Séminaire sur Le Marchand de Venise, de Shakespeare,
par Gérard Huber
Attention ! Nouvelles dates !
Depuis la Shoah, Le Marchand de Venise est devenu une pièce difficilement
jouable. Le personnage du Juif Shylock effraie plus d’un metteur en scène. Mais
est-ce bien la seule hantise de susciter l’antisémitisme et la caricature qui limite la
programmation de cette pièce ? Gérard Huber, lors de 5 séances de ce séminaire,
qui pourrait s’appeler «Shylockespeare», donne un nouvel éclairage inspiré par la
psychanalyse à cette œuvre de Shakespeare.
Gérard Huber est écrivain, psychanalyste, dramaturge, auteur de Si c’était Freud,
Vienne 1938 et La récréation d’une folle.
• 18 janvier 2011 à 18h30 : Shylockespeare
La décomposition sonore du nom «Shylock» nous apprend qu’en créant ce nom singu-
lier (cet «hapax»),Shakespeare signifie qu’il est dans le personnage qui porte son nom.
«Shylock» s’entend «I, Sh, lock». Autrement dit: «moi, Shakespeare, serrure». Le Mar-
chand est ainsi non pas une pièce à problèmes, comme on le dit couramment, mais une
pièce à serrures et à clés. D’ailleurs, dès le début de la pièce, Shakespeare nous invite
à les rechercher dans la tristesse d’Antonio. C’est pourquoi, en appui sur la biographie
de Shakespeare, nous nous orientons tout naturellement vers un événement tragique qui
est survenu dans sa vie en 1596, juste avant qu’il écrive Le Marchand: la mort de son fils
Hamnet… D’où cette question: qu’est-ce que cette mort nous apprend sur la stratégie
d’écriture du Marchand?
• 8 février à 18h30 : La «livre de Chair» et «le bon coffret»
Si Shylock est Shakespeare, et si Le Marchand est bien cette pièce écrite par «Shake-
speare sous serrures», il devient possible de comprendre pourquoi celui-ci - et il est
le seul - a fait converger l’intrigue du prélèvement de la livre de chair et celle du choix
du bon coffret (qu’il avait trouvées séparées, dans des sources antérieures) et pour-
quoi cette convergence conduit au face-à-face entre Shylock et Portia, puis au triomphe
de cette dernière. En effet, ces deux intrigues sont toutes deux mues par le signifiant
«lock». Shylock est l’homme aux boucles de Juif et Portia, la femme aux boucles d’or.
D’où la constellation des personnages qui, autour de ces deux figures majeures de la
pièce, tiennent toutes leur place sur la scène de résolution des questions de vie et de
mort, de tristesse et de joie, de serment et de parjure, de judéité et de gentilité, d’appa-
rence et de réalité, d’homme et de femme.
• 22 mars à 18h30 : La «pulsion théâtrale» dans Le Marchand
Le concept de «pulsion théâtrale» paraît indispensable aux lecteurs du Marchand qui le
perçoivent comme une pièce où se créent des personnages et des lieux qui disposent
de leur vie propre et qui n’ont donc rien à voir avec des caricatures «préformatées»
dont le rassemblement aurait pour finalité de satisfaire la xénophobie, l’antijudaïsme et le
sexisme des spectateurs du théâtre élisabéthain. Ainsi, la division scénique entre Venise
et Belmont ne s’explique pas par des arguments politiques et économiques seulement,
mais par des motions théâtrales. Le destin de la pulsion de théâtre n’est pas la même à
Venise où règne la mascarade, jusqu’au procès remporté par un imposteur, et à Belmont
qui se veut avant tout, bien que sans y parvenir, l’oubli même de Venise. De ce fait, la
question se pose de savoir si cette pulsion théâtrale débouche sur une catharsis de la
terreur et de la pitié ou si elle contredit l’idée aristotélicienne de la catharsis théâtrale, en
ce qu’à la fin, la pièce laisse le spectateur aux prises avec l’insoutenable légèreté de la
destruction de l’origine, et du parjure.
• 27 avril à 18h30 : Les enjeux de la traduction
L’écriture d’un texte traduit la pulsion de l’écrire. Les mots ne sont pas des sublimations,
au sens où ils ne seraient plus habités par la pulsion, mais au sens où ce sont des enjeux
sémantiques qui, par la structure du langage, explicitent l’orientation donnée à cette
pulsion par l’auteur, mais aussi par ses autres. Cette complexité poétique donne toute
sa noblesse au drame en quoi consiste le travail de traduction du Marchand (comme de
tout texte d’ailleurs). Il faut, à chaque fois, tenter de retrouver le travail de construction du
sens que Shakespeare effectue, en écartant toute interprétation idéologique et tout alibi.
Jacques Derrida avait raison d’affirmer que Le Marchand met en scène la question de la
dette inextinguible que la traduction fabrique et qui définit son éthique, mais cette dette
commence avec l’écriture même de la pulsion à traduire. Traduire, c’est donc tenter de
demeurer au niveau de la pulsion du texte.
• 24 mai à 18h30 : Mettre en scène Le Marchand aujourd’hui
Après la Shoah, il est de plus en plus entendu que Le Marchand est difficilement jouable.
Or, si, en France et ailleurs, on joue actuellement beaucoup moins Le Marchand que
dans la période d’avant-guerre, durant laquelle elle était une pièce très prisée, il convient
de se demander quelles en sont les raisons théâtrales, et si elles sont justifiées. On
peut questionner le refus de monter cette pièce. En effet, si, ayant compris que le sens
de l’identification de Shakespeare au Juif n’est pas xénophobe ni raciste, mais qu’elle
relève de l’ordre du signifiant, ce refus ne serait-il pas finalement un «parjure» envers le
théâtre? Auquel cas, il faut être clair sur l’envie de la monter, ce qui suppose des incita-
tions scéniques qui s’appuient sur le mouvement intrinsèque du texte, et notamment sur
les hiatus, dissimulés, qui s’y trouvent, tous destinés à mettre en perspective l’irréversible
mise en jeu perpétuelle du signifiant «juif». Une place importante sera réservée ici à la
lecture dramaturgique du grand acteur de théâtre russe, Jacob Pavlovitch Adler (1855-
1926).