Le radon dans les bâtiments : étude phénoménologique

2.3
Le radon dans les
bâtiments : étude
phénoménologique
Le radon est un gaz radioactif naturel omniprésent à la surface
de la Terre. L’isotope 222, descendant du radium 226, est le plus présent
dans l'atmosphère à cause de sa période radioactive suffisamment
longue pour lui permettre de migrer dans les sols depuis la roche qui lui
a donné naissance jusqu'à l'air libre. Par différents processus physiques,
il migre du sol jusqu’à l’atmosphère et peut s’accumuler dans l’air plus
confiné des bâtiments où l’homme passe la majeure partie de son temps.
Le radon est présent dans l’air des bâtiments à des concentrations très
variables, qui dépendent de plusieurs facteurs : le type de la construction,
la teneur en radium et la texture du sol sous le bâtiment, la valeur de la
différence de pression entre l’air intérieur et l’air extérieur ainsi que le taux
de renouvellement de l’air dans le bâtiment. La multiplicité de ces paramètres
a conduit le Laboratoire d’étude sur le radon et d’analyse des risques à mettre
en œuvre un programme expérimental dédié à la compréhension
des mécanismes qui pilotent les concentrations de radon dans l’habitat.
L’instrumentation d’une maison individuelle et de son environnement
a été mise en œuvre sur une période de trois ans.
Radioactivité et environnement
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Description de la maison et de l’instrumentation
Le site expérimental est localisé en Bretagne (Kersaint-Plabennec, Finistère) dans le massif granitoïde de
Saint-Renan, qui est une formation géologique uranifère de type granite-leucogranite peralumineux.
La maison, orientée nord-ouest/sud-est, comporte trois niveaux dont un sous-sol semi-enterré. Le rez-
de-chaussée, isolé du sous-sol par un escalier fermé, communique avec l’étage par un escalier de bois
ouvert. L’interface sol-bâtiment est constituée d’une dalle de béton posée partiellement sur la roche et
de murs semi-enterrés en béton et en granit. Le chauffage est assuré par une chaudière au fioul placée
en sous-sol et accessoirement par une cheminée à foyer fermé située dans le séjour.
La maison est restée inhabitée pendant toute la période des mesures pour s’affranchir des perturbations
liées au mode de vie des occupants.
Description de l’instrumentation
Un parc instrumental important a été déployé sur le site. Il était composé d’une dizaine d‘appareils de
mesure en continu de l’activité volumique du radon dans l’atmosphère intérieure et extérieure, de 13 sondes
de mesure du radon dans le sol, de 2 robots-flux (systèmes automatisés de mesure du flux d’exhalation à
la surface du sol), de 2 systèmes de mesure automatique du flux de radon à l’interface sol/bâtiment, de
capteurs de température, d’humidité et de pression ainsi que d’un mât météo. La fiabilité et la robustesse
19
de l’instrumentation du laboratoire ont été testées sur plusieurs années et
plusieurs techniques de mesure novatrices ont été développées comme la
mesure du flux sur les murs et du potentiel d’exhalation des matériaux.
L’instrumentation mise en œuvre (figure 1) a permis d’assurer un suivi en
continu des paramètres permettant de caractériser:
les sources de radon : flux d’exhalation à la surface du sol, activité
volumique du radon dans l’air du sol et dans l’air extérieur, potentiel
d’exhalation des matériaux de construction ;
la pénétration du radon dans le bâtiment : flux d’exhalation à l’inter-
face sol/bâtiment (dalle et murs), pression différentielle au sous-sol de la
maison, gradient thermique avec l’extérieur ;
l’accumulation du radon dans l’atmosphère intérieure : paramètres
météorologiques, activité volumique du radon, pression différentielle et
gradient thermique aux trois niveaux de la maison.
Caractérisation des sources
de radon
Les sources possibles du radon présent dans l’at-
mosphère de la maison sont par ordre d’impor-
tance décroissante : le sol de type limoneux fin sur
lequel le bâtiment est construit, la roche sous-
jacente et les matériaux de construction.
