PRETRES Enquête sur le clergé d`aujourd`hui : 50 récits de vie

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PRETRES
Enquête sur le clergé d'aujourd'hui : 50 récits de vie
Monique HEBRARD, 2008
La plupart des prêtres parlent de leur vocation comme d'une histoire d'amour, dont
la couleur dominante est tantôt l'amour pour les autres, tantôt un amour mystique pour le
Christ.
Pour les uns, il y a eu un appel clair ou une intuition d'enfance qui a pris forme au fil
des ans, « comme un fil rouge qui ne m'a jamais quitté ».
Pour d'autres, ce fut un long cheminement fait d'hésitations, d'arrêts sur image,
d'oublis et de rebondissements.
Pour d'autres enfin, un appel tardif, parfois à la suite d'une conversion.
Par des chemins différents tous se sont un jour embarqués dans le don
inconditionnel de leur vie.
Pour les plus âgés, qui ont choisi le sacerdoce à l'époque de l'Action catholique,
des prêtres ouvriers et du Concile, alors que l'Eglise sortait des sacristies pour s'engager
dans le monde, le mobile de la vocation s'exprime spontanément par les mots « service »
et « solidarité ». Etre prêtre leur est apparu la meilleure façon de vivre l'amour des autres.
Les plus jeunes parlent plutôt d'un don radical qui correspond à ce qui leur semble
être la meilleure voie pour « réussir sa vie ». Beaucoup parlent de leur vocation en termes
de bonheur. Donner radicalement sa vie rend heureux. Ils sont persuadés que la société
actuelle met vraiment l'homme en danger et que suivre le Christ est le meilleur moyen de
participer à sauver les valeurs humaines essentielles
Stéphane, 33 ans : « Au début, je voyais le prêtre comme l'homme central de la
communauté. Maintenant, je le vois davantage en position d'accompagnement, avec la
possibilité d'être de temps à autre le révélateur de ce qui peut se passer profondément
entre une personne et Dieu, et de l'aider à approfondir. Nous sommes des instruments.
Dans une relation vraie il n'y a pas l'un qui apporte et l'autre qui reçoit, mais une parole qui
fait bouger les 2 interlocuteurs. Si l'accompagnateur lui-même ne se déplace pas, alors il
n'y a pas de vraie relation ».
Sans doute les plus jeunes seront-ils plus sensibles à la dimension ontologique de
l'homme qu'à sa perspective sociologique et seront-ils plus attentifs à l'intériorité des
personnes qu'à leurs conditionnements structurels.
Le christianisme est une religion incarnée et cette incarnation se traduit en fonction
de la culture, de la sociologie, de la psychologie, des époques et des lieux.
Jean-Marc, la trentaine, col romain, pour lui, la mission n'est pas d'abord l'écoute,
mais l'annonce explicite de Jésus-Christ. Il souhaite « signifier le mystère qui nous habite
et nous fait vivre, en osant affirmer notre identité même à un public qui est à mille lieux de
notre conviction ». Il y a chez Jean-Marc un souci d'annonce explicite, d'identité visible,
qu'il n'y avait évidemment pas chez les aumôniers d'Action catholique qui cherchaient
plutôt à se fondre dans le paysage. Les jeunes prêtres sont nés dans un monde
d'incroyance, auquel ils ont envie de faire découvrir le trésor qu'eux-mêmes ont trouvé.
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Gérard, 60 ans, ancien prêtre ouvrier, puis curé tout en accompagnant des équipes
d'Action catholique a découvert que les prêtres ne sont pas seulement des
accompagnateurs. « Nous sommes aussi des ministres ordonnés avec un rôle de vis à vis.
C'est d'ailleurs la messe célébrée face au peuple qui m'a aidé à comprendre ce rôle de vis
à vis. Nous ne sommes pas à la tête d'un peuple en marche pour lui indiquer où il faut aller.
Mais nous n'avons pas à oublier que nous sommes aussi ministres du Christ, nous avons
à redonner le Christ au monde dans les sacrements, de l'eucharistie, de réconciliation... ».
