n’est pas absente de ce marché mais elle est involontairement produite par
l’interdépendance des opérations réalisées4.
-Le « lien (ou relation) de clientèle » est une transaction continue et qui peut être
hiérarchique. L’échange est personnalisé contrairement à la place de marché qui se
caractérise par l’anonymat des protagonistes. La perpétuation de la relation a souvent
pour objectif de fidéliser le consommateur. La transaction peut être un moyen de créer
des rapports de confiance durables. Le statut des protagonistes n’est pas neutralisé et
peut engendrer une relation verticale et hiérarchique.
La configuration du marché équitable reprend à la place de marché sa dimension égalitaire et
non hiérarchique, et, au lien de clientèle la personnalisation et la perpétuation de l’échange.
Les acteurs du commerce équitable récusent l’idée selon laquelle l’introduction de règles
éthiques dans les transactions marchandes serait vouée à l’échec. Des relations personnalisées
et directes entre producteurs et consommateurs sont, selon eux, un moyen de concilier marché
et équité. Atteindre cet objectif repose cependant sur un double présupposé, d’une part que les
consommations au Nord offrent les débouchés suffisants aux producteurs du Sud pour écouler
leurs productions, et d’autre part, que la suppression des intermédiaires conduise bien à une
augmentation des prix et des revenus des producteurs. Les pratiques du commerce équitable
montrent que ces présupposés ne sont pas toujours respectés (Gendron, Torres, Bisaillon,
2009). Cependant, les différents observateurs s’accordent pour conclure que le commerce
équitable permet bien aux producteurs du Sud d’écouler leurs produits à des prix supérieurs
aux prix du commerce conventionnel5.
En définitive, une perspective commune anime les différentes initiatives du commerce
équitable : développer un nouveau commerce égalitaire et personnalisé (commerce direct)
entre producteurs du Sud et consommateurs du Nord qui améliore les revenus des premiers
grâce à des niveaux de prix supérieurs à ceux du commerce conventionnel. La
personnalisation des échanges vise ainsi la construction d’une « économie domestique » au
niveau international « où les personnes se connaissent et échangent en tenant compte des
besoins réciproques » (Le Velly, 2006, p. 325). Mais une économie domestique d’une nature
spécifique puisqu’elle s’appuie sur le principe égalitaire du marché et rejette toute dimension
hiérarchique. La notion d’« économie des personnes » utilisée par l’anthropologie est aussi
d’une grande utilité pour caractériser le commerce équitable. En effet, elle est pensée en
opposition à l’« économie de la marchandise » dont l’avatar contemporain est le « marché des
capitalistes ». La détermination de la valeur dans cette économie résulte moins des
caractéristiques des marchandises échangées (quantité de travail, rareté…) que de la « qualité
intrinsèque des relations sociales » (Breton, 2002, p. 22).
Pour souligner encore la nature différente du marché équitable du « marché des capitalistes »,
un rapprochement avec le principe économique de réciprocité peut être opéré. Ce
rapprochement se justifie d’autant plus que l’analyse de l’économie sociale et solidaire
montre la prédominance de la réciprocité dans les organisations de l’économie sociale et
solidaire. Pour cela, elle s’appuie sur la typologie introduite par Karl Polanyi qui distingue
échange marchand, redistribution et réciprocité (Laville, 1994).
4 Servet souligne : « en donnant momentanément à vivre l’utopie moderne de l’égalité et de la similitude, la
place de marché apparaît comme une matérialisation du mythe marchand fondateur du savoir économique
moderne » (Servet, 1999, p. 134)
5 Même si la qualité des produits imposée aux producteurs du Sud minore l’écart de prix entre commerce
équitable et commerce conventionnel.