Journée doctorale du CRCAO - troisième édition 10 novembre 2016, 9h00-17h30 Grand Salon – Maison de l’Asie 22, avenue du Président Wilson 75016 – Paris Programme Journée doctorale organisée par Emanuela Garatti et Aude Lucas, représentantes des doctorants du CRCAO 9h00 – Début de la journée doctorale et allocution de bienvenue Session 1 : Outils Occidentaux / Matière Orientale Discutant : Rainier Lanselle 9h15-9h50 – Lanfang Guo : « Wang Xiaobo : la libération sexuelle contre une société castratrice » La Révolution culturelle, période sombre chez d’autres écrivains chinois, est pourtant représentée comme « l’âge d’or » sous la plume de Wang Xiaobo, notamment parce que les protagonistes, jeunes instruits envoyés à la campagne y vivent une sexualité sans entraves. L’intérêt que Wang Xiaobo porte sur les ouvrages de Freud ainsi que la façon dont la sexualité est décrite nous conduisent à prêter une attention particulière au rapprochement de ses romans à la psychanalyse, et à les interpréter d’une perspective psychanalytique. La présente communication, basée sur la lecture de deux récits : “L’âge d’or” et “L’amour au temps de la révolution”, propose d’étudier la question du sexe sous les trois aspects suivants : - Le sexe décrit comme une pulsion innée et naturelle - Le sadisme et le masochisme - Le voyeurisme et l’exhibitionnisme Cette analyse nous permettra de démystifier l’apparent paradoxe entre « l’âge d’or » et la Révolution culturelle : le sexe constitue en fait un outil, voire un fantasme auquel Wang Xiaobo a eu recours pour résister à la société oppressive. 9h50-10h25 – Cécile Ducher : « Comprendre le Tibet Médiéval avec Bourdieu : exemple du lignage Ngokpa Kagyü » Le clan Ngok de Zhung apparaît dans l’histoire religieuse tibétaine au XIe siècle, et en disparaît au XVIème siècle, y ayant laissé une riche tradition d’exégèse tantrique. Dans ma présentation, j’aimerais observer l’évolution de ce lignage familial à la lumière de certains des outils théoriques développés par Pierre Bourdieu (1930-2002), notamment ceux de champs et de capital. Je tenterai de décrire le champs religieux tibétain médiéval dans lequel évoluaient les premiers membres du lignage, Ngok Chödor et Dodé, ayant vécu aux XIe et XIIème siècle, une époque dense de reconstruction d’un territoire après la période de morcellement ayant suivi l’effondrement de l’empire tibétain, en faisant des parallèles avec les quatre types de capitaux (économique, culturel, social et symbolique) définis par Bourdieu. Par extension, je développerai le concept de capital religieux, qui peut se comprendre comme une forme de capital culturel. Je m’interrogerai sur la pertinence et la possibilité d’appliquer ces concepts à une situation lointaine, tant dans le temps et que dans l’espace, et sur la possibilité de les utiliser pour comprendre la trajectoire des Ngok dans le champ religieux tibétain de la première moitié du second millénaire. D’autres travaux de Bourdieu permettent également d’étudier la notion d’honneur dans le cadre tibétain et de réfléchir plus largement à ce que pouvait être la structure familiale et sociale du Tibet à cette époque lointaine. 10h25-10h40 – Pause Session 2 : Philosophie en Chine et au Japon Discutant : Stéphane Feuillas 10h40-11h15 – Jonathan Lesain : « Le processus de création du monde dans la pensée de Zhang Zhan 張湛 (env. 327-397) » Mon travail de thèse traite de la pensée de Zhang Zhan 張湛 (env. 327397), le premier compilateur, commentateur et éditeur du Liezi 列子, un classique de la pensée taoïste. Ses gloses et ses remarques, qui ponctuent un texte probablement composé cinq siècles auparavant, s’articulent à la confluence de la tradition exégétique chinoise et de l’influence du Bouddhisme. À l’occasion de cette journée doctorale, je souhaiterais exposer un élément de la pensée de Zhang Zhan : le processus de création du monde. C’est dans son commentaire du premier chapitre du Liezi, intitulé « Tian Rui 天瑞 », « Signes Célestes », qu’il donne à voir une lecture orientée de la hiérarchisation de l’émergence des choses et des êtres. Cette