Il y a 50 ans, « Monsieur l'abbé » était un personnage dont la différence était
rendue visible par l'habit et l'habitat. Soutane et presbytère le marquaient du sceau d'une
séparation sacralisée. Puis, en l'espace de quelques années, habit et habitat se sont
banalisés. Et voici que l'on voit réapparaître les cols romains et quelques aspirations à une
vie communautaire presque monastique. Les anciens enlevèrent la soutane pour se
débarrasser de ce signe de toute puissance que l'institution d'alors véhiculait et qui les
éloignait du commun des mortels. Les jeunes revêtent un col romain pour signifier que
l'Eglise existe encore et pour inviter ceux qui pourraient le souhaiter à partager un trésor
spirituel perdu dans les sables de la modernité. Le col romain, c'est leur mode de
présence au monde : « voilà, je suis prêtre, vous êtes prévenus ! ».
Cependant, tous ne sont pas aussi libres par rapport au vêtement. Certains
séminaristes semblent avoir besoin d'un vêtement distinctif pour se rassurer dans une
identité mal assumée.
Les plus âgés sont généralement restés fidèles à la tenue adoptée dans l'aprèsconcile et résistent au retour du col romain. Ils se partagent à égalité entre ceux qui ne
portent aucun signe distinctif et ceux qui ont une petite croix sur un veston ou un pull.
Prêtre « à plein-temps » ?
Le prêtre, tout consacré à Dieu qu'il soit, n'est pas un pur esprit, et comme tout être
humain, il a besoin d'une vie saine et équilibrée. L'équilibre, pour certains, passe par une
« décléricalisation » d'une partie de leur vie. Pour ne pas être totalement pris dans le
« maternage totalitaire de l'Eglise », Luc rêverait d'un mi-temps professionnel à côté de sa
charge de curé. René estime que l'on met trop de charges de gestion et d'organisation sur
les épaules du prêtre.
Il y a une exigence d'un nouveau profil où la relation à Dieu doit être essentielle.
Epanouissement personnel et spirituel sont bien devenus pour les jeunes des priorités
pour être bien dans leur « statut ».
Bruno, 34 ans, « on est sans cesse plongé dans le bocal de la vie des chrétiens, du
discours sur la foi et il faut sortir de ce monde-là pour s'intéresser à ceux qui ne sont pas
chrétiens. J'aimerais avoir plus de temps pour écouter des personnes qui m'ouvrent à
d'autres façons de voir »
Le jésuite Michel Rondet, expert en accompagnement spirituel, affirme que le gage
le plus sérieux de l'équilibre des prêtres est l'unification de leur vie autour de ce pôle
central qu'est le Christ, vécue dans un lâcher-prise et une « proximité fraternelle avec les
petits ». Son expérience lui a fourni la certitude qu'une vie spirituelle bien tempérée est un
bon remède contre le stress, la morosité, le découragement, voire la dépression. Ces
assertions sont confirmées par les 225 prêtres du diocèse de Poitiers que Mgr Albert
Rouet a réunis par groupes et écoutés. Il ressort de cette consultation que ce qui aide les
prêtres à « tenir » c'est la Parole de Dieu, la prière, un équilibre de vie et l'attention à la vie
des hommes.
Daniel, 65 ans, dit que sa vie ne s'est construite que sur la rencontre de l'autre et
que les pauvres l'ont toujours évangélisé. « Jésus est ce pauvre que l'on rencontre ». Mais
il se culpabilise « Je ne suis pas fana du bréviaire; je ne célèbre pas tous les jours ».
Pourquoi se culpabilise-t-il ?
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Le 14 mai 2007 Benoît XVI demandait aux évêques d'Amérique latine de veiller à
ce que les chrétiens ne s'évadent pas des grands problèmes économiques et sociaux,
pour se réfugier dans une foi trop intimiste et dans l'individualisme religieux. Il rappelait
que « l'option préférentielle pour les pauvres est implicite dans la foi christologique »
puisque « Dieu s'est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté ».
« Commencer sa journée sous le regard du Christ » est pour la plupart, une nécessité
indispensable.
Stéphane, l'homme à la grosse moto, n'est pas du genre confit en dévotion ni crispé
sur les rites, par contre il est profondément évangélique. « Quand je pense à ma journée,
je sais que le Christ me précède et que, dans toutes mes rencontres, c'est Lui qui va faire
l'essentiel du boulot ».
Même les plus « pieux » n'opposent pas la rencontre de Dieu dans la prière
personnelle et la rencontre de Dieu dans la personne qu'ils trouvent sur leur chemin. Dieu
est relation.
Bernard, 55 ans, insiste sur la compénétration de l'humain et du spirituel. Il se dit
« marqué par un Dieu qui communique, d'abord en lui-même entre Fils, Père et Esprit et
ensuite avec les hommes, par un Dieu qui nous donne d'être, qui partage aussi notre être,
et qui nous aide à le vivre ». Ce mystère d'un Dieu qui communique engage Bernard à
entrer concrètement dans une relation très ouverte avec les autres.
