La Dépêche
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Dimanche 5juin 2011
40 ans du Criobe
||
dossier
Questions-
Réponses
Héloïse Rouzé
Doctorante au Criobe
Thèse École pratique des Hautes Études
Université de la Polynésie française
Quand et comment se produit la repro-
duction du corail ?
“Les coraux sont menacés par les pertur-
bations naturelles et anthropiques, et de
nombreuses études se focalisent sur les
stades adultes. Cependant, très peu d’in-
formations sont disponibles sur les effets
de stress sur les jeunes stades de vie des
coraux, nécessaires au maintien des popu-
lations. Ceci est biensouvent dû au manque
de connaissances sur la reproduction du
corail dans de nombreuses zones géogra-
phiques,etc’est le casdelaPolynésie fran-
çaise. Les coraux pondent quelques nuits
par an, àune certaine date et àune cer-
taine heure, en fonction de l’espèce consi-
déréeetdelazone géographique étudiée.
Déterminer la période de ponte des coraux
de Polynésie est un élément essentiel pour
pouvoir,par la suite, étudier les effets de
plusieurs stress (température, salinité,métaux)
sur la surviedes jeunesdestades de vie.
Après de longues nuits d’observation, j’ai
pu voir, entre autres, la ponte du corail
Montastrea curta
entre le 5-8 mars 2011,
de 19 h30 à20h15. Durant cette période,
ce corail arelâché dans la colonne d’eau
des agrégats (“grosses boulesroses”) com-
posés d’œufs et de spermatozoïdes. Au
bout d’une heureenviron, ces agrégats se
cassent et les œufs et les spermatozoïdes
se séparent. Pour qu’il yait fécondation,
les spermatozoïdes d’une colonie de corail
doivent être mis en contact avecles œufs
d’une autre colonie (l’autofécondationétant
très faible) et au bout de 24h-48h, une
larve sera formée. Je travaille sur plusieurs
espèces coralliennes (Montipora, Porites,
et Acropora sp.) afin de déterminer quels
sont les espèces et les stades de vie les plus
sensibles face aux différents stress. Néan-
moins, le mystère de la période de ponte
de nombreuses espèces coralliennes pré-
sentes en Polynésie française reste àêtre
élucidé…”
K
“Une seconde voie pour se nourrir”
Quels rôles jouent les organismes associés aux
coraux lors d’un stress ?
“Le fonctionnement desrécifscoralliens reposesur
de nombreuses associations entre organismes. Les
coraux, àl’origine de l’édification des récifs coral-
liens, dépendent notamment des organismes pré-
sents àl’intérieurdeleurs cellules, les zooxanthelles
(micro-algues) mais aussi des bactéries. Les algues
apportent l’énergie nécessaire àlavie du corail
(croissance, reproduction, etc.), tandis que les bac-
téries “amies” peuvent jouer un rôle protecteur
contre d’autres bactéries “ennemies”. Cet équili-
bre, où chacun de ces organismes exerce une fonc-
tion particulière, reste néanmoins très fragile et
devient de plus en plus instable face àl’augmen-
tation des perturbations naturellesetanthropiques.
Cela peut se traduire par l’apparition de bactéries
virulentes avant même l’apparition du blanchisse-
ment corallien (la perte des algues symbiotiques).
Néanmoins, certaines zooxanthelles sont connues
pour donner au corail une meilleure résistance face
aux stress. Les micro-organismes présents au sein
du polype détiennent donc un rôle majeur dans
la possibilité de résistance de leur hôte (corail).”
Mais qui fait quoi ?
“Afin d’en savoir plus,unsuivides coraux aété
mis en place autour de Moorea, sur différents sites
plus ou moins impactés dans le lagon. L’idéeest
d’évaluer la diversité des différentes algues et bac-
téries associées au polype, de les quantifier dans
ces environnements plusoumoinspollués, mais
aussi lors d’événements de stress comme une élé-
vation de la température de l’eau. La mise àjour
de liens entre la nature des bactéries, des algues
associées au polype et certaines conditions envi-
ronnementales devraientpermettre, àterme, de
préciser le rôle de ces micro-organismes dans la
résistance des coraux face aux différentes agres-
sions et ainsi déterminer quelles sont les associa-
tions les plus propices àune adaptation dans un
milieu donné.” K
Réchauffement climatique :comment les coraux gèrent-ils
le stress ?
