Approche économique des activités sociales et culturelles des

Texte à paraitre dans l’ouvrage « Le comité d’entreprise dans l’évolution de la représentation
collective des salariés »
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Approche économique des activités sociales et culturelles des Comités d’entreprise :
entre pouvoir d’achat, redistribution, consommation … et émancipation militante !
Gilles Caire, Maître de conférences HDR de Sciences économiques
CRIEF EA 2249
Université de Poitiers
Il y a 80 ans, le 10 juin 1936, Léo Lagrange qui venait juste d’être désigné sous-secrétaire d’Etat des sports et de
l’organisation des loisirs au sein du gouvernement du Front populaire, déclarait dans son premier discours à la
radio : « la semaine de 40 heures, les congés payés, l'accession de la classe ouvrière et des masses populaires de
notre pays à une vie que le travail n'absorbera pas intégralement, posent devant nous le problème de
l'organisation des loisirs. Loisirs sportifs, loisirs touristiques, loisirs culturels, tels sont les trois aspects
complémentaires d’un même besoin social, celui de la conquête de la dignité et de la recherche du bonheur.
Pour mettre debout cette œuvre immense, pour l'animer du souffle puissant de la vie populaire, je compte sur la
collaboration active de toutes les organisations qui existent et notamment sur celles de la classe ouvrière ». Cet
extrait est symbolique d’une ferme volonté politique considérant les loisirs comme essentiel à l’émancipation des
travailleurs, en refusant de compartimenter sports, tourisme et culture, et en soulignant le rôle essentiel des
syndicats dans leur développement. Dans un autre discours, il précise son point de vue ainsi : « L’organisation
des loisirs est un terme derrière lequel il convient de penser ce que l’on entend mettre. Il ne saurait s’agir dans
un pays démocratique de caporaliser les loisirs, les distractions et les plaisirs des masses populaires, ni de
transformer la joie habilement distribuée en moyens de ne pas penser. »
En conformité avec ces principes posés avant-guerre, l’ordonnance du 22 février 1945 transfère les « œuvres
sociales » organisées par le patronat aux Comités dentreprise (CE). Et en 1982, le qualificatif « activités sociales
et culturelles » (ASC) se substitue à celui d’œuvres sociales afin de gommer définitivement les dimensions
paternaliste et caritative originelles. Dans une perspective d’économie politique, les CE s’intègrent
conceptuellement depuis 1945 dans la logique de régulation fordiste, en tant qu’élément participant au
compromis institutionnalisé du rapport salarial. Et plus précisément, les ASC concernent la 5e composante du
rapport salarial, celle de l’utilisation du revenu salarial
1
. Les ASC participent ainsi économiquement, à leur
niveau, à la mise en cohérence fordiste entre production de masse et consommation de masse, et peuvent être
considérées sous deux angles complémentaires, celui du revenu et celui de la consommation. Les dotations ASC
des CE sont à la fois, sous l’angle monétaire, du pouvoir d’achat complémentaire pour les salariés, i.e. un
élément constituant de leurs revenus du travail, et en même temps, sous l’angle des achats réalisés ou
subventionnés par les CE, des éléments des postes budgétaires (alimentation, transport, habillement, santé,
tourisme, culture et loisirs…) de la consommation finale pour les ménages concernés.
1
Les quatre autres composantes du rapport salarial sont l’organisation du procès de travail, la hiérarchie des
qualifications, la mobilité des travailleurs et la formation du salaire direct et indirect (Robert Boyer, La
flexibilité du travail en Europe, La découverte, 1986).
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Dans cette perspective, l’approche économique consistera à décrire statistiquement les personnes bénéficiaires,
les montants et les types de dépenses impliquées (partie 1 : approche quantitative), puis à considérer la rencontre
entre une offre de services émise par des CE « producteurs » et une demande de services émanant de salariés
« consommateurs » (partie 2 : approche utilitariste), et enfin à dégager les logiques politiques sous-jacentes aux
activités des CE, sur la base des activités touristiques, champ d’action prioritaire tant pour les élus que pour les
salariés (partie 3 : approche politique). Nous conclurons sur le rapprochement possible entre CE et économie
sociale et solidaire.
1. Approche quantitative : description statistique des ASC aujourd’hui
Décrire statistiquement les activités sociales et culturelles est difficile car il n’existe aucune base de données
harmonisées et consolidées en ce domaine. Les seules statistiques publiques disponibles sont celles des enquêtes
REPONSE (Relations professionnelles et négociations d'entreprise) de la Direction de l'animation de la
recherche, des études et des statistiques (DARES) du Ministre du travail. Mais la dernière enquête de 2011 ne
comporte que des informations sur le nombre de CE et les effectifs concernés, et ne propose aucune donnée sur
les budgets d’actions sociales et culturelles (contrairement aux éditions précédentes de 1998-1999 et 2004-2005).
