La concordance des temps : vers la fin d`une « règle

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Les discordances de la concordance
Anne-Rosine Delbart
Langages / Volume 2013 / Issue 191 / September 2013, pp 37 - 52
DOI: 10.3917/lang.191.0037, Published online: 31 January 2014
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Anne-Rosine Delbart (2013). Les discordances de la concordance. Langages, 2013, pp 37-52 doi:10.3917/lang.191.0037
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Anne-Rosine Delbart
Université de Bruxelles (U.L.B.) & Centre de recherche en linguistique LaDisco
Marc Wilmet
Université de Bruxelles (U.L.B.)
Les discordances de la concordance
1. INTRODUCTION
La « concordance des temps » pourrait bien appartenir – comme les « propo-
sitions infinitives », les « subordonnées participes », les « interrogations indi-
rectes » et autres « ablatifs absolus » ou « gérondifs » – à l’héritage de la gram-
maire latine : en l’espèce, la consecutio temporum, censée harmoniser « le temps
du verbe prédicat de la proposition principale et celui du verbe prédicat de la
proposition subordonnée » (Lavency, 1985 : § 336).
Pour le français, A. Oudin brosse en 1632 un premier panorama de la
« concordance des temps et des modes », quoique le grammairien, note F. Brunot
(1911 : 589), « soit qu’il ne trouvât pas sa théorie claire, et elle ne l’est pas en
effet, soit qu’il ne la jugeât plus satisfaisante », ait modifié considérablement son
chapitre en 1640 et l’ait remplacé en 1645 « par des indications sommaires ».
La grammaire générale des XVII
e
et XVIII
e
siècles, sauf erreur, ne consacre
à la problématique aucun développement spécial mais dissémine une série
d’observations aux chapitres des modes et des temps.
Aux descriptions, la grammaire scolaire substitue vite des prescriptions.
C. Noël et F. Chapsal (1823) codifient « l’emploi des temps du subjonctif » :
571. – Le subjonctif étant toujours sous la dépendance d’un autre verbe, c’est le temps
du verbe précédent qui détermine quel temps du subjonctif il faut employer : Je ne
crois pas que vous veniez, je ne croyais pas que vous vinssiez.
Parallèlement, « l’emploi des temps de l’indicatif et du conditionnel » entonne
la litanie des « ne dites pas... mais dites... » (op. cit. : § 550-557).
L’habitude des recommandations et des interdits a dû se maintenir assez
dans les classes pour qu’en 1922 F. Brunot juge bon de lui régler son compte en
une formule retentissante :
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La concordance des temps : vers la fin d’une « règle » ?
Ce n’est pas le temps principal qui amène le temps de la subordonnée, c’est le sens. Le
chapitre de la concordance des temps se résume en une ligne : Il n’y en a pas. (Brunot,
1922 : 782)
Une déclaration aussi péremptoire n’a pas empêché que le motif se perpétue et
passe, qui plus est, des grammaires du français langue maternelle (en abrégé
FLM) aux grammaires du français langue étrangère (en abrégé FLE).
Quelques coups de sonde le montreront.
2. LES GRAMMAIRES DU FLM
Renvoyant en note à F. Brunot, l’ultime édition du Bon usage publiée du vivant de
M. Grevisse déconseille « d’appliquer sans discernement des règles mécaniques
qui indiqueraient une correspondance toujours obligatoire entre le temps de la
principale et celui de la subordonnée » (Grevisse, 198010 : § 2728).
A. Goosse, le successeur de M. Grevisse, prend ses distances envers « ce
que l’on appelle la concordance des temps » (2011
15
: § 898). Le programme se
restreint au mode subjonctif, car, à l’indicatif, « les relations du verbe d’une pro-
position avec le verbe principal ne diffèrent aucunement de celles qui unissent
les verbes se trouvant dans des phrases successives » et, « en outre, le rapport
avec le moment de la parole est un élément essentiel » (ibid.).
Invoquant à son tour F. Brunot, P. Charaudeau s’en tient à une simple « corré-
lation des temps » (1992 : 489). La « mobilité des visions du sujet parlant » (ibid.)
l’amène à privilégier le « discours indirect » (op. cit. : 492), avec la conséquence
de remettre l’indicatif en piste.
La Grammaire méthodique du français de M. Riegel, J.-C. Pellat et R. Rioul
(2009
4
) traite carrément du phénomène en deux endroits séparés : la « séman-
tique des formes verbales » du subjonctif (chap. X : 571-576) et le « discours
indirect » (chap. XXIII : 1010-1012).
La meilleure synthèse est fournie par M. Arrivé, F. Gadet et M. Galmiche
sous l’intitulé « concordance (ou correspondance) des temps » (1986 : 133-136).
« Pour l’essentiel », ils estiment fondée la « boutade polémique et provocatrice
de Ferdinand Brunot » : au lieu d’une « règle automatique », des « différences
de valeur des tiroirs verbaux », qui exploitent un repère temporel fixé « de
façon relative » dans Galilée soutenait que la terre tournait (la rotation terrestre
est contemporaine de l’assertion de Galilée) et « de façon absolue » dans Galilée
soutenait que la terre tourne (la rotation terrestre est contemporaine du moment
de l’énonciation) 1.
