La crainte des médecins
Dans l’Hexagone, ce sont d’anciens patients qui créent la première Fédération nationale des
associations d’usagers en psychiatrie (FNAPSY), fortement impliquée dans le dispositif des
Médiateurs de santé - pairs. Mais comme en Ecosse, aux Pays-Bas ou en Belgique, ces structures ne
permettent pas d’obtenir un statut reconnu. Les sociologues français déplorent ce manque de
légitimité et accusent le contexte de rigueur budgétaire.
A cela s’ajoute la crainte des médecins de voir les métiers se confondre : et si demain, pour faire des
économies, on demandait aux médiateurs de santé d’administrer des soins ? Cette confusion des
rôles effraie. "On assiste déjà à un glissement de tâches, pointe Sylviane Duborper. Des médecins
vers les infirmiers, des infirmiers vers les éducateurs spécialisés et des aides-soignants vers les pairs-
aidants."
Les polémiques ne se focalisent pas uniquement sur les pairs-aidants mais s'inscrivent dans une
critique plus générale. "La création des emplois de MSP s’inscrit objectivement dans une tendance
au remplacement d’emplois bien payés par des emplois moins bien payés et à une délégation de
tâches en cascade", analyse la sociologue Lise Demailly. Avec une pointe de nostalgie, Sylviane
Duborper regrette les années 1980 :
A l'époque, dès qu'on demandait du personnel, des moyens et des formations, on les obtenait."
Ce contexte de disette a participé aux profondes mutations de la très rigide institution psychiatrique.
Pour le docteur Agnès Lambrichts, psychiatre à l'hôpital de jour Arthur Rimbaud de Tourcoing,
l'avenir de la profession tend vers "moins de moyens certes, mais plus de soins hors des murs de
l'hôpital". Structures de jour, appartements partagés, activités thérapeutiques à temps partiel : une
partie du personnel soignant voit parfois dans ces alternatives aux unités fermées, une politique de
santé mentale qui privilégie l’économie budgétaire au détriment de la qualité des soins.
Si d’autres agences régionales de Santé sont intéressées par les MSP, le manque d'expertise, l'échec
partiel de l'initiative dans certaines régions et la faible reconnaissance du métier nuisent à sa
valorisation. Valérie regrette particulièrement ce dernier point :
"Si je n'ai pas de statut, je vais être smicarde toute ma vie. Et si changement il y a, ce sera dans dix
ans, et je serai à la retraite."
Seulement employée à mi-temps par l'hôpital de jour, elle gagne 650 euros par mois. "Mais quand je
suis avec les patients et leurs problèmes, c’est du plein temps. Écouter la souffrance, ça me coûte."
Elle ne sera pas toujours seule dans ce cas. A l’initiative du programme, le Centre Collaborateur de
l'Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) appelle dans un rapport final, publié en janvier dernier,
à "pérenniser ce nouveau métier de la santé". En France, une nouvelle formation devrait être
reconduite dès 2016.
Par Manon Bachelot, Aliénor Carrière, Hortense de Montalivet, Camille Marigaux, Hélène
Masquelier, Lara Mercier, Axel Roux
Ce reportage a été réalisé par des étudiants à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille dans le cadre
d’un stage d’immersion aux unités tourquennoises de psychiatrie (UTP59), proposé par la Fédération
régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Nord-Pas-de-Calais.