Maurice BLONDEL: Notes philosophiques
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version vendredi 14 janvier 2005
Quatrième série
La série numérotée. Fin 1886 – printemps 1890 (en ordre inverse)
Un cinquième environ des notes retrouvées avait été numéroté par Blondel de manière
uniforme, à l’encre, à l’angle supérieur gauche. En reconstituant cette série, on peut
constater : 1. – que cette série comprend les notes les plus importantes ; 2. – que la
numérotation semble procéder à peu près en ordre inverse de la rédaction des notes ; 3. – que
la plupart des autres notes (celles que nous ne publions pas) sont postérieures à cette série.
Cette série comprend donc, en ordre inverse, les notes que Blondel avait rédigées durant les
premières années de l’élaboration de sa Thèse – celles qui allaient « s’ensevelir pêle-mêle
dans une boite » (1). Après avoir terminé la Dictée (avril 1890), Blondel, pour enrichir la
rédaction suivante de son travail, va se servir de ces notes. Il les extrait une à une de leur
boîte, en les numérotant afin de pouvoir les classer. Avec ce matériel, il élaborera les Plans
de sa Thèse (que nous publions en appendice) qui renvoient à ces notes.
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(1)
Difficulté de comprendre la première perception sensible. (Mais nécessité de ne pas s’en
remettre à une justification métaphysique comme celle de Descartes ; nécessité de fonder la
croyance psychologique elle-même).
L’impossibilité de se représenter la perception externe d’un objet par le sujet vient de
l’illusion imaginative : nous voulons nous représenter la chose, faisant, à notre insu, intervenir
la catégorie de l’espace.
Dans la synthèse, il y a la présence réelle des éléments. Dans l’homme, il y a tout l’être des
choses qu’il connaît, et qui achèvent réellement de se constituer en lui – mais sans lesquelles
il ne serait pas ce qu’il est. D’où à la fois leur réalité objective (être) (a) et leur réalité
subjective (connaître) (b), toutes deux perçues en nous, à travers les analyses et les
dégradations successives de la conscience, foyer de tous les rayons, synthèse mentale d’un
degré supérieur.
Nous connaissons donc en nous, ce qui n’est pas nous, sachant que ce n’est pas nous, comme
éléments ou matériaux de la pensée et de l’être.
Leure être est plus réel dans la pensée que dans la nature ; mais
[verso :]
il est dejà réel, dans l’organisme, et dans le monde physique aussi.
Comment donc avons-nous l’idée de leur existence distincte? (Remarquons d’abord que par la
perception nous n’atteignons les vivants et les pensants que sous formes physiques – sauf
peut-être par magnétisme animal).
Autre illusion. Nous ne connaissaons pas les autres choses en tant qu’elles sont elles
(activement), mais en tant qu’elles ne sont pas nous (passivement); elles sont en nous; et elles
ne sont pas nous.
(c) Double réalité s’entresoutenant – connu et connaissant; réel et pensé; objectif et subjectif;
– il y a vraiment dans le phénomène quelque chose qui n’est pas dans l’être; et en cela le
phénoménisme a un sentiment (exclusif d’ailleurs et faussé) d’une vérité profonde.
(d) Taine et les autres qui, du haut de leur science, raillent le moi, paquet de sensations –
ressemblent à un chimiste qui, faisant l’analyse d’un composé, méconnaîtrait le composé
même; serait-ce scien[tifique?]
Apparat critique
V 1865, DK, r-v, encre.
(a) (être) : ajouté en surcharge
(b) (connaître) : Ajouté en surcharge
(c) ce qui suit au crayon
(c) le dernier paragraphe ajouté à l’encre
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(2)
Ac. Sc. Morales.s Effort cérébral - Concrétions psychologiques
Juillet 881 ‘idéogenie’2
‘L’entendement est une volonté transformée [...]. „Je me crois en état de prouver qu’il n’y
pas une idée intellectuelle, pas une perception distincte, ni une connaissance (a) proprement
dite, qui ne soit originairement liée à une action de la volonté“ p. 1863. (b)
‘Penser ce n’est pas [...] créer les choses, [...] c’est se percevoir soi-même dans l’acte qui
les’ reproduit4.
‘La sensation ne me fait pas sortir de moi-même. Elle [...] m’y bloque [...], tandis que dès le
premier effort efficace, je fais un pas hors de moi-même et je m’empare du monde’5. – Je ne
me trouve en moi-même qu’à la condition d’en sortir et de me donner.
Faire d’une vérité entrevue, une réalité éprouvée.
L’œuvre créatrice de l’activité – et le quid proprium du vouloir: mais nous ne créons pas de
rien [;] l’être, la plante, l’animal qui sont en nous, voilà la matière où nous travaillons. Les
êtres connus reçoivent de l’entendement une réalité supérieure. In eo Vivimus et sumus6,
pourraient-ils dire.
