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En2737 avant notreère, quelque part
en Chine, et plus précisément sous
un arbre, se reposait l’empereur
Shennong, créateur d’une médecine
préventive principalement à base de
plantes : la médecine chinoise de l’é-
poque. Ce jour là, il faisait bouillir de
l’eau afin de la purifier lorsqu’une bise
se leva et fit tomber trois feuilles dans
cette eau frémissante. Il la vit alors
changer de couleur et fut réjoui du par-
fum qui s’engageait. Il décida de goûter
et découvrit un breuvage à la fois riche
en arômes et aux nombreuses vertus :
le thé.
Il existe schématiquement trois grands
types de thé : le thé Noir, le thé Oolong
et le thé Vert.Tous sont issus de la
même feuille : camelia sinensis . La
seule différence se situe dans leur
mode de préparation : fermenté pour le
thé Noir, bouilli pour le thé Vert et l’as-
sociation des deux procédés pour le thé
Oolong .Le fait de faire bouillir la
feuille induit l’inactivation des enzy-
mes de dégradation des polyphénols,
principes actifs du thé Vert.
Le thé Vert est riche en polyphénols.
Au sein de cette grande famille d’anti-
oxydants, les flavonoïdes et notam-
ment les catéchines sont majoritaire-
ment représentées. Parmi ces catéchi-
nes, l’épigallocatéchine-3-gallate
(EGCG) est le composé majoritaire et le
plus actif du thé Vert.
Comme souvent en médecine, l’épidé-
miologie a été à l’origine de l’intérêt
scientifique suscité par le thé Vert. En
effet, le simple constat des faibles taux
d’incidence du cancer de prostate
dans les pays asiatiques aconduit à
s’intéresser au thé, qui par delà son
ancrage culturel dans les habitudes ali-
mentaires de ces populations, représen-
tait un excellent modèle d’étude des
facteurs environnementaux en cancéro-
génèse.
Deux grandes études épidémiolo-
giques font référence. Une équipe
canadienne avait initialement pour
objectif d’étudier les relations existant
entre cancer de prostate et alcool
auprès de 617 patients. Un tel lien n’a
bien sûr pas été démontré (OR=0,89
ns). Par contre, les auteurs ont mis en
évidence un effet protecteur du thé vert
vis à vis du cancer de prostate (CaP)
(OR=0,70) (1). Une autre équipe, aus-
tralienne,s’est intéressée aux habitu-
des alimentaires de 404 patients du
Sud-Est chinois, répartis en un bras
CaP (n=130) et un bras contrôle
(n=274). L’effet protecteur du thé Vert a
été clairement établi (OR=0,28), ce
d’autant plus que le temps de consom-
mation était supérieur à 40 ans
(OR=0,12) et que la consommation
quotidienne dépassait 3 tasses
(OR=0,27) (2).
Il n’existe quun seul essai clinique à
ce jour publié. C’est une équipe du
Minnesota qui a mené un essai de
phase II visant à évaluer l’effet de 6 gr
quotidien de thé Vert sur le taux PSA,
auprès de 42 patients asymptoma-
tiques porteurs d’un cancer de prostate
métastatique hormono-indépendant.
Un seul patient a présenté une diminu-
tion de 50% du marqueur à 1 mois (3).
L’EGCG est une molécule pro-apoto-
tique,inhibitrice de la croissance cel-
lulaire et anti-angiogénique.Les
mécanismes moléculaires impliqués
sont multiples, bien connus et énumé-
rés dans le Tableau 1.
Les études expérimentales chez le petit
animal sont nombreuses sur les modè-
les de mélanome, de cancer colo-rec-
taux, ovariens, mammaires et bron-
chiques. Elles confirment les propriétés
anti-tumorales de l’EGCG.