Le christianisme est bien une religion de la relation aussi incarnée et concrète que
spirituelle, puisque Jésus inscrit ses frères humains dans cette chaîne d'amour dont la
source est le Père et que l'Esprit diffuse en tous. Quel sens donnent les prêtres à ce
célibat qu'ils ont dû accepter avec l'ordination ?
Michel, 78 ans, plutôt du genre contestataire, bon vivant et entouré d'une foule
d'amis, prône la possibilité d'un clergé marié, mais sûrement pas pour lui-même ! Il dit
avoir compris le sens mystique profond du célibat, c'est à dire qu'il y a la possibilité
d'intégrer positivement cet élément dans la vie spirituelle, non comme une privation, mais
comme un don de soi. « Ce serait dommage que le célibat disparaisse, car donner sa vie
à ce point est une preuve de l'existence de Dieu ».
Jean-Christophe, 33 ans, après avoir dit qu'il essayait de « faire de nécessité
vertu » et qu'il pensait que la loi du célibat pourrait évoluer, ajoute; « J'épouse la
dimension spirituelle du célibat, comme un don total au Christ, qui a une dimension
prophétique dans un monde un peu obsédé par le sexe, avec la survalorisation affective et
les détresses que cela provoque. J'essaye de vivre le célibat comme une expérience
d'humanisation, comme un chemin pour découvrir que la Parole concerne toutes les
dimensions de notre être ».
Thierry-Dominique Humbrecht écrit : « ce qui est à éduquer, c'est la capacité de
grandir dans l'amour qui est don et dépossession, par opposition à l'esprit de jouissance et
au narcissisme... L'essentiel de l'amour consiste à passer du narcissisme à l'offrande ».
Les relations des prêtres entre eux : pas toujours faciles
« J'ai échoué à faire dialoguer les générations » s'attriste un évêque. Cela n'a rien
d'étonnant car jeunes et vieux viennent de deux planètes différentes.
Les premiers ont été formés dans une institution forte et dans une société encore
structurée par la « chrétienté ». Ils ont rêvé d'un « évangile de plein-vent » s'incarnant au
milieu du monde. Ils ont épousé le monde. Ils sont parfois perplexes devant ce qu'ils
éprouvent comme un retour en arrière.
Les seconds ont grandi sur la planète de la consommation, du moi-roi, de l'ici et
maintenant, du « il est interdit d'interdire », du soupçon à l'égard des religions, de la perte
de la foi. Et ils se sont réveillés, en mal de racines et de repères, en mal d'un idéal qui
donne des raisons de vivre. Ils n'ont pas eu besoin d'épouser le monde profane, ils y sont
immergés. Ce qu'ils peuvent apporter d'original peut ressembler à une culture de
résistance.
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Il serait urgent d'instituer des groupes de parole où les uns et les autres puissent
raconter leur parcours, dire leurs souffrances, leurs espérances. Il est permis de parier
qu'à cet exercice la différence menaçante deviendrait très vite différence enrichissante et
que la méfiance ferait place à l'émotion de l'amour fraternel.
Jean-Philippe, de la Communauté St Jean : « Les petits gris n'ont pas toujours une
bonne réputation auprès des prêtres diocésains. Il y a de moins en moins de prêtres, les
gens sont paumés au niveau de la foi et on est divisé entre nous ! Qu'on arrête ! On
devrait faire une semaine de l'unité entre prêtres...et entre catholiques ».
Les laïcs, partenaires incontournables
Maurice, 75 ans : « Je mesure combien, à cause de notre manière de faire, on n'a
pas vraiment permis aux laïcs d'exister et d'exercer leur vocation de baptisés. Il faut que
nous, prêtres, nous jouions le jeu, que nous croyions que l'Esprit-Saint agit en eux. Nous
n'y avons pas été habitués non plus. Quand vous êtes curé, vous incarnez l'autorité,
même si vous voulez faire participer les gens. Nous avons encore trop la réaction de
chercher des gens en fonction des trous à boucher, alors qu'il faudrait au contraire être
attentifs aux charismes de chacun pour voir où une personne aurait le mieux sa place pour
grandir dans sa vie humaine et spirituelle, et pour faire grandir l' Eglise »
Qui est le chef dans une paroisse, le prêtre ou l'E.A.P. ? Une des conditions du bon
fonctionnement est le respect mutuel. Quand la coresponsabilité est vécue comme un
service par tous les partenaires, il n'y a ni frustrés ni agresseurs.
