On considère les variations de topographie dans un cas hyper-simple, celui où on change l’épaisseur de la lithosphère (croûte et/ou manteau) sans rien faire d’autre (pas de sédimentation, de tranche d’eau, etc.). La figure 1 (dessinée dans le cas d’un amincissement crustal) montre comment une lithosphère initiale, composée d’une croûte d’épaisseur ec et d’un manteau lithosphérique d’épaisseur em, s’amincit de sorte que la croûte et le manteau lithosphérique aient une épaisseur e’c et e’m ; cette lithosphère surplombe une asthénosphère, dont e’a se trouvent au-dessus du niveau de compensation (choisi à la base de l’ancienne lithosphère). Cette lithosphère amincie s’élève maintenant à une altitude h au-dessus (ou audessous, si h est négatif) de son altitude d’origine. On note 𝜌𝑐 , 𝜌𝑚 et 𝜌𝑎 les densités respectives de la croûte, du manteau lithosphérique et du manteau asthénosphérique. En général, on a 𝜌𝑐 < 𝜌𝑎 < 𝜌𝑚 . Ces différences de densité sont le moteur des changements topographiques, puisque un amincissement de la croûte implique qu’on remplace de la croûte (légère) par de l’asthénosphère (plus dense), ce qui contribue à déprimer la topographie ; un amincissement du manteau au contraire remplace du manteau lithosphérique dense par de l’asthénosphère plus légère, et donc surélève la topographie. A l’inverse épaissir la croûte crée du relief, épaissir le manteau lithosphérique crée un trou. A partir de la figure 1, on peut poser les deux équations suivantes pour rendre compte de la conservation des épaisseurs, d’une part ; et de l’équilibre des pressions sur le niveau de référence, d’autre part : ′ 𝑒𝑐 + 𝑒𝑚 + ℎ = 𝑒𝑐′ + 𝑒𝑚 + 𝑒𝑎′ (eq. 1) ′ ′ 𝑒𝑐 𝜌𝑐 + 𝑒𝑚 𝜌𝑚 = 𝑒𝑐 𝜌𝑐 + 𝑒𝑚 𝜌𝑚 + 𝑒𝑎′ 𝜌𝑎 (eq. 2) A ce stade, il est pratique de faire apparaître les facteurs d’amincissement, 𝛼 et 𝛽, qui indiquent l’amincissement respectif de la croûte et du manteau lithosphérique : 𝑒′ { 𝛼 = 𝑒𝑐 𝑐 𝛽= ′ 𝑒𝑚 𝑒𝑚 On peut alors manipuler ces équations pour arriver à une expression de h en fonction des autres paramètres : 𝜌 −𝜌 𝜌 −𝜌 ℎ = 𝑒𝑐 𝑐𝜌 𝑎 (1 − 𝛼) + 𝑒𝑚 𝑚𝜌 𝑎 (1 − 𝛽) (eq. 3) 𝑎 𝑎 Cette équation indique le changement d’altitude lors de variations d’épaisseur de la lithosphère, en fonction des conditions initiales, des densités et des facteurs d’amincissement de la croûte et du manteau lithosphérique. De façon générale, on note que le terme « crustal » est négatif, car 𝜌𝑐 < 𝜌𝑎 alors que le terme mantellique est positif. De même le contraste de densité entre croûte et manteau lithosphérique est plus important qu’entre manteau lithosphérique et asthénosphère, le terme crustal a donc un poids plus important dans l’équation. Enfin, bien que cette équation ait été établie en considérant un cas d’amincissement, elle marche aussi en épaississement : dans ce cas 𝛼 > 1, le terme crustal change de signe. Le tableau 1 donne des valeurs typiques pour les différents paramètres ec em 𝜌𝑐 𝜌𝑚 𝜌𝑎 30 km 70 km 2700 kg.m-3 3300 kg.m-3 3250 kg.m-3 Avec ces valeurs, on arrive à peu près à 𝑒𝑐 𝜌𝑐 − 𝜌𝑎 𝜌𝑎 ≅ −5 et 𝑒𝑚 𝜌𝑚 − 𝜌𝑎 𝜌𝑎 ≅ 1, le terme crustal pèse donc 5 fois plus lourd que le terme mantellique (le contraste de densité est 10 fois plus important mais l’épaisseur d’origine deux fois moindre, au final on a donc un facteur 5) On peut alors construire un diagramme dans lequel on va figurer la variation de l’épaisseur de la croûte en fonction de celle du manteau lithosphérique ; dans ce diagramme on va « cartographier » la topographie crée. L’équation 3 fait apparaître (1 − 𝛼) et (1 − 𝛽). Pour (0,0) on a 𝛼 = 𝛽 = 1, c’est-à-dire pas de variation d’épaisseur. En amincissement 𝛼 < 1, donc 0 < (1 − 𝛼) < 1 (de même pour 𝛽). A l’inverse en épaississement 𝛼 > 1, donc (1 − 𝛼) < 0. Si on représente directement les termes de l’équation, dans un diagramme (1 − 𝛼) vs. (1 − 𝛽), on se retrouve avec l’amincissement dans le cadrant en haut à droite, et l’épaississement en bas à gauche (ce qui ne semble pas forcément très intuitif…), on va donc construire le diagramme en inversant les signes, et en représentant (𝛼 − 1) vs. (𝛽 − 1) pour avoir l’épaississement du côté positif des axes. Dans ce diagramme, on cherche les lignes d’égale topographie. La ligne d’altitude nulle, h=0, est 𝜌 −𝜌 𝜌 −𝜌 telle que 𝑒𝑐 𝑐𝜌 𝑎 (1 − 𝛼) = −𝑒𝑚 𝑚𝜌 𝑎 (1 − 𝛽). Avec les coefficients du tableau 1, c’est une 𝑎 𝑎 droite de pente ≅ 5 passant par l’origine. La ligne d’altitude z est une droite