Entretien
RENCONTRE AVEC JACQUES HOCHMANN
Autisme:deuxsiècles 
depolémique
d’autisme  n’existait pas.Pour lui, lesquerelles binaires 
ont toujoursfaitlapreuvede leurstérilité.Lesefforts de 
tous,  sans  exclusive,  lui  apparaissent  nécessaires  pour 
améliorernotre regard sur cetrouble. Mais est-cevrai-
ment possible ?
L’histoire de l’autisme est souvent retracée à partir de
l’invention du mot, au début du xxe siècle. Mais votre
perspective englobe celle des « idiots », qui couvre le xixe.
Pourquoi un tel choix ?
Parcequelesdeuxtermesrecouvrentpartiellementles 
mêmestroubles.Ily aunehistoire del’autisme d’avant 
lautisme,  c’est-à-dire  quand  on  parlait  d’«idiotisme». 
Dansla Grèce Antique,idiotesdésignela spre privée, et 
parextensioncelui quineparticipepasàlaviepublique, 
cequi,dans ladémocratieathénienne, lefaitvoir comme 
une sorte de déficientintellectuel. Leterme se diffusetout 
aulong duxixe scle pourdésigner quelqu’un qui nesort 
pas de lui-même.Dès1800,lanotion didiotisme se trouve 
auurd’unecontroversescientifique. On vientalorsde 
découvrirun «enfantsauvage» dunedizained’années, 
trouvé errantdanslesbois de l’Aveyron, et quel’on choisit 
deprénommerVictor. PourPhilippe Pinel etJean-Étienne 
Esquirol,fondateursdelapsychiatrie,ils’agitd’unidiot 
de naissance,doncfrappéd’une déficienceintellectuelle 
généraleetincurable.PourlemédecinJeanItard,quile 
recueille,Victorestaucontraireunenfantnormal,mais 
quin’apasnéficiéde « commerceréciproque», c’est-à-
direquepersonnenes’estjamaisoccupédeluiaupara-
vant.Dece pointdevue, lestroubles del’enfantsauvage 
sontacquis,culturels,versiblesetcurables. MaisJ. Itard 
échoueà civiliserVictor, etlepessimismedespsychiatres 
Lautismeestunsujetexplosif. Jusqu’audébutdes 
années1980, despsychanalystes de renomfen-
daient  lidée  que  l’enfant  autiste  se  barricadait 
dansunmondeintérieurpourseprotégerdelafroideur 
affectivedesesparents,etparticulièrementdesa« mère 
froide».Danscetteperspective,l’autiste était psychoti-
que,coupédelaréalité.Aujourdhui,lhypothèseneuro-
développementale  est  privilégiée:  pour  des  causes 
méconnues mais incluant sans doute une vulnérabilité 
génétique,  le  cer veau  de  l’autiste  se  structure  et  fonc-
tionnedemanièreanormale.L’autisten’est donc pasfou, 
nivictimedesafamille,maishandicapéparsesdifficul-
sd’adaptationà son environnementsocial.Cechange-
ment de regards’accompagned’un nouveaudéploiement 
de moyenshumains, logistiquesetfinancierspouradap-
ter  la  prise  en  charge  et  favoriser  la  scolarisation  des 
enfants. En France, qui restel’une desseulesplacesfortes 
delapsychanalyse, ilreste parfoisdifficiledefaire accep-
tercette conception dutrouble.Certes, leshéritiers de 
SigmundFreudprennentgénéralementactedesdécou-
vertesneurobiologiques.Mais cettepériodedetransition 
estlente, difficile, etles parentsdemeurent fréquemment 
tiraillés  entre  des  discours  contradictoires.  Certaines 
associationsmilitentpourl’éradication pure etsimplede 
toute référence à la psychanalyses qu’ils’agit d’autisme, 
d’autres sont plus nuancées.
JacquesHochmannappartientàcettetrèsvaste cagorie 
depsychanalystes condamnantaujourdhuilhypothèse 
dela«mèrefroide ». En remontantdeux sièclesenarrière, 
ilpréconiseun regard passionné sur letrouble, et mon-
tre  que  les  controverses  daujourdhui  font  écho  à  des 
questions plus anciennes, à une époque où le terme même 
Peut-on guérir de lautisme ? Quelle est lorigine des symptômes ?
Pour le psychanalyste Jacques Hochmann,
ces débats prolongent ceux qui concernaient déjà les « idiots », au xixe siècle.
Lhistoire ne ferait-elle que se répéter ?
