orientées vers une gradation des moyens de pression ni vers une solution politique. Le but des directions semble davantage s’orienter vers des actions sans lendemains qui évacuent la pression de la base, plutôt que de construire un rapport de force qui fait mal. Ce n’est pas simplement en étant « vus et entendus » que nous allons gagner. Nous le savons, mais pour faire prendre au mouvement syndical une nouvelle direction, nous devons nous entendre entre nous avant, pour déterminer ensemble, les causes de la défaite et les façons concrètes de s’en sortir. POUR DES SYNDICATS DÉMOCRATIQUES ET COMBATIFS Plusieurs camarades ont perdu espoir dans le mouvement syndical. C’est normal. Mais il faut faire la distinction entre sa direction et les militant-e-s de la base. Ce n’est pas en « vidant » le mouvement ouvrier réel de ses éléments les plus combatifs que nous allons pouvoir briser la domination des directions syndicales conservatrices encore baignées dans le grand rêve de la concertation sociale. Nous avons des instances pour les contester, il faut le faire. Ça fait leur affaire que nous dépensions nos énergies dans d’autres projets, ne leur donnons pas ce plaisir-là. C’est justement parce que c’est long, difficile et frustrant, qu’il est important de le faire. Tourner le dos au mouvement syndical, sous prétexte que nous n’aimons pas les déclarations de ses dirigeant-e-s, c’est tourner le dos aux militant-es ouvriers les plus actifs. Le mouvement syndical n’est pas une structure statique, il reflète l’état et l’évolution du rapport de force et le niveau de conscience de classe à un moment donné. En d’autres termes, rejeter le mouvement syndical en bloc, sans nuance, c’est rejeter le mouvement réel de la classe ouvrière et donc refuser de mener le combat avec elle. Il faut voir toutes les organisations de masse de la classe ouvrière comme un champ de lutte de classe14. Un terrain de lutte comme un autre où il faut être. Les syndicats sont à nous, nous les finançons, défendons-les! 8 peut être atteint, mais celui à plus long terme, qui consiste à élargir la lutte par la consolidation et la formation de nouveaux militant-e-s par la pratique, pourtant cruciale pour le renouvellement du mouvement, ne l’est pas. Cette déresponsabilisation des travailleurseuses entraîne un effet pervers dans la perception que ceux-ont du syndicalisme. Combien de fois n’ai-je pas entendu « vous du syndicat… », comme si la solution à leurs problèmes était extérieure à eux-mêmes. Tant que cette perception sera généralisée, nous n’arriverons à rien. Le seul moyen de la casser passe par une prise en charge des problèmes quotidiens de la lutte syndicale par le plus grand nombre possible de travailleurs-euses. Comment faire cela? Par exemple, si un syndicat local organise une manifestation sur l’heure du midi pour dénoncer des licenciements abusifs. Qui assure le service d’ordre ? Les conseillers syndicaux. Ce sont des gens qui gagnent aisément deux fois notre salaire qui vont décider jusqu’où notre colère doit aller ? Pourquoi le syndicat local n’élirait-il pas un service d’ordre à même ses propres membres ? Cela permettrait de démontrer, entre autres, que l’organisation d’une action dépend de nous. … AU NIVEAU LOCAL Cette infantilisation des membres entraîne également une dépendance de chaque syndicat local envers ses directions spécifiques. Cela entraîne des situations où, sur le même plancher, deux délégués d’organisations différentes ne se connaissent même pas. Ce manque de coordination s’aggrave souvent davantage lorsqu’on parle de différents milieux de travail, parfois très proches géographiquement l’un de l’autre. Construire une solidarité intersyndicale à la base dans les quartiers et les milieux de travail par la création de comités d’action Cette remise en cause des directions syndicales passe d’abord par la mobilisation au niveau local. Lors d’une action, il ne faut pas simplement inviter les travailleurs-euses, il faut constamment solliciter leurs concours dans l’organisation du mouvement. Bien souvent nous sommes infantilisés, il faut être là, à telle heure et c’est tout. L’objectif à court terme qui est de réaliser une action [13] « La Centrale des syndicats du Québec promet de poursuivre la lutte contre l’austérité », Ici RadioCanada, 3 janvier 2016, [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/nouvelles/societe/2016/01/03/002centrale-syndicats-quebec-csq-lutte-austeriteentente-gouvernement.shtml [14] Louis GILL, Autopsie d’un mythe:Réflexions sur la pensée politique de Jean-Marc Piotte, Montréal, M Éditeur, 2015, p. 39. ANALYSE 9 est une étape nécessaire pour favoriser l’unité la plus large possible dans le mouvement ouvrier. Outil qui pourrait permettre tout d’abord un décloisonnement des luttes, tout en fédérant les militant-e-s les plus actifs d’un même milieu de travail ou d’un quartier pour nous permettre d’augmenter notre force de frappe. Mais nos frustrations envers les directions syndicales nationales ne doivent pas nous enfermer dans l’action locale non plus. La coordination au niveau national des syndicalistes les plus combatifs reste vitale. C’était l’idée d’Offensive syndicale, reprise par la suite par Lutte commune. … ET NATIONAL Pour l’instant, tout nous porte à croire que Lutte commune fait la même erreur qu’Offensive syndicale; celle de la phobie de la structure. Cette attitude est compréhensible. L’appareil syndical exerce un contrôle tellement serré sur le processus démocratique qu’il brise l’élan spontané. Les militant-e-s critiques de cela ont donc tendance à faire exactement l’inverse et ont une phobie des structures formelles et ne veulent exercer de leadership sous aucun prétexte. Le résultat est prévisible, ce qui pourrait être des foyers d’organisation, devient des cercles de discussions qui finissent par s’épuiser à force de tourner en rond. L’exemple le plus achevé de cette phobie de la structure fut l’initiative Printemps 2015, où personne n’était redevable à personne. Il a fini par être noyauté par les éléments les plus gauchistes, s’éloigner de la base et n’a eu pour seul mérite que de « brûler » le mouvement étudiant avant même que la lutte des travailleurs-euses du système public commence. La structure la plus antidémocratique au monde reste l’absence de structure. J’aime mieux un responsable élu, qu’un responsable qui ne l’est pas. De toute façon, ce n’est pas la structure du groupe qui mène à la bureaucratisation et à la collaboration de classe, mais sa composition sociale. Dans le mouvement syndical, le problème n’est pas qu’un exécutif détermine une ligne politique, mais que cette ligne soit déterminée par des gens qui gagnent autant que nos patrons. La solution ne passe pas par une valorisation de l’horizontalisme, mais par la promotion de l’auto-organisation de la base et sa construction consciente. Ce type d’opposition existe depuis longtemps. En Angleterre, il existe une longue tradition de shop stewards’ committee (comités de délégués). Par exemple, dans les grandes usines anglaises, il pouvait y avoir une dizaine de syndicats différents. Les travailleurs-euses ont donc décidé de s’organiser entre eux. Aujourd’hui, cette tradition se perpétue sous la forme du National Shop Steward Network (NSSN). L’objectif est de coaliser l’opposition du plancher à l’approche concertationiste des directions dans les instances. L’adhésion au NSSN est soit faite sur une base individuelle ou de groupe, plusieurs syndicats en sont membre, notamment, le National Union of Rail, Maritime and Transport Workers (RMT), le Public and Commercial Services Union (PCS), le National Union of Minesworkers (NUM), la Fire Brigades Union (FBU) et plusieurs autres. Aux États-Unis, l’une des expériences les plus proche du NSSS existe à l’intérieur d’une organisation syndicale. Le groupe Teamsters for a Democratic Union (TDU) fut créé pour briser l’influence de la mafia sur la direction du syndicat des Teamsters. Ils y sont parvenus par une lutte pour la démocratisation des structures et la valorisation de l’implication des membres de la base (rank-and-file unionism). Aujourd’hui, ceux-ci s’organisent démocratiquement comme tendance dans le syndicat et sont présentement très actifs dans la campagne pour remplacer le leadership syndical. Entre autres, ils présentent leurs propres candidats sur une liste commune. Ces deux organisations ont un leadership élu, révocable, qui partage les mêmes conditions de vie que la majorité des membres15. À mon sens, c’est vers ce type d’organisation que nous devons aller. Ce n’est que par la construction patiente d’un rapport de force à l’intérieur du mouvement syndical que nous pourrons briser la suffisance de certains dirigeant-es et ainsi redonner le goût à plusieurs de s’investir dans le mouvement syndical. Avant même d’avoir terminé la lecture de ce texte, certains apparatchiks du mouvement syndical vont sans doute crier à la « déloyauté » ou au « noyautage ». Profitons-en donc maintenant pour répondre à cette première critique. Le processus démocratique n’inclut pas uniquement le droit d’exprimer son désaccord, mais également celui de s’organiser et de proposer d’autres avenues. Ce qui implique d’avoir l’information pour l’assemblée avant que celle-ci commence… L’assemblée générale est souveraine, la loyauté du syndicaliste est là, uniquement là. [15] Contrairement au NSSN et à TDU, Labor Notes et Rank-and-file.ca n’ont pas de leardership élu, ce qui ne les empêche pas de faire un très bon boulot en terme d’analyse et de formation des militant-e-s, mais malheureusement ne sont pas démocratiques et ne peuvent conséquemment être un réel levier dans la lutte contre les directions syndicales. THÉORIE 10 PETITE CRITIQUE DU DROIT BOURGEOIS En retournant aux racines de la théorie libérale du droit, on aperçoit une sacralisation de la propriété privée, couplée avec une déconnexion de la réalité inégalitaire de la société. Une application progressiste des droits de l'homme nécessite une atteinte au droit de propriété. D ans son célèbre essai sur la « Métaphysique de mœurs (1785) », Emmanuel Kant prétendait que s’il : « doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu'il soit tel qu’[…] il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. […] agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »1 des gens en accepte les devoirs préalables qu’ils imposent. Ces quelques mots légèrement rhétoriques du vieux philosophe laissent tout de même entendre qu’une volonté réellement universelle de mener le genre humain là où il doit aller passe inévitablement par la mise en place de principes de vie « impératifs », « catégoriques » et « objectif », qui auront pour base pratique de servir le genre humain comme fin en soi. Ceci en évitant tout asservissement de l’autre a ses propres fins. Ces droits, qui dans la thématique qui nous intéresse aujourd’hui, sont ceux liés à la dignité humaine et qui, du fait que le droit ne peut être légitimement valable que s’il est universel, s’applique à tous sans considération. Ces droits, incarnation politique de l’impératif catégorique de l’homme comme fin en soi, ont d’abord été pensés dans la tradition politique classique sur une base simple, soit celui de « notre liberté s’arrête là où celui des autres commence ». Tout le combat du libéralisme politique contre le féodalisme et le despotisme de l’épopée des Lumières en a tiré sa ligne directrice. Rationalité, individualité & liberté en sont les synonymes et la démocratie et le droit en seraient la pratique concrète. Quoique l’application concrète de ces « impératifs catégoriques » soit d’abord de nature déontologique (moral), ces principes doivent aussi fatalement s’incarner dans le droit, car la déontologie est avant tout quelque chose que l’on s’impose à soimême, alors que la chose commune nous impose de tracer des lignes directrices dans les devoirs que l’on a envers ses semblables. Car il n’existe de droit, que si l’ensemble [1] http://www.acgrenoble.fr/PhiloSophie/logphil/textes/textesm/Kant 7.htm THÉORIE 11 Comme vous le savez pertinemment, l’idéal de justice, promu par le libéralisme et incarné principalement par les principes de l’égalité devant la loi et de la noningérence de l’État sur l’individu, a engendré une société certes libre sur le plan formel, mais dont l’impératif catégorique « des humains comme fin en soi » n’est en rien respecté. Et il ne serait pas saugrenu de prétendre que l’exploitation de l’homme par l’homme est l’un des fondements les plus profonds de la société capitaliste. Et le capitalisme est encore pour l’heure, le système économique préconisé par la grande majorité des penseurs libéraux. L'ANALYSE DE KARL MARX SUR LE DROIT LIBÉRAL Comme l’a fort justement dénoncé Karl Marx dans ses écrits de jeunesse2, le droit bourgeois (à l’époque représentée par Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la France révolutionnaire) a surtout eu pour fonction la protection de la propriété privée par une vision particulière de la liberté et de l’égalité. Ce droit, ici celui de la France de 1789, est fondé sur le principe d’homme comme monade isolé et dont la liberté fondamentale serait de s’extirper de sa communauté et de ses ingérences. Un peu comme si les citoyens d’une Nation seraient tous de petits « Robinsons » n’acceptant l’action de l’État que dans le cadre étroit de la défense de leurs intérêts personnels, mais sans autres dispositions. L’égalité entre les individus n’étant limitée que comme une égalité devant la loi, la responsabilité de tous face à ce qu’il serait souhaitable de définir comme la finalité des institutions humaines, s’en trouve outrageusement évacué. C’est en cela que Marx déclare que ces droits de l'homme et du citoyen « ne dépass[ent pas] l'homme égoïste […], c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L'homme est loin d'y être considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et de leur personne égoïste.»3 C’est donc ici la protection de la propriété privée qui justifie l’État et nullement la mise en place de l’universalité des droits de l’homme, malgré tous les grands principes que cette charte promeut. DROIT ET ÉGALITÉ ÉCONOMIQUE Mais qu’est-ce que seraient des droits humains qui seraient en phase avec le principe impératif du bien de l’homme comme fin en soi ? La réponse est tout simplement un système de droit dont l’objet premier serait de permettre aux individus de pouvoir orienter leur vie sans que la volonté de ceux-ci puisse limiter celles des autres. Et ces choix de vie, si particuliers aux individus, sous-entendent un « impératif catégorique » que notre société de droit libéral nous refuse, au nom de cette vision réduite des droits humains. Cet impératif est, vous le devinez, l’égalité économique4. Non pas une stricte égalité systématique, mais une égalité délimitée par les capacités et les besoins de tout un chacun. « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », comme le dit l’expression. L’égalité économique est un élément de la justice qui semble aller de soi dans une société soucieuse des droits de l’homme. Mais sur le bienfondé moral de cette intuition se braque le mur soi-disant rationnel du « juste » devant précéder le « bien ». Car pour un esprit libéral, l’idée du « bien » (autrement dit la morale) est un principe lié à l’individu, non pas à l’ensemble. Pour les penseurs libéraux, les « valeurs » n’ont rien de rationnelle et donc relèveraient de l’ordre du privé. L’État doit donc se camper dans le domaine du « juste », ce qui ne serait pas toujours le « bien » de première apparence, mais relèverait du « juste » sur le point de vue de l’équité. C’est dans ce cadre que l’inégalité économique est présentée. Comme un effet apparemment négatif de l’exercice de la liberté. Inversement, l’application du « bien » à priori qu’est l’égalité serait une entrave à la liberté. Ce qui, d’après eux, ne respectera pas les droits de l’homme. L’inégalité est donc théorisée comme la conséquence obligatoire de la pratique de la liberté dans les activités humaines et notamment sur le plan économique. Ainsi, remédier à cette situation reviendrait à privilégier une catégorie de la population que l’exercice de la liberté aurait mal servie. Une analogie qui pourrait être utilisée, afin d’illustrer cette affirmation, serait de donner un moteur aux coureurs les moins performants d’une course dont tous auraient volontairement choisi de participer. Autrement dit, cela reviendrait à fausser la nature « darwinienne » ou « compétitive » de la société en favorisant les médiocres au détriment des meilleurs. Évidemment, la vie des êtres humains n’a rien d’une course et les droits de ceux-ci ne dépendent pas de leurs capacités, mais bien de leur nature humaine, si l’on se remémore son principe de base. D’ailleurs, il est plus que contestable que l’inégalité économique soit la seule façon de valoriser l’excellence des individus. Enfin, pour mettre en perspective le droit libéral bourgeois d’un droit qui s’inscrirait vraiment dans la dynamique de l’homme comme fin en soi, il faut revenir sur une notion entre les droits, qui explique cet apparent désaccord entre ceux-ci, car il y a bien forfaiture dans les principes quelque part. DROITS ET DEVOIRS - DROIT NÉGATIF ET DROIT POSITIF Du moment où l’on évacue du droit son équivalent en devoir, il existe deux types de droit et ceux-ci provoquent souvent de la confusion. Le premier est ce que l’on appelle le « droit négatif » ou « droit naturel ». Ce droit est celui qui est le plus souligné chez les libéraux de toutes tendances et est celui qui impose à la collectivité la non-ingérence et de la nondiscrimination aux individus. Ce type de droit englobe l’ensemble de ce qui est jugé comme émanant des individus (via le contrat social) et non de la société. [2] La question juive, 1843 [3] La question juive, 1843 [4] Les questions liées aux statuts identitaires sont un autre domaine qui peut être mis de côté dans le cadre présent. THÉORIE Les exemples les plus communs sont la liberté d’expression, d’association, de participation dans les affaires publiques et les droits relatifs à la propriété de sa propre personne (contre l’esclavage notamment) et des produits du travail. Le second type de droit est le droit dit « positif » ou « droit social ». Ce droit est directement lié à ce que la société considérera comme une responsabilité envers ses citoyens. L’accessibilité générale à l’éducation, aux soins de santé et au logement en est un des exemples bien connus. Évidemment, ce genre de droit est plus souvent qu’autrement délimité par des considérations d’ordre économique (la capacité de payer) et par le fameux principe de « l’utilisateur payeurs ». Ce qui se constat rapidement entre ces types de droit, c’est que, du point de son application, le droit naturel n’est pas ou peu nécessitant des devoirs envers autrui, tandis que les droits sociaux impliquent minimalement un devoir de financement. En somme, le droit social et le droit naturel divergent sur ce principe que l'un est dicté par « les Hommes », et le second par la « nature humaine ». DROIT « NATUREL » ET DROIT DE PROPRIÉTÉ C’est ici que le dilemme survient, car l’épicentre du droit naturel est le droit de propriété5 et dans une société hyper industrielle comme l’est celle dans laquelle nous vivons et où tout ce qui peut l’être est déjà incorporé au principe de propriété, il est du domaine de l’abstraction pure que de prétendre que l’emprise du capital est contournable et relèverait d’un « choix » rationnel. Dans le monde capitaliste, tout est valeur, donc tout est argent. Tous les humains possèdent un certain « capital » de départ, car nous possédons naturellement un corps qui est en mesure de créer de la valeur, mais il s’adonne que d'autres, plus chanceux, héritent aussi parfois d’une accumulation de travail sous les formes varié du capital à la naissance ou plus tard dans leur vie. Ces gens, ont donc la chance, via le « contrat librement consentis » d’acheter la force de travail de ceux qui n’ont pas ou peu de capitaux, car 12 ceux-ci ont été en mesure de se procurer les outils de production nécessaire à la production de masse qu’impose la compétitivité du capitalisme moderne6. Or ce qui survient la plupart du temps est que le capital s’accumule plus rapidement chez ceux qui possèdent la production que pour ceux qui la produisent. Dès lors, le contrat librement consenti entre l’acheteur et le vendeur de la force de travail, l’est de facto sur le plan formel (légal), mais ne tient pas compte des éléments vitaux à la reproduction de la force de travail et du contexte social constitutif du choix du vendeur. Autrement dit, s’il y a 100 vendeurs de force de travail et 10 acheteurs et que c’est 100 vendeurs ont faim et que les 10 acheteurs sont patient, bien le rapport de force capital-travail est à l’avantage certain de l’acheteur. C’est le fameux principe de l’offre et de la demande qui donc engendre cette situation. Selon ce point de vue, il est donc évident que la liberté d’agir de ces vendeurs est compromise, non pas sur le plan légal, mais de manière économique et concrète. Voilà pourquoi l’égalité économique est un droit tout aussi naturel que le droit de propriété et qu’il doit être régi