ATTENTATS DE PARIS…
Texte/prière lu par l’équipe diocésaine de pastorale scolaire du
secondaire aux réunions régionales des directions du secondaire et
aux réunions régionales de pastorale comme à la récente Journée
pastorale de formation sur le livre blanc « Paroles de jeunes –
paroles de sens » au Collège Saint Augustin à Enghien
Extrait poétique de
« La Présence pure et autres textes »
de Christian Bobin NRF, Poésie/Gallimard, 2002, pp16 à 18.
L’autre visage (à méditer)
« (…) Chez nous pas de prison. Nous avons, comme vous, nos assassins. Ils ne sont pas très
nombreux, mais quand même, ils sont là. Mais de prison, aucune.
Les pierres qui recouvrent nos chemins sont tranquilles. Elles savent que jamais nous ne leur
ferons l’injure de les serrer l’une contre l’autre dans des hauts murs, pour séparer le jour de la
nuit, l’homme de son frère.
Je vous vois sourire. C’est le sourire de qui croit bien entendre et n’entend rien. Vous vous
demandez ce que nous faisons de nos assassins, puisque nous ne les enfermons pas.
Nous ne sommes pas des insensés. Nous savons que le tigre et l’agneau ne peuvent dormir
dans le même pré. Là n’est pas la question. Il est dans la nature du tigre d’être tigre. Il est dans
la nature de l’agneau d’être agneau. Mais il n’est pas dans la nature de l’assassin d’être
assassin.
Celui qui donne la mort, c’est qu’il est déjà mort. Celui qui tue, c’est par manque d’air.
Ceux qui font le mal, nous les appelons des « mal-respirants ».
Car chez nous tout est respiration, allée et venue de l’air dans la gorge, de Dieu dans l’air, du
monde dans Dieu, échanges incessants, ondes continuelles, flux et reflux.
Nous ne punissons pas le criminel, nous l’aidons à rétablir en lui sa respiration naturelle.
Nous emmenons nos assassins dans la forêt. Nous leur demandons de prêter attention au
bavardage des feuilles, à la récitation des sources et aux sentences du vent. Nous leur
demandons de prendre leur temps, de ne rien oublier et de nous retrouver ensuite à la clairière,
pour tout nous raconter.
A leur retour, nous leur disons ceci : enfoncez-vous plus loin dans la forêt, là où le vert
devient noir. Fermez les yeux. Ecoutez ce qui, en vous, est comme la feuille, comme la
source, comme le vent.
Cette période-là est la plus longue. Au bout de quelques mois le premier revient et commence
à chanter, dans le milieu de la clairière.
Car chez nous le chant est remède, le chant est lumière, le chant est vérité, pure respiration du
vrai dans le vrai, de l’esprit dans l’esprit, du cœur dans le cœur.
Quand la voix de celui-là s’envole jusqu’au ciel, imposant le silence aux oiseaux alentours,
alors nous savons qu’il est guéri, et bien guéri : plus de pierre sur le souffle, plus de cendre sur
l’âme.
Bien sûr il y a des échecs. Certains s’égarent dans la forêt, ou en reviennent avec une voix de
fauve. Cela nous l’acceptons. Nous ne cherchons pas comme vous à séparer le pur de l’impur.
Nous savons qu’ils seront toujours un peu mélangés. (…) »