797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 797 CABINET Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 797 Douleurs chroniques et travail Les phénomènes de dysfonction dans la maîtrise des troubles comme entraves à la réadaptation Thomas Knecht Psychiatrische Klinik, Münsterlingen Quintessence 쎲 Les problèmes posés par le diagnostic, la thérapeutique et la réintégration professionnelle des patients souffrant de douleurs chroniques ont une importance énorme pour la santé publique et les assurances sociales. 쎲 Des expertises peu plausibles sont souvent à l’origine de litiges longs et pénibles. Bien que les patients se déclarent comme souffrant sur le plan physique, c’est souvent l’opinion d’un psychiatre qui sera demandée comme ultime avis. 쎲 La plupart du temps, il n’y a pas de réels troubles psychiques ayant valeur de maladie à diagnostiquer; par contre, on est confronté à une discordance nette entre la capacité de travailler pouvant être requise et celle effectivement réalisée, ainsi qu’entre les constatations médicales objectives et les plaintes du patient. 쎲 Il existe un certain nombre de phénomènes cliniques et de concepts psychologiques qui peuvent souvent être utiles pour expliquer ces discordances. Summary If the pain patient doesn’t work. Factors in dysfunctional symptom control as obstacles to rehabilitation 쎲 The problems of diagnosis, treatment and rehabilitation of patients with chronic pain syndromes are of major importance for public healthcare and social insurance. 쎲 Expert opinions of low validity often give rise to wearisome litigation. Even though these patients declare themselves physically ill, psychiatrists are often called in as the last in a long line of medical experts. 쎲 In many cases no genuine psychiatric disorder of clinical significance is to be found. On the other hand, there are often wide discrepancies between a patient’s assessed and actual working capacity, and between the symptoms presented and the objective findings. 쎲 A number of clinical factors and psychological constructs have proven of assistance in closing such gaps in the assessment of work incapacity. Introduction Un nombre rapidement croissant de rentiers AI présente des troubles psychosomatiques chronicisés; leurs principaux symptômes sont des douleurs diffuses, difficiles à évaluer, qui affectent surtout l’appareil locomoteur et constituent un sérieux problème pour le système des assurances sociales. Les psychiatres sont parfois accusés de délivrer trop généreusement des certificats d’incapacité de travail et d’encourager cette évolution néfaste. En fait, ces dernières années, le corps médical et la jurisprudence ont effectué un certain réajustement, chacun de son côté, notamment sous la pression de l’endettement croissant de l’assurance-invalidité. Kissel et Mahnig [1], du Centre d’observation médicale de l’AI (COMAI) de Suisse centrale, remarquaient en 1998 encore, que presque 80% de leurs patients fibromyalgiques étaient à considérer comme ayant une incapacité de travail de 50%. Il faut remarquer que cette affirmation concerne des troubles dont la prévalence en Europe peut atteindre 6%. A l’opposé, un arrêt du Tribunal fédéral des assurances de Lucerne précise aujourd’hui qu’un trouble somatoforme n’est pas en soi une raison suffisante d’invalidité. Toutefois, le fait qu’un large domaine du syndrome de la fibromyalgie se recouvre avec les troubles somatoformes douloureux persistants n’est aucunement mis en doute. Selon la CIM-10 [2], les troubles somatoformes sont caractérisés par l’apparition de symptômes physiques, associés à une quête médicale insistante; ceci en dépit de bilans négatifs répétés et de déclarations faites par les médecins selon lesquels les symptômes ne peuvent être (entièrement) expliqués par un trouble organique. La perturbation liée à ces troubles provient d’une «certaine restriction dans les fonctions familiales et sociales, résultant du type de symptômes et du comportement qu’ils induisent» (CIM-10). De façon concrète, cela signifie souvent que le patient cesse son activité professionnelle, et que dans de nombreux cas, il ne la reprend plus, même si l’évaluation du médecin traitant établit qu’une telle reprise serait envisageable et supportable. Dans ces cas, les dossiers des patients montrent fréquemment des discordances entre les éléments d’anamnèse objectivables et les problèmes exposés; dès lors apparaît un doute au sujet de la légitimité du droit du patient à bénéficier (aussi longtemps) de privilèges en tant que malade. Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 785 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 798 CABINET Si la suspension de toute activité professionnelle persiste, une évaluation du droit à l’assurance sociale devient inévitable. Aux côtés des rhumatologues, des orthopédistes et des neurologues, les psychiatres sont de plus en plus souvent sollicités pour une expertise, qu’elle soit monodisciplinaire, lorsque l’anamnèse préalable est suffisante sur les plans somatique et médical, ou encore bidisciplinaire, en collaboration avec les spécialistes des disciplines de la médecine somatique impliquées, lorsqu’une détermination holistique s’avère nécessaire pour aboutir à une évaluation consensuelle. Lors d’un examen psychiatrique approfondi, il est souvent impossible de diagnostiquer une réelle maladie psychiatrique en dehors des troubles douloureux, de formes souvent très diverses. Selon la CIM-10, il faut envisager le diagnostic d’un «trouble somatoforme douloureux chronique» lorsque les douleurs chroniques présentent les caractéristiques suivantes: elles ne peuvent pas s’expliquer (entièrement) par un problème d’ordre somatique mais elles apparaissent en relation avec des conflits émotionnels ou des problèmes psychosociaux graves, ce qui pourrait suggérer que ces derniers jouent un rôle causal. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, ce diagnostic ne constitue pas en soi une raison d’invalidité et ne donne pas droit à des indemnités. Dans ces cas, il n’est pas possible d’attribuer le non travail du patient à des problèmes ou des handicaps provenant directement d’un changement de l’état mental, comme dans le cas d’un état résiduel schizophrénique grave ou lors d’une lésion organique du cerveau. L’anamnèse et le tableau clinique de ces patients présentent fréquemment des phénomènes que l’on pourrait considérer comme des dysfonctions de la capacité de maîtriser des problèmes ou des douleurs; ces phénomènes peuvent néanmoins constituer un sérieux obstacle dans le processus de réadaptation. Les phénomènes considérés individuellement La suite de cet article présente une liste non exhaustive de phénomènes et de mécanismes qui s’observent avec une certaine régularité lors des expertises faites à la demande des assurances sociales chez des patients souffrant de douleurs chroniques (somatoformes); suivant leur constellation, ces éléments sont susceptibles de livrer une explication psychologique à l’insuffisance de la participation des demandeurs de rentes. Les concepts introduits seront brièvement expliqués afin d’établir un glossaire. Ces concepts comprennent aussi bien des termes techniques clairement définis et lexicalisés que des expressions bien établies dans le jargon des cliniciens et des experts. Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 798 Aggravation Aggravation (du latin gravis, lourd): augmentation de la gravité des symptômes d’une maladie [3]. Alors que dans la simulation le patient fait croire qu’il est affecté d’un trouble en réalité inexistant, le patient aggravant son cas présente l’intensité de ses troubles et/ou la gravité de son problème sous une forme exagérée que des considérations objectives ne peuvent pas nécessairement expliquer à partir de la pathologie de base existante. Un penchant tendancieux, parfois manipulateur, est souvent perceptible. La tendance à l’explication exagérée représente une forme atténuée d’aggravation. Nous y sommes confrontés lorsqu’un patient exagère, à fins de démonstration, les troubles et les problèmes existants. Dans ces cas, une question délicate se pose souvent à l’expert: où placer la limite entre une présentation des symptômes appuyée, éventuellement quelque peu exagérée mais légitime, et une tentative consciente de tromperie? La seule réponse possible est qu’il n’existe pas de critère différenciateur unique. Par conséquent, l’évaluation d’ensemble doit être établie à partir d’une palette élargie de données provenant des examens cliniques et de l’anamnèse. Amplification des symptômes (ou encore: «amplification secondaire progressive») Il est question d’amplification des symptômes lorsqu’on constate une augmentation successive et retardée des troubles et des problèmes, ainsi que de leurs conséquences sociales, augmentation qui n’est pas compatible avec les connaissances cliniques sur la pathologie de base (il faut bien sûr soigneusement exclure toutes les complications). Selon Oliveri et al. [4], l’amplification des symptômes se manifeste sur cinq plans distincts: – la description des symptômes, – le handicap fonctionnel, – le rôle social des symptômes: ceux-ci jouent un rôle toujours plus grand dans la vie du patient et celle de son entourage 3 profit tiré de la maladie, – le niveau (réduit) de participation, – l’incohérence (entre l’anamnèse, les plaintes et le comportement). Autolimitation Ce terme général peu spécifique s’applique toujours dans les cas où prédomine l’impression clinique de se trouver face à un patient qui ne pousse pas l’effort jusqu’à ses vraies limites, alors que 797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 799 CABINET cela serait possible du point de vue de sa forme physique et de son état psychique de base. Cela peut se constater dans le comportement quotidien, lors de tests, au cours de l’évaluation de la capacité fonctionnelle (ECF) ou à l’occasion d’une tentative de reprise du travail. Manque de coopération Ce concept doit s’appliquer uniquement lorsque la conclusion s’impose – à partir de plusieurs observations différentes et conclusives – que le patient s’applique de façon consciente et volontaire à faire échouer les efforts de réadaptation. Il s’agit d’une notion très ouverte, qui peut s’exprimer sous diverses formes: non comparution aux examens médicaux, dissimulation d’informations significatives, déclarations manifestement fausses, ou encore le refus de passer des tests, de reprendre le travail ou une activité professionnelle adaptée. En fin de compte, par ces manœuvres contre-productives, le patient en réadaptation se met dans son tort en ne satisfaisant pas à son «obligation de réduire le dommage», ce qui représente un principe juridique non écrit mais applicable dans le domaine des assurances. Comportement dont la finalité est l’obtention d’une indemnité La fixation sur un droit à l’indemnité était autrefois aussi qualifiée du terme trompeur de «névrose de rente». Ce phénomène apparaît clairement lorsqu’un patient s’investit entièrement ou presque dans la lutte pour l’obtention d’un dédommagement matériel (d’habitude une rente), au lieu de chercher à reprendre au plus vite une activité professionnelle. Dans ce cas, toute son ambition l’éloigne des objectifs de la réadaptation, et il se focalise sur les prestations financières des assurances, ce qui mène à une rupture avec toute réinsertion professionnelle. Les professionnels de la santé sont chargés d’évaluer le degré d’aptitude du patient à la réinsertion, et de lui indiquer un chemin concret pour y aboutir. Plus ce degré est élevé, plus il faut prêter sérieusement attention aux signes indicateurs d’un comportement fixé sur l’obtention d’une indemnité. Régression de la personnalité Ce concept concerne la psychologie des profondeurs et provient de la psychanalyse; il s’est plus largement répandu vu qu’il est très proche des phénomènes cliniquement observables. La «régression» se caractérise par un recul du patient devant les tâches qui normalement lui in- Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 799 comberaient actuellement et par un repli vers un stade antérieur de son développement personnel. Il en résulte une dépendance qui nécessite de l’aide extérieure sous diverses