1. Une « remarque » ajoute que « la concordance des temps est comparable, mutatis mutandis, à l’attraction
modale » (Arrivé, Gadet & Galmiche, 1986 : 136). La rubrique alphabétiquement antérieure Attraction modale
(op. cit. : 83) alléguait le glissement de Il affirme que tu ES travailleur àBien qu’il affirme que tu ES ou que tu
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3. LES GRAMMAIRES DU FLE
Le français au présent de A. Monnerie (1987) démontre, s’il en était besoin, com-
bien les grammaires du FLE, loin d’adapter les objectifs à leurs destinataires et
d’élaborer une méthodologie spécifique, se contentent, en accumulant ad nau-
seam des exemples de « simultanéité », d’« antériorité » et de « postériorité »
vis-à-vis de tel ou tel présent ou passé, de démarquer les grammaires du FLM,
quitte à témoigner d’une ouverture supérieure dans le choix des illustrations,
à reconnaître que les « règles de concordance ne sont pas toujours respectées à
l’oral » et, faisant l’impasse sur les formes verbales jugées en perte de vitesse, à
exclure du propos le mode subjonctif.
La Grammaire expliquée du français de S. Poisson-Quinton, R. Mimran et
M. Mahého-Le Coadic (2002) réintroduit le subjonctif auprès de l’indicatif. Son
mérite est de risquer une définition généralisante de la « concordance des temps »
(bien que l’adverbe principalement italiqué infra rouvre un espace à la simple cohé-
rence temporelle) :
C’est un accord, une harmonie entre les différents temps des verbes d’une phrase.
Cette concordance des temps s’établit principalement dans les phrases complexes, c’est-
à-dire des phrases qui comportent plusieurs propositions, au moins une proposition
principale et une proposition subordonnée : Je sais (proposition principale) que tu as
raison (proposition subordonnée). (Poisson-Quinton, Mimran & Mahého-Le Coadic,
2002 : 146)
[et] Tout comme la concordance des temps à l’indicatif, la concordance des temps
au subjonctif est une recherche d’accord, d’harmonie entre les différents temps des
verbes d’une phrase. (op. cit. : 153)
Par un louable souci de clarification, les responsables troquent le « temps » étroit
du verbe principal contre un « contexte » du présent (réunissant le présent, le
futur et l’impératif) ou du passé (réunissant l’imparfait, le passé composé, le
passé simple et l’imparfait). Eux aussi signalent la tendance de l’oral à s’affran-
chir des règles strictes, mais plutôt dans le sens d’une propension « à faire malgré
tout la concordance » (op. cit. : 147). Ils n’évitent pas, cela dit, l’émiettement des
données et se croient tenus, quand ils abordent le mode subjonctif, d’établir des
rapprochements entre les quatre formes verbales du subjonctif et la kyrielle de
formes de l’indicatif (que grossissent encore les « futurs proches » – et même un
« futur de probabilité » – et les « passés récents »).
On doute que les non-francophones sortent intellectuellement armés de cette
poussière d’indications mêlant l’accessoire et l’essentiel. Les préceptes et les
SOIS travailleur et une « remarque » énonçait que « l’attraction modale est comparable, mutatis mutandis, à
la concordance des temps. On lui a d’ailleurs parfois donné le nom de concordance des modes ». Constatons
qu’à l’abri de l’« attraction », la « concordance » évacuée par la porte rentre par la fenêtre. Les débordements
du subjonctif sur l’indicatif demeurent en tout état de cause fréquents : « Quelle que soit la décision que l’on
prenne durant les Jeux, on est critiqué » (dans Le Soir, 1
er
août 2012, p. 16) = ‘quelque décision que l’on
prenne’, etc.
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La concordance des temps : vers la fin d’une « règle » ?
exercices consultables sur les sites du FLE ne sont pas propres à corriger ce
sentiment
2
. Vraisemblablement, le dépouillement de vastes corpus ne ferait-il
qu’apporter des nappes d’eau supplémentaires au moulin de F. Brunot (voir déjà
Rosier & Wilmet 2003).
Une issue au désordre d’aval serait de redonner vie en amont à la réflexion
théorique.
4. PRÉAMBULE THÉORIQUE
Plusieurs hypothèques grèvent les considérations autour et alentour de la
« concordance des temps ».
4.1. Première hypothèque : le vocabulaire grammatical
Deux vocables faisant l’objet d’un usage permanent sont particulièrement cri-
tiques : (1) proposition, (2) temps.
4.1.1. Proposition
Le nom proposition (d’origine logique, i.e. une séquence de mots permettant
l’expression d’un jugement) et ses satellites (proposition principale, proposition
subordonnée) ont la vie dure, malgré l’impression qu’ils véhiculent de toujours
localiser, dans la « principale », l’essentiel de l’apport informatif et, dans la
« subordonnée », un renseignement relativement accessoire. Il n’est pas interdit
de penser que l’apparente hiérarchisation sémantique que charrient ces quali-
fications contribue dans le cadre de la « concordance des temps » à renforcer
l’idée de sujétion au détriment de l’autonomie des segments de phrase.
Phrase suffit. La « concordance des temps » éventuelle se cantonne à la phrase
complexe, c’est-à-dire une phrase matrice en laquelle s’insère, par enchâssement ou
par incision, au moins une sous-phrase. Seront seules concernées les sous-phrases
enchâssées (au moyen d’un enchâsseur adjectival : lequel, duquel, auquel adjec-
tifs..., pronominal : qui, quoi, dont, où et que pronom..., adverbal : combien, comment
et quand adverbe..., ou conjonctival : que et quand conjonctions, si, les composés
avant que, pour que, du moment que...). Sont écartées les phrases simples et les
phrases multiples associées par coordination, juxtaposition ou emboîtement (on
verra au point 4.4 l’importance de cette précision).
4.1.2. Temps
Le français temps amalgame le temps notionnel (le time des Anglais, le Zeit
des Allemands) et le temps de conjugaison (le tense des Anglais, le Tempus des
2.
L’un d’eux (http://activitesfle.over-blog.com/article-36511927.html) est agrémenté plaisamment – ou luci-
dement – de la photo de deux jeunes étudiantes japonaises s’adonnant à un sommeil réparateur.
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