de telle sorte que le devoir de l’acheteur devrait minimalement être d’offrir un prix définit non pas par l’offre et la demande, mais par la société en fonction des besoins des travailleurs. Il est important de garder à l’esprit que le concept de « nature » chez l’humain, n’est pas lié aux considérations de l’époque du stade primitif des hommes, comme le prétendent certains penseurs du contrat, mais bien de ce qui relève de sa nature propre dans le temps. Et comme la nature des hommes change en même temps que leur condition de vie (car conditionnée par elle), il est donc normal de faire évoluer les droits selon les nécessités qu’impose notre stade de développement propre et non pas de le limiter sur les bases factices des robinsonnades pensées par imaginations déconnectées du réel. les DROITS DE L'HOMME ET DROIT DE PROPRIÉTÉ Mais c’est bien là que le problème se corse. Dès lors que les droits humains sont définis comme « naturels », déconnectée du devoir civique et centré sur la protection de la propriété privée, la mise en place de l’égalité est dénoncée comme étant une atteinte aux droits de l’homme. Et ceci bien sûr malgré que le respect de ces droits ne protège en rien les humains de l’exploitation éhontée que l’on constate tous les jours. Malgré son aspect social relativement avancé, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) comporte ce même problème, [5] Art. 17 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) [6] Ici, pour des fins de clarté, je néglige volontairement le domaine financier. THÉORIE 13 car l’article 17 précise bien que « toute personne […] a droit à la propriété » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ». De plus, l’article 2 nous précise que « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune (et notamment) […] de fortune ». Et pour ceux qui comprendraient pas encore le caractère « impératif » & « catégorique » de ce droit de propriété, il est inscrit dans l’article 30 qu’ « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés ». De manière plus polémique et interprétative, cette charte nous apporte la logique qui suit : l’homme a le droit à la propriété (art.17). Il ne peut en aucun cas être discriminé en raison de sa fortune ou propriété (art. 2). Il a le droit de s’extraire de ses responsabilités civiques s’il n’enfreint pas les autres droits (art. 12). Il a le droit de quitter la collectivité qu’il a spoliée s’il en ressent le besoin (art. 13) et aucun de ces droits n’est limitable d’une quelconque façon (art. 30). De ce point de vue, la DUDH ne respecte que les droits de l’homme bourgeois et non pas les droits des humains dans leur ensemble, car, même si celle-ci invite les gouvernants aux mesures sociales, elle condamne les bases de leur mise en pratique dans le monde réel. « même si celle-ci invite les gouvernants aux mesures sociales, elle condamne les bases de leur mise en pratique dans le monde réel » LES LIMITES FONDAMENTALES DU DROIT LIBÉRAL Le problème que contiennent ces chartes de droits est que la notion de « propriété » n’est pas définie et englobe tout ce qui rentre dans le domaine de la propriété du monde capitaliste. De la paire de souliers aux puits de pétrole en passant par les moyens de communication. Il est pourtant évident qu’il y a une différence de nature entre la valeur d’usage et la valeur d’échange d’une propriété. L’une est dédiée à l’individu et l’autre à la société. C’est donc de manière tout à fait arbitraire que l’on postule un droit de propriété absolu sans même tenir compte de l’effet social que cette possession peut engendrer sur la condition de vie des autres. Il est donc inexact de prétendre que l’évolution du féodalisme au capitalisme en termes de droit humain serait une grande avancée pour l’ensemble du peuple. Le despotisme de droit divin et la propriété foncière ne sont pas plus juste que le droit de propriété tout court, si celle-ci impose un contrôle tout aussi despotique sur la vie des citoyens dans les faits. Car ne l’oublions pas, il n’y a nul choix pour le salarié de s’extraire de sa condition si celui-ci n’est pas possesseur de ses propres moyens d’existence. Alors, de choix il n’est nulle question et le despotisme envers les pauvres n’est en rien dépassé dans cette société de droit bourgeois. CONCLUSION La seule façon d’en finir une fois pour toutes avec l’asservissement et de mettre en place un droit réellement humain est de circonscrire le droit de propriété à sa nature d’usage et d’inscrire le « devoir » comme élément constitutif du droit, car de cette façon nous officialisons sa contrepartie nécessaire. Tout ce qui revient à la société devra donc être socialisé afin de pouvoir mettre en place les droits universels des humains moins rêvés que concrets, soit ceux qui vivent en société de manière interdépendante. Le caractère social du travail et de la production sera enfin en phase avec sa nature et les droits de l’homme seront enfin respectés. « L e C I R F A e n t e n d c o n t r i b u e r a u d é c l o i s o n n e m e n t d e s e sp a c e s d e p r o d u c t i o n d e l a p e n s é e p r o g r e s s i s t e e t d u savoi r engagé. Son Cent re de reche rche Sta n ley Bréha ut Rye rson en co urage la re che rche académ ique e t mil itan te en science s so ciale s et hu main es a u Canada/ Québe c. I l ten te de dyna mi ser les é cha nges ent re des lieux in telle ctue ls de productio n et le s réal ités concrètes de s travail leurs et des be soi ns h uma ins essen tiel s. » centreinternationalisterfa.org ÉVÉNEMENTS 14 VENTE DE LIVRES USAGÉS À L'UQAM! Le 15 et le 16 novembre prochains aura lieu la traditionnelle vente de livres usagés organisée par Étudiant-es socialistes UQAM . Il s'agit de notre activité de financement principale. Les fonds amassés servent principalement à financer le fonctionnement du comité, ainsi que nos projets au courant de l'année. Venez encourager les activités du comité socialiste de l'UQAM et profiter par la même occasion d’une aubaine ! L a ve n t e a u r a l i e u à l ' a g o r a de l ' U Q A M ( p a v i l l o n J u d i t h - J a s m i n ) . 4 0 5 r u e Sa i n t e Catherine est. Métro Berri-UQAM. CAMPAGNE 15 LES GRANDS PATRONS VONTILS REFILER LA FACTURE D’UNE HAUSSE DE SALAIRE AUX CONSOMMATEURS ? Il est plus tentant pour un patron de hausser ses prix que de couper dans ses profits. Lorsque cela se produit, la hausse des coûts n’est ni immédiate ni brutale. En 1999, une étude effectuée aux ÉtatsUnis a révélé qu’une augmentation de 1$ au salaire minimum des employés de McDonald ajouterait 0,02$ au coût d’un hamburger. Dans certains magasins Walmart, l’augmentation du salaire minimum des employés à 12,50$ ne s’est pas répercutée sur les prix. Si cette hausse avait été transmise aux consommateurs, le coût d’une séance de magasinage aurait augmenté de 1,1%. LA HAUSSE DU SALAIRE MINIMUM À 15$/H 15PLUS.ORG Y AURA-T-IL UNE AUGMENTATION DES COÛTS DES BIENS ET DES SERVICES ? L’augmentation des salaires a un impact minime sur le coût des biens et des services. Pourtant, on entend la menace d’une flambée immédiate et brutale des prix chaque fois qu’il est question de hausser le salaire des employés au bas de l’échelle. La hausse du coût des matières premières, comme le pétrole, ou celle du coût des produits importés a des impacts beaucoup plus significatifs sur notre pouvoir d’achat. Par exemple, la hausse du prix des aliments au Québec a été presque deux fois plus élevée en 2015 que l’augmentation du salaire moyen. Selon le Food Institute, le prix du panier d’épicerie risque d’augmenter de 350$ en 2016. Cela se produira même si aucune hausse majeure de salaire n’est envisagée dans le secteur de l’alimentation. L’INFLATION NE VA-T-ELLE PAS ANNULER LES EFFETS D’UNE HAUSSE DE SALAIRE ? Notre pouvoir d’achat est sans cesse menacé par l’inflation (perte du pouvoir d’achat de la monnaie canadienne), peu importe si les salaires augmentent ou non. En plus de se battre pour hausser le salaire minimum, il est essentiel de réclamer son indexation automatique au coût de la vie. De cette manière, il est possible de maintenir un pouvoir d’achat au-dessus du seuil de pauvreté pour tout le monde. LES BAS SALARIÉS NE SONTILS PAS DES ÉTUDIANTS QUI TRAVAILLENT À TEMPS PARTIEL POUR GAGNER DE L’ARGENT DE POCHE ? Selon l’ISQ, la moitié des employés au salaire minimum travaillent à temps plein et ne sont pas aux études. De ce nombre, le 2/3 a plus de 25 ans. La même proportion est constituée de femmes et 10% ont plus de 55 ans. Pour ces personnes, le travail au salaire minimum n’est pas une réalité passagère. Elles dépendent de leur emploi pour survivre. Chaque année, cette situation se traduit par une augmentation des demandes aux banques alimentaires venant de ménages ayant au moins un emploi. En 2014, il s’agit d’une demande sur dix. Les emplois faiblement rémunérés dans le secteur de la restauration rapide, par exemple, offrent peu de perspectives de promotion ou d’avancement. La plupart des employés à bas salaire ne sont pas en mesure de se qualifier pour des emplois mieux rémunérés. POURQUOI NE PAS TERMINER SES ÉTUDES AFIN DE SE GARANTIR UN MEILLEUR EMPLOI? Ce qui est garanti pour la majorité des étudiants, c’est s’endetter. Les frais de scolarité élevés et la diminution des bourses étudiantes poussent 70 % des étudiants canadiens à s’endetter. Les diplômés de 1er cycle universitaire terminent leur formation avec une dette moyenne de 14 000 $. La plupart mettent 10 ans à rembourser leurs dettes. Le trois quarts des étudiants travaillent à temps partiel durant l’année scolaire pour subvenir à leurs besoins. Ceux et celles qui travaillent au salaire minimum doivent le faire deux fois plus longtemps qu’il y a 40 ans pour payer leurs études. De plus, les employés au salaire minimum sont plus instruits que jamais. L’IRIS signale que la moitié des bas salariés qui ne sont pas aux études possèdent un diplôme d’études postsecondaires. MINIMUM TOUT AUGMENTE SAUF NOS SALAIRES! CAMPAGNE 18 UNE HAUSSE DU SALAIRE MINIMUM ENTRAINERA-T-ELLE DES PERTES D’EMPLOIS ? LES COMPAGNIES NE SERONT-ELLES PAS TENTÉES DE DÉMÉNAGER AILLEURS ? Starbucks, McDonald, Dollarama et la majorité des autres grandes compagnies affichent des profits records et versent de généreux salaires et bonus à leurs PDG. Les études concernant les récentes augmentations du salaire minimum aux États-Unis montrent que le scénario catastrophe des pertes d’emplois ne s’est pas réalisé. Les grands patrons utilisent différentes menaces pour contrer les hausses de salaire : mécaniser la production pour supprimer des emplois, engager des soustraitants ou encore déménager leurs