Mgr Georges Gilson dans son livre « Les prêtres, parlons-en » (2006), propose que
les prêtres se déchargent de l'accueil, de l'accompagnement et de la présidence des
baptêmes et des mariages, comme c'est déjà souvent le cas pour les funérailles. « Cette
pastorale précatéchuménale serait sous la dynamique de l'évangélisation progressive
confiée à des chrétiens » propose le prélat.
Un Vicaire Général reconnaît que les prêtres ont à vivre là un véritable et difficile
dépouillement de ce qui structurait leur ministère.
Historiquement le catéchisme a été la première tâche dans laquelle des laïcs se
sont engagés. On peut observer aujourd'hui 2 positions extrêmes de la part des prêtres.
D'un côté, certains estiment qu'ils n'ont pas à y être trop présents. A l'opposé, quelques
jeunes prêtres réinvestissent le catéchisme.
Est-il encore pertinent de mettre en avant la répartition des tâches (Les laïcs pour le
monde, les prêtres pour l'Eglise) alors que tout se recoupe ? Un des enjeux essentiels
aujourd'hui n'est-il pas au contraire que prêtres, diacres, religieux et laïcs travaillent
ensemble à l'annonce de l'Evangile dans les modalités et les lieux les plus divers ?
Pour donner à entendre quelque chose de l'Evangile, disent les prêtres, il est
nécessaire de commencer par écouter, puis réfléchir et partir de ce que l'on a entendu
avant d'annoncer. Le conseil n'est pas si loin du « voir, juger, agir » de l'Action Catholique,
qui pourrait être mise au goût du jour sur le mode « écouter, méditer en son cœur,
annoncer » Et le tout sans jamais cesser d'accompagner.
Pour Mgr Gilson, comme pour nos interviewés, la communauté chrétienne est une
tâche primordiale. Cependant, à l'heure où les chrétiens ne sont plus seulement des
« ouailles » mais aussi des collaborateurs, quel peut être le rôle spécifique du prêtre dans
la communauté, mis à part la célébration de la messe et des sacrements ? Si tous sont
égaux par le baptême, où peut se situer la différence ? A travers une palette de positions,
une expression se dégage qui semble faire consensus: le prêtre est l'homme de la
communion.
Pour Nicolas, le prêtre est « un homme relié à Dieu et qui relie les hommes à Dieu
et les hommes entre eux ».
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Pour le Père Bernard Pitau « Le prêtre, en priorité, doit être celui qui fait la
communion dans la communauté. Il faut établir des ponts et assurer la communion entre
des gens différents ». Le prêtre « fait circuler » l'information et l'amour, la communion
c'est ce qui circule, dit Patrick, un inconditionnel de la parité avec les laïcs.
Jérôme, curé de 21 villages : « C'est le curé qui est le pivot, l'homme de la
communion, celui qui va permettre aux gens de faire vivre l'Evangile là où ils sont, dans la
spécificité de leur communauté locale, et de construire le Corps du Christ, sans
uniformiser ».
Bruno, 34 ans, déclare que « le sacerdoce c'est d'être configuré au Christ et pense
qu'il faut aussi parler de configuration au Christ pour les laïcs, parce que leur capacité – au
sens métaphysique du terme – à prendre des engagements d'Eglise trouve son
fondement dans leur baptême. Cette logique de la consécration qui fonde la fonction
existe aussi pour les laïcs ».
Daniel parle du modèle qu'est Jésus de Nazareth : il est à part, devant, quand il dit
« viens et suis-moi », mais en même temps il n'arrête pas de cheminer avec sur les routes
de Palestine.
Le prêtre aujourd'hui, accompagnateur expert en relations humaines, veilleur, au
service de la croissance humaine et spirituelle des membres de la communauté. Claude
parle de « la joie d'enfanter les laïcs à plus qu'eux-mêmes ». Jérôme aime le mot
« passeur ». Ils rêvent d'être des intermédiaires du Christ sur les routes humaines, au
service de la sainteté des baptisés, pour qu'ils rayonnent l'Evangile là où ils vivent.
Stéphane, 33 ans, pense que son rôle est de révéler aux autres ce qu'il y a de plus
profond en eux.