herméneutique hérite des propositions de Wang Bi et des assertions de Guo Xiang, entre la prééminence du non-existant (guiwu 貴無) et l’engendrement par soi- même (ziyou 自有). Par ailleurs, son exégèse se construit en écho au principe de vacuité bouddhiste. Après avoir brièvement introduit le Liezi et Zhang Zhan, j’évoquerai la façon dont ce chapitre liminaire raconte l’origine du monde, indépendamment de son premier commentateur, avant d’exposer l’interprétation de ce dernier. Ce travail permettra de suggérer dans quelle mesure la pensée de Zhang Zhan, en se fondant sur le contenu du Liezi, vise à répondre aux raisonnements soulevés par ses prédécesseurs ainsi qu’aux idées émises par le bouddhisme. 11h15-11h50 – Romaric Jannel : « Coproduction conditionnée : le dépassement de la causalité chez Yamauchi Tokuryū » Yamauchi Tokuryū est un auteur important de la philosophie japonaise. Il est, du reste, un auteur de grand intérêt pour l’étude de la philosophie orientale, principalement d’influences bouddhiques. Élève de Nishida Kitarō, il étudia à Fribourg auprès de Husserl et Heidegger. Rentré au Japon, il s’attela à commenter de nombreux courants philosophiques occidentaux puis orientaux, avec, dans l’après-guerre, la volonté de créer un pont, logique et philosophique, entre Orient et Occident. Après avoir fait la critique de la philosophie occidentale qu’il considère comme fille de la logique aristotélicienne, et à travers le commentaire des traductions en chinois réalisées par Kumārajīva ou Xuanzang, il mit à l’épreuve ce qu’il considérait comme le cœur de la philosophie orientale, la philosophie bouddhique du Mahāyāna. Souhaitant produire une logique qui engloberait à la fois les traditions logiques orientale et occidentale, il fit une critique constructive de la logique aristotélicienne et de la pensée Mādhyamaka et Cittamātra débouchant sur un essai fameux publié en 1974, « Logos et lemme » (ロゴスとレンマ). Il y pose les bases d’un dépassement du concept de causalité à travers celui de coproduction conditionnée (縁起). Après avoir présenté synthétiquement l’histoire de ce concept, nous verrons comment Yamauchi le définit et le réutilise. Pour apprécier la pertinence de son propos, nous étudierons des concepts proches mobilisés par deux autres philosophes japonais de la même époque, Watsuji Tetsurō et Kuki Shūzō, à savoir respectivement la médiance (風 土性) et la contingence (偶然性). Nous conclurons notre propos en réfléchissant aux enjeux de telles réflexions. 11h50-13h00 – Déjeuner (offert pour les discutants et les intervenants) Session 3 : Rituels et anthropologie Discutant : Charles Ramble 13h00-13h35 – Liang Zhong : « Les manuscrits de Chu du 4ème siècle avant notre ère en tant qu’objets funéraires dans les vestiges (Hubei, Henan) » Parmi les dix mille tombes découvertes attribuées à la culture de Chu, il n’en existe une trentaine contenant des lattes de bambou. Après une présentation du recensement de ces matériaux, nous voudrions examiner successivement leur disposition dans la chambre funéraire, les autres objets funéraires mis dans le même compartiment à l’intérieur du cercueil, leur relation avec les outils d’écriture. En fin, nous aborderons brièvement les défunts des tombes en question. Une comparaison avec les manuscrits de Qin est envisageable, afin de montrer les caractéristiques et les pratiques propres au dépôt de manuscrits dans les tombes à Chu. 13h35-14h10 – Radu Bikir : « La mise en scène littéraire d’une technique mantique hybride, le guige guaying 軌革卦影, dans le Yijian zhi 夷堅志 de Hong Mai 洪邁 (1123-1202) » Dans cette présentation, j’aimerais présenter les points capitaux de ma thèse en m’appuyant sur certains textes du Yijian zhi faisant la description de devins de la dynastie Song utilisant une technique que je traduirais pour le moment par divination picturale, le guige guaying. Cette technique mantique perdue depuis la fin des Song, était composée d’une partie consistant en la mise au point d’un hexagramme, puis par l’élaboration d’un dessein divinatoire censé représenter la substance de l’instant, et