commerces. En 2014, les 100 PDG les mieux rémunérés du Canada ont gagné le salaire moyen annuel d’un Canadien en une journée et demie. Le PDG de CoucheTard, Alain Bouchard, gagne 2 320$/h tandis que la plupart de ses employés travaillent au salaire minimum. Les pertes d’emplois massives des dernières années n’ont pas été causées par les bas salariés. Elles découlent des répercussions de la crise économique de 2008 engendrée par les spéculateurs de Wall Street et les politiques avides des banques et des multinationales. Chaque travailleur et travailleuse mérite un salaire décent. Personne ne devrait avoir à vivre dans la pauvreté en travaillant à temps plein. Nos sociétés n’ont jamais été aussi riches. Il n’y a aucun doute qu’on a les moyens de garantir un niveau de vie décent pour tout le monde. Près de 614 000 personnes sont sans emploi ou sous employées au Québec, soit 14 % de la population active. Les Canadiens n’ont jamais été aussi endettés. Pour chaque dollar dépensé, ils doivent 1,63$. LES ENTREPRISES PEUVENTELLES SE PERMETTRE DE PAYER LEURS EMPLOYÉS 15$/H? QU’EN EST-IL DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (PME) QUI NE PEUVENT PAS SE PERMETTRE UNE HAUSSE DU SALAIRE MINIMUM À 15$/H? Les salariés de PME méritent aussi un salaire décent. Les patrons de PME pâtissent également de la compétition impitoyable des grandes corporations. Le gouvernement devrait taxer ces grandes entreprises afin d’offrir des subventions aux PME qui font la démonstration, chiffre à l’appui, de leur incapacité de payer leurs employés au moins 15$/h. Une telle politique serait plus avantageuse pour la majorité de la population que les allégements fiscaux et les milliards de dollars offerts en cadeaux aux multinationales comme Bombardier. L’augmentation du salaire minimum améliore le pouvoir d’achat des bas salariés. Quand ces personnes peuvent consommer davantage, l’économie locale est stimulée. Au bout du compte, ces hausses bénéficient aux PME. Payer des centaines de milliers de personnes aux moins 15$/h leur permettrait de consommer davantage. Ces dépenses de consommation ont un impact beaucoup plus grand sur la croissance économique et la création d’emplois que l’argent donné aux multinationales et aux banques. Cela dit, même si les travailleurs et les travailleuses réussissent à obtenir des augmentations de salaire, les entreprises essaieront de récupérer cet argent par d’autres moyens. LES FAITS Or, la plupart des employés à salaire modique occupent des emplois qui sont difficiles à délocaliser. Ces personnes réalisent leur travail sur place : cuisine et service de restauration, hôtellerie, caisse, soins de santé, etc. Le marché d’un Starbucks ou les résidents d’un centre pour personnes âgées ne se trouvent pas au milieu d’une zone franche, mais bel et bien ici. La plupart des emplois pouvant être délocalisés l’ont déjà été. C’est le cas de ceux du secteur du textile, par exemple. En définitive, la seule manière d’arrêter la dégradation de nos conditions de vie consiste à lutter pour les améliorer, autant ici qu’ailleurs. IMPLIQUEZ-VOUS ! Nous avons besoin de votre implication. Contactez-nous pour rejoindre cette campagne historique ! Plus de 450 000 personnes gagnent un bas salaire (salaire minimum ou presque) au Québec. Salaire minimum : 10,75$/h (9,20$/h pour salariés aux pourboires) Une personne qui travaille 40h/semaine à 10,55$ gagne un salaire 10 % inférieur au seuil de faible revenu de Statistique Canada (24 328$/an). Source : Institut de la Statistique du Québec (ISQ), CNESST Signez la pétition: 15plus.org/petition/ et aidez-nous à financer la lutte pour le 15$/h! INFORMATION 15plus.org [email protected] C.P. 32207, succ. Saint-André, Montréal, QC, H2L 4Y5 19 IDÉES REÇUES LES COLS BLEUS DES MUNICIPALITÉS, DES GRAS DURS? Les administrations municipales cherchent continuellement à entretenir le mythe selon lequel leurs employés sont des « gras durs ». Cette stratégie vise à désolidariser la population vis-à-vis des cols bleus et à miner le rapport de force des syndicats, notamment lors des négociations pour le renouvellement des conventions collectives. Un coup d'œil aux études sur la rémunérations des cols bleus nous montre que ce discours est soutenus par des données erronées, voire volontairement biaisées. D ans tout conflit de travail, on assiste fréquemment à un conflit de la part des partis patronal et syndical. L'argumentaire patronal tourne surtout sur une supposée lucidité de leur part. L'entreprise n'a pas assez d'argent pour obtempérer aux demandes «faramineuses» des syndicats de travailleurs. Pour répondre à cette affirmation, soulignons que plusieurs études ont démontré qu'avant une négociation syndicale, les entreprises font de la gestion de résultat en réduisant le bénéfice inscrit dans les états financiers et en intentionnellement manipulant les chiffres comptables (par exemple, Liberty et Zimmerman, 1986; Scott 1994; Mora et Sabater, 2008). Bien sûr, elles ont engendré de gros profits, mais sur papier, il n'en est rien. Il va de soi que les entreprises et organisations gouvernementales utilisent d'autres stratégies, par exemple comparer les conditions salariales avec d'autres groupes du «même secteur». Regarder le voisin, il est moins payé que vous. Vous êtes donc des gras durs. Cela signifie que vous gagnez trop que nous répètes les riches patrons qui pourtant leurs salaires ne cessent d'augmenter. Le cas dont nous voulons parler est celui des cols bleus de Montréal. En effet, le Laboratoire d'études socioéconomiques de l'UQAM a récemment publié une étude intitulée Analyse socioéconomique des conditions de travail des cols bleus de Montréal Sont-ils si choyés qu’on le prétend? : Un mythe à défaire. Un mythe à défaire en effet. Plusieurs études écrites par des institutions néolibérales ou gouvernementales dressent un portrait très peu fiable de la situation salariale des employés municipaux de Montréal. La légende de l'employé qui creuse un trou alors que quatre autres employés l'observent tranquillement est une image véhiculée par les médias, mais qui en réalité n’arrive pratiquement jamais. LES DONNÉES DE L'ISQ D'abord, discutons des analyses effectuées à partir de documents de recherche de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ). ISQ semble conclure, selon plusieurs experts, élus et chroniqueurs, que les employés municipaux auraient un avantage salarial de plus 38,6% comparativement aux employés de la fonction publique québécoise. La fonction publique québécoise subirait un retard salarial de 8,4% à comparer du secteur privé. En faisant un lien boiteux, on arrive avec le 38,6% ajouté à 8,4% à un avantage salarial de 47% des employés des villes si on les compare à des travailleurs du privé. L'employé d'une ville gagnerait un salaire de 47% plus élevé que si son travail avait été effectué par un travailleur du privé. Les pauvres contribuables seraient victimes dans cette histoire alors que le privé leur permettrait d'économiser considérablement. IDÉES REÇUES Cependant, l’ISQ indique analyser que 14 emplois repères réservés aux ouvriers (opérateur, machiniste, électricien, etc.) alors qu’il y a plus de 191 postes nommés dans la convention collective de la Ville de Montréal. Plusieurs métiers ne sont pas nommés, comme les éboueurs et les plombiers, sans compter qu’on n’inclut pas les employés de l'industrie de la construction. En fin de compte, cela ne vaut rien et même que l'ISQ arrive aux mêmes conclusions. On pouvait, le 12 juin 2012, lire sur le site Internet de la chaîne Argent : « Au niveau des emplois de la construction, nos chiffres à nous, on est de 10 à 25% en retard sur les emplois de la construction, a ajouté Marc Ranger. À Montréal, juste récemment, on a essayé d'embaucher des mécaniciens, des fonctions spécialisées d'électro techniciens. On n'est pas capables de recruter le monde. Pourquoi on n'est pas capables? Parce qu'ils s'en vont dans le secteur de la construction ». Le document de l'ISQ n'a aucune valeur de comparaison acceptable sans inclure les employés de la construction. location et frais de transport. En somme, les coûts du public s’expliquent surtout par l'octroi de contrats de location. Il est évident que ces coûts liés aux divers contrats pourraient être moindres s'il y avait une négociation plus serrée menée par un organisme public indépendant des élus et des hauts fonctionnaires. Il est étrange que les coûts de location et les frais de transport par métrage au public soient à 21,29$ au métrage alors que le privé, ayant à subir les mêmes coûts, vend ses services à 21,23$ au métrage tout en assumant 21,29$ de coût en location et frais de transport par métrage (puisqu'on peut supposer que le privé doit encourir les mêmes coûts de location et frais de transport) sans compter les salaires et la marge de profit. On devrait, selon nos analyses, regarder du côté des hauts fonctionnaires et les élus qui octroient des vérificateur comptable. Il suffit d'analyser les chiffres pour voir des irrégularités frappantes. Par exemple, à Montréal entre 2010 et 2011, la charge d'avantages sociaux moyenne par employé en équivalent temps des avantages sociaux des cols bleus à plus que triplée passant de 8 561$ en 2010 à 29 739$ en 2011. Autre fait inusité, la ville de Châteauguay a déclaré un salaire moyen identique pour tout les groupes de travailleur soit les cols bleus, les cols blancs, les cadres, les contremaîtres et professionnels. Ils ont tous gagné 100 191$ en 2013. Les chiffres ne sont pas assez fiables pour tirer une conclusion fiable. « On devrait, selon nos analyses, regarder du côté des hauts fonctionnaires et les élus qui octroient des contrats trop lucratifs aux firmes privées au lieu de blâmer la rémunération des cols bleus. » LES COLS BLEUS DE MONTRÉAL EN COMPARAISON DES AUTRES GRANDES VILLES CANADIENNES LES CALCULS DE L'ADMINISTRATION MUNICIPALE Les villes utilisent aussi des indicateurs de gestion (comme le coût par porte de la collecte des déchets ou le coût du déneigement par métrage) dans leurs analyses. L'étude a eu accès à certains de ces indicateurs via la loi d'accès à l'information. Il y a encore des irrégularités comme dans le cas du coût au métrage du déneigement entre le privé et le public. Selon les chiffres de la Ville de Montréal, il en coûtait 28,80$ par métrage au public contre 21,23$ par métrage au privé pour le déneigement durant la période 2013-2014. Les néolibéraux pointeraient rapidement ici une preuve irréfutable de l'efficacité du privé. N'en déplaise à eux, il est important d'analyser les chiffres de plus près. Il faut expliquer pourquoi que