La Revue | Décembre 2015
Commissariat général au développement durable – Service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable| 3
Editorial de la Commissaire générale au
développement durable
Laurence Monnoyer-Smith
Nul ne doute que la dégradation de la nature fait peser une menace sur la prospérité future de nos
économies. Pourtant, en l’absence de consensus sur une méthodologie de mesure du capital naturel, ce
dernier n’est pas suffisamment pris en considération dans les choix économiques. Ainsi, des pans entiers de
cette richesse ne sont pas comptés et risquent d’être gaspillés de manière irréversible.
Plusieurs initiatives ont toutefois eu lieu en France à ce sujet. Déjà en 2009, le rapport élaboré par la
Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social (Stiglitz, Sen, Fitoussi)
donnait des pistes de travail. Depuis, des initiatives ont été prises par les services statistiques du MEDDE, des
travaux ont été menés par des commissions pilotées par France-Stratégie sur les valeurs tutélaires et la
valeur des services écosystémiques. Les nouveaux indicateurs de richesse, publiés par France Stratégie en
octobre 2015, tentent de compléter le PIB pour obtenir une vision plus complète du bien-être. L’empreinte
carbone et l’artificialisation des sols en font partie.
La présente édition de la Revue du CGDD vise donc à présenter l’état des savoirs sur le « capital naturel ».
S’il est communément admis que le PIB est un indicateur imparfait et que le capital vert est un ingrédient
décisif de la croissance, l’enrichissement de la comptabilité nationale ou la construction d’un indicateur
concurrent du PIB restent des questions de recherche ouvertes. Des tentatives de mesure existent, à la fois
comptables et biophysiques mais il n’existe pas aujourd’hui de « doctrine » ou de « vision partagée » sur la
place de la nature dans la « richesse des nations ».
L’urgence de l’action plaide pour une stabilisation rapide de conventions de mesure, même imparfaites, pour
calibrer des instruments de politiques environnementales à partir des valeurs manquantes du capital naturel.
Un tel besoin se heurte toutefois au manque de connaissances qui restent à développer pour mieux mesurer
la nature. Il peut également se heurter à certaines réticences à donner une valeur monétaire à la nature, au
risque de faire de la nature un capital comme un autre et d’en corrompre la valeur intrinsèque.
Le CGDD a été maintes fois interpellé, à travers les évaluations de politiques environnementales qu’il conduit,
sur les risques inhérents à la monétarisation de la nature. Pour comprendre la diversité des points de vue sur
la valeur de la nature et surmonter ces mises en garde, le CGDD a ainsi initié depuis 2010 une série de
séminaires sur la monétarisation pour mieux rendre compte de la complexité et de la nature de l’exercice. En
aucun cas la monétarisation ne peut prétendre révéler une valeur intrinsèque de la nature. Plus modestement
elle témoigne de préférences sociales présentes en faveur de la conservation de la nature.
Aplanir les malentendus entre disciplines, clarifier les controverses techniques de comptabilité
environnementale est essentiel. Une telle réflexion doit permettre de transformer les acquis de la recherche en
un socle d’arguments robustes pour amener les décideurs, publics et privés, à intégrer davantage la bonne
gestion des milieux naturels dans leur prise de décision. L’enjeu est de mettre au point les outils économiques
– mais pas seulement – capables de déclencher les investissements de la transition écologique.
Ce numéro de la revue du CGDD est résolument pluridisciplinaire. Il permet ainsi d’envisager la question
traitée avec différents points de vue, selon la progression suivante :
il aborde pour commencer le cadre conceptuel, à la fois philosophique, économique et biologique, des
débats sur le terme polysémique de « capital naturel » ;
puis il présente l’état des propositions et les controverses méthodologiques pour mesurer le capital
naturel ;
enfin il s’intéresse aux instruments économiques, comptables et financiers innovants à développer
pour transférer la valeur des actifs naturels dans les choix économiques réels.
L’objectif est d’intégrer les acquis de la recherche au sein d’un guide à la fois conceptuel et opérationnel,
fondé sur une expertise de haut niveau. Cet ouvrage constituera, je le souhaite, un socle d’arguments pour
étayer des prises de position aux plans à la fois national et international et construire les politiques publiques
de la croissance verte.