
2
Inversement, ne pourrait on pas montrer que, du côté de la phénoménologie, ce n’est pas
uniquement le seul Husserl des Recherches logiques qui s’inquiète de l’expression
linguistique. En effet, même s’il a pu longtemps sembler, comme le dit J. Benoist : que « le
langage est le grand oublié d’une partie de la phénoménologie »
2
, il n’en demeure pas moins
que les tentatives pour réconcilier phénomène et langage ne sont plus rares. Ainsi M.Richir
dans ses Méditations phénoménologiques aborde de front le « phénomène du langage » et
reprend la théorie de la « parole opérante », déjà présente chez Merleau-Ponty
3
. Plus encore,
ne peut-on pas affirmer que Levinas dans Autrement qu’être propose une véritable
phénoménologie du dire, rigoureusement définie comme description de la relation entre
l’énonciation et l’énoncé
4
? En un mot, multiples sont les indices signalant que la frontière est
poreuse entre analyse et description, phénoménologie et philosophie du langage. Pareillement,
le troisième terme (« déconstruire ») côtoie souvent la description. C’est là du moins ce que
soutient François-David Sebbah qui, dans son livre : L’épreuve de la limite, Derrida, Henry,
Levinas et la phénoménologie, démontre longuement comment la déconstruction suppose et
appelle la description, comment : « le geste derridien perçu très souvent comme un démontage
des textes les prenant à contre-pied est d’emblée descriptif »
5
. De même, ne peut-on pas dire
que parfois la description dépend au préalable de la déconstruction d’une thèse
métaphysique ? A cet égard, E. de St Auber n’a t-il pas montré que l’utilisation par Merleau-
Ponty de concepts topologiques était motivée par le retournement, le renversement,
l’inversion du « scénario cartésien »
6
? Si les concepts « d’ empiètement » de « pli », de
« voisinage » et autres notions directement issues de la topologie mathématique semblent plus
susceptibles d’être en prise sur le vécu de la chair que ne l’était la représentation classique
2
Dans son article consacré à JL. Marion, « l’écart plutôt que l’excédent » p.83. J.L. Marion, Philosophie N°78,
Paris, éditions de Minuit
3
Voir sur ce point l’article de Làszlo Tengelyi, in Introduction à la phénoménologie contemporaine française,
Paris, Ellipses, 2006 (p.97 à 109)
4
Voir sur cette « phénoménologie du dire » chez Levinas, notre livre Référence et auto-référence, étude sur le
thème de la mort de la philosophie dans la pensée contemporaine, Vrin 2005, 1ére partie, chapitre II.
5
Introduction à la phénologie contemporaine, op.cit p. 15.
6
Selon le titre d’un de ses 3 livres consacrés à Merleau-Ponty,Vrin 2005. Sur la Topologie chez Merleau, voir
également son importante étude « Sources et sens de la topologie chez Merleau-Ponty » in Alter, N°9, 2001,
p.331-364. Le recours de Merleau à la topologie est abondamment commenté. Voir, par exemple J. Petitot,
« topologie phénoménale : sur l’actualité scientifique de la phusis phénoménologique de Merlau-Ponty » in
Merleau-ponty, le philosophe et son langage , Cahier N° 15 du groupe de recherche sur la philosophie et le
langage, Grenoble, CNRS, 1993, p. 291-312, ainsi que dans le même numéro ArionL. Kelkel « Merleau-Ponty
entre Husserl et Heidegger, de la phénoménologie à la topologie de l’être », ou encore Maël Renouard « le point
de vue de Sirius ou la cartographie du visible » in Historicité et spatialité , le problème de l’espace dans la
pensée contemporaine, sous la direction de J. Benoist et F. Merlini, Vrin 2001 ou encore M. Gambazzi in
Monades, plis et miroirs dans la revue italienne Chiasmi 1, Milan Mimesis, 1998, Publicazzine della società di
studi su Merleau-Ponty, qui significativement prend le titre d’un concept topologique central à savoir celui de
Chiasme.