INTRODUCTION
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Il faut dire qu’au milieu du XIXe siècle les stratégies de carrière de la
bourgeoisie ne sont pas complètement hasardeuses. Dans son Guide
pour le choix d’un état, paru initialement en 1842, Édouard Charton
indique que trois critères doivent être pris en considération : pouvoir
subvenir aux besoins de la vie, de sa famille et de ses années de repos ;
favoriser l’exercice des facultés ; être utile à la société8. E. Goblot
et les siens n’ont guère failli à ces préceptes. Les historiens de la
bourgeoisie montrent plus encore que, derrière la carrière, se tient une
préoccupation majeure – tenir son rang, éviter le déclassement social –
à laquelle la famille d’E. Goblot n’échappe pas davantage.
Un tel souci s’inscrit dans une histoire de longue durée. Jusqu’en
1848, la bourgeoisie est souvent considérée comme un monde de
l’entre-deux, un espace du moyen situé à égale distance des barreaux
inférieurs et supérieurs de l’échelle sociale. Avec le Second Empire,
prenant conscience de la montée en puissance des bourgeoisies au sein
de la société française, de nombreux observateurs invitent à faire la
différence avec la classe moyenne et, plus généralement, à réfléchir sur
l’identité d’un groupe aux frontières incertaines. Mais, durant toute la
seconde moitié du XIXe siècle, les critères de démarcation demeurent
flous, ambigus et contradictoires. En 1897, A. Vavasseur, avocat
à la Cour, constate que les bourgeois se sont fondus avec les nobles
et le clergé. Le terme bourgeoisie a-t-il encore un sens ? Avec un tel
substantif « on tombe dans la logomachie, et c’est inévitable, le mot
ne correspond plus à la chose ; le mot a littéralement gardé sa rigidité
littérale, tandis que la chose s’est déformée, émoussée et divisée, au
point de devenir insaisissable »9. En apparence, la bourgeoisie n’est
plus puisque la Révolution a brouillé les frontières sociales et a fait
de tous les citoyens des égaux. Mais en apparence seulement, ajoute
A. Vavasseur.
Alors qui sont les bourgeois ? Pour certains, comme François
Guizot ou Charles de Rémusat, « l’appartenance à la bourgeoisie exige
une connaissance au moins superficielle de la culture humaniste, une
maîtrise des usages de la bonne compagnie, souvent transmise par
la tradition familiale, et, enfin, des loisirs sans lesquels il est difficile
de participer à la vie de société et d’assumer des responsabilités
civiques. Cela n’exclut pas toute activité professionnelle et n’implique