De l`idée de nature à l`environnement - ruralites

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HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES Alain FRANÇOIS De l’idée de nature à l’environnement Une approche géographique Volume 1 inédit Positionnement et projet scientifique
Composition du jury :
Bernard Charlery de la Masselière (PR Emérite - Université de Toulouse Jean Jaurès)
François Bart (PR Emérite - Université de Bordeaux III - Montaigne)
Martine Tabeaud (PR Emérite – Université de Paris I Panthéon-Sorbonne)
Yves Jean (PR - Université de Poitiers)
Aziz Ballouche (PR - Université d’Angers)
Christine Vergnolle Mainar (PR – ESPE de l’Académie de Toulouse)
Discipline : Géographie Présentée et soutenue le 11 octobre 2016 Université de Toulouse Jean Jaurès Résumé « On ne comprendra rien aux idées que l’homme s’est faites historiquement de la Nature si on l’imagine lancé dans le monde avec ses seuls sens externes, car il faudrait alors trouver dans les sensations l’origine de ces idées, ce qui est parfaitement impossible ». Robert Lenoble, 1969, Histoire de l’idée de nature, Paris, Albin Michel, (p.35), 443 p. Il semble difficile aujourd’hui de dire d’un mot où nous en sommes au sujet de l’environnement. C’est sans doute qu’il manque ici l’essentiel : savoir clairement de quoi on parle et quel est précisément l’objet du débat ? Catherine et Raphaël Larrère ont bien posé les données du problème en montrant que les problématiques environnementales ne peuvent être saisies et interprétées indépendamment des idées que les sociétés se font de la nature1. En effet, où que l’on soit et aussi loin que porte notre regard, le partage entre nature et culture se trouble pour former un objet devenu hybride, une construction historique parfois confuse que l’on cherche à protéger, à réparer, à conserver sans jamais parvenir à en exclure totalement l’homme, ses activités, ses constructions et ses projets. Ainsi, la géographie de l’environnement qui se met en place depuis les années 2000 entend développer une approche nouvelle inspirée des réflexions proposées par les sciences sociales. Celles-­‐ci veulent sortir d’une lecture essentialiste de l’environnement, abandonnant l’idée d’une nature totalement objectivable, extérieure et indépendante, existant hors des sociétés, qui oublie la dimension sociale des phénomènes environnementaux. Il s’agit de ne plus considérer l’Homme uniquement comme un facteur de dégradation pour adopter une démarche constructiviste qui veut (re)positionner l’environnement à l’intersection des états de la nature et de son traitement social. L’environnement est alors appréhendé comme un « produit social » construit par l’histoire singulière des sociétés dans leurs rapports à la nature, et Yanni Gunnell de résumer en 2009 cette nouvelle démarche par cette jolie formule : il s’agit désormais de « Faire entrer la société dans la nature et [de] faire revenir la nature dans la société »2. Mais, plus largement, les débats récents apparus au sein de la géographie ont montré que les questions relatives à l’environnement suscitaient une interrogation plus profonde encore sur le positionnement même de la discipline, sur ses démarches et ses méthodes, voire sur son projet scientifique entre géographie de 1
Larrère C., Larrère R., 1997, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Paris, Champs essais, 355 p. 2
Gunnell Y., 2009, Ecologie et société, Armand Colin, Paris, p. 111. l’environnement et géographie environnementale3. Pour les uns, l’environnement est un objet de recherche au même titre que d’autres objets de la discipline. Il offre à la géographie une nouvelle « prise », il ouvre un nouveau champ d’observation utile à la compréhension des liens complexes et multiples que les sociétés contemporaines entretiennent avec la nature. En ce sens, il apparaît comme un nouvel « objet géographique » accessible et adapté aux outils habituels de la discipline et susceptible in fine d’entrer en résonnance avec ses concepts et son projet scientifique. Pour les autres, l’environnement appelle la refondation même du projet scientifique de la discipline, considérant que les problématiques environnementales annoncent