La messe du dimanche
S'il est une tâche que seul le ministère presbytéral peut assurer, c'est la messe. Or
l'eucharistie dominicale est menacée par la diminution du nombre des prêtres. Le pape
Jean-Paul II avait rappelé aux catholiques que la messe était le centre de la vie chrétienne,
mais voilà que les églises ferment les unes après les autres et que les messes se font de
plus en plus rares !
Hervé, 34 ans, « Ou bien l'Eucharistie est centrale et on nous donne les moyens de
la vivre ! Ou bien la théologie est fausse ! » Lui, qui a séjourné en Afrique dans un lieu où
le prêtre ne passait que 2 fois par an, pense qu'en Occident on a été « surcentré » sur
l'Eucharistie au détriment de la Parole.
Comment le prêtre se ressent-il en célébrant la messe : dans et avec l'assemblée,
ou plutôt en face et à part ? Plusieurs répondent que cela dépend de l'attitude de
l'assemblée. « C'est toute la communauté qui porte la célébration. Les liturgies prendront
du goût et de la saveur à la mesure du lien avec la communauté. » Didier vit vraiment la
célébration avec la communauté et comme l'un de ses membres.
D'autres prêtres mettent plus volontiers l'accent sur le sentiment d'être à part, car ils
ont fortement conscience de représenter le Christ. Cependant, ils ressentent en même
temps qu'ils se tournent vers le Christ avec toute l'assemblée.
Vivien se considère à part sauf au moment de la prière pénitentielle : « Là, je me
situe comme chrétien et je demande pardon avec eux. Sinon, pour toutes les prières, je
m'adresse à Dieu au nom de tous, je représente le Christ. J'essaye de signifier par des
signes très concrets que c'est bien moi qui préside la célébration, mais qu'en même temps,
c'est aussi plus que moi-même ».
Dominique, prêtre de la Mission de France, dit : « en célébrant l'Eucharistie, j'ai
vraiment la responsabilité de signifier que c'est Jésus qui a donné sa vie pour nous et qui
anime la communauté, j'ai la responsabilité de manifester que nous sommes le Corps du
Christ ». Lui aussi se ressent à la fois à part et avec.
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Tous célèbrent, un seul préside. Lorsqu'un laïc proclame la Parole de Dieu, c'est
Jésus lui-même qui annonce la Parole. Lorsque le prêtre préside, il est le signe que c'est
le Christ qui préside.
Pour Pascal, la fonction de l'Eucharistie est de nous mettre ensemble en relation
avec Dieu. « La liturgie, c'est rencontrer Dieu. On rencontre beaucoup trop le célébrant.
On est dans un schéma liturgique où le président de l'assemblée a un rôle envahissant ».
Patrick et Thomas soulignent les 2 exigences des chrétiens du XXIème siècle :
proximité fraternelle et manifestation d'une transcendance. N'est-ce pas d'ailleurs ce
qu'enseignent les Evangiles en montrant Jésus qui ne cesse de faire des allers et retours
entre les routes de Palestine et la montagne où il se retire pour prier son Père?
Quel avenir ? Comment remédier à la pénurie des prêtres
Réduire les tâches ? En finir avec le rythme dominical de la messe ?
Le Cardinal Walter Kasper dit que « la célébration de l'Eucharistie avec la
communauté c'est le sommet et le résumé de toutes les autres tâches du gouvernement ».
Alors que faire ?
D'abord se remémorer la priorité des priorités: annoncer la Parole. Or cette
annonce n'est pas la tâche des seuls prêtres. Il ne faut plus séparer la vocation des
prêtres de celle de tous les baptisés : « L'Eglise, c'est l'engagement des baptisés, prêtres
et laïcs qui essayent de dire une parole d'espérance ! », « Nous les prêtres, nous sommes
appelés à changer un peu notre mode de fonctionnement en passant d' être en charge à
être avec si l'on arrive à déléguer et à vivre cette dimension de l'être avec , il y aura des
prêtres. Des jeunes sentiront l'appel ».
Ordonner des hommes mariés ?
Pourquoi pas, répondent un certain nombre de prêtres – (jeunes et « cols
romains » compris)
qui ne remettent pas en cause pour autant leur propre choix du célibat. Plusieurs évoquent
les catholiques orientaux, les orthodoxes, les anglicans, les pasteurs.
Pourquoi pas 2 sortes de clergé ?