seulement 26,1% des coûts du public étaient attribuables au salaire des employés municipaux. Le reste se répartissait entre les nombreux contrats de 20 contrats trop lucratifs aux firmes privées au lieu de blâmer la rémunération des cols bleus. En plus, il faut, avant de tirer des conclusions hâtives, tenir compte du fait que ces calculs comprennent une bonne dose de frais ventilés, estimés et budgétés qui font alors appel à beaucoup de subjectivité. LES DONNÉES GOUVERNEMENTALES Enfin, le Centre sur la productivité et la prospérité de l'École des hautes études commerciales de Montréal archive chaque année un palmarès des municipalités du Québec qui utilise des chiffres du Ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT). On compare alors avec les 10 plus grandes villes du Québec. Nous avons encore une fois décerné quelques problématiques. D'abord, les chiffres ne sont pas audités par un Même si nous devrions accepter comme fiable les chiffres du MAMOT, le Palmarès compare Montréal dans un groupe des dix plus grandes villes, donc aucun n’a des équipes professionnelles et des métros. On ne déneige pas les rues de Terrebonne comme on déneige les routes montréalaises. Il faut la comparer à d'autres métropoles canadiennes (Montréal, Calgary, Toronto, Edmonton, Ottawa et Vancouver) ce que nous avons fait dans l'étude. Nous avons analysé le taux horaire de plusieurs groupes de métier. Les conventions collectives nous donnant des chiffres plus fiables puisqu’ils sont imposés par un contrat. On évite ainsi des distorsions possibles. Les conclusions indiquent que les avantages sociaux découlant de régimes de retraite et de vacances sont équivalents entre les six grandes villes canadiennes. 21 Toutefois, une analyse du taux horaire versé aux employés démontre un fort avantage dans la plupart des autres grandes villes canadiennes comparativement à Montréal. Seule la Ville d’Ottawa, un taux désavantageux comparativement à Montréal. Nous avons comparé 15 groupes de métiers représentant 48,7 % des postes inscrits dans la convention collective des cols bleus de Montréal. Les métiers rejetés furent ceux qui ne se trouvaient pas dans les autres conventions collectives et des métiers d’aide, d’apprenti et de contremaître. Nous avons comparé les taux horaires minimaux et maximaux indiqués dans les conventions collectives et nous avons observé que Montréal a subi plusieurs retards salariaux dans plus de groupes de métiers que les six autres villes sauf pour les taux horaires minimums de la Ville d’Ottawa. Un exemple pour vous le démontrer, un col bleu du groupe électricien/électronicien à Montréal gagnait au maximum à peine 34,81 $ de l’heure contre 39,05 $ à IDÉES REÇUES Toronto, 40,79 $ à Vancouver, 41,60 $ à Ottawa, 45,58 $ à Edmonton et 47,98 $ à Calgary. Nous avons aussi refait les mêmes calculs en incorporant cette fois le coût de la vie ce qui a donné des résultats similaires. Notre conclusion est que les salaires sont généralement inférieurs, et non le contraire, comparativement aux autres grandes villes canadiennes, et ce, même en tenant compte du coût de la vie, différent dans chacune des grandes villes analysées. sont trop payés. Tout le monde est trop payé, sauf les grands patrons d'entreprises qui font parfois plus de 200 fois plus que l'employé moyen. Il est toutefois à se demander véritablement si un employé bien payé est une mauvaise chose. En effet, une ville ayant des employés bien payé génère une activité économique dont les villes ont besoin. Une ville comme Québec, dont les radios penchant très à droite vantent souvent le dynamisme économique, a une activité économique performance grâce au salaire des fonctionnaires bien payées. On sait très que ce constat dont l'économiste John Maynard Keynes avait observé ne plaît guère aux ultralibéraux. Pour lire l’étude, c’est ici : www.lese.uqam.ca/pdf/rec_16_remunerat ion_colsbleus.pdf Liberty, S. E., & Zimmerman, J. L. (1986). Labor union contract negotiations and accounting choices. Accounting Review, 692-712. CONCLUSION Force est de constater que les employés municipaux de Montréal ne sont pas des gras durs. Bien sûr plusieurs diront que tous les employés municipaux sont trop payés en général, quelles que soient leurs villes. La construction est mieux payée, mais eux aussi Mora, A., et Sabater, A. (2008). Evidence of incomedecreasing earnings management before labour negotiations within firms. investigaciones económicas, 32(2), 201230. Scott, T. W. (1994). Incentives and disincentives for financial disclosure: Voluntary disclosure of defined benefit pension plan information by Canadian firms. Accounting Review, 26-43. BROCHURES EXCLUSIVES VENDUES AU LOCAL DE ÉS-UQAM 2,50$ 320, RUE STE-CATHERINE E. LOCAL DS-3217 OU SUR LE WEB AU ESUQAM.COM/BOUTIQUE/ CULTURE 22 PROPHETS OF RAGE : LA RAGE NE SUFFIT PAS « Vocals not to soothe/ But to ignite and put in flight/ My sense of militance » Prophets of Rage mise sur le fait que sa musique réussira à soulever l’indignation des masses partout en Amérique du nord, puis dans le monde. Cependant, l’indignation à elle seule ne peut suffire pour changer le monde. Comment doivent réagir les marxistes face à cette volonté de faire rager le 99% ? L e groupe Prophets of Rage, composé d’anciens membres de Rage Against The Machine, Cypress Hill et Public Enemy ont un objectif assez louable : « Make America Rage Again ». Dans le but de faire rager les États-Unis contre la « machine » à laquelle s’opposait Rage Against The Machine, la « machine » de l’impérialisme américain et de l’injustice du capitalisme, le super-groupe a organisé une tournée en Amérique du nord (laquelle comportait un passage à Québec et à Montréal) pour tenter de conscientiser et d’agiter les masses. Tom Morello, guitariste du groupe, a incité les spectateurs, durant le spectacle à Québec, à « commencer dès maintenant à agir contre les injustices », entre deux chansons abordant le sujet de la prise du pouvoir par le peuple. Néanmoins, si les intentions de Prophets of Rage sont bonnes (qui oserait critiquer CULTURE 23 la volonté d’agir contre les injustices), l’agitation, la montée de la colère envers la machine en place, ne suffit pas. La nature vague des propos politiques du groupe ne mène pas vers un engagement de leurs fans envers un changement radical de société, mais les mène vers une colère qui peut trouver écho dans n’importe quel discours politique. Le discours antisystème n’est pas en soi révolutionnaire : les libertariens, les fascistes, les nationalistes et même les partis bourgeois utilisent constamment l’idée selon laquelle le système est pourri pour justifier leurs mesures réactionnaires. Ce qui constitue une position révolutionnaire, c’est la volonté de concrètement amener à une société autre, socialiste. IL NOUS FAUT UN BUT, PAS SEULEMENT LA FORCE DE L’ATTEINDRE Au concert de Québec, les spectateurs n’étaient majoritairement pas engagés politiquement : outre quelques anarchistes et quelques rares sympathisant-e-s des idées socialistes, toutes les discussions que j’ai entendues ou menées donnaient le constat que le message de Prophets of Rage est décalé du résultat qu’il produit chez ses amateurs. Ceux-ci, bien que convaincus qu’il y a quelque chose d’intelligent et de vrai dans les paroles du groupe, ne sont qu’en infime partie impliqués dans des campagnes ou des organisations politiques. Ce n’est pas parce que les paroles du groupe ne sont pas assez explicites. Ce n’est pas parce que les membres ne sont pas animés d’une volonté révolutionnaire. Au contraire, l’échec de Prophets of Rage quant à une mobilisation politique de gauche est due au fait qu’ils ne proposent rien de concret, d’accessible. Ils scandent : « It has to start somewhere. It has to start sometime./ What better place than here, what better time than now? », mais ne disent pas ce qui, matériellement, empiriquement, doit commencer maintenant. POUR BATTRE LE FER CHAUD, NOUS DEVONS AVOIR LE FEU Évidemment, nous insurger contre le fait qu’un groupe de musique n’ait pas une bonne conduite révolutionnaire relèverait de l’insignifiance. Par contre, il nous faut tirer des conclusions de l’incapacité qu’a Prophets of Rage à réellement mobiliser ses fans. Si Prophets of Rage ne peut faire qu’augmenter la colère chez ses fans, il faut qu’une entité canalise cette colère pour éviter de la perdre dans d’éventuelles actions futiles comme le vandalisme ou le terrorisme individuel. Il faut, en d’autres mots, que le parti révolutionnaire tire profit de cette incroyable capacité qu’a l’art de Prophets of Rage, mais aussi l’art en général, à indigner les masses. Bien souvent, Killing In The Name aura plus d’effet que de la propagande communiste pour faire s’insurger un-e travailleur-euse, mais le parti a la capacité et le devoir d’orienter l’insurrection de manière constructive. Si des gens peuvent être convaincus par la musique qu’il faut Take The Power Back, c’est néanmoins chez les marxistes et dans leur parti que se trouvent les instruments d’analyse qui Le parti révolutionnaire se doit d’aller chercher ce brasier que constitue la foule éprise des groupes à tendance révolutionnaire ou gauchiste. Il peut parfois sembler ridicule de tenir un stand devant un concert de nu metal, mais ce sont là de très riches concentrations de jeunes, de moins jeunes, d’étudiant-e-s, de travailleur-euses, qui ressentent un besoin de changement, qui demandent une catharsis à leur colère face au système. Aussi bien que ce soit le socialisme qui ait cet aspect cathartique, plutôt que n’importe quelle idéologie réactionnaire pouvant combler ce vide. Au Parti socialiste de lutte, en Belgique, les membres vont parfois vendre des autocollants dans des festivals de musique électronique. A priori, rien ne fait le lien entre marxisme révolutionnaire et musique électro, hormis le fait que le vrai marxisme révolutionnaire ne cherche pas à rejoindre les ultragauchistes seulement, mais bien toute la classe prolétaire. Avec des événements comme des concerts de Prophets of Rage, non seulement le parti peut aller rejoindre les membres de notre classe, mais en plus peut aller rejoindre des éléments déjà convaincus d’une nécessité de changement dans la société. peuvent permettre d’effectivement prendre le pouvoir. ARGUMENTAIRE 24 ou d’une autre, et peut ainsi construire sa conception de celle-ci à partir de ses expériences empiriques ; de l’autre, l’économie est un sujet d’une très grande complexité, vu qu’elle mélange des notions de mathématique, de communication, de psychologie et de rationalité, entre autres, le tout sous-tendu par un système de valeurs