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suisse  Eugen  Bleuler  nest  pas 
sa t is f ai t   p ar  ce t t e   not i on  d e 
démence,  et  propose  en  1911  de 
parler  de  schizophrénie  (deschi-
zeinqui signie couper et phrenos: 
la  personnalité).  Parmi  les  symp-
mesduschizophrènefigureune 
formederepli sur soi. Impossible 
de  parler  didiotisme,  puisque 
cetteficiencen’estpascongéni-
tale,et, d’autre part,le mot idiota 
perdu de sa valeur scientifiqueen passantdans le langage 
courant.E. Bleuler inventedonc le terme dautisme, du 
grecautos  («soi-même»),  dont  le  sens  est  très  voisin 
didiotisme.Aujourdhui dailleurs,on assisteaumême 
passaged«autisme»danslelangagecourant.Ildevient 
luiaussiuneinsulte,comme«idiot»,augranddamdes 
familles concernées.
Ambroise Tezenas/Opale
l’emporteglobalement.Dumoins en France, caroutre-
Atlantique,uncourantéducatifconnaîtun grandsuccès. 
Les  institutions  accueillent  même  tellement  didiots 
qu’elles se transformentengarderie, et quàlafindusiè-
cle,plusieursÉtatsinstituentunepolitiqueeugéniste:il 
s’agitde sriliser ces trop nombreux idiotspourpserver 
lapuretédela« raceaméricaine».Lidéeserareprisepar 
l’Allemagnenazie,avecunesurenchère finissant par pro-
céder à l’élimination physique des malades mentaux.
Pourquoi a-t-on parlé nalement d’autisme, et non plus
seulement d’idiotisme ?
Autournantduxxe scle,ons’intéresseàdesenfantsqui 
nesont pasficientsmentauxdenaissance,comme les 
idiots,  mais  qui  semblent  d’abord  normaux  avant  de 
devenir fous.On parlealors de démenceprécoce pour 
désigner  le  phénomène  chez  les  jeunes  gens,  et  de 
démence  précocissime  pour  les  enfants.  Le  psychiatre 
Professeur émérite à luniversité
Claude Bernard, Jacques
Hochmann est membre honoraire
de la Société psychanalytique de
Paris et médecin honoraire des
pitaux de Lyon. Il a fondé
l’Institut de traitement des troubles
de l’aectivi et de la cognition
(ITTAC), un centre de soins
ambulatoires à Villeurbanne
(service dépendant du Vinatier), et
a cé le Centre de ressources
autisme (CRA) de la gion Rne-
Alpes. Il est l’auteur d’une Histoire
de l’autisme, Odile Jacob, 2009. n
P r o f i l
Entretien
En 1943, l’autisme n’est plus un simple symptôme
de la schizophrénie, mais constitue une maladie
à part entière.
En  effet,  Leo  Kanner  publie  alors  un  article  décrivant 
onze  enfants  examinés  avec  précision.  Pour  lui,  ils  ne 
peuvententrerdans la cagorie de « schizophnie infan-
tile» quiprévautalors,carleurssympmes,sur ladue, 
necorrespondent pas àceux des schizophrènes. Ils ne 
sontpasnon plus idiots :L. Kanner pense qu’ilssont dotés 
d’uneintelligencenormalemaisquinepeuts’exprimer, 
notamment à cause detroubles dulangage (ils n’arrivent 
pasàdire « je »,ils ignorent lamétaphore…). L’articlesou-
ligne  leur  isolement  (aloneness)  et  leur  intolérance  au 
changement (sameness). L’autismedevient uneenticli-
nique séparée dela schizophrénie. L. Kannerle qualifie 
de « trouble inné du contact aectif ».
L’idée va pourtant se répandre qu’il n’est pas inné, mais
provoqué par la froideur aective des parents. D’
vient ce paradoxe ?
L. Kannerlui-mêmeahésité.Iladabordcruremarquer 
des particularitéschezles parents:l’appartenanceàun 
La triade autistique
Lautisme se caractérise essentiellement
par la présence de trois symptômes
(la « triade autistique »), observables
avant l’âge de 3 ans :
l une grande pauvreté des
interactions sociales ;
l des troubles graves de la
communication, verbale et non verbale ;
l des comportements,
des centres d’intérêt, des actions
extrêmement restreints.
Les troubles associés sont légion :
retard mental dans 50 à 75 % des cas,
crises d’épilepsie (30 %), problèmes
attentionnels… Les prols sont très
variés.nj.- f.m.
