Hôpital psychiatrique : ces anciens patients qui soignent les

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Hôpital psychiatrique : ces anciens patients qui soignent les malades
Valérie exerce le métier de pair-aidant à l'hôpital psychiatrique de Tourcoing. (Aliénor Carrière)
Hospitalisée il y a dix ans à Tourcoing, Valérie Vermeersch accompagne aujourd'hui des personnes
souffrant de pathologies mentales. Un nouveau métier, les "pair-aidants", qui suscite de fortes
réticences dans le milieu médical.
Lorsque Valérie est arrivée dans l'équipe, les réactions ont fusé. "J'ai entendu des infirmières dire : 'Si
maintenant les patients deviennent soignants, c'est vraiment qu'on n’en a plus rien à foutre de nous
!'" témoigne Sylviane Duborper, cadre de santé à l'hôpital de jour de Tourcoing, dans le Nord. En
embauchant Valérie, les unités psychiatriques ont accepté de tester un nouveau métier en phase
d’expérimentation : celui de pair-aidant.
Après une lourde dépression et un passage sous contrainte à l’Etablissement public de santé mentale
(EPSM) d'Armentières, cette ancienne comptable de 49 ans a repris pied :
J’ai découvert un milieu où je me sentais bien et des métiers relationnels qui avaient du sens."
Elle s’exprime aujourd’hui sans heurt sur son passé et soutient désormais les patients en leur
racontant son histoire. "Moi, si quelqu'un m'a aidée ici, c'est bien Valérie, je tiens à le dire."
Stéphanie en est à son troisième séjour à l’Etape, un foyer post-cure où les patients tentent de se
reconstruire un avenir, hors des murs de l'hôpital. Valérie l'a aidé à trouver un nouveau logement, un
nouveau travail, et à recréer des liens familiaux.
"Vous n'avez pas honte ?"
Les médiateurs de santé-pairs (MSP) – nom officiel des pairs-aidants – suivent une formation
novatrice à l’Université Paris 8. En janvier 2012, ils étaient 29 anciens patients à s’inscrire. Seul
prérequis : avoir eu une expérience de la pathologie psychique. Objectif : compatir aux maux des
malades, seconder l'équipe soignante et ranimer la confiance et l’autonomie des patients.
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Encore mal définie, cette nouvelle fonction peine à trouver sa place parmi les autres corps de métiers
en santé mentale. Dans certaines unités, l’intégration des MSP n’a pas été évidente. La première fois,
au centre médico-psychologique de Tourcoing, "les infirmiers n'ont pas été suffisamment associés",
reconnaît Marie, une infirmière qui travaille avec Valérie. L'expérience a tourné court. Dans toute la
France, sur les 29 MSP recrutés, 13 ne sont plus en poste, pour cause d’abandon, de rejet du milieu
médical ou de rechute.
Pour devenir médiatrice de santé-pair, Valérie a suivi une formation à l'université Paris 8.
(Aliénor Carrière)
Par deux fois, les syndicats infirmiers ont demandé au ministère de la Santé l'arrêt de la phase
d’expérimentation. "L’intégration dans les équipes de soins de ces 'médiateurs en santé mentale'
met à mal le métier de soignant, tout en déqualifiant le niveau de prise en charge des personnes
souffrant de troubles mentaux", dénoncent les syndicats de la fonction publique hospitalière dans
une lettre adressée à l’ancien ministre Xavier Bertrand, en 2012.
Certains psychiatres se sont également violemment opposés à leur implantation. Valérie se souvient
d'une assemblée où l'un d'entre eux a lancé : "Vous n'avez pas honte de vous faire de l'argent sur la
maladie des gens ?"
Un métier né aux Etats-Unis
"Par leur position d’ancien patient et de nouveau professionnel, mais aussi par leur intégration dans
les équipes – sans être à proprement parler des soignants ou des travailleurs sociaux –, la présence
des MSP vient questionner l’ensemble de la répartition des rôles et des places", analysent les
sociologues du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) dans
leur évaluation du dispositif. Valérie joue les diplomates. Pour elle, cette angoisse est légitime. "Si on
m’annonçait demain que je devais travailler avec un prisonnier, j’aurais aussi des préjugés."
A l'hôpital de jour de Tourcoing, elle a pourtant réussi, avec humilité, à briser le rapport soignantsoigné. Jamais elle n'use du jargon médical.
