
Les groupes d’économie sociale. Dynamiques et trajectoires.
Rafael Chaves et José Luis Monzón
La matérialisation dans le temps d’une trajectoire d’entreprise ou autre est définie par,
d’un côté, la force directrice qui oriente l’évolution suivie et, de l’autre, l’influence de différents
types de facteurs.
Dans les entreprises et les groupes d’entreprises, il s’agit d’une logique de création de
valeur d’un type spécifique, aussi connue comme logique de valorisation de certains actifs, tels
les capitaux investis ou le facteur travail, qui déterminent la trajectoire. Par conséquent, dans
cette logique de valorisation seront recueillis le centre d’émanation et l’explication de la
succession de décisions stratégiques qui définissent l’histoire économique du groupe. L’analyse
de ce centre d’émanation devient une tâche incontournable pour pouvoir analyser les
trajectoires. Mais il est également important d’analyser les facteurs centraux qui influencent,
conditionnent ou limitent l’orientation et l’évolution de l’agent principal. Dans ce contexte, on
part de l’hypothèse que chaque décision/action stratégique du groupe d’entreprises est le
résultat de la confluence systémique de deux groupes de facteurs: d’un côté, des éléments
internes du groupe, tels les principaux agents qui coexistent dans l’organisation, le cadre
institutionnel et culturel interne régnant, et le processus de négociation et d’affrontement interne
quand il s’agit d’adopter et de matérialiser cette suite de décisions stratégiques; et de l’autre,
les éléments externes de nature économique, institutionnelle ou culturelle (Cyert et March,
1963; Tomás-Carpi, 1991; Batsch, 1993; Coopey et al., 1998; Chaves, 1999b).
Pour pouvoir identifier les trajectoires des groupes d’économie sociale, il est pertinent
d’aborder les différents éléments considérés comme définitoires de la trajectoire.
3 LA LOGIQUE DES GROUPES D’ÉCONOMIE SOCIALE
3.1 La notion de groupe d’économie sociale
Quels sont les éléments définitoires d’un groupe d’économie sociale? Comme Chaves
l’indique (1999a), cette locution intègre deux éléments: d’une part, une structure
organisationnelle de groupe d’entreprises et, d’autre part, une réalité sociale se rattachant à
l’économie sociale. Il est donc indispensable de traiter les deux aspects comme point de départ
pour établir une définition.
Suivant la définition du terme « groupe » la plus générique, de nature sémantique1, il
s’agirait d’une « pluralité d’êtres qui forment un ensemble, matériellement ou mentalement
considéré ». Deux éléments peuvent être identifiés, l’un étant les unités différenciées (ou
nœuds), et l’autre, une logique de rapport entre elles (les liaisons) qui leur confère un sens de
collectif différencié. Si l’on applique ces éléments au monde économique des entreprises, les
deux éléments sont, d’un côté, les entreprises juridiquement indépendantes, et, de l’autre, une
logique de rapport (économique) entre celles-ci, qui est la base de leur configuration en tant
qu’entités différenciées. Les nœuds et les liaisons peuvent ainsi former différents types de
structures organisatives, des plus rigides et homogènes, comme le sont les holdings, aux plus
souples et flexibles, comme le sont les réseaux d’entreprises (Tomás-Carpi et al., 1997).
L’élément clé quand il s’agit de différencier les types de structures de groupes est la nature des
liaisons, c’est-à-dire, le genre de lien établi entre les entreprises du groupe. Ces liens peuvent
se fonder sur a) la coopération parmi des entités (nœuds), ou b) la domination de certaines
entités par rapport aux autres.
Quoique, en théorie, il existe un vaste éventail de possibilités de structures
organisationnelles de groupe, la conception la plus étendue de groupe d’entreprises dans la
littérature économique est celle du holding: une entreprise dominante ou mère dont les autres
entreprises dépendent au niveau du patrimoine, des finances ou économique, mais tout en
conservant leur indépendance juridique. C’est la forme la plus répandue de groupe
d’entreprises pour ce qui est des entreprises typiques du système économique, de nature
capitaliste. Cette conception est précisée dans la définition de « groupe industriel » la plus
étendue: « ensemble dérivé de la concentration d’unités d’entreprises au moyen d’une relation
de dépendance, à travers laquelle une société exerce sur d’autres un pouvoir qui détermine la
soumission de celles-ci à la volonté de la première, tout en conservant les personnalités
1 Dictionnaire de la langue espagnole, Real Academia Española, Madrid, 1984.