Il est par conséquent nécessaire de se rabattre sur des sondages ou des enquêtes qui sont réalisés, plus ou moins
régulièrement par différents organismes, sur des échantillons de taille restreinte, le plus souvent d’élus de CE et
non de salariés, et plus ou moins représentatifs de la diversité réelle, de taille d’effectifs et de moyens financiers
des CE et organismes assimilés (cf. encadré).
Encadré 1 : les sources d’informations statistiques utilisées
Sur les ASC en général
Officiel CE : Enquête nationale CE, tous les 2 ans depuis 2007, auprès de 1000 élus de CE (au 2/3 des trésoriers
et des secrétaires) parmi les 55 000 abonnés à la mailing-list L’échantillon est corrigé pour être représentatif en
termes de taille salariale et de situation géographique. La dernière enquête disponible est de 2015.
Salons CE : Le Lab SalonsCE, enquête CSA en 2013 auprès de 1010 salariés et de 334 élus d’entreprises
privées de plus de 50 salariés disposant d’un CE. L’échantillon est représentatif du marché des CE en termes de
taille d’entreprise et de secteur d’activité.
CEZAM : Les adhérents des Inter-CE du réseau CEZAM et leurs pratiques sociales, rapport d’étude
quantitative en 2009 auprès des structures adhérentes à ce réseau de 29 Inter-CE dominante CFDT).
L’échantillon est composé de 539 représentants du personnel de CE, DUP, COS, CAS et amicales du personnel.
Sur les actions vacances des CE
CNT (Conseil national du tourisme) : Evolution des pratiques sociales des comités d’entreprise en matière de
vacances, rapport de 2010 s’appuyant sur l’audition d’un panel d’une trentaine de responsables de CE et
d’experts. Le rapport intègre en annexe un rapport de 2004 intitulé « Les impacts des comités d’entreprise sur
l’économie touristique » qui reste à notre connaissance le plus complet à ce jour sur le sujet.
Atout France : Accès aux vacances : le rôle des comités d’entreprise et organisations syndicales en France et
en Europe, rapport de 2012 intégrant une enquête quantitative auprès de responsables de CE, COS et CAS de
200 structures répondantes, complétée par une trentaine d’entretiens qualitatifs et un séminaire de réflexion. Le
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rapport comprend une seconde partie comparant les actions en matière de vacances menées par les organisations
syndicales et les institutions représentatives dans 22 pays européens.
ANCV (Agence nationale pour les chèques-vacances) : Rapport annuel 2014, rapport d’activité comportant des
statistiques sur les 17700 CE et assimilés clients de l’ANCV.
1.1 Données de cadrage sur la population concernée par les 35 000 CE : un salarié sur deux et 40% de la
population française
Cette « pauvreté » de données publiques fait que les seuls chiffres certains sont ceux du tableau 1 : 28% des
établissements de 20 salariés ou plus déclarent disposer d’un CE
2
. Cet accès à un CE est fortement dépendant de
la taille de l’entreprise (15% des établissements de moins de 50 salariés disposent d’un CE, 91% pour les
établissements de plus de 300 salariés) et du secteur d’activité (16% des établissements dans la construction,
36% dans l’industrie). Il faut de plus noter que ces statistiques ne concernent que les établissements du secteur
marchand non agricole, privés et semi-publics, la fonction publique et les organismes de protection sociale étant
hors du champ de l’enquête.
Tableau 1 : Présence d'au moins un comité d'établissement ou d'entreprise (CE)
Taille d'établissement
1999
2005
2011
Secteur d’activité
2005
2011
20 à 49 salariés
19%
19%
15%
Industrie
35%
36%
50 à 99 salariés
49%
44%
38%
Construction
23%
16%
100 à 199 salariés
64%
61%
55%
Commerce
30%
27%
200 à 299 salariés
89%
88%
79%
Services
37%
27%
300 salariés ou plus
91%
92%
91%
33%
28%
Ensemble
34%
33%
28%
Source : DARES
Sur la base de ces résultats, Atout France estime par recoupement quenviron 35 000 entreprises et
administrations ont un CE ou assimilé, dont 3000 Comités d’œuvres sociales (COS) et Caisses d’actions sociales
(CAS)
3
. Ces CE couvriraient environ 11,5 millions de salariés (8,4 millions dans le privé, 3,1 millions dans le
public) soit 50% du total des salariés français.