latent qui est contingent à la réalité sociale, un ensemble dont les supposées lois naturelles sont difficilement vérifiables. L’économie, après tout, est un jeu d’individus qui agissent seuls ou forment des groupes, pour des raisons différentes et avec des niveaux d’efficacité variables. Cependant, malgré sa complexité, c’est un sujet qui concerne chacun-e d’entre nous, car l'économie représente la distribution des ressources dans la société, voire celle de la richesse. Nous avons tous notre mot à dire dans le fonctionnement d’un système qui nous affecte tous. MYTHES SUR LE CAPITALISME L'immuabilité supposée du capitalisme reposerait sur ses vertus et supérieures à tout autre système économique. L'auteur décompose théoriquement ce soi-disant système ultime et repose la nécessité d'une alternative : le socialisme. L orsque nous discutons de l’économie, que ce soit entre ami-e-s, collègues de travail et même entre académiques, il existe un paradoxe au niveau de la connaissance de cette matière : d’un côté, la forte majorité de la population active participe quotidiennement à l’organisation de l’économie d’une manière Pour cette raison, il est très important de ne pas entretenir de fausses idées au sujet de l’économie, ou plus spécifiquement de ne pas prendre pour acquis des vérités absolues qui nous empêchent de reconnaître la complexité et l’imprévisibilité de l’homo economicus. Depuis 250 ans, le système économique dominant en Occident est celui du capitalisme libéral, et ce mode de fonctionnement s’est infiltré dans tous les aspects de notre vie au point où l’on oublie facilement qu’il s’agit d’une évolution très récente à l’échelle historique. Après deux siècles et demi, nous avons appris à attribuer tout le progrès de notre société à ce seul système, faisant fi des autres facteurs ayant contribué à notre développement. Ceci étant dit, même les adversaires du capitalisme reconnaissent la contribution de celui-ci au progrès historique de l’humanité : Pierre-Joseph Proudhon, socialiste libertaire, notait que la concentration de pouvoir était un important moteur de développement économique ; Karl Marx, grand auteur de la théorie communiste, considérait que le capitalisme était une étape douloureuse, mais nécessaire, menant à l’avènement du communisme. Chacun reconnaissait ainsi deux choses : d’abord, que la centralisation du pouvoir économique 25 ARGUMENTAIRE pouvait engendrer des niveaux supérieurs de croissance ; ensuite, que ce mode d’organisation était destiné à être temporaire, et que suite à cette période de développement, les travailleurs devaient reprendre possession de la richesse qu’ils avaient eux-mêmes créées, établissant une société socialiste. Ni l’un ni l’autre a fait l’erreur d’entretenir des idées absolues et intemporelles sur l’économie : face à cette réalité fluctuante, ils ont cherché à comprendre son histoire et de prédire son avenir afin de s’orienter vers ce qu’il y avait de plus souhaitable pour tous. Cette démarche est la seule qui est sensée. marchés : c’est plutôt une question de l’organisation du marché dans son ensemble, soit ses canaux de distribution, la qualité des informations et leur accessibilité aux offreurs et demandeurs, l’accès au crédit et les barrières à l’entrée, entre autres. Selon l’historien Fernand Braudel, le capitalisme se différencie de l’économie de marché en étant un système où le principal motif derrière les échanges commerciaux n’est pas de combler les besoins de tous, mais d’assurer un profit au propriétaire. Nous pourrions alors affirmer que le capitalisme est véritablement en contradiction avec la raison d’être d’un marché. Nous devons donc tenter de défaire certains mythes concernant l’actuel système économique afin d’éclaircir le débat sur notre avenir. Face à l’accroissement des inégalités et aux crises du capital, une remise en question s’impose, et nous devons aborder les fondements mêmes de notre mode de fonctionnement si nous souhaitons réellement identifier les sources de son dysfonctionnement. Le texte qui suit adressera certaines croyances sur lesquelles sont fondés les arguments des défenseurs du capitalisme. À l’échelle individuel, il est souvent dit que le capitalisme est un régime plus adapté à la nature humaine que le socialisme. L’incitation au travail du capitalisme se manifeste de deux manières, soit l’instinct de survie ou soit la soif de richesses. Dans le ÉCONOMIE DE MARCHÉ ET INCITATION AU TRAVAIL Tout d’abord, il ne faut pas confondre capitalisme et économie de marché, quoiqu’il existe toujours des marchés dans une économie capitaliste. L’économie de marché est une évolution historique suivant la vie matérielle primitive, où chacun produit pour combler ses propres besoins : grâce aux marchés, la division du travail permet aux différents acteurs de la société de se spécialiser afin de combler à davantage de besoins en se rencontrant librement pour échanger des biens et services. Ce n’est pas strictement grâce à la propriété privée des moyens de production que les marchés peuvent opérer : ce n’est pas le socialisme qui est en contradiction avec l’économie de marché, mais bien l’économie planifiée. Rien n’empêcherait une entreprise sans propriétaire de se spécialiser et d’échanger ses biens et services sur le marché. La propriété n’a plus ou moins rien à voir avec l’efficience que l’on attribue aux premier cas, la possibilité d’éliminer la pauvreté absolue grâce à l’automatisation et une quantité de plus en plus négligeable de travail humain dans les secteurs d’économie de subsistance rend cette incitation caduque. Dans le deuxième cas, il s’agit d’encourager l’égoïsme des seuls propriétaires du capital tout en poussant les travailleurs à soumettre le plus de travail possible aux besoins de production de leurs patrons afin de toucher une plus grande partie de la richesse qu’ils ont pourtant eux-mêmes généré. Inversement, nous supposons que le socialisme est un régime où le gouvernement redistribue gratuitement la richesse à tous ses citoyens, ce qui éliminerait l’incitation au travail. Or, cette conception est fausse pour deux raisons : premièrement, le socialisme n’est pas simplement un système de redistribution gratuite de la richesse, mais plutôt un régime de propriété des moyens de production par les ouvriers ; deuxièmement, nous savons très bien que lorsque les gens ont la possibilité de le faire, ils « travaillent » déjà gratuitement, sans quoi ne nous pourrions jamais expliquer pourquoi les retraités profitent de leur temps libre pour bâtir, jardiner, faire du bénévolat, c’est-àdire donner un sens à leur vie en œuvrant, même si c’est sans salaire. Comment Wikipedia aurait-il connu le jour si ce n’était du travail gratuit de plusieurs millions de personnes ? Comment expliquer l’existence d’artistes, ces gens qui sont le plus souvent sans aucune rémunération, voire contraints de dépenser afin de produire leur art ? Comment expliquer les logiciels libristes, qui n’appartiennent à personne, mais qui sont améliorés à chaque jour ? Comment, en fait, expliquer tout le progrès humain précédant l’avènement du capitalisme? Enfin, il faut reconnaître que même les capitalistes les plus enrichis ne cessent de travailler même après avoir accumulé suffisamment de revenu pour vivre plus que décemment pour le restant de leurs jours. Les oisifs existeront toujours, mais la nature humaine nous incite à l’ouvrage sans besoin pour un système qui nous menace de mourir de faim si l’on ne travaille pas pour quelqu’un d’autre. DÉMOCRATIE ET ÉTAT Dire que le capitalisme promeut la démocratie est un pur non-sens. Le capitalisme et le socialisme n’ont absolument rien à voir avec la hiérarchisation du pouvoir politique, car ces deux modes d’organisation définissent plutôt la hiérarchisation du pouvoir économique. Mais encore, le socialisme, par sa nature, encourage la démocratie au sein de la société productrice en distribuant la propriété des moyens de production entre les ouvriers, ce qui nécessite une forme d’organisation démocratique. Ce n’est pas pour rien si les syndicats sont organisés démocratiquement alors que le patronat est organisé comme une aristocratie, voire une oligarchie. Encore une fois, il y a confusion entre capitalisme de libre- marché ARGUMENTAIRE et socialisme d’économie planifiée : le capitalisme n’est pas strictement libertaire, et le socialisme n’est pas strictement autoritaire ; cependant, si l’un des régimes tend davantage vers la démocratie, c’est clairement le socialisme, par sa nature même. Une autre idée fallacieuse au sujet du capitalisme est que ce régime est en opposition avec l’État, c’est-à-dire que « moins d’État » permet « plus de capitalisme ». En fait, le capitalisme et l’État sont indissociables : seul un État peut garantir le bon fonctionnement du capitalisme à travers son monopole de la violence et ses tribunaux, ce qui garantit le respect de la propriété privé. Non seulement l’État et le capitalisme sont-ils indissociables en théorie, mais l’histoire du capitalisme témoigne d’un partenariat de fait entre le classe politique et celle des détenteurs des moyens de production, que ce soit via des mesures protectionnistes, des subventions, de la collusion ou même les industries de la guerre et des prisons privées. Si les défenseurs du libre marché disent que ce copinage État-entreprise est contraire à l’idéal capitaliste, nous pourrions répliquer que le capitalisme de libre marché est une de ces idées qui fonctionne seulement en théorie... CROISSANCE ET PAUVRETÉ Lorsque nos politiciens pro-capitalistes affirment que notre économie est en croissance, il faut se garder de voir en cet indicateur réducteur une mesure adéquate de notre bien-être. Dès qu’il y a croissance, on s’imagine qu’il y a eu création de valeur, et qui dit valeur dit bien-être : cependant, la valeur annoncée par le PIB présente deux principaux défauts. Tout d’abord, la valeur monétaire de l’ensemble de la consommation, des investissements et des dépenses gouvernementales est très peu représentative du bien-être engendré par ceux-ci. Pour paraphraser Robert Kennedy, le PIB augmente à chaque fois que nous construisons des bombes, que nous déployons plus de forces d’ordre, que nous nous médicamentons avec des drogues, que nous payons de l’intérêt sur nos dettes ; le PIB diminue à chaque fois que nous décidons de faire la paix, de réduire la surveillance policière, de prévenir plutôt que de guérir, de pardonner la dette au lieu d’encourager le crédit facile. Le deuxième défaut du PIB est qu’il représente l’économie dans son ensemble, en négligeant de présenter la redistribution