son évolution future. Le devin exprimait ainsi un oracle par le déploiement de nombreux symboles, mêlant jeux de décomposition de caractères, figures insolites, et bestiaires étranges. Par l’étude des quelques textes présentant cette technique, j’aimerais également aborder un point essentiel de mon travail qui est la substance narrative du destin. En effet, c’est en étudiant de tels documents dans lesquels nous trouvons abondance d’effets de rebondissements, de mis en suspens, mais aussi d’humour et d’ironie, que nous pouvons constater que le destin est essentiellement un produit narratif, dépendant de la mise en relation d’éléments épars, relié entre eux par l’effort de rédaction de l’auteur. C’est donc après avoir fait une brève description de la technique concernée, que je tenterais de démontrer en quoi la mise en récit de cet art permet de mettre en relief un aspect littéraire essentiel dans la transcription des réalités et des univers mentaux de la dynastie Song. L’intérêt d’une telle présentation étant en effet de dépasser la division entre une lecture anthropologique, ethnographique d’une part, et une lecture purement littéraire d’une autre ; car même si de nombreux travaux extrêmement intéressants ont été produits sur Hong Mai, aucun n’a réellement dépassé cette division fondamentale. 14h10-14h25 – Pause Session 4 : Peinture, architecture et agencement de l’espace Discutant : Claire-Akiko Brisset 14h25-15h00 – Nils Martin : « Histoires de lDe, de ’Bro et de sMer. Politique et religion dans le Ladakh ancien » Les villages d’Alchi, Sumda Chung, et Mangyu, au Ladakh (Jammu-etCachemire, Inde), sont célèbres pour les temples et stupas décorés de peintures murales de style Kashmiri qui y ont été érigés durant la période de Seconde Diffusion du bouddhisme au Tibet occidental. Toutefois, le contexte historique et la datation de ces monuments, traditionnellement associés à l’activité du grand traducteur Rinchen Zangpo (958-1055), restent obscurs. Il en va de même des sites fortifiés voisins d’Alchi Khargok, Balukhar et Khaltse Zampa. L’inscription de fondation du temple de Chenrezik, à Mangyu, récemment documentée avec la permission du monastère de Likir et l’aide de Sree Kumar Menon (photographie infra-rouge), permet d’éclairer singulièrement l’histoire ancienne de la région et de ces sites. Elle présente un patrilignage de ‘donateurs’ issus du méconnu clan sMer, ainsi que la dynastie royale pour laquelle ces derniers officiaient à Mangyu et ses environs comme gouverneurs. Les scènes royales représentées dans le temple, extrêmement hiérarchisées et pourvues de légendes, participent également à l’expression de leur vassalité. Sur ces bases épigraphiques et visuelles, complétées par la traduction révisée de plusieurs inscriptions dédicatoires d’Alchi et Balukhar, un nouveau modèle historique sera proposé pour l’érection des temples d’Alchi, Sumda Chung et Mangyu, ainsi que des sites fortifiés d’Alchi Khargok, Balukhar et Khaltse Zampa, en lien avec l’établissement de clans aux charges militaires (’Bro et sMer) par les souverains du royaume Ouest-tibétain de Guge-Puhrang. 15h00-15h35 – Delphine Vomscheid : « L’habitat des guerriers du Japon prémoderne, le cas de Kanazawa » À l’époque prémoderne (1568-1867), des centres urbains se développent dans tout l’archipel japonais. Ces villes, appelées jōka machi (villes sous le château) sont composées à 70% environ de résidences de guerriers, qui doivent désormais demeurer à proximité de leur seigneur, résidant lui-même à l’intérieur des remparts du château central. Aujourd’hui, dans ces villes devenues pour la plupart capitales préfectorales, rares sont les vestiges de cette architecture domestique à avoir survécu. À Kanazawa, il n’en reste qu’une trentaine, allant de la modeste maison de fantassin à la villa domaniale de la famille Maeda, en passant par les résidences des vassaux de rang intermédiaire. Il s’agit de bâtiments entiers ou partiels: château, maisons, jardins, ou encore simples murs de clôture en terre. Si aujourd’hui la plupart de ces vestiges s’effacent au