(1)
a.
sur ce point
B.
Perret etG.Roustang,
«L'éoonomie
contre
la
soc1été>>,
éd.
du
Seuil,
1993.
(2) «Cohésion sociale
et
emploi»,
op.dt.
en place après
la
Libération induit un biais.
Comme on commence à mieux
le
compren-
dre, la conjoncture particulièrement favora-
ble qui a prévalu au cours des Trente Glorieu-
ses a permis d'occulter un certain nombre de
contradictions fondamentales
du
modèle po-
litique français, et
de
postuler une cohérence
dont
la
fragilité
apparaît
clairement
aujourd'hui.
Plus précisément,
il
faudrait approfondir l'idée
que
la France, plus que d'autres pays, s'est
vue comme une «société salariale», c'est-à-
dire
une
société où l'accès de tous à l'emploi
salarié représente une voie royale
pour
conci-
lier
un
principe d'émancipation individuelle
et
un
principe d'homogénéisation
et
d'inté-
gration
sociale. Ou encore,
de
concilier
égalitarisme
et
compétition, solidarité et
universalisme,étatismeetindividualisme,etc.
A y regarder
de
près, le projet
de
l'Etat
modemisateuretintégrateurde l'après-guerre
n'a
fait qu'exprimer la possibilité, qui parais-
sait offerte à
la
société française,
de
réconcilier
sa culture politique
et
la
résolution concrète
de
ses problèmes sociaux. En quelque sorte,
l'Etat ne faisait qu'amplifier une croyance au
progrès social partagée par l'ensemble
de
la
société.
Il
faudrait d'ailleurs souligner à
ce
propos le lien étroit entre progrès social et
croissance économique.
Le
projet social de
l'Etat fut congruent avec une doctrine écono-
mique : comme l'ont bien montré les écono-
mistes de l'école
de
la
régulation,
la
synergie
entre le keynésianisme et l'Etat-providence
est
l'une
des caractéristiques majeures
de
cette
période.
. L'évolution
récente
des
modes
d'interven-
tion
de
l'Etat
dans
le
domaine
découle,
au
premier
chef,
de l'évolution économique
et
de
la
crise
de
la
société salariale.
Pas seulement à cause
de
la montée
du
chô-
mage mais, plus fondamentalement, à cause
de
l'éclatement
du
monde salarial
et
de
la
remise
en
cause
des
formes antérieures
d'intégration
par
le
travail.
La
mondialisation
de
l'économie, le développement des servi-
ces, la diversification des modes d'implica-
tion
dans
le
travail, l'importance prise
par
la
«qualification sociale», sont autant d'évolu-
tions structurelles qui rendent caducs non
seulement le compromis fordiste mais l'idée
même
de
<<société
salariale» (1).
La grande question
de
la socialisation
Un autre facteur exogène d'évolution
des
politiques sociales est l'affaiblissement
des
capacités intégratrices des structures
de
bases
de la société telles
que
l'école
et
la famille.
Sous l'effet
de
ces deux
grandes
mutations, la
question sociale change
de
nature.
On
a
pu
parler à ce propos, à juste titre,
d'une
«nou-
velle question sociale». Les problèmes priori-
taires étaient, naguère,
la
résorption
des
iné-
galités
de
revenu
et
la régulation
des
conflits
sociaux ; la grande question est désormais
celle
de
l'exclusion, c'est-à-dire,
en
négatif,
celui
de
la
socialisation.
Il
me
semble
que
la
vraie nouveauté pour l'Etat est
de
devoir se
préoccuper politiquement
du
problème
de
la
socialisa
ti
on.
«L'Etat
émancipateur
est
contraint
progres-
sivement
de
modifier
ses
priorités
et
de
faire
de
l'insertion
l'un
des
objectifs
obligés
de
la
plupart
des
politiques
sociales.
Mais,
au-delà
de
l'insertion
des
exclus,
c'est
le
lien
social
lui
même,
l'
apparte-
nance
des
individus
à
un
monde
commun
qui
fait
politiquement
problème.
L'exclusion
n'est
que
la
manifestation
la
plus
visible
d'un
dérèglement
qui
concerne
l'ensemble
de
la
collectivité.
Cette
situa-
tion
impose
peu
à
peu
un
changement
de
paradigme.
On
peut,
dès
à
présent,
noter
une
discordance
entre
l'orientation
des
nouvelles
politiques
socia-
les
vers
la
mise
en
oeuvre
d'une
solidarité
articu-
lant
plus
étroitement
droits
et
comportements
(l'exemple
type
étant
le
contact
d'insertion
du
RMI)
et
la
logique
assurantielle
du
système
de
protection
sociale.
Mais
il
faudrait
aller
plus
loin
et
repenser
entièrement
la
solidarité
sociale
en
recherchant
un
nouvel
équilibre
entre
protection
et
obligations.Jl
faudrait
également
tenir
compte
du
caractère
systémique
des
déficits
de
socialisation
et
passerd'uneconceptioninstrumentaledel'insertion
à
une
conception
«écologique»
du
social.
Une
telle
mutation
implique
des
interactions
plus
com-
plexes
entre
l'Etat
et
la
société,
de
nouvelles
formes
de
dialogue
et
d'apprentissage
réciproque,
de
nouvelles
modalités
d'identification
des
pro-
blèmes
et
de
légitimation
des
acteurs»
(2).
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