de la richesse. Ainsi, tant que les plus riches gagnent plus de richesse que les pauvres en perdent, le PIB augmente. Le régime capitaliste dépend sur une croissance perpétuelle, peu importe la provenance de cette croissance. Ainsi, il faut distinguer entre amélioration du bien-être et croissance économique : le lien de causalité entre les deux est ténu. 26 défendre les intérêts des propriétaires locaux contre l’arrivée de produits étrangers. Smith n’était pas un défenseur du capitalisme, mais d’une économie libre et ouverte à tous. D’ailleurs, Karl Marx lui-même considérait le capitalisme comme étant un progrès par rapport à la propriété privée des terres agricoles, qui étaient souvent tragiquement sousutilisées par des producteurs totalement inefficaces. Le capital doit circuler là où il peut être employé le plus efficacement, et la propriété privée de celui-ci contribue seulement à cette circulation lorsqu’elle garantit des profits pour le capitaliste. Nous pouvons faire bien mieux que de dépendre de la bonne volonté des propriétaires, ou de tenter d’attirer leurs investissements en sacrifiant de notre souveraineté et de notre bien-être pour leur garantir des profits. CONCLUSION Les capitalistes se féliciteront souvent d’avoir fait reculer la pauvreté absolue dans le monde. Encore une fois, il y a ici confusion entre ce mode de propriété des moyens de production et les autres caractéristiques du système économique actuel : ce n’est pas la propriété privée qui a fait reculer la pauvreté absolue, mais bien le libéralisme économique. En ouvrant les frontières aux déplacements du capital, les états pauvres du monde ont connu un certain progrès marginal : plus de pain sur la table peut très bien se traduire en plus de miettes sur le plancher. Lorsque nous parlons de libéralisme économique, nous faisons souvent référence à Adam Smith, fondateur de la science économique moderne. Or, cet auteur, tragiquement mal cité, s’est montré très critique du régime des producteurs. Il se prononçait en faveur du libéralisme non parce qu’il préconisait la conquête des marchés étrangers par des capitalistes, mais parce qu’il dénonçait les mesures protectionnistes gouvernementales visant à En conclusion, reprenons un mythe tenace au sujet du capitalisme : selon ses défenseurs, c’est le seul régime qui garantit la liberté. Or, nous devons ici rappeler que la liberté peut être conçu de deux manières : la liberté négative, c’est-à-dire l’absence de limite externe, la « liberté de » ; et la liberté positive, qui représente plutôt une absence de limite interne, la « capacité de ». La liberté négative est fondamentale au bon fonctionnement du capitalisme, car elle tend vers la non-intervention de l’État afin de protéger le droit des riches d’user et d’abuser de leurs capitaux au nom du seul profit, et de s’approprier le travail des autres sans entrave. Le socialisme tend vers l’intervention de structures sociales afin de redistribuer les capitaux afin de permettre à tous de profiter de la richesse sociale, ce qui constitue une forme de liberté positive. Afin de vivre harmonieusement et de donner à tous la chance de profiter de l’immense richesse d’une société aussi développée que la nôtre, il est clair qu’une approche basée sur le développement de la liberté positive est plus souhaitable que la non-intervention auprès des acteurs les plus puissants et égoïstes de la planète. Cessons d’entretenir une foi aveugle en ce qui a été une étape douloureuse de l’histoire humaine, et amorçons une transition vers un avenir meilleur. STRATÉGIES 27 LUTTE DES CLASSES OU LUTTE SYMBOLIQUE ? La question de la stratégie et de la tactique sont au cœur de toute action politique. Contre la gentrification, certains militant-e-s ont optés pour des attaques ciblées sur des commerces de quartiers gentrifiés. L'auteur remet en question cette pratique en croissance. L e sujet fait polémique et les occasions n’ont guère manqué ces dernières années, car au moins 4 ou 5 fois par année à Montréal nous apprenons qu’un commerce se fait vandaliser en raison de cette question. J’ai bien sûr eu l’occasion de polémiquer sur le sujet à plusieurs reprises, mais je n’avais jamais perçu ce débat autrement que comme une erreur tactique due au manque d'expérience de certains militants trop épris de sensations fortes. Comme ces polémiques ne me semblaient pas particulièrement sérieuses et que celles-ci sont presque exclusivement internes à la gauche1, je n’ai jamais cru bon d’en faire un article. Mais depuis la dernière « action directe » à l’encontre de l’épicerie 3734 du quartier St-Henri2, j’ai commencé à accepter l’idée que cette pratique devait réellement être considérée par bien des gens comme étant une bonne chose, car de plus en plus soutenu par des textes3 se voulant sérieux. Malgré le fait que ce genre « d’action directe », en plus d’être nuisible sur le plan de la politique traditionnelle4, soit totalement erronée du point de vue de la lutte des classes. Donc cette fois, je me dois de m’incliner devant l’actualité et revenir sur cette question qui me paraissait pourtant si simple il y a à peine 10 ans, mais qui se trouve à être aujourd’hui un vecteur de confusion chez ceux qui cherchent à s’attaquer à ce qui engendre l’injustice. Mais d'abord, revenons aux faits. La lutte contre la gentrification n’est pas vieille, mais est tout de même le produit d’un processus qui lui est visible depuis plusieurs décennies. Pour faire court, disons que plusieurs quartiers ont historiquement été bâtis ou peuplés par les masses ouvrières dans les périodes d’industrialisation (pour Montréal, c’est surtout au court de la fin du 19e siècle). Ces secteurs pauvres, par définition, étaient bâtis pour être clairement distincts et séparés des secteurs bourgeois, pour des raisons que vous connaissez sans doute déjà. Après la Seconde Guerre mondiale, l’occident tout entier connut une croissance économique fulgurante (les Trente Glorieuses), ce qui, avec le concours d’une industrialisation accélérée, fit émerger chez nous une nouvelle élite francophone et une large classe moyenne. Cette industrialisation donna le coup de grâce au modèle de société rurale ultramontaine et fit augmenter de beaucoup la population urbaine, encore majoritairement pauvre. Le centre-ville de Montréal ayant à cette époque un très haut [1] Toutes les tendances de droite sont évidemment unies pour condamner ce genre d’action. [2] http://ici.radiocanada.ca/regions/montreal/2015/05/25/002quartier-saint-henri-vague-vandalismeembourgeoisement-anarchistes.shtml [3] https://ricochet.media/fr/1193/le-saucissierdu-coin-de-la-rue [4] Rares sont les citoyens de ces quartiers et de l’ensemble de la population qui approuvent ce genre d’action, même si certains en comprennent les motivations et aucun parti de gauche ne s’en revendique. Ces actions ont donc comme seul effet de donner du grain à moudre aux démagogues réactionnaires et faire bifurquer les débats centraux, vers ce genre d’évènements. STRATÉGIES niveau de criminalité5, c’est surtout les banlieues qui profitèrent de l’essor de ces années de croissance. C’est donc à partir de la génération suivante6 que ce retour en ville de gens plus ou moins aisés fût initié.De manière modeste, il est vrai, ces nouveaux arrivants souhaitaient d’abord profiter de la baisse de la criminalité et des bas loyers, afin de se placer près du centreville, où les emplois avaient tendance à se centraliser7. On doit aussi ajouter à ces considérations que les divers paliers de gouvernement ont mis en place plusieurs plans de réaménagement urbain pendant les années 80, afin d’inciter de potentiels nouveaux arrivants8 pour ainsi profiter des taxes que cet exode des banlieues et des régions pouvait engendrer. C’est surtout à la fin des années 90 que ce que l’on appelle aujourd’hui « l’embourgeoisement des quartiers populaires » se fit le plus sentir, avec la troisième génération : les Y. Cette génération reconnue pour sa tendance artistique, son ouverture sur le monde et son côté passablement bohème fût le socle de ce que les Français, et nous par la suite, appellerons les « bobos », ou « bourgeois bohèmes ». Cette nouvelle classe sociale, sans être vraiment bourgeoise au sens strict du mot9, est par contre friande du mode de vie urbain, de culture, des produits du terroir et d’écologie. C'est pourquoi les commerces du genre épicerie fine, produits équitables et boutiques/restaurants/bars thématiques et/ou artistiques ont émergé de cette population même, au cours des années 2000. Enfin, le terme de « bobo », d'ailleurs issu du vocabulaire de l’extrême droite française10, définirait des citoyens qui se veulent engagés socialement, mais qui ne voudraient pas trop sacrifier de leur confort et qui donc se limitaient aux éléments surtout esthétiques (et 28 consommables) du progressisme. Ce terme, comme vous l’avez compris, est qu’occasionnent le « libre marché » et le néolibéralisme. évidemment péjoratif et a surtout pour objectif (pour la gauche) d’afficher le mépris des militants de terrain envers la « petite bourgeoisie11 urbaine ». Les fameux « young urban professionals » diront certains. Or, il est pourtant notablement facile à intégrer que la concurrence entre multinationales est un mythe aussi « rationnel » que la résurrection du Christ ! Cette collaboration entre les divers acteurs du capitalisme engendre ce que Lénine dénonçait déjà en 191612, soit les cartels et les monopoles industriels. Groupes multiples, mais, à l’instar des leurs homologues du crime organisé, capables de s’entendre sur les prix et les pratiques commerciales. Ces cartels ayant de longue date colonisé les centres commerciaux, les jeunes entrepreneurs sont contraints la plupart du temps13 aux commerces de « niches ». Soit le commerce dont les produits ont une survaleur non économique, comme le Évidemment, l’espace de ces quartiers étant limités et le libre marché étant de rigueur dans notre civilisation néolibérale, les premiers quartiers embourgeoisés ont vite débordé sur les autres et de fil en aiguille, les quartiers défavorisés ont vite fait place aux quartiers « branchés » et les prix des loyers ont de ce fait explosé en peu de temps. Sauf exception de quelques îlots majoritairement composés de personnes issues de l’immigration, qui ne tarderont probablement pas non plus à suivre cette tendance. Évidemment, il y a encore peu de temps, il ne venait à personne de la gauche radicale de blâmer les « bobos » pour ces conséquences indirectes et même qu’il était reconnu que la base sociale de cette population était l’une des composantes de cette gauche