profit d’une urbanisation massive qui répond à des enjeux économiques et politiques actuels, ce sont néanmoins sur ces traces que la ville et l’architecture modernes et contemporaines se sont bâties. Une question se pose alors : de quelle manière l’habitat des guerriers a-t- il influencé le développement architectural et urbain de la ville japonaise ? Pour y répondre, nous avons adopté une méthodologie chronologique qui nous permet de comprendre son évolution et son rôle dans ses contextes temporels particuliers. Nous allons donc dans un premier temps dégager les caractéristiques et spécificités spatiales de cette architecture. Puis, nous étudierons son rôle dans le processus de modernisation de la société japonaise. Enfin, avec une approche contemporaine, nous tenterons d’appréhender les enjeux de sa patrimonialisation. 15h35-15h50 – Pause Session 5 : Traduction et littérature Discutant : Victor Vuilleumier 15h50-16h25 – Meng Li : « Approche comparative de la traduction du Zhuangzi » Traduire les classiques chinois dans une langue étrangère, comme le cas du Zhuangzi, implique au moins deux types de traductions, les traductions intralinguale et interlinguale. Par rapport à l’interprétation au sein de la même langue qui est la condition sine qua non de la traduction entre des langues différentes, cette dernière nous lance un vrai défi, puisque « la langue étrangère ne représente qu’une aggravation de la difficulté herméneutique, celle de l’étrangeté et de son dépassement ». Depuis 1881, de nombreuses traductions du Zhuangzi, complètes et sélectives dans les communautés anglophones et francophones ont vu le jour. Parmi celles-ci, nous avons choisi quatre versions complètes dont trois françaises, celle du jésuite Léon Wieger en 1913, celle du traducteur d’origine chinoise Liou Kia-hway en 1969, celle du sinologue et écrivain Jean Levi en 2006, et une anglaise, celle de Burton Watson en 1968 laquelle est considérée comme la meilleure version en occident. A partir de la traduction des concepts clés (« dao » « tian » « qi »), des théories (sur l’axiologie par exemple) et des types de narration (« yuyan », « zhongyan » « zhiyan ») du Zhuangzi, nous allons essayer, en mettant en œuvre une analyse textuelle et une approche comparative, d’exposer la façon dont les traducteurs comprennent le texte ainsi que les stratégies de traduction qu’ils ont adoptées. L’enjeu de la recherche n’est pas de démontrer quelle version est la meilleure, mais de mettre en évidence les facteurs qui peuvent influencer, de façon générale, la traduction des classiques chinois. 16h25-17h00 - Anna Maria Cavalletti : « Les premières relations viatiques chinoises en Europe : réécriture d’une expérience de l’inconnu » Quand nous voyageons et nous rencontrons l’Autre, qu’est-ce que nous fascine ? Qu’est-ce que nous poursuivons ? Le jamais-vu ? Un rêve ? Ou alors le déjà-imaginé ? A partir de la seconde moitié du XIX e siècle, notamment après les Guerres de l’Opium, les premiers lettrés chinois visitent l’Europe et les Etats-Unis, que ce soit à l’occasion de missions diplomatiques ou par initiative personnelle. Et ces voyages, qui représente une rencontre avec une altérité peu, et parfois mal, connue à l’époque, ne restent pas seulement une expérience vécue : les lettrés chinois décident de mettre par écrit leurs mémoires qui, ainsi, à travers les mots, deviennent récit. En lisant ces relations, recueillies par 钟叔河 Zhōng Shūhé dans la collection 走向世界叢書 Zǒuxiàng shìjiè cóngshū [Collection à la rencontre du monde] (1985), on se rend compte que ces premiers voyageurs chinois se sont trouvés face à un grand défi : comment décrire et raconter quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu auparavant afin que leur lecteur, tout aussi ignare de ces nouveautés, puisse les comprendre ? Il faut faire appel à des nouveaux mots ou donner un nouveau sens à des mots déjà existants ? Et, dans ce processus créatif et littéraire, quel est le rôle joué par l’imagination et l’imaginaire du voyageur-écrivain et du public ? 17h00-17h15 – Clôture de la journée doctorale