[verso :]
Et l’outil, c’est l’effort, l’action.
‘L’organe de l’esprit, le lieu de l’effort, ce n’est pas le cerveau simplement, mais toute la
substance nerveuse dans sa relation avec les muscles’7.
_______________
Physiolog[istes] – ‘Nous sommes agis’8 disent-ils. ‘Nos mouvements ne sont nôtres qu’en
apparence’9: Effort = (c) somme des sensations musculaires. (Comment les actions
s’exercent-elles sur les organes: pouvoir infini).
Impossible d’isoler la sensation efférente des sensations afférantes.
1 A. BERTRAND: L’Effort musculaire. In: Séances et travaux / ACADEMIE DES SCIENCES
MORALES ET POLITIQUES 130 = n.s. 30 (1888), p. 161-211.
2 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 185.
3 MAINE DE BIRAN, cit. par A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 186.
4 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 186.
5 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 187.
6 cf. Act. 17, 28: „In ipso enim vivimus, et, movemur, et sumus“, cité par A. BERTRAND:
L’Effort musculaire, p. 187.
7 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 187.
8 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 191.
9 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 193.
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‘Les sensations afférentes ne sont [...] que l’aliment de l’effort’1. (d)
Les physiolog[istes] ne connaissent que l’ombre projetée.
_________________
Contre (e) Renouvier. ‘Je ne [...] dis pas seulement à mes muscles d’obéir, je les fais obéir’2.
Des mouvements/images se réalisent spontanément – il n’en faut pas conclure que tout
mouvement est une réalisation spontanée d’images3.
James identifie la croyance et l’effort4. Ce qui se cache sous cette exagération, c’est que la foi
qui n’agit pas n’est pas sincère.
Ne pas identifier, comme Platon, la dialectique des idées et celle des actions.
________________
(f) L’idée de rapport réel et l’action. Cf. Rev. Psych. mars 89. p. 2455.
Apparat critique
P 949, Siglé : mm; DK r-v, enre.
(a) barré : distincte
(b) la dernière phrase soulignée par un trait en marge
(c) Effort : ajouté
(d) ce paragraphe souligné par un trait en marge
(e) contre : ajouté
(f) ce dernier paragraphe ajouté au crayon
1 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 201.
2 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 204.
3 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 205.
4 A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 208.
5 F. EVELLIN: La pensée et le réel. In: Revue philosophique de la France et de l’étranger
(non „Rev. Psych.“! mais A. BERTRAND: L’Effort musculaire, p. 162, l’appelait „le plus
riche recueil de documents psychologiques de notre époque“) 27 (1889), p. 225-250, p.
243 et 245: „Notre conviction profonde est que la doctrine du phénomène [...] se voit dans
l’alternative, ou de substituer à des idées définies des mots dénués de sens, ou d’introduire
l’action sans laquelle rien n’est possible [...] Allons nous donc chercher au-delà de l’idée
de rapport l’action destinée à l’expliquer? L’action, selon nous, est le fond même et la
substance de l’idée qu’on exprime quand on parle de rapport. S’il y a rapport entre deux
phénomènes [...] c’est qu’ils n’ont pas l’absolue inertie qu’on leur prêtait“.
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Sincérité.
Idôlatrie de la sincérité1: tout admissible, tout admirable pourvu qu’on ne mente pas au
moment où on l’exprime – tant le cabotinage semble entré dans les mœurs.
Fausse sincérité: on se persuade = influence de la volonté et des passions sur le jugement.
Vrai méthode morale: faire désirer que le choses soient (Pascal – Droz)2.
F[au]sses subtilités. Des scribes: (juif et chrétien)
Anne Karénine3.
Apparat critique
P 287 ; D, 7,5 × 12,5 cm, encre.
1 cf. Alfred FOUILLEE: Philosophes français contemporains: J.-M. Guyau. In: Revue
philosophique de la France et de l’étranger 26 (1888), p. 417-445: „[...] les grandes
qualités de penseur et d’écrivain [...] procèdent toutes d’une qualité qui est maîtresse en
philosophie comme en littérature: l’absolue sincérité [...]“ (p. 444).
2 E. DROZ: Étude sur le scepticisme de Pascal. Paris : Alcan, 1886, p. 371-372: „La
première règle de la méthode est donc de faire que la démonstration soit écoutée, ce que
l’on obtiendra en gagnant la volonté de l’auditeur [...]. De là, cette sorte de préface que
Pascal a mise à l’Apologie, et qui peut se résumer ainsi: L’homme, effrayé par le spectacle
des contradictions de sa double nature, [même... ] apprenant enfin du christianisme la
cause et le remède de sa misère, souhaite avant même d’en avoir les preuves que le
christianisme soit vrai“.
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