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© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 April 2017
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conditionnelle…), temps, aspect, polarité, modalisation (certaine, plausible…), emphase. L'acquisition des
éléments d'encadrement et d'indexation pragmatique suit l'évolution cognitive et interpersonnelle de l'enfant.
La sémantique relationnelle (voir infra pour des précisions), soit les rapports de significations, est, selon
de nombreux psycholinguistes, la base de l'énoncé. L'auteur voit en la matrice sémantique la souche des
informations qui dans la parole seront lexicalisées et disposées ensuite selon les patrons séquentiels de
la langue. Les relations de sens ne sont pas organisées séquentiellement en elles-mêmes, ce qui les
différencie de la réalisation syntaxique (séquentielle et propre à chaque langue). La sémantique relationnelle
est universelle et correspond aux rapports généraux de sens que nos capacités cognitives nous permettent
d'identifier dans l'univers. Le développement relationnel sémantique se greffe assez naturellement sur
l'évolution cognitive de l'enfant.
Sur ces bases, comment sont produits les énoncés en temps réel ? L'auteur infirme une nouvelle
fois la pertinence des catégories linguistiques formelles et fonctionnelles. Abstraites, elles ne sont pas
appréhendables simplement à la surface des énoncés. Extrêmement complexes, elles ne peuvent être mises
en œuvre dans le tempo d'une conversation fluente. Si les locuteurs ne recourent pas aux notions descriptives
de la linguistique, c'est parce qu'ils n'en ont pas besoin. Les relations sémantiques insérées dans un
cadre pragmatique pertinent sont traduites directement en surface par des formules énonciatives souples
(sortes de recettes indexées pragmatiquement qui servent de substrat). Les régulations combinatoires sont
de nature associative. L'auteur prend l'exemple des articles en français dans le cas du marquage du genre
dit grammatical (c'est-à-dire arbitraire). Pratiquement, aucun enfant natif de la langue ne commet d'erreur sur
ce point, en raison de l'exposition répétée des milliers de fois à la combinaison article-nom. Les locuteurs
non-natifs errent régulièrement quant à cet aspect de la langue française, faute de disposer d'une expérience
associative suffisante.
Les locuteurs éditent leur production de proche en proche, tant pour les éléments des groupes nominaux,
qu'attributifs ou verbaux. «Ne cherchez pas la syntaxe là où elle n'est pas ! explique Jean-Adolphe Rondal.
Lorsqu'il y a un accord sujet - verbe, par exemple, il n'est pas nécessaire de postuler des structure formelles
sous-jacentes. Il suffit de mémoriser à court terme que l'agent exprimé dans la séquence de l'énoncé avant le
verbe encode une pluralité pour marquer en conséquence le mot (verbe) exprimant l'action si la langue l'exige.
Lorsque l'expression de l'action précède celle de l'agent, le marquage du verbe est régi sémantiquement et
l'accord se fait avec l'agent dans la suite de l'énoncé.»
Il convient également de préciser que le fonctionnement langagier combinatoire ne correspond pas à une
sorte d'énorme dictionnaire d'énoncés individuels dans lequel on puiserait à loisir. Un tel dispositif serait
une véritable usine à gaz, d'une telle lourdeur en mémoire procédurale qu'il serait impraticable et, dans
l'hypothèse, extraordinairement lent. La thèse alternative est que : «Le cerveau langagier construit ses
répertoires productifs par substitution analogique sur base des groupes et syntagmes identifiés en premiers
lieux. Par exemple, à partir du syntagme «dans la poubelle» ( travaillé pendant quelques jours par la mère
d'Eve avec Eve, un des jeunes enfants étudiés longitudinalement à Harvard par Roger Brown), on forme
«dans l'armoire, dans la cuisine, dans la chambre, dans le garage, etc. Les regroupements fonctionnels
par substitution analogique sont la seule réponse logiquement possible à l'extraordinaire rapidité et sûreté
du traitement langagier (en proportion, nous ne commettons virtuellement aucune erreur de morphosyntaxe
malgré le rythme très élevé de production - (plusieurs mots organisés par seconde).»