
SERVET ERTUL, JEAN-PHILIPPE MELCHIOR ET PHILIPPE WARIN
8
à accomplir d’un point à un autre» ; c’est aussi ce qui correspond à l’espace, au
chemin ou à la distance parcourus. Une telle défi nition renvoie à de nombreux
domaines extrêmement variés: droit rural du Moyen Âge (par métonymie terri-
toire), pédagogie, religion, transport, sport, défense, physique nucléaire, chimie
moléculaire… Complétant cette polysémie, le signifi ant «parcours» a gagné,
au moins depuis la moitié du XXesiècle, une nouvelle acception en tant que
synonyme d’histoire de vie. Pour autant, bien que le thème des parcours sociaux
soit bien connu en Amérique du Nord sous le nom de life course et en Suisse, il
est, comme le souligne C.Lalived’Épinay, moins exploré en France 3 .
Nous émettons d’emblée l’hypothèse que les parcours sociaux résultent de
l’enchâssement 4 des parcours de vie des individus singuliers tendus vers leur
idéal d’autonomie dans les contraintes que toute société impose, transformant
de fait ces individus en êtres sociaux. On aura bien compris qu’il ne s’agit pas
d’opposer les individus à la société 5 , les premiers ne pouvant pas exister sans
la seconde qui évolue sous leur action. Ces parcours sociaux peuvent ainsi être
appréhendés à la fois dans leurs dimensions ontogénétique, c’est-à-dire au travers
de l’histoire de vie de l’individu, et phylogénétique, c’est-à-dire en termes d’héri-
tage intergénérationnel, avec ses continuités, ses ruptures et ses bifurcations.
PierreBourdieu, dans son ouvrage Raisons pratiques 6 , et JürgenHabermas, dans
sa Théorie de l’agir communicationnel 7 , ont déjà exploré ces deux dimensions.
Du point de vue de l’individu, dans toute sa singularité, les orientations qu’il
choisit pour des raisons stratégiques l’amènent à composer entre les possibilités
objectives qu’il a à sa disposition, en fonction de la position qu’il a sur l’échi-
quier social, et les contraintes qui lui sont imposées (valeurs, normes, règles…)
par la société ambiante 8 . Du point de vue de la société, dans toute l’histoire de
l’humanité, quel que soit le type de formation sociale ou de mode de gouver-
nance politique, tous les souverains ont tenté de sécuriser les parcours sociaux
de leurs sujets et surtout de leurs élites afi n de maintenir la pérennité du système
et de leur domination. Ce faisant, ils mettaient sur pied les premières formes
de l’action publique qui n’a cessé de se diversifi er et de se complexifi er au fi l du
3. LALIVE D’ÉPINAY C., Les parcours de vie au temps de la globalisation. Un examen du
«paradigme du parcours de vie», Communication en séance plénière au colloque inter-
national Les parcours sociaux entre nouvelles contraintes et affi rmation du sujet, LeMans,
17-19novembre2010.
4. L’enchâssement n’exclut pas les bifurcations, les ruptures, les réorientations auxquelles les
individus singuliers doivent faire face. Pour plus d’informations sur ce point voir en parti-
culier: BESSINM., BIDART C. et GROSSETTIM. (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux
ruptures et à l’événement, Paris, LaDécouverte, 2010.
5. ÉLIASN., Engagement et distanciation, contribution à la sociologie de la connaissance, Paris,
Fayard, 1993.
6. BOURDIEU P., Raisons pratiques, sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, 1994.
7. HABERMAS J., Théorie de l’agir communicationnel, rationalité de l’agir et rationalisation de la
société, t. 1, Paris, Fayard, coll. «L’espace du politique», 1987.
8. ERTUL S., Pour une orientation lato sensu, thèse d’État, université de Bourgogne, 2001.
[« Les parcours sociaux à l’épreuve des politiques publiques », Servet Ertul, Jean-Philippe Melchior et Philippe Warin (dir.)]
[ISBN 978-2-7535-1988-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]