Le Service
d’accompagnement
comportemental du
centre Camus
(Villeneuve-d’Ascq)
est la seule structure
en France à pratiquer
lathode dite ABA
(analyse appliquée
du comportement),
qui incarne l’espoir
de nombreux parents
d’enfants autistes.
26 Sciences HumainesJuillet 2009
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Jean-Luc Luyssen/Gamma/Eyedea
milieu socialcultivé,despères intellectuelsinsensiblesne 
jurantque parleur réalisation professionnelle,desres 
froides (c’estluiquiacréél’expressionhorrible de« mère 
frigidaire »).Cette descriptionatout desuiteété critiquée 
pardes psychiatres,etpardespsychanalystes prestigieux 
comme  Margaret  Mahler,  qui  ont  considéré  que  cette 
typologiedesparentsétait abusiveetquel’autismeétait 
un trouble constitutionnel, biologique. Ce qui n’empê-
chait pas daider l’enfant àdévelopper sa vie affective. 
L. Kanners’estrangé àcette idéerapidement,maislidée 
de  la  mère  froide  s’est  répandue  aux  États-Unis,  avec 
notamment  Bruno  Bettelheim.  Contrairement  à  lidée 
répandue,  celui-ci  n’était  pas  psychanalyste,  même  sil 
avaitété analysé. C’étaitun professeurdes sciences de 
l’éducationà l’universitédeChicago,initialementconnu 
poursestravauxsurlapsychologiedudéporté.Comme 
directeurd’uneinstitutionpilotepourenfantssouffrant 
detroublesdivers,ilconsidéraitque l’environnementdu 
sujetdevait êtrespécialementaménagépourfavorisersa 
capacitéàcommuniquer,etquepourcefaireilfallaitle 
séparerdeson milieufamilial.Cefutcompris commela 
preuve  quil  accusait  les  parents.  Lui-même  est  resté 
contradictoiresur cepoint:ilaécrit quelamère enparti-
culiern’étaitpasresponsable del’autisme desonenfant, 
mais il a aussi écritle contraire… En toutcas, si cetteidée 
fastedelaresponsabilité maternelledans l’autismeeut 
uncertain succès,aujourd’hui elle n’est plus soutenuepar 
personne,psychanalystes ounon.Et iln’est plusquestion 
dexclure  les  parents  de  la  prise  en  charge,  bien  au 
contraire.
C’est surtout certains lacaniens que vous accusez
d’avoir soutenu ces thèses. Vous employez des mots très
durs : vous parlez de familles «assujetties » à une théorie
« totalitaire », de psychanalystes qui «ont pris leurs 
métaphores pour des réalités », de « derniers feux du 
surréalisme » et d’« exaltation »
Oui,etjemaintienscestermes.MaudMannoni,pourne 
citerqu’elle,arépanduauprèsdeséducateursdesidées 
mettantencause lesparents,beaucoupplus directement 
que B. Bettelheim.Detelles erreursonttrouvé un terreau 
favorable  dans  le  contexte  d’après  1968  marqué  par  la 
contestation  de  la  famille  et  l’antipsychiatrie.  C’est  en 
action que sontnées,dans les années 1980,des associa-
tions  offensives  de  parents  meurtris  qui  ont  voulu,  et 
veulent toujours, jeterlapsychanalyse dans lespoubelles 
delhistoire.Ilspromeuventaujourdhuidestechniques 
de soinsou desméthodesdagogiquesinspirées parle 
comportementalisme,avecdessystèmesderécompenses 
etdesanctionsvisantàencouragerlasocialisation.Pour 
éloignées  quelles  soient  des  traditions  françaises,  ces 
pratiques  ne  sont  d’ailleurs  pas  inconciliables  avec  la 
psychanalyse.Car ces méthodesaméricainesne sontpas 
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des panacées ou des techniques clefs enmainvalables 
pourchaquesujet.Lesgensquilesutilisentsontobligés 
desedemanderpourquoitel enfanta recoursà tel symp-
me plutôtqu’àtelautre,commentreliertelsigneclini-
que àquelque chosede plus profond.À leur manière, avec 
cette empathie, ils rejoignent la psychanalyse.Inverse-
ment,  même  dans  des  institutions  très  inspirées  par  la 
psychanalyse,desméthodescomportementales(mêmesi 
ellesne disentpas leurnom) sontemployéesau quotidien 
pour désamorcerdescrisesd’angoisse oud’automutila-
Entretien
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Lhypotse
« neurodéveloppementale »
Elle fait référence à des perturbations dans le
développement du cerveau. De très nombreuses
observations vont dans ce sens : nous savons par exemple
que le cerveau des autistes a tendance à traiter le visage
humain comme un objet et la voix comme un bruit, les zones
cérébrales correspondantes présentant d’ailleurs des
anomalies. L’activité des neurones miroirs, qui nous aident à
nous mettre à la place d’autrui, est également atypique.