radicale. À cette récente époque, la gentrification était surtout associée à une conséquence du néolibéralisme, qui réfute toutes organisations sociales et qui devait être combattu comme telle. Mais par un étrange processus, certains militants en sont aujourd’hui venus à blâmer les petits commerces de ces quartiers, comme principale source de l’effet pervers [5] Dû pour une bonne part à l’augmentation de la population de jeunes, la hausse de la richesse générale (autrement dit, des magots), ainsi qu’à l’effondrement de l’influence de l’Église. http://classiques.uqac.ca/contemporains/cusson_mau rice/cycles_criminalite_securite/cycles_criminalite_s ecurite_texte.html#cycles_criminalite_2_3 [6] La génération X pour faire simple. [7] Les années 80-90 se caractérisent par un déclin de l’industrie des secteurs premiers des régions, d’une hausse du prix de l’essence et d’un centralisme métropolitain issu des mécaniques de la nouvelle mondialisation économique, qui culminera avec l’ALÉNA. [8] Immigrants d’autre pays comme d’autre région ou de ville. [9] Cette classe est souvent issue du salariat des services gouvernementaux (hôpital, école, fonction publique, etc.) et du haut tertiaire (sièges sociaux, gestion, publicité, technologie, etc.) et non pas des propriétaires de moyen de production. [10] D’abord utilisé par le philosophe Michel Clouscard dans les années 70, le terme fût repris par Alain Soral dans les années 90, puis popularisé dans le langage de l’extrême droite dans les années 2000. [11] J’emploie ce terme ici au sens que ces militants l’utilisent et non dans son sens exact. [12] L'impérialisme, stade suprême du capitalisme [13] Exception faite des nouvelles technologies. 29 commerce équitable, écologique, biologique et de luxe. De cette façon, les commerçants peuvent utiliser l’éthique (dans le cas des produits équitables, bio, etc.) des habitants du quartier pour concurrencer les grandes bannières. C’est d’ailleurs l’un des points d’attraction qu’ont ces quartiers chez cette classe « bobo », comme je l’ai déjà mentionné. Et ceci, sans compter que ce type de pratique commerciale était depuis longtemps pratiquée par communauté issue de l’immigration avant d’être imitée par ces populations. En plus du commerce, il y a de plus en plus de condos dans ces centres. Et là, on nage en terrain un peu plus connu, car la lutte contre la gentrification était auparavant centrée sur cette question. Mais comme pour le commerce, les habitations de ce type suivent les demandes de cette nouvelle population, car pour un grand nombre de ces Y, les logements locatifs sont perçus avec raison comme de l’usure. C’est pourquoi un grand nombre d’entre eux sont amenés à quitter leur ancien logement locatif (dont l’entretien est souvent négligé afin d’en augmenter les profits) pour aller se trouver un endroit dont la responsabilité leur revient. C’est d’ailleurs de cette façon que les quartiers avoisinants se font coloniser par cette population. Soit en quittant un logement souvent trop cher, pour emménager dans un condo dans un quartier moins cher (ce qui contribue évidemment à en augmenter le coût global). Comme pour le commerce, c’est souvent en passant par des pratiques responsables sur le plan individuel que les effets gentrificateurs se font le plus sentir et il n’est guère pertinent de juger les gens qui font ces choix, car, sauf à vouloir attendre le grand soir de la révolution sociale, ceux-ci ne peuvent choisir qu’entre ces deux types d’habitations. Les logements sociaux étant bien évidemment réservés aux familles les plus pauvres. À partir de maintenant, le décor est planté et il nous est déjà possible de voir ce qui cloche dans « l’action directe » de nos militants anti-embourgeoisement. Selon les dires de leurs défenseurs, il ne serait pas question de nier la bonne conscience progressiste des acteurs de ce problème, mais de leur faire comprendre (par des STRATÉGIES actes bien peu diplomatiques) qu’ils rendent la vie impossible aux premiers habitants (les pauvres) de par leurs trains de vie sardanapalesque (bio, équitable, etc.). D’après Fred Burrill14 il ne serait pas non plus question de justifier la présence des multinationales, mais de simplement reconnaître qu’ils offrent les produits dont les pauvres auraient besoin (McDonald, Dollorama, Insta-Chèques, dépanneurs à bière, prêteurs sur gages, tavernes à machine à sous, etc.). Pour les logements, l’argumentaire est passablement le même, soit ne pas vanter le système locatif classique, même si tacitement soutenu, tout en réclamant des logements sociaux, car l’accès aux condos ne serait pas envisageable pour cette population. La première chose que l’on note dans cette rhétorique, c’est que malgré son « ni-ni »15, il y a quand même des effets qui se démarquent clairement en faveur de l’une des parties, car ceux qui en font les frais sont bien sûr les plus faibles des deux. Il est, comme vous savez, beaucoup plus facile de s’attaquer aux petits commerces et aux habitations que de faire grand tort aux franchises de multinationales et aux rentiers du logement des beaux quartiers. Ensuite, ces attaques se veulent surtout « symboliques » et, de ce fait, visent les commerces ayant surtout une « apparence bourgeoise » et ceci sans vraiment tenir compte de ce que signifie le concept de « bourgeoisie ». Ces commerces « d’apparence bourgeoise » sont, comme nous l’avons vu, basés sur la survaleur non économique pour exister, mais comme ils ne sont pas le fruit d’un choix véritable, mais d’une nécessité issue du cadre économique néolibéral actuel, et que, de surcroît, il soit basé sur des offres de consommation se voulant généralement plus responsables16. Il est difficile de ne pas y voir un support objectif au commerce le plus immonde qui existe, soit le commerce de la pauvreté. Car, si cette industrie offre, il est vrai, des produits de consommation plus abordables aux « consommateurs pauvres », celle-ci le fait bien évidemment sur le dos des « travailleurs pauvres », qui (sans parler des esclaves du tiers monde) sont bien souvent la même personne ! Car le commerce de la pauvreté est un cercle vicieux où le travailleur pauvre et le consommateur pauvre sont souvent le même, mais où le second (par schizophrénie sociale) ne respecte pas l’intérêt de classe du premier. Donc répudier le commerce « bobo » est une façon de valoriser l’intérêt du consommateur pauvre au détriment de son intérêt de classe, en tant que travailleur pauvre. Car le niveau de retombée économique de ce genre de commerce est incontestablement supérieur d’avec celui [14] http://ici.radio-canada.ca/audio-video/media7536637/violences-anti-embourgeoisement-danssaint-henri [15] Ni l’un ni l’autre. [16] Il est vrai que le commerce équitable n’est pas toujours si équitable, mais une grande partie des produits locaux le sont incontestablement. STRATÉGIES des Walmarts, Dollorama, etc17. Par ailleurs, il n’est pas ici question de prétendre, comme le font les néopoujadistes, qu’il y aurait une différence de nature entre petit et grand commerce et qu’il faille revenir aux petits commerces d’antan pour plus de justice. Mais de démontrer que de combattre le petit commerce de niche revient à montrer que l’on ne comprend pas du tout le monde dans lequel on vit et donc que l’on n’est aucunement en mesure de se battre pour l’améliorer concrètement. Comme vous le savez surement déjà, les multinationales ont depuis longtemps compris que leur intérêt était de séparer l’égoïsme du consommateur de son intérêt de classe en tant que travailleur(se), car le premier est le pire ennemi du second. Mais de voir des militants se revendiquant de l’anticapitalisme ne pas voir cette évidence, relève de l’exploit ! Et je ne parle pas de toute la vanité avec lequel ces analystes du dimanche vantent leurs analyses « macroéconomiques » uniquement composées de consommateurs et de marchandises ! Encore une fois, je ne prétends pas que le petit commerce serait la voie du socialisme, mais bien de souligner que le petit commerce engendre beaucoup plus de retombées à l’ensemble du peuple (et donc des plus pauvres) que toutes ces grandes bannières qui appauvrissent le peuple tout en s’en nourrissant. Il est donc absurde de croire que de combattre le commerce de niche (souvent local et écologique), en évoquant le pouvoir d’achat des classes les plus défavorisées, quand celles-ci engendrent objectivement plus de richesse et d’emploi que les grandes chaînes. De plus, il est patent de voir que toute cette question évacue le problème central qu’est la question du revenu ! Car c’est précisément la logique d’optimisation du capital variable18 qui engendre la pauvreté extrême et non pas le prix des objets de consommation. De ce point de vue, il est certes pertinent de dénoncer l’embourgeoisement artificiel des grandes villes par les politiciens et les entrepreneurs, mais pas au prix d’un irresponsable combat contre la basse classe moyenne. La seule chose utile à faire (hors de la politique et de la révolution, qui n’est pas à l’ordre du jour), si l’on tient à cœur l’intérêt des classes pauvres, est de lutter pour l’augmentation 30 des salaires19 (et/ou le salaire minimum à vie20), l’augmentation des services sociaux ainsi que tous autres types de pression contre les mesures d’austérité. Et ceci, tout en revendiquant plus de logements sociaux, comme le fait le FRAPPU depuis longtemps. En dehors de ces actions concrètes, la guerre au capitalisme reste le point fixe de notre horizon. Mais de se laisser aller vainement à une lutte de classe factice entre sousprolétariats et classe moyenne urbaine, autrement-dit entre ceux qui peuvent se payer des saucisses bio ou pas, relève d’un confusionnisme tout à fait détestable. [17] Via une interprétation plus réaliste du principe libéral du « ruissellement des richesses ». [18] L’on doit mettre de côté la question des personnes assistées sociales, qui sont une autre question. [19] Comme dans le cas de la très pertinente campagne de 15plus.org [20] https://www.youtube.com/watch?v=uhg0SUYOXjw 31 PUBLICITÉS ORGANISMES SUBVENTIONNAIRES DE CE PROJET SOCIALISME ET QUESTION NATIONALE DANS LA PENSÉE DE JAMES CONNOLY PAR PETER HADDEN 2,50$ BROCHURE EXCLUSIVE VENDUE AU LOCAL D’ÉTUDIANT-ES SOCIALISTES UQAM 320, RUE STE-CATHERINE EST, LOCAL DS-3217 OU SUR LE WEB AU ESUQAM.COM/BOUTIQUE/ PROGRAMME DE TRANSITION L’AGONIE DU CAPITALISME ET LES TÂCHES DE LA IVe INTERNATIONALE PAR LÉON TROTSKY 14,00$ LIVRE CONTENANT UNE INTRODUCTION EXCLUSIVE. EN VENTE EN LIBRAIRIE, AU LOCAL D'É.S.-UQAM 320, RUE STE-CATHERINE EST, LOCAL DS-3217 OU SUR LE WEB AU ESUQAM.COM/BOUTIQUE/