Document complémentaire
Maurice Genevoix (cf. séance 5) a 82 ans quand il rédige La mort de près. Il décrit
dans l’extrait qui suit son expérience de la déshumanisation.
Je savais donc les façons qu’a la mort de banaliser ses atteintes, de semer les
cadavres et de les transformer, peu à peu en objets ordinaires, démythifiés de leur
propre visage, des regards qui avaient croisé les nôtres, des voix que nous avions
entendues. Alors l’homme dans la bataille parvient à un état étrange, presque
second, où persistent son pouvoir de sentir, sa lucidité, son jugement, où le
sentiment de sa personnalité ne souffre point d’altération, mais tout cela décalé
comme d’un bloc, jeté insidieusement dans un océan de fatalisme, une marée
d’indifférence, qui serait désespérante si elle n’était, à ce point, secourable.
Que cède cette indifférence, elle ne laissera point place à la peur, mais au
dégoût. Jamais sans doute n’ai-je été plus lucide qu’en ces instants où le paroxysme
du vacarme, l'acharnement monstrueux des obus sur une mince colline de glaise
jaune, calcinée, inexplicablement bourrée d’hommes vivants, d’hommes blessés
pêle-mêle et de morts, m’ont semblé se détacher de moi, spectateur à la fin stupéfait
devant tant de laideur, de grotesque et d’absurdité. »
Maurice Genevoix, La mort de près, 1972
Document complémentaire
Maurice Genevoix (cf. séance 5) a 82 ans quand il rédige La mort de près. Il décrit
dans l’extrait qui suit son expérience de la déshumanisation.
Je savais donc les façons qu’a la mort de banaliser ses atteintes, de semer les
cadavres et de les transformer, peu à peu en objets ordinaires, démythifiés de leur
propre visage, des regards qui avaient croisé les nôtres, des voix que nous avions
entendues. Alors l’homme dans la bataille parvient à un état étrange, presque
second, où persistent son pouvoir de sentir, sa lucidité, son jugement, où le
sentiment de sa personnalité ne souffre point d’altération, mais tout cela décalé
comme d’un bloc, jeté insidieusement dans un océan de fatalisme, une marée
d’indifférence, qui serait désespérante si elle n’était, à ce point, secourable.
Que cède cette indifférence, elle ne laissera point place à la peur, mais au
dégoût. Jamais sans doute n’ai-je été plus lucide qu’en ces instants où le paroxysme
du vacarme, l'acharnement monstrueux des obus sur une mince colline de glaise
jaune, calcinée, inexplicablement bourrée d’hommes vivants, d’hommes blessés
pêle-mêle et de morts, m’ont semblé se détacher de moi, spectateur à la fin stupéfait
devant tant de laideur, de grotesque et d’absurdité. »
Maurice Genevoix, La mort de près, 1972