milieu social cultivé, des pères intellectuels insensibles ne
jurant que par leur réalisation professionnelle, des mères
froides (c’est lui qui a créé l’expression horrible de « mère
frigidaire »). Cette description a tout de suite été critiquée
par des psychiatres, et par des psychanalystes prestigieux
comme Margaret Mahler, qui ont considéré que cette
typologie des parents était abusive et que l’autisme était
un trouble constitutionnel, biologique. Ce qui n’empê-
chait pas d’aider l’enfant à développer sa vie affective.
L. Kanner s’est rangé à cette idée rapidement, mais l’idée
de la mère froide s’est répandue aux États-Unis, avec
notamment Bruno Bettelheim. Contrairement à l’idée
répandue, celui-ci n’était pas psychanalyste, même s’il
avait été analysé. C’était un professeur des sciences de
l’éducation à l’université de Chicago, initialement connu
pour ses travaux sur la psychologie du déporté. Comme
directeur d’une institution pilote pour enfants souffrant
de troubles divers, il considérait que l’environnement du
sujet devait être spécialement aménagé pour favoriser sa
capacité à communiquer, et que pour ce faire il fallait le
séparer de son milieu familial. Ce fut compris comme la
preuve qu’il accusait les parents. Lui-même est resté
contradictoire sur ce point : il a écrit que la mère en parti-
culier n’était pas responsable de l’autisme de son enfant,
mais il a aussi écrit le contraire… En tout cas, si cette idée
néfaste de la responsabilité maternelle dans l’autisme eut
un certain succès, aujourd’hui elle n’est plus soutenue par
personne, psychanalystes ou non. Et il n’est plus question
d’exclure les parents de la prise en charge, bien au
contraire.
C’est surtout certains lacaniens que vous accusez
d’avoir soutenu ces thèses. Vous employez des mots très
durs : vous parlez de familles « assujetties » à une théorie
« totalitaire », de psychanalystes qui « ont pris leurs
métaphores pour des réalités », de « derniers feux du
surréalisme » et d’« exaltation »…
Oui, et je maintiens ces termes. Maud Mannoni, pour ne
citer qu’elle, a répandu auprès des éducateurs des idées
mettant en cause les parents, beaucoup plus directement
que B. Bettelheim. De telles erreurs ont trouvé un terreau
favorable dans le contexte d’après 1968 marqué par la
contestation de la famille et l’antipsychiatrie. C’est en
réaction que sont nées, dans les années 1980, des associa-
tions offensives de parents meurtris qui ont voulu, et
veulent toujours, jeter la psychanalyse dans les poubelles
de l’histoire. Ils promeuvent aujourd’hui des techniques
de soins ou des méthodes pédagogiques inspirées par le
comportementalisme, avec des systèmes de récompenses
et de sanctions visant à encourager la socialisation. Pour
éloignées qu’elles soient des traditions françaises, ces
pratiques ne sont d’ailleurs pas inconciliables avec la
psychanalyse. Car ces méthodes américaines ne sont pas
Juillet 2009 Sciences Humaines 27
des panacées ou des techniques clefs en main valables
pour chaque sujet. Les gens qui les utilisent sont obligés
de se demander pourquoi tel enfant a recours à tel symp-
tôme plutôt qu’à tel autre, comment relier tel signe clini-
que à quelque chose de plus profond. À leur manière, avec
cette empathie, ils rejoignent la psychanalyse. Inverse-
ment, même dans des institutions très inspirées par la
psychanalyse, des méthodes comportementales (même si
elles ne disent pas leur nom) sont employées au quotidien
pour désamorcer des crises d’angoisse ou d’automutila-
Entretien
N° 206
L’hypothèse
« neurodéveloppementale »
Elle fait référence à des perturbations dans le
développement du cerveau. De très nombreuses
observations vont dans ce sens : nous savons par exemple
que le cerveau des autistes a tendance à traiter le visage
humain comme un objet et la voix comme un bruit, les zones
cérébrales correspondantes présentant d’ailleurs des
anomalies. L’activité des neurones miroirs, qui nous aident à
nous mettre à la place d’autrui, est également atypique.
Depuis 2004, sous l’égide de chercheurs de l’université
d’Oxford, l’Autism Genome Project analyse l’ADN de près
de 1 200 familles issues de neuf pays diérents. Les
premiers résultats montrent le rôle probable de multiples
gènes impliqués à plusieurs titres dans la maturation
cérébrale et perturbant de nombreux processus : formation
des synapses, régulation des émotions, apprentissage du
langage, adaptation à la nouveauté… Impossible à l’heure
actuelle d’incriminer une combinaison de gènes précise qui
serait présente dans toutes les familles, tant les
déterminants sont complexes. Comme les autres troubles
neurodéveloppementaux (telle la schizophrénie), la
neurobiologie ne fait sans doute pas tout. Les recherches
continuent donc pour mieux cerner la part de facteurs
environnementaux : complications pré- et périnatales
(comme le taux de testostérone anormalement élevé dans le
liquide amniotique), inuence de l’alimentation, des
pesticides… La piste d’une vaccination rougeole-oreillons-
rubéole (ROR) potentiellement nocive n’a pas donné de
résultats convaincants. n j.-f.m.