la télémédecine clinique : un modèle français

L’
externat et l’internat en méde-
cine sont instaurés en France au
xixe siècle, en réaction à lévolution
technique très rapide de la médecine
et à la médiocrité de lenseignement
théorique universitaire. Créés en 1802, ce sont
des formations pratiques hospitalières auprès
des malades. On les intègre sur concours, l’in-
ternat n’étant accessible qu’aux anciens externes.
Les étudiants en médecine commencent alors à
préférer aux examens de la faculté la préparation
des concours. Ces derniers sont en effet syno-
nymes d’élite, de qualité de la formation médicale
et préludes à la médecine clinique. Sans cette
formation hospitalière, il n’était pas rare que
l’étudiant parvienne au terme de ses études de
médecine sans avoir vu un patient, notamment
s’il avait raté – ou ne s’était pas présenté – au
concours de lexternat qui lui donnait accès à la
formation clinique hospitalière. Les fameuses
écoles de médecine de Paris et de Montpellier, en
particulier, assurèrent cette formation médicale à
la française et rayonnèrent à travers le monde aux
xixe et xxe siècles. La réforme Debré étendit cette
formation clinique à lensemble des universités de
province avec la création, en 1960, de vingt-cinq
centres hospitalo-universitaires. Le stage clinique
obligatoire pour tous les étudiants en médecine
fut mis en place après 1968, permettant à tous les
futurs médecins de se former sur lobservation
directe du malade.
Définition française
de la télémédecine clinique
La télémédecine clinique est définie en France,
dans le code de la santé publique (CSP), comme
« une forme de pratique médicale à distance uti-
lisant les technologies de l’information et de la
communication
1
». Il est également précisé que
la télémédecine « met en rapport, entre eux ou
avec un patient, un ou plusieurs professionnels de
santé, parmi lesquels figure nécessairement un
professionnel médical et, le cas échéant, d’autres
professionnels apportant leurs soins au patient
2
».
La télémédecine est donc bien un acte médical
clinique qui intègre la participation du patient
et est réalisé à distance sous la responsabilité
d’un médecin. Cependant, l’ambiguïté entre les
concepts de télésanté (ou e-santé) et de télémé-
decine clinique existe depuis la parution en 2008
et 2009 de deux rapports ministériels, le pre-
mier traitant de la télémédecine clinique qu’il
distingue de la télésanté 3, le second traitant de
la télésanté sous langle commercial, et qui y
intègre la télémédecine clinique 4. La télésanté
ou e-santé ne peut être confondue avec la télé-
médecine clinique.
La télémédecine clinique :
un modèle français
Pierre simon Médecin néphrologue et juriste,
Président de la Société française de télémédecine (SFT-ANTEL)
La révolution numérique transforme la santé.
La question de lusage des technologies de l’information
et des communications (TIC) dans l’exercice
de la médecine clinique française, sans rompre
avec la relation directe avec le malade, est un sujet
qui fait débat en France. Or, le modèle français
de la télémédecine clinique est de nature à améliorer
la qualité de prise en charge des patients.
Une qualité au moins équivalente à la médecine
clinique classique, à condition quelle la complète et
ne s’y substitue pas. Et qu’elle intègre une relation
virtuelle mais directe avec le patient qui aura donné
préalablement son consentement.
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LA TÉLÉMÉDECINE CLINIQUE
médecin a lobligation de se conformer au code de
déontologie médicale. Le Conseil national de l’ordre
des médecins la rappelé dans son livre blanc sur
la télémédecine (janvier 2009)11.
Quid du téléconseil médical gratuit
ou tarifé donné sur Internet ?