En s’appuyant par ailleurs sur le fait qu’un ménage dont la personne de référence est salariée comprend en
moyenne 2,6 personnes (données recensement INSEE), nous estimons le nombre de personnes concernées
directement ou indirectement par les CE autour de 28 millions de personnes, adultes et enfants confondus, ce qui
correspondrait grossièrement à 40% de la population française
4
.
2
La baisse entre 2005 et 2011 du pourcentage d’établissements dotés d’un CE provient principalement d’un effet
de structure. Les secteurs qui se développent le plus sont ceux les CE sont peu présents, alors que l’industrie,
secteur où les CE sont très présents, est déclinante.
3
Dans la suite du texte, l’expression CE renvoie à l’ensemble CE, COS et CAS.
4
Cet ordre de grandeur est probablement surestimé car au sein d’un couple de salariés, les deux personnes
peuvent disposer personnellement d’un CE.
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4
1.2 Montants du budget des ASC : le « grand flou », entre 2 et 14 milliards d’euros !
Selon Officiel CE environ les ¾ des CE recevraient une dotation « activités sociales et culturelles »
5
. Mais la
question économiquement cruciale est celle du montant du budget. Les seules informations rigoureuses sur ce
point datent de l’enquête DARES de 2004. La dotation ASC représentait alors en France 0,84 % de la masse
salariale, moyenne masquant de très fortes disparités :
- 9% des comités d’entreprise interrogés n’avaient rien perçu ou rien déclaré,
- 29 % des comités d’entreprise avaient perçu moins de 0.5 % de la masse salariale,
- 25 % des comités d’entreprise avaient perçu entre 0.5% et 1% de la masse salariale,
- 23% des comités d’entreprise avaient perçu de 1% à 1.5% de la masse salariale,
- 14% des comités d’entreprise avaient perçu plus de 1.5% de la masse salariale.
Faute de données nationales consolidées plus récentes sur les ressources des comités d’entreprise, les diverses
études existantes proposent des chiffres qui vont presque du simple au triple : 0,5% de la masse salariale
(Plateforme CE), 1,1% (Officiel CE), 1,4% (Atout France). Ces études soulignent également les très fortes
disparités de dotations entre CE, allant de 0,1% à 5 % de la masse salariale, en lien notamment avec la taille de
l’entreprise
6
. Atout France ajoute que ces inégalités sont aussi liées à l’ancienneté du CE (dotation de 1,6% dans
les CE créés avant 1980 contre 1,2% pour les CE créés après 2000), au secteur d’activité (par exemple 0,4%
dans les transports routiers, 1,25% pour les établissements hospitaliers privés non lucratifs)
7
et qu’en moyenne
les CAS et les COS bénéficient d’une subvention plus faible (autour de 0,4% de la masse salariale) que les CE
(1,5%). Sur la base de ces pourcentages, les dotations ASC des CE représenteraient aujourd’hui au total entre 2,5
milliards d’euros (estimation basse pour l’année 2009 par le Sénat
8
) à 4 milliards d’euros (Atout France), soit des
chiffres de 230 à 380 en moyenne par salarié concerné. Avec encore de fortes inégalités : pour un quart des
CE, la dotation par salarié serait inférieure à 100€ alors que pour 20% elle serait supérieure à 400€ (Officiel
CE) ; elle serait en moyenne de 330€ pour les entreprises de moins de 200 salariés et de 570€ pour les entreprises
de plus de 500 salariés (Atout France)
Mais la dotation ASC n’est pas le seul constituant des dépenses générées par les CE. Il faut également prendre en
compte la participation financière des salariés aux différentes activités. Les estimations conduisent à penser que
le budget général des CE serait de l’ordre de 8 milliards d’euros (hors chiffre d’affaires des ventes aux salariés -
Officiel CE) à 14 milliards d’euros (Salons CE).
Economiquement, il est intéressant de comparer ces derniers chiffres aux données INSEE de dépenses de
consommation des Français. Un budget induit global des CE (avec la participation des salariés) de 11 milliards
5
Rappelons que contrairement au budget de fonctionnement réglementairement obligatoire et fixé à 0,2% de la
masse salariale brute, la subvention aux ASC n’est pas obligatoire et est négociée entre l’employeur et les
organisations syndicales.