Comme dans l'Eglise orthodoxe, où seuls les évêques sont tenus au célibat. Il
pourrait y avoir dans un diocèse des prêtres célibataires autour de l'évêque qui seraient
les animateurs, les visiteurs, les « encourageant », les formateurs de laïcs, et des prêtres
mariés avec un rôle centré sur la vie des communautés dont celui de célébrer l'Eucharistie.
Les prêtres qui ne se prononcent pas clairement en faveur de l'ordination d'hommes
mariés regrettent néanmoins parfois qu'il soit interdit d'en débattre ouvertement : « Que
Rome ferme le débat, me surprend ».
Et l'ordination des femmes ?
Quelques prêtres y sont favorables, peu convaincus par les arguments officiels pour
les écarter. Mais la question est actuellement hors sujet. Le texte « Ordinatio
sacerdotalis » stipulant que le ministère presbytéral est « uniquement réservé aux
hommes ». Pourtant, quelques jours après cette déclaration le Cardinal Martini, alors
archevêque de Milan, soufflait qu'il n'était pas impossible qu'un concile réexamine la
question.
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Quelle vision de l'avenir de l'Eglise ont les prêtres ?
Tout le monde semble dépassé par l'évolution rapide et radicale de la société, qui
met l'Eglise devant des changements qu'elle n'a pas choisis. Les prêtres souhaiteraient
aplanir les obstacles qui empêchent que l'Evangile soit reçu. Un problème revient,
lancinant, la question des divorcés remariés.
Les hérauts du Concile sont fatigués
Quand on demande à Frédéric où va l'Eglise, il répond carrément : « nulle part !» et
se dit « affolé du peu de cas que l'on fait d'une réflexion sur l'avenir, de l'incapacité à
penser autrement les choses et à prendre des décisions radicales ».
Beaucoup ressentent un pesant « devoir de réserve ». Comme représentant de
l'institution, il y a des sujets qu'ils ne sont pas libres d'aborder et des attitudes chrétiennes
qu'ils ne peuvent pas avoir avec les personnes qui ne sont pas en règle avec l'Eglise.
« C'est assez énervant d'être acculé à un devoir de réserve, déplore Michel. Si je quittais
le ministère, je pourrais mieux militer en vivant de l'Evangile, aux côtés de tous ceux que
l'on dit loin de l'Eglise. Je ne suis plus du tout en accord avec les positions de l'Eglise, à
commencer par la contraception ».
Sur la question du remariage des divorcés, une majorité de prêtres voudrait voir
l'Eglise évoluer. Frédéric souffre de l'absence de parole de l'épiscopat qui accule les
prêtres à s'adapter au coup par coup « éventuellement en porte à faux par rapport à la
théologie officielle ».
Dans toutes ces situations concernant la morale sexuelle ou le mariage, les prêtres
accordent la première place à la prise en compte de la personne et font preuve d'une
grande humanité. Ils entendent d'abord avoir un comportement évangélique, mais ils ne
veulent pas non plus mettre sous le boisseau la loi de l'Eglise. Ils redonnent sa place à la
conscience individuelle.
Jean-Yves : « Le Christ ne juge pas, il a toujours un regard de compassion et
l'Eglise n'arrête pas de juger ! Pour moi c'est dur ».
Toutes ces professions de foi témoignent que c'est l'imitation de la conduite du
Christ au milieu de son troupeau qui est première aujourd'hui pour ces pasteurs que sont
les prêtres. S'il y a des réformes qu'ils veulent voir dans l'Eglise, c'est bien l'abolition de
tout ce qui dresse des barrières entre la Parole de Jésus-Christ sauveur, et les hommes et
les femmes d'aujourd'hui.
Le regard de deux évêques
1 - L'ancien, Mgr Jacques David
Pour affronter l'avenir, je juge vital, surtout en ces temps de crise, de faire prendre
conscience – autant aux prêtres qu'aux laïcs – que l'Eglise diocésaine est le lieu
incontournable pour être chrétien. Il est vital de retrouver la conviction que nous
appartenons à l'Eglise catholique dans la mesure où nous appartenons à une Eglise locale.
Les prêtres ne sont pas d'abord chargés d'une paroisse, mais d'abord membres du
presbyterium qui, avec l'évêque, porte la responsabilité de l'annonce de l'Evangile et du
peuple chrétien sur l'ensemble d'un diocèse.
A mon avis, ce qui est urgent pour les prêtres, mais aussi pour les évêques entre
eux, c'est de prendre plus le temps pour repenser la place et le rôle du prêtre dans les
communautés et dans l'Eglise. Je pense que cela pourrait faire mûrir des décisions
collectives.