En raison de la dominance des masses d’air océa-
niques pauvres en radon, la concentration de ce
gaz dans l’atmosphère extérieure est inférieure à
30 Bq.m-3 et peut donc être négligée en tant que
source.
Les teneurs en radium du sol et de la roche sont
respectivement de 54 et 190 Bq.kg-1.La gran-
deur qui quantifie l’émission du radon à la sur-
face du sol est l’exhalation, qui est la résultante
de deux phénomènes :
l’émanation : libération du radon dans les pores
du milieu principalement par recul direct ;
la migration : transport diffusif ou advectif/
convectif.
Le flux d’exhalation du radon a été mesuré en deux
endroits du site, à proximité de la maison (4 m) et
loin du bâtiment (15 m), où le sol n’a pas été rema-
nié au cours de la construction (figures 2, page 20).
Les sols fins, comme celui de Kersaint, sont très sensibles à l’humidité qui
favorise l’émanation (Pellegrini, 1997) mais qui ralentit le transport du
radon, majoritairement diffusif dans ces sols peu perméables (Ferry,
2000). Ces caractéristiques sont observées sur le site avec le flux d’exha-
lation mesuré loin du bâtiment. Les précipitations engendrent de fortes
concentrations de radon dans le sol (1 m de profondeur) mais les flux
les plus élevés (50 mBq.m-2.s-1) sont observés en période sèche.
En revanche, le flux mesuré à proximité du bâtiment montre une grande
sensibilité au vent et aux précipitations. Les flux les plus importants
(600 mBq.m-2.s-1) sont observés au cours d’épisodes dépressionnaires
pluvieux. Ce comportement différent du flux mesuré près de la maison
s’explique par une modification des propriétés du sol (augmentation de
la perméabilité et transport dominé par l’advection) à la suite du rem-
blaiement du terrain lors de la construction.
Roselyne AMÉON, Olivier DIEZ,
Mathieu DUPUIS, Laurent MARIE
Laboratoire d’étude sur le radon et d’analyse des risques
IRSN - Rapport scientifique et technique 2005
2.3
Figure 1 : Schéma de l’implantation de l’instrumentation sur le site expérimental de Kersaint.
αG
αG
Robot Aut
αG
αG
αG
P
%Rh
t°
L
P
%Rh
t°
L
P
%Rh
t°
L
Commutateur
Modem
αGαGBarasol
Pa%Rh
t°
L
Mesure en continu
du radon
Sonde de
temrature
Sonde d'humidit é
Capteur de pression
diff érentie lle
Centrale d’acquisition
Capteur de pr ession
barométrique
L
Pa
t°
%Rh
αG
P
Radioactivité et environnement
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JANVIER 2004 FÉVRIER 2004
Flux Rn loin de la maison (mBq.m
-2
.s
-1
) Flux Rn près de la maison (mBq.m
-2
.s
-1
)
0
100
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300
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500
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700
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FÉVRIER 2004
Activité vol. du radon (Bq.m
-3
)
0
2000
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6000
8000
10000
14000
12000
16000
18000
Chauffage
01 03 05 07 09 11 13 15 17 19 21 23
T°int - T°ext (°C)
Cave
Figures 3 : Évolutions temporelles comparées de la concentration en radon de l’air du sous-sol, des flux d’exhalation
et du gradient thermique.
0
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FÉVRIER 2004
0
50
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350
300
400
450
500
01 03 05 07 09 11 13 15 17 19 21 23 25 27 01
Mise en route du chauffage
Flux de radon dalle (mBq.m
-2
.s
-1
) Flux de radon extérieur (mBq.m
-2
.s
-1
)
M.
Figures 2 : Évolutions temporelles comparées du flux d’exhalation du radon et de différents paramètres météorologiques
(janvier/février 2004).
0
1
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08 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 01 03 05 07 09 11
JANVIER 2004 FÉVRIER 2004
Précipitations (mm.h
-1
) Vitesse du vent (km.h
-1
)
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30
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50
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SS
SO
SO
SSO
SE
N
N
SO
SO
SO
SO
NO
NENO
O
O
S
21
l’on se rapproche des murs de fondation (Améon et al., 2004). En raison
de la proximité du littoral, le passage de dépressions venteuses est fréquent.