En revanche, on ne retrouve que peu
de travaux sur les modèles animaux de
cancer prostatique.Gupta a montré
une inhibition de la croissance tumo-
rale accompagnée d’une augmentation
significative de la survie chez les sou-
ris transgéniques TRAMP (dévelop-
pant spontanément des adénocarcino-
mes prostatiques après double invali-
dation de p53 et de erB) traitées par
EGCG par voie orale (4) . Liao a mené
des travaux sur la souris Nude (athy-
VIII. L’EXPÉRIMENTATION
ANIMALE
VII. LES MÉCANISMES
MOLÉCULAIRES IMPLIQUÉS
VI. LES ESSAIS CLINIQUES
V. LES ÉTUDES
ÉPIDÉMIOLOGIQUES
IV. L’ÉPIDÉMIOLOGIE :
POINT DE DÉPART DES
TRAVAUX DE RECHERCHE
FONDAMENTALE
III. LES PRINCIPES ACTIFS
DU THÉ VERT
II. LES DIFFÉRENTS TYPES
DE THÉ
I. UN PEU D’HISTOIRE
N°2 Juin 2006
ACTUALITÉ DU
Thé Vert et Cancer de Prostate
Dr Nicolas Doumerc, Interne en Urologie,
Service d'Urologie et de Transplantation rénal, CHU Rangueil, Toulouse
12
mique) en testant l’efficacité de l’EGCG
par voie intra-péritonéale (IP) sur des
xénogreffes hétérotopiques (sous-cuta-
nées) de cellules PC3. A 15 jours de
l’implantation, les souris étaient trai-
tées par injection IP quotidienne
d’EGCG. La régression du volume
tumoral pouvait être considérée
comme totale après 14 jours de traite-
ment (Figure 1). Il n’existe pas d’étude
évaluant les propriétés anti-tumorales
de l’EGCG dans le cadre de xénogreffes
orthotopiques (prostatiques) (5).
Les propriétés chimiopréventives de
l’EGCG sur la maladie métastatique
prostatique devaient être mises en évi-
dence sur les modèles murins orthoto-
piques, modèles se rapprochant le plus
des situations cliniques chez l’homme.
Nous avons pour cela répartis 10 ani-
maux en 2 groupes : le premier traité
par EGCG par voie orale (dilué dans
l’eau de boisson) et le deuxième, grou-
pe témoin, non traité. La xénogreffe
orthotopique a été réalisée 3 semaines
après le début du traitement à l’aide de
cellules PC-3 exprimant de façon stable
la protéine verte fluorescentes GFP. Les
souris Nude ont été sacrifiées 3 semai-
nes plus tard et expertisées par tech-
nique de stéréomicroscopie numérisée
de fluorescence, puissant outil de
détection des cellules cancéreuses dans
les organes examinés (Figure 2)
(Pchejetski, 2005 #6). Le poids des
tumeurs primitives ainsi que le bilan
d’extension au sacrifice sont présentés
dans le tableau 2 Figure 3. De manière
synthétique, les souris traitées par
EGCG ont des tumeurs primitives
significativement plus petites et sont
moins métastatiques que les souris
non traitées avec absence de métasta-
ses viscérales dans le groupe
EGCG (DEA N. Doumerc, en cours de
publication).
Les études des propriétés anti-tumora-
les du Thé Vert chez l’animal dans les
modèles de xénogreffes orthotopiques
de cancer de prostate semblent souli-
gner la place potentielle de la molécule
d’EGCG dans la chimioprévention de
la métastase du CaP. Au même titre
que l’ail, le soja, la tomate, le raisin, l’é-
tude des propriétés naturelles de ce
composé s’intègre dans une plus large
thématique de recherche suscitant
actuellement un intérêt croissant :
«Nutrition et Cancer » (Figure 4)(7).
1. Jain MG, Hislop GT, Howe GR, Burch JD,
Ghadirian P. Alcohol and other beverage use and
prostate cancer risk among Canadian men. Int J
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(1):130-135.
3. Jatoi A, Ellison N, Burch PA, Sloan JA, Dakhil SR,
Novotny P, Tan W, Fitch TR, Rowland KM, Young
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metastatic prostate carcinoma. Cancer 2003; 97(6) :
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4. Gupta S, Hastak K, Ahmad N, Lewin JS, Mukhtar
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prostate and breast tumors in athymic mice by tea
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6. Pchejetski D, Golzio M, Bonhoure E, Calvet C,
Doumerc N, Garcia V, Mazerolles C, Rischmann P,
Teissie J, Malavaud B, Cuvillier O. Cancer Res.
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7. Surh YJ. Cancer chemoprevention with dietary phy-
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8. Paschka AG, Butler R, Young CY. Induction of
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tea component, (-)-epigallocatechin-3-gallate.
Cancer Lett 1998;130(1-2):1-7.
9. Gupta S, Ahmad N, Nieminen AL, Mukhtar H.
Growth inhibition, cell-cycle dysregulation, and
induction of apoptosis by green tea constituent (-)-
epigallocatechin-3-gallate in androgen-sensitive and
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10.Smith DM, Wang Z, Kazi A, Li LH, Chan TH, Dou
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11.Adhami VM, Ahmad N, Mukhtar H. Molecular
targets for green tea in prostate cancer prevention.