de même pente, coupant l’axe des ordonnées à la valeur z (en kilomètres). On peut donc dessiner l’abaque de la figure 2 : Ce diagramme peut être alors utilisé pour discuter de la topographie crée par différents phénomènes : On a l’habitude de séparer deux modèles, un rifting « actif » dans lequel un panache mantellique est responsable d’un amincissement de la lithosphère, et d’un « bombement thermique », qui précède la formation de failles et l’aminicissement de la croûte ; et un rifting « passif », dans lequel l’aminicissement de la lithosphère précède la remontée asténosphérique. Ces deux modèles peuvent se représenter sur l’abaque que l’on vient d’établir (figure 3). Dans ce diagramme un amincissement de la croûte se traduit par une variation de , et un amincissement du manteau par une variation de . - Rifting actif (en vert) : on amincit le manteau lithosphérique sans toucher à la croûte ( diminue, ne change pas). On évolue vers des altitudes plus importantes : on crée un « bombement thermique ». Notez que les paramètres choisis ne permettent pas de créer plus de 1000 m de topographie, même si on supprime tout le manteau lihosphérique et qu’on ne laisse plus que la croûte : c’est peu comparé à ce que l’on observe en Afrique de l’Est par exemple, il faudrait un manteau encore plus léger pour provoquer plus de surrection. Si le manteau qui « remplace » la lithosphère a une densité de 3.2 au lieu de 3.25, la pente des droites iso-altitudes devient 2 :5 au lieu de 1 :5 (figure 4) et on peut arriver à 2 km de topographie. - Rifting « passif » (en orange). On amincit à la fois le manteau et la croûte ( et diminuent). La flèche orange indique une situation d’aminicissement homogène, où croûte et manteau lithosphériques sont amincis de la même quantité. Ce n’est pas la seule possibilité, mais à part dans des cas où on amincissirait énormément le manteau, et peu la croûte, on évolue de toutes façons vers des altitudes négatives (c’est-à-dire qu’on crée une dépression). Bien entendu, si par la suite on amincit la lithosphère mantellique seule (panache asténosphérique induit par l’amincissement, par exemple) on va augmenter à nouveau les altitudes (surrection post-rifting, comme dans le Massif Central). Comme dans le cas précédent, un facteur clef va être l’équilibre entre épaississement de la croûte et de la lithosphère. On peut étudier trois cas caricaturaux : - Epaississement de la croûte, mais pas du manteau lithosphérique. C’est pas exemple la formation d’un prisme orogénique avec décollement au moho. On crée une topographie importante, de type plateau tibétain par exemple. - Epaississement mixte, croûte + manteau. C’est une zone de collision avec empilement d’écailles lithospériques, on double l’épaisseur de la croûte, et de la lithosphère mantellique. On crée aussi du relief, mais moindre (dans l’exemple, on a un épaississement homogène). C’est peut-être le cas des Alpes. Dans un cas extrême (si on épaissit plus le manteau que la croûte) on pourrait former une dépression et pas un relief. - Epaississement de la lithosphère mantellique, mais pas de la croûte : on crée une dépression ! L’exemple est un peu tiré par les cheveux, mais évoque une subduction océan/océan, où on empile bien les unités de lithosphère mantellique sans qu’il n’y ait assez de croûte continentale pour que ça joue le moindre rôle. On crée bien une fosse. Avec des paramètres initiaux différents, c’est aussi le cas du refroidissement de la lithosphère océanique : on ne touche pas à l’épaisseur de la croûte, mais la lithosphère s’épaissit et on évolue donc vers une topographie plus basse que celle d’origine (la plaine abyssale est plus basse que la dorsale). Notez que dans ces derniers cas, les paramètres ne sont plus ceux du tableau 1 (la croûte est océanique et plus continentale, et donc plus dense et plus mince) ; le diagramme n’est pas exactement le même, il est identique qualitativement mais la pente des droites n’est pas pareil. On n’a pas exploré dans ce texte deux cas pathologiques : épaississement de la croûte et amincissement du manteau (quadrant inférieur droit, en général on va vers des topographies importantes) et, à l’inverse, amincissement crustal et épaississement du manteau (supérieur gauche, en général fortes dépressions)… on a du mal à voir à quelle réalité géologique ils pourraient correspondre !