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COLLOQUES 2015-2016 -
QUEL HUMANISME POUR DEMAIN?
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questionnement qui concerne le rapport que les Juifs ont avec les autres. La dispersion
des Juifs, qu'on appelle la diaspora, après la première puis la seconde destruction du
Temple, a conduit à se demander ce qui séparait les Juifs des autres et ce qui pouvait
les unir. Comment se mouvoir parmi les autres quand on est minoritaire? On peut
rattacher la question juive à l'humanisme. Il ne suft pas de poser l'humanisme comme
centralité de l'homme, il faut aussi l'inscrire dans la dialectique de l'un et de l'autre, dans
la relation à l'autre. C'est sans doute cela l'histoire de l'exil, du déplacement, de la migra-
tion, ce qui nous renvoie à la question plus générale de l'étranger et de la nécessaire mise
en perspective, de la mise en mémoire avec d'autres, qui est une marque essentielle de
la judéité.
Comment penser la relation et entrer en relation avec l'autre majoritaire ? L'autre,
parfois, souvent, dominant, parfois accueillant, mais souvent persécuteur. Telle est la
question. Les conditions historiques ont conduit les Juifs à développer une projection
sur l'altérité et sur l'ouverture à l'autre, qui me semble les prédisposer quelque peu à
l'humanisme.
C'est bien dans cette question de l’altérité qu'Albert Jacquard voit précisément le fon-
dement de l'humanisme authentique, par opposition à la simple tolérance qui n'exige
pas nécessairement d'entrer en relation avec l'autre. Il peut tolérer sans jamais avoir de
relation. «Les autres ne sont pas notre enfer parce qu'ils sont autres, ils sont notre enfer
lorsqu'ils n'acceptent pas d'entrer en relation avec nous.» (Jacquard A., Petite philoso-
phie à l’usage des non-philosophes, Calmann-Lévy, 1997, page15). La diversication
du judaïsme résulte de ce double mouvement d'interrogation, ce que le philosophe Ro-
bert Misrahi appelle la condition réexive de l'homme juif. Les contacts nombreux au
sein de la judaïcité, (par judaïcité on entend la population pour la distinguer de la tradi-
tion), sont autant d'expressions d'une ouverture ou d'une fermeture du groupe juif selon
les contextes. C'est là que la prédisposition à l'humanisme trouve parfois ses failles. Car
si la relation à l'autre mérite autant d'attention que le retour sur soi, le judaïsme ne doit
pas s'y perdre. La volonté de durer malgré la dispersion s'exprime toujours peu ou prou.
Être soi et en même temps être proche de l'autre, c'est la gageure de l’expérience juive,
spécique mais éminemment transposable à l'autre. Se reconnaître dans l'autre, mais
aussi être reconnu par l'autre, telle serait la leçon d'humanisme à retenir, tel serait aussi
l'humanisme à construire, l'ouvrage à remettre sempiternellement sur le métier. C'est le
degré de tension entre identique et autre que manifestent avec force les divers courants
du judaïsme.
L'un des points de différenciation de ces courants porte précisément sur le rapport à
l'autre et le degré de séparation avec l'autre, mais aussi sur les séparations internes, car
l'autre est aussi au sein même de la judéité. L'enjeu de ces oppositions, de ces contrastes,
concerne ce qui distingue les Juifs de leurs contemporains, les frontières que la vie mo-
derne et démocratique abolit en principe, tandis que certains lieux de la vie religieuse en
général, pas seulement des Juifs, tentent au contraire de rétablir ou de créer.
Si l’on comprend que les nécessités rituelles ou les interdits alimentaires font partie
de cette distinction entre les uns et les autres. Mais aujourd’hui c’est aussi autour de
l’altérité interne que se jouent les oppositions entre les différents courants, celle des
femmes en premier lieu, celle des autres juifs considérés comme moins juifs que d’autres,
avec notamment toute la question des unions dites mixtes ou intermariages et de leurs
enfants - qui ne sont reconnus comme juifs que quand la mère est juive - et enn de la
conversion. La tendance au repli identitaire, à l’entre-soi, s’exprime aujourd’hui d’au-
tant plus fortement que la mixité sociale et religieuse est forte. Dans l’enquête sur la