Lusage d’Internet, en ce qui concerne la réali-
sation des actes de télémédecine, ne peut être
envisagé que si toutes les conditions de mise en
œuvre précisées dans le décret sont réunies. Par
exemple, le décret ne considère pas le téléconseil
médical gratuit ou tarifé donné sur Internet comme
un acte de télémédecine clinique. Car cette forme
de télémédecine informative ne remplit pas toutes
les conditions de la télémédecine clinique. Il s’agit
Un concept clair pour les patients
et professionnels
Dans les pays anglo-saxons et la plupart des pays
en développement, la télémédecine est davantage
informative que clinique 5. Alors que la télémédecine
clinique se caractérise par « une activité profession-
nelle qui met en œuvre des moyens de télécommunica-
tion numérique permettant à des médecins et dautres
membres du corps médical de réaliser à distance des
actes médicaux pour des malades », la télémédecine
informative, très utilisée dans les pays anglo-saxons,
est définie comme « un service de communication
audiovisuelle interactif qui organise la diffusion du
savoir médical et des protocoles de prise en charge
des malades et des soins dans le but de soutenir et
d’améliorer l’activité médicale » 6.
C’est bien la pratique de la télémédecine clinique que
la France a légalisée dans la loi Hôpital, patients,
santé, territoires (22 juillet 2009). La définition légale
de la télémédecine y figure à larticle 78. Elle est sans
ambiguï sur le caractère clinique de la télémé-
decine
7
et décrit une pratique médicale à distance.
Celle-ci sera dès 2011 déclinée en actes cliniques
(décret 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la
télémédecine) 8.
Quelles conditions
de mise en œuvre ?
Le décret précise ces conditions qui
donnent une place primordiale au
patient et à son consentement. Elles
sont décrites de manière approfondie dans la récente
monographie de la Haute Autorité de santé (HAS),
publiée en juillet 2013 afin daider les promoteurs
à réaliser un projet de télémédecine clinique de
qualité et sécuri9 ainsi que dans le vade-mecum
télémédecine que vient de publier le Conseil national
de lordre des médecins (CNOM) 10. Décret, mono-
graphie HAS et vade-mecum nous rappellent les
conditions dexercice de la télémédecine clinique :
• le respect des droits du patient en matière d’in-
formation sur son état de santé et les traitements
dont il relève, mais aussi en ce qui concerne le
libre choix des soins, le recueil préalable du
consentement et la confidentialité des données
personnelles en santé,
• 
la nécessité d’un accès au dossier médical, notam-
ment lorsque le patient est atteint dune maladie
chronique,
• 
la possibilité de faire appel à un tiers compétent
par télé-expertise lorsque le médecin traitant le
juge nécessaire.
Dans la pratique de télémédecine clinique, comme
dans celle de médecine clinique en face à face, le
La télésanté ou e-santé ne peut être
confondue avec la télémédecine clinique.
1. Définition légale de la télémédecine en France, art. L.6316.1 du code de la santé publique.
2. Idem.
3. P. Simon, D. Acker, « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins »,
20 novembre 2008 - http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_Telemedecine. pdf
4. P. Lasbordes, « La télésanté, un nouvel atout au service de notre bientre », 15 octobre
2009, La Documentation française - http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/
rapports-publics/094000539/0000.pdf
5. R. Wootton, A. Geissbuhler, K. Jethwani, C. Kovarik, D. A. Person, A. Vladzymyrskyy,
P. Zanaboni, M. Zolfo, “Long-running telemedicine networks delivering humanitarian
services: experience, performance and scientific output”, Bulletin of the World Health
Organization 2012; 90:341-347D. doi: 10.2471/BLT.11.099143.
http://www.who.int/bulletin/volumes/90/5/11-099143/en/
6. J.-M. Croëls, Le Droit des obligations à l’épreuve de la télémédecine, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 2006, pp.38-39.
7. Définition légale de la télémédecine en France, art. L.6316.1 du code de la santé publique.
8. Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTextedo?cidTexte=JORFTEXT000022932449
9. HAS, Grille de pilotage et de sécurité d’un projet de lémédecine, 17 juillet 2013 - http://www.
has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-07/guide_grille_de_pilotage_et_de_
securite_d_un_projet_de_telemedecine_2013-07-18 _13-34-47_545.pdf
10. CNOM, Vade-mecum télémédecine, septembre 2014 - http://www.conseil-national.
medecin.fr/sites/default/files/cn_pdf/septembre2014/master/sources/index. htm
11. Télémédecine : les préconisations du CNOM, janvier 2009
http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/telemedecine2009.pdf
© O. Perrenoud - CHU Besançon
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souvent d’un téléconseil médical délivré à partir
d’une plateforme d’appel, un service offert à leurs
adhérents par les organismes complémentaires,
mutuelles ou assurances. Le CNOM rappelle que
cette pratique relève néanmoins du code de déonto-
logie médicale. Lorsque cet « e-téléconseil » médical
est personnalisé, la prestation médicale doit être
effectuée en conformité avec les règles du code de
déontologie médicale 12.
