Bulletin d’analyse phénoménologique IV 3 (2008) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm © 2008 ULg BAP
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La raison pratique prime aussi dans la connaissance. Au fondement de la
connaissance se trouve la « volonté de vérité ». La vérité elle-même est une
valeur qui est donnée dans une nécessité judicative valide dans l’absolu, qui
s’annonce dans la reconnaissance du Sollen. La volonté de vérité, qui est
quelque chose de logique, est encore précédée par quelque chose de supra-
logique (etwas Überlogisches), la volonté morale (primat de la raison
pratique)F
1
F.
Sans doute cette description de la position néokantienne ne s’applique-t-elle
pas dans la même mesure à tous les représentants de l’école de Bade (Lask,
en particulier, développe une conception qui s’écarte de ce schéma et
s’engage ainsi sur une voie transversale). Néanmoins, je laisserai de côté, au
moins dans un premier temps, les divergences internes à l’école, et je me
focaliserai essentiellement sur la conception rickertienne, qui est sans aucun
doute la plus représentative du « primat de la raison pratique » et, aussi, la
plus aboutie. Parce que les actes cognitifs, chez Rickert, se trouvent réglés
par des normes, et parce que la logique, corrélativement, se trouve fondée sur
des valeurs, la fondation de la connaissance purement théorique semble
devoir être comparable, au bout du compte, à la fondation des
comportements pratiques. Provisoirement, on peut dire que Rickert défend
ainsi une conception normative de la connaissance qui s’enracine dans une
conception axiologique de la logique — deux caractères qui, à première vue,
semblent difficilement compatibles avec une dissociation complète des
sphères théoriques et pratiques.
Quels sont au juste le sens et l’enjeu de cette manière de voir ? Plus
exactement, à quels besoins répond l’introduction des concepts de « norme »,
de « valeur » et de « volonté » en théorie de la connaissance ? Et quelles sont
les origines de cette conception ? Afin d’apporter des éléments de réponse à
ces questions, je commencerai l’examen de la théorie néokantienne de la
connaissance en retraçant les principales sources de la thèse du « primat de la
raison pratique ». Ces sources, à mon sens, sont au nombre de deux : il s’agit,
d’une part, d’une certaine lecture de Kant que l’on qualifie habituellement —
non sans raison — de « fichtéenne », et d’autre part, d’une certaine lecture de
Brentano que Windelband et Rickert ont empruntée à Julius Bergmann. Ces
deux lectures s’insèrent dans une démarche homogène qui vise à mettre au
jour, au sein même des processus cognitifs, la présence inaliénable de
plusieurs composantes d’ordre « pratique » — en un sens encore à préciser.
Très schématiquement, on peut dire que la lecture fichtéenne de Kant
consiste à apporter une solution « normative » au problème de l’objectivité
1 Rudolf Eisler, Philosophen-Lexikon, Berlin, Mittler und Sohn, 1912, p. 599.