L'évêque est celui qui écoute les prêtres et les chrétiens, pour essayer de discerner,
à partir de ce qu'ils disent, quelles sont les attentes de l'Esprit- Saint. Il confirme ensuite
les initiatives.
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Ne faudrait-il pas se donner comme impératif de passer de longs moments
ensemble pour partager la Parole de Dieu, regarder la vie de la société et prier ?
Le prêtre n'est pas le ministre du culte, chargé d'assurer tout le culte, mais le
ministre du rassemblement dans l'unité d'une communauté qui célèbre le Christ ressuscité
et où chacun prend sa part. Finalement, ce qui compte, ce n'est pas le témoignage d'un
prêtre mais celui d'une communauté d'Eglise avec le prêtre qui en a la charge pastorale.
Si les chrétiens sont accueillants et fraternels, un témoignage passe.
Dans l'Eure mon but était de développer des communautés vivantes, priantes et
significatives au plus près de la vie des gens. Pourquoi en France les classes populaires
désertent-elles nos églises ? N'est-ce pas notamment par ce que nos communautés
manquent de chaleur dans l'accueil, de joie et d'esprit fraternel ? Le signe de l'Eglise c'est
la communauté qui célèbre, prie, témoigne.
Même si l'eucharistie ne peut pas être célébrée, le rassemblement dominical reste
absolument nécessaire et demeure la Table de la Parole autour de laquelle on peut se
réunir sans prêtre.
2 - Mgr Jacques Blaquart, évêque auxiliaire de Bordeaux en 2006
C’était alors l'implantation de l'Institut du Bon Pasteur, pour favoriser le retour des
traditionalistes dans le giron de l'Eglise catholique romaine.
Les prêtres sont différents les uns des autres, aussi est-il indispensable qu'ils se
parlent. Ils le font mieux qu'il y a 20 ou 30 ans. Même s'il y a encore des progrès à faire, la
fraternité à l'intérieur du presbyterium est plus grande. Dans les difficultés, on se serre
davantage les coudes.
Certains prêtres sont inquiets de l'implantation du Bon Pasteur. Ils se posent des
questions essentielles : quelle Eglise voulons-nous ? Quelle pourra être l'unité du
presbyterium autour de l'évêque, avec des visions aussi opposées sur l'Eglise et le rapport
à la société ? Mais les prêtres voient bien que la meilleure façon de sortir des oppositions,
c'est d'aller de l'avant, en mettant toute leur énergie dans la mission.
Quant à la crise des vocations, c'est d'abord une crise de la vocation chrétienne.
Dans la société actuelle, tout abandonner pour le Christ paraît difficile. C'est l'histoire du
jeune homme riche de l'Evangile. La crise de la famille n'arrange rien. Il est certain que
nous passons d'un modèle à un autre. Je crois beaucoup au mode de l'itinérance : le
prêtre non pas « préfet » mais visiteur de communautés. Ce qui est demandé au prêtre
c'est d'être apostolique, missionnaire, en sachant toutefois que certains n'y sont pas prêts
et qu'il y aura différentes figures de prêtres.
Une communauté n'est jamais sans prêtre, même si elle n'a pas de prêtre résident.
Dans l'Eglise, une communauté est toujours reliée à un ministre ordonné, même s'il
n'habite pas sur place. Il faut donc des prêtres, l'Eglise ne peut pas vivre sans prêtres !
En même temps, il faut se réjouir des responsabilités des laïcs, en souhaitant que
cela aille encore beaucoup plus loin. J'espère des évolutions. Il faut que les laïcs soient
davantage associés dans la prise de décision à tous les échelons de l'Eglise. Cela
n'enlève absolument rien au ministère du prêtre. Les laïcs pourraient avoir une
responsabilité pastorale. La spécificité du prêtre se situerait sacramentellement. Nous
sommes tous membres de ce corps qu'est l'Eglise, et le ministère ordonné permet de
rappeler à toute l'Eglise que le Christ est sa tête, qu'elle ne se donne pas sa mission. Elle
la reçoit. Cela veut dire que le prêtre n'est pas celui qui sait tout et qui fait tout mais qui
rappelle, par sa présence, le Christ pasteur. Il a un rôle d'entraînement, il a donné sa vie
pour cela. Mais tout en ayant ce rôle d'impulsion, il ne doit pas être celui qui « commande
tout ».