formes. Dans le cas extrême, un homme adulte peut se trouver incapable de s’habiller ou d’assurer son hygiène intime après un traumatisme mineur. Lhamon et ses collaborateurs attirent l’attention sur le fait que la régression de la personnalité peut se développer de façon partielle et spécifique, sans que la personnalité entière ne soit infantilisée. L’individu, qui n’est pas une unité fonctionnelle homogène peut, par exemple, régresser sur le plan végétatif afin de soulager l’état psychique interne des fonctions psychologiques supérieures, assurant ainsi une stabilisation du reste de la personnalité, ou empêchant son effondrement. Kinésiophobie Plutôt qu’une phobie au sens classique, ce terme décrit une attitude antalgique accentuée, imprégnée d’angoisse, qui cherche à éviter tout mouvement et aboutit ainsi à une fixation de la restriction de mouvement. Le patient anticipe la sensation de douleur possible de façon phobique et excessive et interrompt déjà le mouvement dans une phase précoce, au sens d’une autolimitation ciblée. Des moyens de saisie spécifiques ont même été développés afin de pouvoir quantifier la kinésiophobie: échelle K, échelle de kinésiophobie de Tampa (EKT), TSK-11 (version réduite de l’EKT). Cogniphobie Ce concept signale une phobie de la cognition, empreinte d’angoisse anticipative et antalgique, se caractérisant par une participation réduite, interrompue, ou totalement refusée aux tests (neuro-)psychologiques; ces divers degrés de réticence sont motivés par la crainte des céphalées ou des douleurs semblables que l’effort intellectuel pourrait provoquer. Il en résulte habituellement des tests d’une mauvaise qualité par ailleurs inexplicable et des protocoles de tests inachevés. Toutefois, l’observation d’un comportement autolimitant en situation de test peut aussi livrer des précisions utiles pour le diagnostic. Ici aussi, une échelle permet de quantifier les résultats: l’échelle C fut présentée par Martelli et al. en 1999. Déconditionnement (physique/psychique) Au sens strict, «déconditionnement» signifie «élimination d’un conditionnement»; dans un sens 797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 800 CABINET plus large, ce concept s’applique lors d’une perte partielle ou complète de la condition physique et/ou psychique présente antérieurement. Chez les demandeurs de rente, un tel déconditionnement découle fréquemment d’une longue interruption de l’exercice des aptitudes professionnelles, qu’il s’agisse de processus mentaux ou de séries de gestes spécifiques. En effet, toute activité professionnelle prolongée conditionne celui qui la pratique de façon très spécifique; une interruption de longue durée du travail conduit précisément à la perte des facultés acquises par l’entraînement. Par conséquent, le déconditionnement découle inévitablement de toute attitude antalgique prolongée. Attitude antalgique: fixation et exagération La tendance à cette conduite n’est pas en premier lieu pathologique; elle correspond plutôt à un comportement d’autoprotection (sickness behavior) ancestral, commun à tous les pluricellulaires mobiles. Dans le domaine médical, ce comportement est habituellement pris en compte de façon généreuse. Il est toutefois indiscutable qu’une immobilisation trop longue peut avoir des effets négatifs sur l’appareil musculosquelettique (atrophie musculaire, raideurs). Ainsi, en cas de problèmes de dos, il est conseillé d’engager rapidement une thérapie active d’entraînement pour éviter d’autres pertes, en force, en stabilité, en mobilité et en endurance. Le patient qui ne tient pas compte des conseils médicaux et s’obstine à vouloir se ménager trop longtemps, contrevient donc d’une certaine manière à son obligation de réduire le dommage. Persistance dans le rôle de malade Selon Parsons [5], la société concède à ses membres malades une phase de ménagement qui ne comporte pas seulement des privilèges, mais aussi certains devoirs. Le malade doit: – tout mettre en œuvre pour retrouver au plus vite l’usage de ses forces, – accepter l’aide de la part des professionnels