Pas de confusion ou dassimilation possible, donc,
entre la télémédecine clinique et la télémédecine
informative ou télésanté. La première répond à une
prestation médicale clinique à distance. Elle engage
la responsabilité du médecin et vise à améliorer l’éga-
lité d’accès à des soins de qualité. Elle implique par
voie réglementaire un accès simultané et sécurisé au
dossier médical du patient, l’information pouvant ou
devant être partagée avec les différents médecins qui
participent à la prise en charge à distance. Comme
la médecine clinique en face à face, sa tarification
est encadrée par l’Assurance Maladie. Elle ne peut
en aucun cas relever d’une pratique commerciale 13.
La télémédecine informative,
une éducation à la san
La prise en charge éventuelle, par la solidarité natio-
nale, de la télémédecine informative ou télésanté fait
aujourd’hui débat. Cette dernière relève davantage
d’une éducation à la santé pour la prévention des
risques et des maladies. Elle pourrait aussi être
assimilée à une offre de service de santé, de nature
commerciale ou e-commerce, qui vise à améliorer
le bien-être et/ou le bien-vieillir des personnes (en
référence à la définition de la santé donnée par
l’OMS en 1946). Les nombreuses applications en
santé intégrées dans les outils de la Mobile Health
(MHealth) sont un exemple. Limplication des com-
plémentaires en santé dans cette offre de service de
santé (plateformes de téléconseil en santé) laisse
entrevoir un nouveau modèle économique.
Le modèle français de la télémédecine
clinique dans le programme national
de déploiement
De nombreux pays attachés au modèle français de
la médecine clinique pourraient adopter le dispositif
de la télémédecine clinique. Car ce dernier vient
compléter la médecine classique et
non s’y substituer. Quelles sont ses
applications principales dans le pro-
gramme national de déploiement de
la télémédecine ?
>> Permanence des soins en téléradiologie : néces-
saire pour offrir à tout patient un accès à des explo-
rations radiologiques de plus en plus spécialisées,
elle repose sur un principe clinique porté par la
Société française de radiologie (SFR) : la téléradio-
logie ne doit pas se limiter à une télé-interprétation
d’images transmises. Elle demeure un acte médical
clinique. Le téléradiologue, informé préalablement
des données cliniques qui justifient la demande, a le
choix d’y répondre ou non, ou encore celui d’adap-
ter la technique d’examen aux données cliniques
(par exemple recommander une IRM plutôt qu’un
scanner)14. Dans certains pays anglo-saxons, la
téléradiologie est considérée comme une prestation
commerciale concurrentielle d’un service médical
qui s’appuie généralement sur la seule télé-inter-
prétation d’images. Cette téléradiologie low cost sest
développée aux USA avec des centres d’interprétation
situés en Inde. La SFR ne recommande pas ce type
de téléradiologie.
>> lé-AVC : la prise en charge à distance d’un
patient en phase aiguë de laccident vasculaire
cérébral (AVC) ischémique se développe rapidement.
Le télé-AVC réduit les pertes de chances liées à une
inégali de nos concitoyens d’accéder rapidement
aux soins spécialisés d’une unité neuro-vascu-
laire (UNV). Une filière de soins cliniques précise
et rigoureuse permet à chaque patient touché par
un AVC ischémique de bénéficier le plus vite pos-
sible – dans le délai maximal de quatre heures et
demie après l’apparition du premier signe clinique
La télémédecine clinique répond à une
prestation médicale clinique à distance.