Mais tout cela est à situer au plan sacramentel, car si on cherche qui a le pouvoir et
qui commande on est fichu.
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Comme collaborateur de l'évêque, le prêtre doit aussi relier l'équipe à l'ensemble du
diocèse, son rôle est d'aider les laïcs en responsabilité à ne pas s'enfermer, à rester
ouverts au Christ et à l'Eglise. Le prêtre doit se situer comme un baptisé avec d'autres
baptisés.
En même temps, il est prêtre pour un peuple, il le préside, il siège devant au nom
du Christ, mais toujours dans un rapport sacramentel. Quand il célèbre l'eucharistie, il
rappelle aux membres de l'assemblée, qu'ils ne se donnent pas l'eucharistie à eux-mêmes,
qu'ils la reçoivent d'un autre qui est le Christ, dont la tête est représentée
sacramentellement par le prêtre, comme le corps est représenté par toute l'assemblée.
Je crois que les communautés ont droit à l'eucharistie. Est-ce que le ministère
central du prêtre empêche qu'il y ait des ministères plus particuliers notamment pour le
sacrement de l'eucharistie ou pour l'onction des malades ? Pour certains pays le droit
canon autorise des laïcs à baptiser et à recevoir le consentement des époux.
Certes l'eucharistie reste centrale, mais n'y a-t-il pas d'autres modes de
rassemblement à retrouver, à promouvoir, autour de l'écoute de la Parole de Dieu ?
La crise que nous traversons peut être une chance. A travers des bouleversements,
Dieu passe, c'est à dire que les remises en cause nous aident à devenir davantage
chrétiens. Des temps d'épreuves peuvent être une grâce, une « opération vérité » pour
creuser notre identité chrétienne, notre appartenance à l'Eglise et notre solidarité avec la
famille humaine.
Ma devise « au Christ pour ce monde » est pour l'Eglise. Je l'ai prise pour rappeler,
à moi-même et aux autres chrétiens, que l'Eglise n'existe que dans une relation profonde
avec Jésus Christ et qu'elle n'est pas en vase clos. Ce qu'elle a reçu, elle veut le
transmettre. Je me dis simplement que le Christ peut aider à vivre tout être humain, et que
c'est la tâche de tous les chrétiens d'en témoigner. Il faut que les chrétiens aient une joie
profonde et contagieuse. Si nous sommes « au Christ » il faut que cela transparaisse. J'ai
confiance pour l'Eglise, même s'il est vrai que nous traversons des mutations
considérables et très rapides.
Le théologien Bernard Sesboué écrit: « l'épreuve actuelle de l'Eglise a une
signification spirituelle et théologique capitale. L'Eglise redevient, selon une dialectique
typiquement biblique, le « petit nombre » au service du salut de la multitude ».
Lorsque les béquilles sociologiques et institutionnelles s'effondrent, chacun est
renvoyé à l'essentiel. Le renouveau de la vie spirituelle des prêtres est un des traits
frappants de cette enquête. Tiennent le coup ceux qui ont fait une véritable rencontre du
Christ.
« Confiance, l'Esprit-Saint travaille » lance Jean-Yves. « Laisser jaillir la nouveauté
implique de se mettre en silence, de prendre du recul et de laisser la Parole faire son
œuvre. Il faut aussi se mettre à l'écoute de ce que l'Esprit nous demande, c'est Lui qui
guide l'Eglise » précise Jérôme.
Devant l'incertitude de l'avenir, la réaction identitaire ne l'emportera-t-elle pas ? Les
prêtres rencontrés ne sont pas aveugles sur ces risques de repli mais ils ne croient pas à
un possible triomphe des partisans du retour en arrière.
La foi en l'Esprit qui anime l'Eglise, quoi qu'il arrive, leur donne une espérance
indéracinable. Ils aspirent à vivre une « pastorale d'engendrement » concept développé
par les jésuites Philippe Bacq et Christophe Théobald. L'accompagnateur et l'accompagné,
ensemble à l'écoute de la Parole de Dieu, se laissent engendrer par cette Parole, dans un
compagnonnage réciproque. Il y a moins l'enseignant et l'enseigné que des pèlerins qui
« s'entredisent » leur foi.
Maurice après 55 années de prêtrise dit: « je crois qu'il faut que notre Eglise
découvre davantage la richesse du spirituel au cœur même de la vie de chacun, et qu'elle
se propose, tout simplement, de la partager ».
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