compétents, – participer autant que possible au processus de traitement. Il est donc exigé du malade qu’il renonce dès que possible, éventuellement de manière progressive, aux privilèges liés à sa maladie. Le choix du moment le plus propice peut être l’objet d’opinions plus ou moins divergentes, selon les intérêts représentés. Lorsque le bénéfice tiré de la maladie est élevé (voir plus bas), le malade peut s’obstiner à prolonger de façon outrancière la durée de son rôle. Le médecin se trouve dès lors régulièrement confronté avec la question de la Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 800 légitimité du droit du patient à bénéficier des privilèges liés à la maladie. Insuffisance musculaire L’insuffisance musculaire est le résultat final du processus de déconditionnement au niveau de l’appareil musculaire; ses conséquences sont désastreuses, surtout dans la musculature profonde du dos en cas de rachialgie. Cette musculature assure la stabilité de la colonne vertébrale qui, sans ce maintien, est une structure plutôt instable. Au niveau du dos, de nombreuses douleurs diffuses proviennent de la faiblesse d’une musculature rapidement épuisée, qui entraîne à son tour une surcharge des ligaments, entre autres. Insuffisance subjective de la performance Il s’agit d’une entrave au niveau psychologique, qui est généralement difficile à surmonter dans la pratique. Le patient capitule trop rapidement face aux exigences imposées par l’environnement concret sur le lieu de travail, se privant ainsi de l’effet stimulateur que procure un premier succès. Cette attitude s’associe souvent à un pronostic subjectif défavorable. Cette incapacité à mobiliser toutes ses forces peut être renforcée par des problèmes résiduels ainsi que par le déconditionnement psychique. Naturellement, un trouble dépressif peut augmenter cette tendance à évaluer négativement son propre potentiel de performance. Il faut soigneusement différencier cette possibilité lors de l’examen clinique. Style associé à la perception intéroceptive L’intéroception est la perception de stimulus provenant de l’organisme lui-même. Les patients à perception intéroceptive prononcée s’observent eux-mêmes de manière intense, avec une préoccupation angoissée. Ils ont une propension à interpréter tout signal somatique désagréable comme un signe de maladie. Cet autocontrôle, renforcé par une «cascade de stimulations intéroceptives», peut favoriser l’apparition de troubles somatoformes. Style associé à une perception amplificatrice/catastrophiste En 1962 déjà, Mechanic [6] avait attiré l’attention sur le fait que les différents individus géraient les mêmes troubles de manière parfois extrêmement différente. Ces différences concernent avant tout 797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 801 CABINET – la perception, – l’évaluation, – l’expression dans le mode de vie des troubles et des restrictions en question. Divers facteurs jouent un rôle dans la prise en compte individuelle de la maladie: âge, sexe, situation sociale, contexte culturel, entre autres. Une perception amplificatrice représente une forme extrêmement défavorable de perception corporelle, particulièrement en présence de douleurs, car celles-ci sont ressenties avec une intensité et un impact exagérés. Pour l’individu concerné, cela complique la catégorisation concrète et objective à partir de son autoperception. La perception catastrophiste, quant à elle, concerne l’évaluation, dont les traits seront eux aussi résolument exagérés. Selon l’étude de Picaret et al. [7], la tendance au catastrophisme constitue un indicateur prédictif de la chronification, notamment en cas de lombalgie. Tendances hypocondriaques L’hypocondriaque interprète son intéroception: il s’acharne à attribuer un sens aux troubles ainsi perçus. Selon la CIM-10 [2], le «trouble hypocondriaque» se caractérise essentiellement par: «… une préoccupation persistante concernant la présence éventuelle d’un ou de plusieurs troubles somatiques graves et évolutifs, se traduisant par des plaintes somatiques persistantes […]. Des sensations et