6
Parmi les CE disposant de budgets ASC élevés, il y a notamment les grandes entreprises publiques comme la
RATP (2,8% de la masse salariale), la SNCF (1,7%), la Banque de France (2,5%), France Telecom (3,7%), Air
France (3%), la CCAS des industries électriques et gazières (1% du chiffre d’affaire). Mais les dotations les plus
élevés semblent être celles de l’aéronautique (Dassault, Airbus…) et des banques autour de 5% de la masse
salariale. encore ces données restent très fragiles car reprises en boucle dans les journaux et sur le net, sans
que la source de l’information soit toujours précisée.
7
Le CNT relève qu’environ 40% des conventions collectives nationales intègrent un accord de budget minimum
que l’employeur doit verser au CE.
8
A titre de comparaison, les estimations concernant les dotations de fonctionnement vont de 300 à 450 millions
d’euros. (Rapport n°14 de la commission des affaires sociales du Sénat sur la proposition de loi visant à établir
un contrôle des comptes des comités d'entreprises et sur la proposition de loi relative à la gestion des comités
d’entreprises, par Mme Catherine PROCACCIA, octobre 2013).
Texte à paraitre dans l’ouvrage « Le comité d’entreprise dans l’évolution de la représentation
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d’euros (milieu de la fourchette ci-dessus) représente 1% de la consommation totale des ménages (1139 milliards
en 2014) et 7% des dépenses récréatives totales des Français (dépenses de loisirs et culture 94 milliards +
dépenses en restaurants et hôtels 75 milliards). En matière de contribution aux dépenses liées au temps libre, et
du point de vue macroéconomique, les sommes transitant par les CE sont tout sauf négligeables !
1.3 Types d’ASC : d’abord la billetterie, les sapins de noël, les achats groupés et les voyages et vacances
Concernant l’utilisation des budgets ASC, l’enquête Officiel CE permet de détailler la fréquence des différents
types d’activités sociales et culturelles
9
. Les activités majoritairement pratiquées (tableau 2)
10
sont la billetterie
(spectacles, cinéma, parcs d’attraction,..) proposée par 86% des CE, la mise en place de distributeurs
automatiques (77 %), le noël des enfants (62%), les achats groupés (alimentation, habillement, vins, optique,
joaillerie) (66%), les chèques vacances (59%), les voyages, sorties et vacances (58%)
11
.
Tableau 2 : Types d’ASC
2015
Existence
Précisions
Billetterie
86%
(dont 66% subventionnent)
Distributeurs automatiques
77%
(dont 28% ont participé au choix et 27% ont choisi seul)
Noël des salariés
71%
Achats groupés
66%
Noël des enfants
62%
Chèque vacances
59%
Voyages, sorties, vacances
58%
(dont 83% subventionnent ; dont subvention en fonction du QF :
très souvent 25%, souvent 9%, peu souvent 8%, jamais 58%)
Titres restaurants
49%
(dont 13% subventionnent)
Soirées (hors noël)
32%
Séjours enfants
26%
(dont colonies 21%, centres aérés 17%, séjours à l’étranger 21%,
séjours ados 12%, séjours sportifs 11%...)
Source : Officiel CE
Sur la base d’une nomenclature en partie différente, l’enquête CEZAM de 2009 confirme globalement cette
hiérarchie des activités proposées par les CE. Elle permet également d’apprécier le caractère plus ou moins
social de la politique tarifaire des CE (tableau 3). Seules trois activités s’appuient largement sur des tarifs
différenciés en fonction des revenus, le plus souvent sur la base du quotient familial : les Chèques-vacances
(79% des CE adhérents à CEZAM), les CESU (Chèque Emploi Service Universel) (56%) et les locations de
vacances (51%). Pour toutes les autres activités, la dimension redistributive est absente, car très majoritairement
(entre 82 et 99%) la participation financière du CE est d’un montant identique, quelques soient les ressources du
salarié.
9
En dehors de la présence d’un contrat groupe de complémentaire santé dans 89% des CE interrogés (dont 32%
ont participé au choix avec l'employeur et 6% ont choisi seul), l’enquête ne fournit aucune information sur les
activités « strictement sociales » d’aide aux salariés en difficulté. L’étude CEZAM de 2009 contient par contre
des éléments détaillés sur les conseils juridiques aux salariés (26% des CE interrogés le propose), les avances
remboursables (22%), les secours (20%), la présence d’une assistante sociale (19%), les actions de défense du
consommateur (16%).
10
Ces pourcentages sont exprimés en proportion de comités d’entreprise interrogés et non pas en termes de
proportion de salariés touchés.
11
En repli notable : 74% en 2007, 69% en 2001.
1 / 14 100%
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