La mise en dépression du bâtiment induite par les vents engendre égale-
ment des pics de flux d’exhalation à l’interface sol/bâtiment (figure 4).
Le radon entre dans le bâtiment non seulement par les fissures de la dalle
mais aussi par les murs semi-enterrés, poreux ou fissurés. Cette pénétra-
tion n’est pas homogène : elle est en moyenne quatre fois plus élevée au
niveau de la dalle de la cave que dans la chaufferie. La part attribuable
aux murs du sous-sol représente environ 25 % du flux total (figure 5).
De plus, une grande variabilité temporelle du flux est observée avec des
valeurs maximales de 140 mBq.m-2.s-1 (figures 3). Les moyennes men-
suelles sont comprises entre 15 et 42 mBq.m-2.s-1 pour une moyenne
annuelle de 27 mBq.m-2.s-1.
Accumulation du radon dans l’atmosphère
de la maison
L’accumulation du radon dans l’atmosphère de la maison dépend des
échanges avec l’extérieur (renouvellement d’air), eux-mêmes liés à la per-
méabilité des parois, au vent et au gradient thermique. La ventilation d’un
logement résulte de l’aération volontaire et des infiltrations parasites d’air
Pénétration du radon dans le bâtiment
Le radon pénètre dans la maison via l’interface sol/bâtiment, par diffusion
moléculaire, mais surtout du fait de la mise en dépression du bâtiment
par l’effet cheminée et l’effet du vent. Cette pénétration est caractérisée
expérimentalement par la mesure du flux d’exhalation au niveau de la
dalle et des murs semi-enterrés.
La différence de température entre l’intérieur et l’extérieur, appelée gra-
dient thermique, engendre un gradient de pression qui met en dépres-
sion le bâtiment, c’est « l’effet cheminée». Ce phénomène est important
l’hiver lorsque les bâtiments sont chauffés. À Kersaint, l’augmentation
du gradient thermique de 0 à 15 °C due à la mise en route du chauffage
engendre une forte augmentation de la concentration de radon dans la
maison par aspiration du gaz présent dans le sol sous-jacent (figures 3).
Cette aspiration est illustrée par l’anti-corrélation observée entre le flux
d’exhalation extérieur et celui mesuré au niveau de la dalle de la mai-
son. Il en résulte que le transport du radon dans un sol en présence d’un
bâtiment n’est plus simplement vertical, mais également horizontal.
Cette perturbation induite par le bâtiment sur le sol environnant a été
mise en évidence par la cartographie des concentrations de radon mesu-
rées dans le sol (jusqu’à une profondeur d’un mètre) autour du bâtiment.
L’activité volumique du radon dans l’air du sol s’appauvrit à mesure que
IRSN - Rapport scientifique et technique 2005
2.3
Figure 5 : Flux d’exhalation à l’interface sol/bâtiment (dalle et murs du sous-sol) au cours d’un mois.
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FÉVRIER 2004 MARS 2004
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Flux mural de radon (mBq.m
-2
.s
-1
) Flux de radon sur la dalle (mBq.m
-2
.s
-1
)
Figure 4 : Évolutions comparées de la vitesse du vent et du flux du radon mesuré au niveau de la dalle du sous-sol
(octobre/novembre 2002).
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80
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OCTOBRE 2002 NOVEMBRE 2002
Flux de radon intérieur (mBq.m
-2
.s
-1
)Vitesse du vent (km.h
-1
)
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30
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SO
SO
SO
SO SO
NO
NO
O
S
S
SS
S
S
Radioactivité et environnement
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au droit de la liaison plancher/façade, aux liaisons des dormants de
menuiserie avec les parois et aux pénétrations électriques. La détermina-
tion de la perméabilité de la maison, réalisée par la méthode de pressu-
risation statique à ventilateur externe, a montré que l’enveloppe globale
de la maison est relativement perméable à l’air (cuisine, passages des
canalisations, cheminée, hotte, cagibi dans une chambre à l’étage) (Bouilly
et al., 2003). Les fenêtres du rez-de-chaussée et de l’étage ainsi que celle
de l’escalier du sous-sol montrent une grande étanchéité à l’inverse des
fenêtres en bois à simple vitrage du sous-sol.