“Les variations des paramètres environnementaux provoquent un
stress chez les coraux ce qui induit l’activation de mécanismes de
protection. Cela se traduit par une modification de l’activité de leurs
gènes. Dans le cadre de son post-doctorat, Patricia Wecker étu-
dieracette modification de l’expression génique des coraux face
àdifférents stress, dont l’augmentation de la températuredel’eau.
Afin de réaliser cette étude, il faut volontairement stimuler les
coraux et étudier les réactions. Alors que de telles études sont en
général réalisées en aquarium, ce qui ne reflète pas parfaitement
la réaction des coraux dans leur milieu, nous réaliserons nos expé-
riences dans leur milieu naturel, le lagon de Moorea.Ledéfi àrele-
ver sera de réussir àmaîtriser l’ensemble des paramètres du milieu
et d’agir sur un plus particulièrement, commelatempérature. Des
chambres benthiques seront déposées dans le lagon :cesont des
sortes de cloches qui permettrontd’augmenter de quelques degrés
la température de l’eau autour du corail sans modifier les autres
paramètres. Une fois cette étape sur site réalisée, il faudra retour-
ner au laboratoire, extraire et analyserlematériel génétique des
coraux ainsi stressés pour
connaître les modifications
apportées àl’activité de
leurs gènes et ceux des
organismes associés. Cela
permettra de mieux com-
prendre l’influence du
réchauffement climatique
sur les coraux et sur leur
résistance éventuelle et à
terme de protéger le récif
corallien face aux change-
ments àvenir.”
K
A
Période de ponte :
“Le mystère demeure”
A
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ho
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n
Post-doctorante au Criobe,
financement de la Fondation
TotalDocteur en écologie
marine, spécialiste de l’étude
des voies de nutritionchez les
organismes marins
Comment se nourrissent les
coraux de nos récifs ?
“Les coraux capturent active-
ment des proies microscopiques
présentes dans l’eau de mer à
l’aide de leurstentacules. Cepen-
dant, les eaux du Pacifique sont
très pauvres en nourriture. Pour
subvenir àleursbesoins,les
coraux ont donc développé une
seconde voie pour se nourrir.Ils
possèdent àl’intérieurdeleurs
tissus des micro-algues, les
zooxanthelles. Les zooxanthelles,
comme tous les végétaux sont
capablesderéaliser la photo-
synthèse. Ellesfabriquent du
sucre àpartir du dioxydedecar-
bone (CO2) et de la lumière.
Une partie de cette matière crée
par les zooxanthelles est alors
transféréeàl’animal pour sa
nutrition. Sous l’effet des per-
turbations de leurenvironne-
ment (pollution, réchauffement
de la température de l’eau, etc.)
les coraux vont perdre leurs
zooxanthelles et donc une source
de production nutritionnelle
importante. Néanmoins, malgré
le peu de proies microscopiques
dans les eaux polynésiennes, les
coraux privés de leursalgues
symbiotiques devraient pouvoir
utiliser leurs tentacules pour cap-
turerdes proies et donc se nour-
rir.Ainsi, leur mode de nutrition,
devrait refléter leur état de santé.
L’objectif de ce travail est d’étu-
dier les différentes voies de nutri-
tion utilisées par les coraux de
Polynésie française et cela, en
fonction des conditions envi-
ronnementales. Cette étude
devrait permettre de mettre en
place un suivi simple permet-
tant de détecter très tôt un chan-
gement de mode de nutrition
des coraux révélateur de leur
état de santé. K
Patricia Wecker,
post-doctorante au Criobe, contrat européen
Marie-Curie ;docteur en microbiologie marine (Université de
Jacobs ;Max Planck Institut, Brême, Allemagne). ;
spécialiste de l’étude des gènes de bactéries en réponses
àdes stress environnementaux
.
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-Chargéederecherche au CNRS
Doctorat en océanographie biologique et environnement
marin -Université de La Rochelle)
qui défientletemps
“Préciser le rôle des
micro-organismes”
Prochaine et dernière parution :
le dimanche 19 juin 2011