Depuis 2004, sous légide de chercheurs de l’université
d’Oxford, l’Autism Genome Project analyse l’ADN de près
de 1 200 familles issues de neuf pays diérents. Les
premiers résultats montrent le rôle probable de multiples
gènes impliqués à plusieurs titres dans la maturation
cérébrale et perturbant de nombreux processus : formation
des synapses, régulation des émotions, apprentissage du
langage, adaptation à la nouveauté… Impossible à l’heure
actuelle d’incriminer une combinaison de gènes précise qui
serait présente dans toutes les familles, tant les
déterminants sont complexes. Comme les autres troubles
neurodéveloppementaux (telle la schizophrénie), la
neurobiologie ne fait sans doute pas tout. Les recherches
continuent donc pour mieux cerner la part de facteurs
environnementaux : complications pré- et périnatales
(comme le taux de testostérone anormalement élevé dans le
liquide amniotique), inuence de l’alimentation, des
pesticides… La piste d’une vaccination rougeole-oreillons-
rubéole (ROR) potentiellement nocive n’a pas donné de
résultats convaincants. nj.-f.m.
Entretien
28 Sciences HumainesJuillet 2009
tion,parexemple.Sur leterrain, ilestdoncpossiblede 
passerles antagonismes,dansl’inrêt detous. L’oppo-
sition est plus idéologique que pratique.
La technique du packing représente pourtant une
pomme de discorde basée sur des considérations
pratiques. L’association Léa pour Samy demande par
exemple un moratoire en attendant son évaluation
scientique. En quoi consiste précisément cette
méthode ?
À envelopper les malades ensous-vêtements dans des 
lingeshumides. Ils’agit dune très vieilletechniquedu 
xixe siècle,réemployéedepuislesannées1960 pourlutter 
contre l’angoisse demorcellement des schizophrènes, qui 
ontparfois limpressionqueleurcorps partenlambeaux. 
Appliquéeàunautiste,ellepermet,aprèsunpetitchoc 
thermique, de générer unesensation de bien-être,comme 
dans unsauna. Les soignantspeuventalorstenter dever-
baliserlesémotionsluessursonvisage.Jeconnais des 
collègues  qui  ont  tenté  l’expérience,  et  l’ont  décrite 
commetrèsagréable.Maisellene s’emploiequ’avec l’ac-
corddes parents,aveclesgarantiesdesérieuxnécessai-
res.Jetrouve doncirrationneld’assimiler cettetechnique 
àunemaltraitance.CommeB. Bettelheim,lepackingest 
devenu  une  figure  démoniaque  aux  yeux  de  l’opinion 
publique.L’autismedéclenchedes passions quifontque 
l’on  s’accroche  à  une  idée  en  croyant  détenir  la  vérité. 
C’est valable pour tout le monde, et pour moi aussi !
De nombreux praticiens français considèrent l’autisme
comme une psychose. Le Comité européen des droits
sociaux a déploré que la dénition de l’autisme par la
France ne soit pas alignée sur celle de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), qui parle de « trouble 
envahissant du développement » (TED), tandis que le
Comité consultatif national d’éthique (CCNE), en 2007,
a qualié l’autisme de « handicap ». Pourquoi cette
persistance franco-française à parler de psychose ?
LaclassificationdelOMSreposesurcelledelapsychia-
trie  américaine,  leDSM-IV.  Elle  est  loin  d’être  parfaite, 
puisque la catégoriedes TED qui inclut le plus de sujetsest 
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Dans sonlm L’Enfant sauvage
(1970), François Truaut
interprète le rôle de
Jean Itard qui tenta vainement,
aubut du xixe siècle, de socialiser
le jeune Victor, découvert à l’état
sauvage dans une forêt de l’Aveyron.
Le gaon se retrouva au centre
de controverses portant sur les
inuences respectives de la nature
et de la culture, mais aussi
sur la possibilité et l’utilité
de soigner les « idiots ».
Rue des Archives/Collection CSFF
Lautisme déclenche
des passions qui font que
lon saccroche à une idée en croyant
détenir la vérité.
Cest valable pour tout le
monde, et pour moi aussi.
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