un changement d’époque qui englobe notre perception même du réel et auquel doit répondre une prise de conscience chez les géographes de l’impact des activités humaines sur les écosystèmes terrestres. Pour ces derniers, la posture préconisée introduit alors l’idée d’un nécessaire changement de paradigme qui passe par le repositionnement de la discipline au plus proche du monde actuel et des enjeux environnementaux du moment. Il s’agirait en somme « d’environnementaliser » la géographie. Sur ce point, le titre de mon HDR « De l’idée de nature à l’environnement » permet de situer clairement ma position. Vouloir interroger l’environnement depuis l’idée de nature vise à replacer nos préoccupations environnementales contemporaines sur le temps long pour mettre à (bonne) distance l’histoire riche et mouvementée des hommes et de leurs idées devant la nature… une histoire dont il me plait de croire que l’écriture n’est pas achevée. Le parti pris était donc celui qui consiste à vouloir privilégier l’idée d’une continuité plutôt que celui d’une rupture de la relation nature-­‐société ; il s’agissait de ne pas céder en effet à la dramatisation (portée par les médias et relayée par les opinions publiques) de la relation complexe, ambigüe et dynamique que nos sociétés contemporaines entretiennent encore et toujours à l’égard de la nature. Une complexité et une ambiguïté que recouvre aujourd’hui le concept d’environnement ; cette « Quatrième nature » placée à la croisée d’un questionnement global sur les sociétés (et leurs projets de société), sur les relations que les sociétés établissent à la nature et enfin sur l’idée que celles-­‐ci se font de ces relations. Néanmoins, le sous-­‐titre de mon HDR « Une approche géographique » signifie que d’autres regards sont possibles (et souhaitables) et que j’entends ainsi simplement prendre part à une réflexion collective sur un objet de recherche, de réflexion et de préoccupation (l’environnement) devenu majeur. Enfin, ma posture critique à l’égard de la géographie environnementale n’est pas anodine et j’aime à croire qu’elle n’est pas non plus le fait de simples convictions qui résulteraient de ma subjectivité scientifique. En effet, à défaut de pouvoir prétendre à une totale et bien illusoire objectivité -­‐ ce « conte de fée » du positivisme scientifique -­‐ les avancées de l’histoire des sciences et de l’épistémologie m’ont au moins appris que la science gagne toujours à se méfier des idéologies du moment d’où qu’elles viennent, et en particulier celles qui portent en elles un ethnocentrisme invisible, mais aux conséquences souvent désastreuses sur notre lecture des choses et du monde. Méfions-­‐nous en effet de cette fâcheuse tendance que nous (Occidentaux) avons à naturaliser nos concepts et à les tenir pour définitifs et universels. Mon parcours et mes terrains africains, de même que mes « détours » par l’anthropologie, y sont sans doute pour quelque chose, car à côtoyer d’autres humanités, d’autres regards, d’autres intelligences, j’ai à plusieurs reprises été 3
Chartier D., Rodary E., 2016, Manifeste pour une géographie environnementale, Paris, Sciences Po, 435p.
interpellé par cette facilité avec laquelle nous transposions sur les autres nos propres catégories de pensées. En somme, évitons désormais l’abstraction totale du sujet pensant à l’égard de l’objet pensé. Invitons le géographe à s’inclure enfin dans sa conception, qu’il se réintroduise de façon autocritique et autoréflexive dans sa perception des objets qu’il interroge. Car à poursuivre ainsi dans le doux confort intellectuel des certitudes peu critiques et mal assurées, mes savoirs géographiques finiront par être condamnés aux illusions. « L’homme est non pas "possesseur " ou "révélateur ", mais créateur et sujet de son état de nature. C’est assez dire que son dessein n’est pas de s’approprier un univers qui lui serait étranger, auquel lui-­‐même serait extérieur : il consiste au contraire à accomplir sa fonction de facteur interne et régulateur de la réalité naturelle. ». Serge Moscovici, 1977, Essai sur l’histoire humaine de la nature, Paris, Champs Flammarion, (p. 20), 569 p. 
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