des signes physiques normaux ou anodins sont souvent interprétés par le sujet comme étant anormaux ou pénibles. L’attention du sujet se concentre habituellement sur un ou deux organes ou systèmes. Le sujet peut nommer la pathologie somatique […] dont il craint d’être affecté …» Les lignes directrices suivantes peuvent dès lors guider le diagnostic: 1 persistance de la conviction qu’une maladie grave au moins est la cause des symptômes réels observés, même si des examens répétés n’ont pas pu déterminer une cause somatique suffisante; 2 refus continuel d’accepter le conseil et le diagnostic confirmé par plusieurs médecins, établissant que les symptômes ne résultent pas d’une pathologie somatique. Durant l’examen, il faut donc demander au patient quelle est, selon lui, la signification de chacun de ses problèmes. Toutefois, de nombreux sujets présenteront une tendance diffuse à l’interprétation hypocondriaque plutôt que le tableau complet décrit ci-dessus. Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 801 signation générale des avantages objectifs et subjectifs dont un sujet tire profit en vertu de sa maladie. Ce concept admet la distinction suivante: – bénéfice primaire de la maladie: il s’agit des avantages internes et directs, comme par exemple de la possibilité, offerte par la maladie, d’éviter un conflit et les tensions qu’il entraîne. – bénéfice secondaire de la maladie: il comprend les avantages extérieurs liés à la maladie, dont le sujet affecté peut tirer un avantage. Exemple: gain d’attention et d’égards, libération de certaines tâches fastidieuses, indemnités, attribution d’une rente, etc. – bénéfice tertiaire de la maladie: il comporte les avantages pour l’environnement social du malade. Il faut assurément distinguer ici entre les bénéfices matériels et les bénéfices non matériels. Ainsi les soins apportés par des proches peuvent-ils être ressentis comme un enrichissement. Par contre, le bénéfice est matériel lorsque l’allocation d’une rente, éventuellement complétée par une indemnité pour impotent, profite à toute la famille. Il est clair que les bénéfices tirés de la maladie, quel que soit leur genre, tendent plutôt à faire persister un état de souffrance ou à stabiliser un système familial qui s’est organisé autour d’un porteur de symptômes, si l’on n’y contrevient pas par des mesures très énergiques favorisant la réadaptation. Le complexe du syndrome psychogène selon Schröder et Täschner [8] Le syndrome décrit par ces auteurs est en grande partie homogène et non spécifique à une maladie précise; il s’observerait fréquemment chez les demandeurs de rente issus avant tout de pays méditerranéens. Il comprend essentiellement les symptômes suivants: – douleurs, – vertiges, – atonie musculaire, – oublis fréquents, – irritabilité, – manque d’énergie, – troubles du sommeil. Les raisons suivantes sont invoquées pour expliquer l’apparition de ce trouble: – des conditions de travail difficiles, – une situation conflictuelle non résolue, – un désir de prise en charge. L’impression de souffrir d’une pathologie somatique, par exemple suite à un traumatisme banal, se déclenche plus facilement. Bénéfice tiré de la maladie Considérations finales Dans un environnement civilisé, la maladie n’apporte pas que des désavantages. Depuis Sigmund Freud, le «bénéfice tiré de la maladie» est une dé- La réadaptation des patients souffrant de douleurs chroniques ne peut réussir que si tous les 797-802 Knecht 102_f.qxp 2.10.2008 8:59 Uhr Seite 802 CABINET acteurs concernés y consacrent toute leur motivation. Il n’est pas rare de constater qu’une volonté de guérison peu prononcée et une faible participation deviennent des facteurs limitatifs, de sorte que la charge de travail somme toute imputable au patient n’est pas assumée. Dans ce cas, il faut penser aux phénomènes décrits plus haut susceptibles d’expliquer un comportement suboptimal face à la maladie. Ces phénomènes de dysfonction de la maîtrise des problèmes ne représentent pourtant pas des troubles mentaux en soi, ce qui empêche de les classifier et de les coder selon