Notes critiques (1)
inspiré que sur quelques points de détail de ces travaux récents et soit
resté,
pour l'essentiel, soumis à la perspective la plus conventionnelle.
Dans sa préface, Isabelle Robinet ne fait pas non plus mention de ces
travaux et défend elle aussi la perspective la plus traditionnelle. Elle le
fait avec de curieux arguments. À cause de la concision du chinois ancien
et de l'obscurité
qui
en
résulte,
dit-elle,
les exégètes
ont toujours été « divers
et aussi fondés les uns que les autres, et souvent contradictoires » (p. 9).
Diversité et contradiction qu'elle n'explique pas par le fait que les com-
mentateurs ont adopté des points de vue différents et qu'ils ont
pu
se tromper
à l'occasion, mais par le fait que « souvent le propre d'un texte chinois...
est
d'être
pluriel. Les sens y sont multiples, aussi légitimes les uns que
les autres, qu'ennemis souvent, du moins pour les esprits précis et
volontaires.
Il
refuse
l'idée
d'une
signification unique et
"vraie",
il autorise
plusieurs sens et en même temps les dépasse » ; elle affirme un peu plus
loin que certains passages ne contiennent pas seulement « plusieurs sens
à la fois », mais « peut-être une infinité » (p. 10). Mais si elle défend
ce
point
de
vue,
je
ne comprends
guère qu'elle
puisse
écrire,
au
paragraphe
suivant, que la traduction de Jean-Claude Pastor est
«
jusqu'à
ce
jour celle
qui cerne le texte au plus près » et qu'elle est, de ce fait, « la meilleure
que je connaisse ».
Isabelle Robinet rappelle que le
Zhuangzi
est un « ensemble de textes
dus à plusieurs auteurs, et dont la rédaction s'échelonnerait5 du IVe au Ier
siècle avant
J.-C.
», qu'il
«
reflète diverses tendances », etc. (pp. 10-11) ;
mais elle n'envisage
pas
un instant, semble-t-il, que le caractère
«
pluriel »
de l'ouvrage puisse être lié à
ce
caractère composite. Elle n'envisage donc
pas non plus que la tâche des sinologues pourrait être de distinguer les
voix qui se mêlent dans ce concert désordonné et d'y discerner celle qui
appartient
en propre
à
Zhuangzi.
Si
elle-même isolait cette voix et l'écoutait
attentivement, comme il est possible de le faire aujourd'hui, elle n'affir-
merait plus, je pense, que Zhuangzi « se place sur un plan hors logique,
au-delà de la cohérence, au-delà des points de vue quels qu'ils soient »
other writings, Londres, G. Allen & Unwin, 1981, et Disputers of the Tao :
philosophical argument inAncient China, La Salle (Illinois), Open Court, 1989.
5.
Ce conditionnel est superflu puisqu'on en a la certitude.
164