J Nutr 2003;133(7 Suppl):2417S-2424S.
12.Hastak K, Gupta S, Ahmad N, Agarwal MK,
Agarwal ML, Mukhtar H. Role of p53 and NF-
kappaB in epigallocatechin-3-gallate-induced
apoptosis of LNCaP cells. Oncogene 2003 ;22 (31):
4851-4859.
13.Brusselmans K, De Schrijver E, Heyns W,
Verhoeven G, Swinnen JV. Epigallocatechin-3-gal-
late is a potent natural inhibitor of fatty acid syn-
thase in intact cells and selectively induces apop-
tosis in prostate cancer cells. Int J Cancer
2003;106(6):856-862.
14.Hussain T, Gupta S, Adhami VM, Mukhtar H.
Green tea constituent epigallocatechin-3-gallate
selectively inhibits COX-2 without affecting COX-
1 expression in human prostate carcinoma cells. Int
J Cancer 2005;113(4):660-669.
15.Pezzato E, Sartor L, Dell’Aica I, Dittadi R, Gion M,
Belluco C, Lise M, Garbisa S. Prostate carcinoma
and green tea: PSA-triggered basement membrane
degradation and MMP-2 activation are inhibited
by (-)epigallocatechin-3-gallate. Int JCancer
2004;112(5):787-792.
16.Wang SI, Mukhtar H. Gene expression profile in
human prostate LNCaP cancer cells by (—) epigal-
locatechin-3-gallate. Cancer Lett 2002;182(1):43-51.
REFERENCES
X. PERSPECTIVES
IX. L’EXPÉRIENCE
TOULOUSAINE
N°2 Juin 2006
ACTUALITÉ DU
MOMENT
Thé Vert et Cancer de Prostate
Tableau 1. Mécanismes moléculaires
impliqués dans l’action de l’EGCG
MÉCANISMES MOLÉCULAIRES
Apoptose par fragmentation
Paschka, 1998 (8)
Anti-prolifératif Arrêt du cycle en G0/G1
Gupta, 2000 (9)
Inhibition du protéasome, inducteur
d’apoptose (Bax)
Smith, 2002 (10)
Blocage du cycle cellulaire en phase
G0/G1
Adhami 2003 (11)
Apoptose par stabilisation de P53 et
régulation négative de Bcl-2
Hastak, 2003 (12)
Inhibiteur naturel de la fatty acid syntha-
se induisant une apoptose uniquement
chez
les cellules cancéreuses
Brusselmans, 2003 (13)
Inhibition de COX-2
Hussain, 2005(14)
Inhibiteur des métalloprotéinases
Adhami 2003(11) Pezzato, 2004(15)
Inhibiteur du VEGF
Adhami, 2003(11)
Inducteur de 16 gènes et répresseurs
de 9 gènes en c DNA Arrays
Wang, 2002(16)
Figure 1. Tumeur (PC-3)après 14 jours
d’évolution (1) Tumeur (PC-3) après 14
jours de traitement par EGCG intra-
péritonéal (2).
13
N°2 Juin 2006
ACTUALITÉ DU
MOMENT
Tableau 2. Bilan d’extension réalisé par Stéréomicroscopie de fluorescence 3 semaines après xénogreffe orthotopique (PC-3)
.
Groupe Nombre de souris Nombre de Nombre de métastases
métastatiques métastases par souris viscérales par souris
Témoin 4/4 (100%) 7, 4, 4, 5 3, 3, 1, 2
(Total: 18 & Moy : 4.5) (Total: 9 & Moy : 2.25)
Thé Vert EGCG 4/6 (66%) 0, 3, 2, 2, 0, 2 0, 0, 0, 0, 0, 0, 0
(Total : 9 & Moy : 1.5) (Total : 0 & Moy : 0.00)
Thé Vert et Cancer de Prostate
Figure 2. Tumeur prostatique (1) et adénopathie rétropéritonéale (2) observées en Stéréomicroscopie
Numérisée de Fluorescence
Figure 3. Masse de la tumeur primitive dans le
groupe témoin et traité (EGCG) 3 semaines
après xénogreffe (PC-3).
Figure 4. Nutrition et Cancer (Nature Review)
1 / 3 100%