ainsi
: « Une prière sans ferveur (Cavana) est comme un corps
sans
âme » (12)
. La participation du coeur est donc désignée par le terme de
« cavana » ou ferveur
. Cette notion exige à son tour notre attention
. La
ferveur n'est pas la réflexion
: prier n'est pas penser
. Pour le penseur,
Dieu est objet - pour l'homme en prières, Dieu est sujet
. La cavana, ce
n'est pas non plus faire attention au sens du texte
. Mais c'est prendre
conscience de la présence de Dieu, c
'
est vivre à côté de Dieu, avec Dieu,
en Dieu.
Un jour, alors que tous les fidèles étaient assemblés dans la Synagogue
à l'heure de la prière, le Rabbi Isaac Lévy de
Berditchev
tardait à venir.
Les uns commencèrent à prier, d'autres reprenaient la discussion de la
dernière étude talmudique, mais tous s'interrogeaient sur ce retard
sans
précédent du Rabbi
. L'impatience gagnant, on se tourna vers la porte
: le
Rabbi était dressé là, immobile, imposant, comme s
'
il avait toujours été 11
A la longue, le plus audacieux des 'hassidim osa demander
: « Pourquoi,
saint Rabbi, n'entres-tu pas ? »
-
La synagogue est pleine de mots de prières et de mots de Thora.
Les 'Hassidim comprenaient de moins en moins
; n'était-ce pas le plus
flatteur des compliments ? Pourquoi le Rabbi dédaignait-il de prendre
place en une si pieuse assemblée ?
-
Oui, la Synagogue est pleine
. Il n'y a plus de place
. Je ne peux
pas entrer
. Les mots de la prière et les mots de la Torah emplissent tout
au lieu de monter vers Dieu
. »
Les mots récités ne sont rien
. Mais leur vibration et leur vie peuvent
éveiller la vibration et la vie du coeur et donner naissance à cet événement
qu'est la vraie prière.
Les mots sont au coeur ce que la Synagogue ou plutôt la communauté,
le « miniane » (13) est à la prière
. Vouloir se dispenser d'avoir recours
au mot, à la prière rituelle, on l'a vu, c'est se condamner très vite à laisser
se paralyser en soi tout le potentiel de « cavana »
. De même, prétendre
prier seul, hors du miniane, c'est se condamner à laisser s'atrophier et périr
la prière
. Car être juif, ce n'est pas adhérer à une doctrine ou à un ensem-
ble d'observances
. Etre juif, c'est vivre au sein du peuple juif, vivre dans
les juifs du passé et
avec
les juifs d
'
aujourd
'
hui, c'est créer les juifs de
demain
. Le Judaïsme n'est ni une doctrine, ni une foi, c'est l'alliance de
Dieu et d'Israël
. C'est pourquoi, ce que nous réalisons avec Israël, la
prière au sein du miniane par exemple, nous transforme en une tranche
d'éternité
. Bien plus, la prière du miniane entre en communion avec le
culte célébré par toute la nature, et aussi par les êtres supra-terrestres, les
anges
: « Nous allons sanctifier Ton Nom ici-bas, tout comme les anges
le sanctifient au ciel » (14).
L'intervention nécessaire du mot étant ainsi reconnue, il n'est pas inu-
tile de redire que la vraie prière est celle du coeur :
Lorsque le prophète Élisée allait à Chounem, il était reçu par
une
femme pieuse qui un jour dit à son mari
: « Je sais que cet homme est
un saint homme de Dieu »
(2
Rois IV, 8)
. Le Talmud se demande corn-
(12)
Cité par A
. Heschel o
.c.
(13)
« Compte »
: réunion d'au moins dix hommes assemblés pour la
prière publique.
(14)
Rituel des prières
. « Kedoucha » du matin et de l'après-midi
.
11