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Contrairement à l’idée répandue, le principe d’un développement qui soit durable ne date pas d’hier.
Ainsi, en 1811, dans son Dictionnaire général raisonné et historique des Eaux et Forêts Jacques Joseph
Baudrillard propose la définition suivante de l’aménagement : « C’est l’art de diviser une forêt en coupes
successives ou de régler l’étendue ou l’âge des coupes annuelles, de manière à assurer une succession constante de produits
pour le plus grand intérêt de la conservation et de la forêt, de la consommation en général et du propriétaire ». 50 ans
plus tard, Adolphe Parade dans Notice historique sur l’art des aménagements (1860) développe ainsi sa
définition : « L’art d’aménager les forêts est né d’un besoin d’ordre et de la préoccupation de sauvegarder les nécessités de
l’avenir, tout en donnant satisfaction aux exigences du présent ».
Il ne s’agit cependant pas là de géographes, pas plus que Jules Verne dont j’ai mis une citation en
exergue. C’est, encore une fois, Elisée Reclus qui sert de référence aux géographes qui se réclament
d’une tradition de préoccupation pour le thème du Développement durable. Ainsi l’un de ses derniers
biographes, Jean Didier Vincent intitule son livre : « Elisée Reclus, géographe, anarchiste, écologiste ». Dans un
petit ouvrage récemment réédité, histoire d’un ruisseau en 1869, Reclus abordait le rapport avec la
nature d’une façon poétique et quasi religieuse qui enthousiasme nombre d’écolo d’aujourd’hui (Doc 1).
Dans un article de la Revue des Deux mondes de 1866 il avait davantage théorisé sa position (Doc 2).
C’est la même année, 1866, qu’apparaît sous la plume du biologiste allemand Ernst Haeckel le
terme d’écologie qu’il fabrique à partir du grec « oikos » (maison –habitat) et logos (savoir) : science de
l’habitat… Dans son ouvrage Morphologie générale des organismes, Haeckel définissait la science écologique en ces
termes: « (...) la science des relations des organismes avec le monde environnant, c'est-à-dire, dans un sens large,
la science des conditions d'existence. ». Voila une définition que la géographie aurait volontiers pris pour
son compte. La relation entre la géographie et l’écologie (science) a été à peu près aussi compliquée que celle
que nous avons déjà évoquée entre la géographie et la sociologie, tant leurs objets et leurs méthodes étaient
souvent confondues. A la fin du XIXème siècle les géographes avaient inventé le terme de « géographie
humaine » que les géographes français ont préféré à anthropo-géographie proposé par Friedrich Ratzel.
Celui d’« écologie humaine » a été proposé en 1922 par Harlan H. Barrows: Geography as human ecology
Annals of the Association of American Geographers, vol 13, 1922 et repris en France par Maximillien
Sorre : Les Fondements biologiques de la géographie humaine. Essai d'une écologie de l’homme Paris,
Librairie Armand Colin, 1943.
Mais les années cinquante mettent un terme à ce qui est désormais perçu comme un déterminisme
naturel. La géographie humaine est alors économique, sociale et bien peu environnementale. Le divorce
est cependant loin d’être total. Voyez par exemple comme le géographe belge Hubert Béguin
envisageait en 1965 la question des inondations dans un article de synthèse de la revue Tiers Monde
(doc 3).
Béguin s’appuie largement sur des travaux pionniers de géographes américains, parmi lesquels
Gilbert Fowler White, qui publie en 1974 des travaux sur les investissements contre les inondations
dans la Tenessee Valley. Il montre que malgré les 5 Milliards de dollars investis par le gouvernement un
plus grand nombre de personnes vit dans les zones à risque qu’auparavant. Les aménagements ont
renforcé le sentiment de sécurité ! Les études se sont alors multipliées sur l’aspect psychologique des
comportements humains : pourquoi l’homme choisit-il de rester dans des zones à risque ? Pourquoi
oublie-t-il si vite les risques auxquels il s’expose ? Le croisement de ces préoccupations de des études
sur les « facteurs de risques » naturelles débouche sur l’émergence d’une branche autonome de la
géographie : la géographie des risques. Cette branche de la géographie à connu un essor formidable en
France sous l’impulsion de Fernand Verger (les zones humides du littoral français, Belin 2009) qui a
entraîné de nombreux géographes comme André Dauphiné (Risques et catastrophes - Observer,
spatialiser, comprendre et gérer, A Colin 2003) ou Patrick Pigeon (Géographie critique des risques,
Economica, 2005) et bien entendu Yvette Veyret.
La géographie de la santé a connu, on l’a vu, une mutation du même ordre : du déterminisme à
l’étude des relations entre milieu, société et représentations de la santé.
La géographie économique qui s’intéressait à la localisation des activités productives évolue avec
son objet : la raréfaction des ressources du sol et du sous-sol, le développement des transports ont
contribué dès les années soixante à dissocier de plus en plus les localisations industrielles des
localisations des ressources, cette dissociation spatiale devient en elle-même un objet géographique…