la CIM-10. On peut plutôt attribuer plusieurs d’entre eux à la catégorie «psychismes», plus particulièrement les formes mal adaptées de la gestion de la douleur, comme l’aggravation, l’amplification des symptômes, l’autolimitation, la kinésiophobie, etc. Ces «mécanismes psychiques» sont des anomalies fonctionnelles et des attitudes psychiques qui apparaissent chez l’être humain selon certains modèles déterminés [4]. Ce ne sont pas des maladies en soi, mais en tant que troubles fonctionnels de la capacité à surmonter la maladie, ils peuvent stimuler la chronification et donc mettre en péril la réinsertion professionnelle. En cas de douleurs chroniques, une explication complète du syndrome observé s’avère difficile en raison des divergences souvent considérables entre le diagnostic médical et la plainte du patient. Pour pallier cette lacune, il faudra rechercher non seulement les symptômes cardinaux des troubles psychiques classiques, mais encore les indices suggérant ces formes de blocage psychogène des capacités fonctionnelles. Le plus grand problème de diagnostic différentiel réside probablement dans la difficulté à établir Forum Med Suisse 2008;8(42):797–802 802 les limites entre la dépression authentique et les répercussions de la douleur sur le psychisme. Dans ce contexte, on peut supposer que la dépression est diagnostiquée trop fréquemment [9], d’autant plus que nous sommes ici en présence de deux symptomatologies qui se recouvrent largement. En effet, une tendance à l’épuisement, des troubles du sommeil ainsi qu’une perte d’énergie et de libido peuvent apparaître en tant que symptômes d’accompagnement aussi bien lors de douleurs que lors d’une dépression. Pour établir le diagnostic de cette dernière, il est conseillé de s’appuyer principalement sur des caractères plus spécifiques comme la forme d’évolution, la tristesse vitale, les fluctuations journalières, le manque d’estime de soi, la perte d’appétit et de poids, l’inhibition de la pensée avec des idées circulaires, les sentiments de culpabilité et la suicidalité. Dans les cas où les résultats de l’examen ne sont pas suffisants, un essai de traitement approprié (comprenant une thérapie de combinaison et d’augmentation) peut, selon les circonstances, conduire à un diagnostic ex iuvantibus, car seulement 10% à 20% des véritables dépressions résistent vraiment au traitement. Il reste à espérer que cette démarche à caractère phénoménologique puisse permettre une approche diagnostique plus critique à l’égard des patients souffrant de douleurs chroniques. Elle nous met de toute manière dans une position plus réaliste par rapport à l’évaluation des troubles somatoformes de la douleur et des (in-)capacités de travail qui en découlent, et elle nous libère de la réputation d’établir des rapports basés sur une estimation de la bonne foi. Références Correspondance: Dr Thomas Knecht Leitender Arzt Psychiatrische Klinik CH-8596 Münsterlingen [email protected] 1 Kissel W, Mahnig P. Die Fibromyalgie (generalisierte Tendomyopathie) in der Begutachtungssituation – Analyse von 158 Fällen. Praxis. 1998;7:538–45. 2 Dilling H, Mombour W, Schmidt MH. Internationale Klassifikation psychischer Störungen ICD-10. Huber, Bern 2000. 3 Peters UH. Lexikon Psychiatrie, Psychotherapie, Medizinische Psychologie 5. Aufl. Urban u. Fischer, München 2005. 4 Oliveri M, Kopp HG, Stutz K, Klipstein A, Zollikofer J. Principes fondamentaux de l’appréciation médicale de l’exigibilité et de la capacité de travail. Forum Med Suisse. 2006;6:448–54. 5 Parsons T. The social system. Free press of Glencoe, New York 1951. 6 Mechanic D. The concept of illness behavior. J Chron Dis. 1962;13:189–94. 7 Picaret HSJ, Vlaeyen JWS, Schouten JSAG. Pain catastrophising and kinesiophobia: predictors of chronic low back pain. Am J Epidemiol. 2002;156:1028–34. 8 Schröder S, Täschner K-L. Ein psychogener Symptomenkomplex bei südländischen Rentenbewerbern. Med Sach. 1989;85:174–7. 9 Meana M. The meeting of pain and depression: comorbidity in women. Can J Psychiatry. 1998;43:893–9. Autres références sur demande à l’auteur