© Antoine Cercueil CNES
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LA TÉLÉMÉDECINE CLINIQUE
– d’un traitement thrombolytique qui pourra faire
régresser, voire disparaître le handicap neurolo-
gique. Validée par la HAS et la Société française
neuro-vasculaire, le protocole de prise en charge
à distance à la phase aiguë de lAVC est lexemple
d’une démarche clinique pluridisciplinaire qui assure
une qualité et une sécurité au patient dans un geste
thérapeutique à risque 15.
>> Télésurveillance médicale des maladies chro-
niques au domicile des patients : c’est sans doute
lapplication la plus novatrice en matière de télémé-
decine clinique. La télésurveillance des maladies
chroniques peut se limiter à une télémédecine
informative, le professionnel de santé n’intervenant
que de façon différée. Il est aujourd’hui démontré
qu’elle na aucun impact clinique favorable par
rapport à une prise en charge sans télémédecine.
Lorsque cette télésurveillance est réalisée avec
une organisation de télémédecine clinique, c’est-
dire avec une prise en charge en temps réel par un
professionnel de santé de toute alerte à risque pour
le patient, un impact clinique favorable apparaît,
apportant au patient un réel service médical
16.
C’est probablement dans cette approche clinique
de la télésurveillance que les outils de la MHealth
bénéficient d’une fenêtre de développement. La
MHealth pourra démontrer un réel impact sur la
santé des personnes alors que lorsqu’elle n’est
utilisée que pour de l’éducation en santé, son
impact n’est pas encore démont
17
. De nombreux
développements de la MHealth sont prévisibles
dans les prochaines années, tant dans le champ
de la télémédecine informative ou télésanté que
dans celui de la télémédecine clinique.
Dans les structures médico-sociales
Ehpad et établissements pénitentiaires
Quelles applications de la télémédecine clinique
dans ces structures ? Lobjectif est d’apporter aux
sidents des structures médico-sociales et Ehpad
davantage de soins médicaux, notamment pour les
personnes atteintes de maladies chroniques du vieil-
lissement, souvent sujettes à de trop nombreuses
hospitalisations. Idem chez les détenus de longue
peine. Téléconsultation et la télé-expertise sont
des actes cliniques qui améliorent laccès de ces
populations à la médecine clinique. Le modèle de
la prise en charge des plaies chroniques en Ehpad
est un excellent exemple.
L
a France est en mesure de développer un
modèle de télémédecine clinique sappuyant
sur les TIC, deux siècles après avoir fondé une
médecine clinique d’excellence qui a rayonné à
travers le monde. Les enjeux économiques de
la santé numérique laissent dire, parfois, qu’un
retard serait observé dans l’usage du numérique
par les professionnels de santé français. Il n’en
est rien. Nous confondons alors deux pratiques :
une télémédecine informative (ou télésanté) qui
peut améliorer le bien-être des personnes ou le
bien-vieillir, et une télémédecine clinique, laquelle
demeure une médecine clinique à distance. La
qualité du service médical rendu par cette dernière
est démontrée. Sa transformation progressive
en fonction des données acquises de la science
est certaine. Larrivée des nanotechnologies, des
big data et laccès au génome humain en sont les
prémices. La télémédecine clinique relève d’une
évolution de la médecine. Non d’une révolution. n
DR - 2013
12. Téléconseil personnalisé, 29 janvier 2012 - http://www.
conseil-national.medecin.fr/article/
teleconseil-personnalise-1155
13. P. Simon, J. Lucas, « La télémédecine n’est pas du
e-commerce, mais de la médecine clinique », European Research
in Telemedicine, 2014;3 :27-34.
14. J.-P. Masson, « Téléradiologie : état des lieux en 2011 »,
European Research in Telemedicine, 2012 ; 1 :19-25.
15. HAS, « Télé-AVC, prise en charge en urgence, indicateurs de
pratique clinique. Programmes pilotes, impact clinique », 2013
- www.has-sante.fr
16. P. Simon, « La recherche clinique en télémédecine :
évaluer le service médical rendu aux patients », European
Research in Telemedicine, 2012 ; 1 :1-6.
17. P. Simon, « Quel service médical rendu aux patients par la
Mobile Health ? », RHF, 2013 ; 531:26-30.
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