L’influence du vent sur le taux de renouvellement d’air est prépondérante
par rapport au tirage thermique lorsque la direction du vent est perpen-
diculaire aux façades avec ouvrants. En effet, les vents du sud-est
(09/10/02 et 20/10/02) et du nord-ouest (27/10/02) contribuent à dimi-
nuer la concentration du radon aux étages supérieurs par augmentation
du renouvellement d’air dans la maison (façades avec ouvrants). C’est
l’inverse qui se produit lorsque le vent souffle perpendiculairement à un
pignon (vents du nord-est) (Inard et Nastase, 2002).
À Kersaint, le radon provenant de l’interface sol/bâtiment migre vers les
niveaux supérieurs du bâtiment à travers différentes voies de passage de
l’air telles que les marches non jointives de l’escalier en bois, les passa-
ges de canalisations et les fissures dans les dalles. La migration du radon
se fait par diffusion mais également par advection liée à des mouve-
ments d’air gouvernés par les gradients de pression qui existent entre
les différents niveaux du bâtiment. Des mesures ponctuelles de traçage
gazeux SF6ont conclu à une forte perméabilité entre le sous-sol et le
rez-de-chaussée, confirmant le transfert important de radon entre le
sous-sol et le rez-de-chaussée. Cette migration est toutefois fortement
ralentie lorsque le gradient thermique entre deux niveaux est défavora-
ble, c’est-à-dire lorsque la température de l’étage inférieur est nette-
ment plus basse que celle du niveau supérieur.
Conclusion
Cette étude expérimentale fondée sur l’instrumentation d’une mai-
son individuelle a permis de comprendre et de mettre en évidence
les mécanismes de la pénétration et de l’accumulation du radon qui
contrôlent la concentration de ce gaz dans l’atmosphère intérieure
d’un bâtiment. Elle a permis en outre de démontrer la fiabilité et la
robustesse de l’ensemble du parc instrumental au cours des trois
années de suivi. Toutes les données acquises lors de cette phase
expérimentale permettront de tester la validité du code RADON2
développé par l’IRSN pour étudier de manière aisée et systématique
les concentrations du radon dans un bâtiment et de disposer à terme
d’un outil de diagnostic et d’aide à la gestion des risques.
2.3
Collaborations
Laboratoire d’étude des phénomènes de transfert appliqués aux bâtiments, université de La Rochelle.
Association pour la prévention de la pollution atmosphérique, université de Brest.
Références
R. Améon, O. Diez, M. Dupuis, A. Merle-Szeremeta, 2004. Radon in buildings: instrumentation of an experimental house. 4th European Conference on Protection
against Radon at Home and at Work. Prague.
Bouilly, Allard, Genin, 2003. Étude des paramètres influents sur la concentration en radon d’une habitation. Rapport de stage DEA.
Ferry, 2000. La migration du radon 222 dans un sol. Application aux stockages de résidus issus du traitement des minerais d’uranium. Thèse de doctorat,
spécialité chimie inorganique, université de Paris-sud.
C.Inard, I. Nastase, 2002. Détermination de classes de débit de ventilation de maisons individuelles types. Rapport n°620/11000403.
D. Pellegrini, 1997. Étude de l’émanation du radon à partir de résidus de traitement de minerais d’uranium. Mise en évidence de relations entre le facteur
d’émanation et les caractéristiques du matériau. Thèse de chimie-physique, UFR des sciences et techniques de Franche-Comté.
Figure 6 : Évolutions comparées de la vitesse du vent et de la concentration du radon mesurée au rez-de-chaussée.
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Act. vol. radon intérieure (Bq.m
-3
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31 02 04 06 08 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 02
Rez-de-chaussée
Vitesse du vent (km.h
-1
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NO
NO NO
SS
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SOSO
SE SE SE
NEE
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