Je ne leur parle pas de dysthymie, mais de tristesse. Je défais leur identité de malade pour qu’ils
retrouvent leur identité propre."
"Un jour, je serai comme toi", lui disent aujourd'hui ses patients. Une récompense : cela lui donne le
sentiment de ne pas avoir souffert pour rien. "Ces fracassés de la vie me le rendent bien. J'adore ce
métier, il me fait vibrer." Mais si Valérie travaille pour ce service depuis trois ans, c'est aussi parce
qu'elle a su s’intégrer et préserver sa santé mentale. "Si je m'étais mis les infirmières à dos, je serais
tombée de nouveau en dépression."
Né dans les années 1970 aux Etats-Unis, ce métier s’est construit sur l’expérience des Alcooliques
anonymes. Sa particularité ? Le patient y est vu comme un individu émancipé, capable de prendre en
charge sa maladie. Cette évolution est le fruit des travaux d’une activiste et ex-patiente, Judi
Chamberlin, et de la participation du Mental Patients Liberation Front (Front de libération des
malades mentaux). Des initiatives québécoises similaires vont ensuite inspirer le dispositif
expérimental français.
La crainte des médecins
Dans l’Hexagone, ce sont d’anciens patients qui créent la première Fédération nationale des
associations d’usagers en psychiatrie (FNAPSY), fortement impliquée dans le dispositif des
Médiateurs de santé - pairs. Mais comme en Ecosse, aux Pays-Bas ou en Belgique, ces structures ne
permettent pas d’obtenir un statut reconnu. Les sociologues français déplorent ce manque de
légitimité et accusent le contexte de rigueur budgétaire.
A cela s’ajoute la crainte des médecins de voir les métiers se confondre : et si demain, pour faire des
économies, on demandait aux médiateurs de santé d’administrer des soins ? Cette confusion des
rôles effraie. "On assiste déjà à un glissement de tâches, pointe Sylviane Duborper. Des médecins
vers les infirmiers, des infirmiers vers les éducateurs spécialisés et des aides-soignants vers les pairsaidants."
Les polémiques ne se focalisent pas uniquement sur les pairs-aidants mais s'inscrivent dans une
critique plus générale. "La création des emplois de MSP s’inscrit objectivement dans une tendance
au remplacement d’emplois bien payés par des emplois moins bien payés et à une délégation de
tâches en cascade", analyse la sociologue Lise Demailly. Avec une pointe de nostalgie, Sylviane
Duborper regrette les années 1980 :
A l'époque, dès qu'on demandait du personnel, des moyens et des formations, on les obtenait."
Ce contexte de disette a participé aux profondes mutations de la très rigide institution psychiatrique.
Pour le docteur Agnès Lambrichts, psychiatre à l'hôpital de jour Arthur Rimbaud de Tourcoing,
l'avenir de la profession tend vers "moins de moyens certes, mais plus de soins hors des murs de
l'hôpital". Structures de jour, appartements partagés, activités thérapeutiques à temps partiel : une
partie du personnel soignant voit parfois dans ces alternatives aux unités fermées, une politique de
santé mentale qui privilégie l’économie budgétaire au détriment de la qualité des soins.
Si d’autres agences régionales de Santé sont intéressées par les MSP, le manque d'expertise, l'échec
partiel de l'initiative dans certaines régions et la faible reconnaissance du métier nuisent à sa
valorisation. Valérie regrette particulièrement ce dernier point :
"Si je n'ai pas de statut, je vais être smicarde toute ma vie. Et si changement il y a, ce sera dans dix
ans, et je serai à la retraite."
Seulement employée à mi-temps par l'hôpital de jour, elle gagne 650 euros par mois. "Mais quand je
suis avec les patients et leurs problèmes, c’est du plein temps. Écouter la souffrance, ça me coûte."
Elle ne sera pas toujours seule dans ce cas. A l’initiative du programme, le Centre Collaborateur de
l'Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) appelle dans un rapport final, publié en janvier dernier,
à "pérenniser ce nouveau métier de la santé". En France, une nouvelle formation devrait être
reconduite dès 2016.
Par Manon Bachelot, Aliénor Carrière, Hortense de Montalivet, Camille Marigaux, Hélène
Masquelier, Lara Mercier, Axel Roux
Ce reportage a été réalisé par des étudiants à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille dans le cadre
d’un stage d’immersion aux unités tourquennoises de psychiatrie (UTP59), proposé par la Fédération
régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Nord-Pas-de-Calais.
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