Journal de l`exposition Himalaya-Tibet le choc des continents

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Les textes de ce tiré à part ont été
publiés dans le numéro 155/156
de novembre/décembre 2002
du Journal du CNRS
CAP SCIENCES
Le Journal de l’Expo
PAO :
Patrice Brossard
Hangar 20
Quai de Bacalan
33300 Bordeaux
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UNE PUBLICATION DE CAP SCIENCES - REGION AQUITAINE
Le journal du CNRS
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Rédacteur en chef :
Fabrice Impériali
CAP SCIENCES LE JOURNAL DE L’EXPO
Himalaya Tibet
l e ch o c d e s c o n t i n e n t s
Tiré à part
C E N T R E
HANGAR
DE
QUAI DE BACALAN
C U LT U R E
SCIENTIFIQUE
Contrat de Projets Etat-Région
TECHNIQUE
UNION EUROPEENNE
20
33300 BORDEAUX
INDUSTRIELLE
T (33) 05 56 01 07 07
REGION AQUITAINE
F (33) 05 57 85 93 81
Le
journal
du
CNRS
Edité par
CAP SCIENCES
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Deccan
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outre
Brahmap
OCÉAN INDIEN
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MER DE CHINE
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Karachi
Pakistan
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© Laboratoire de Détection et de Géophysique - CEA / Fleximage / USGS /NOAA
Madras
Bombay
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Rangoon
Sri Lanka
Laos
Hanoï
Taïwan
Shanghaï
Phnom Penh
Saïgon
Philippines
MER DE CHINE
Hong Kong
Pékin
Mongolie
Chengdu
Cambodge
Thaïlande
Bangkok
(Birmanie)
Vietnam
Kunming
Myanmar
Bhoutan
Bangladesh
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OCÉAN INDIEN
Calcutta
Népal
Kathmandu
Kachgar
INDE
Delhi
Modèle numérique de terrain GTOPO30 de l'USGS.
Satellite NOAA-VHRR, couverture mondiale, résolution 1 km.
Afghanistan
Islamabad
Turkménistan
Kaboul
Kirghizistan
Tadjikistan
Ouzbékistan
Kazakhstan
Irkutsk
Sur cette image de l’Asie, vous pouvez repérer les pays et les villes de cette zone géographique
© Laboratoire de Détection et de Géophysique - CEA / Fleximage / USGS /NOAA
Modèle numérique de terrain GTOPO30 de l'USGS.
Satellite NOAA-VHRR, couverture mondiale, résolution 1 km.
K u n l u n
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KAILASH
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Karakoram
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Image obtenue par combinaison
de mesures du relief et d'images satellite.
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Hindukush
Pamir
Tien Shan
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lac
Sur cette image de l’Asie, vous pouvez repérer les fleuves et les reliefs cités dans l’exposition
Mékong
L’exposition Himalaya-Tibet, le choc des continents
a été conçue et coproduite par le CNRS et le Muséum national d’Histoire
naturelle, avec le soutien du Ministère délégué à la Recherche et aux
Nouvelles Technologies. Elle est présentée aujourd’hui dans une scénographie réalisée par Cap Sciences.
Elle vise à faire découvrir comment la Terre, par sa dynamique interne,
façonne les paysages en prenant pour exemple la collision entre l’Inde et
l’Asie. Elle se présente comme un voyage à travers le temps, et à travers
les paysages d’Asie : Himalaya, Tibet, péninsule indochinoise. Elle raconte
l’histoire de la rencontre de deux continents et ses conséquences jusqu’à
nos jours, lisibles dans les paysages et déterminantes pour les êtres qui
y vivent.
Himalaya - Tibet
le choc des continents
UN MOTEUR DANS LA TERRE
LA RENCONTRE AVEC L’ASIE
Kevin Kling
PEUPLER TOUS LES PAYSAGES
“
Les plus hautes chaînes de montagnes, LE PLATEAU LE PLUS ÉLEVÉ,
certaines des plus grandes failles et des plus gros fleuves. Une activité tectonique
extraordinaire, enfin, qui n’a pas son égal ailleurs sur la planète, ni par son
ampleur, ni par sa célérité. En quittant le Gondwana pour venir emboutir l’Asie,
l’Inde a modelé un paysage si gigantesque, si extrême qu’il s’imposait comme
exemple pour expliquer LE FONCTIONNEMENT DE LA « MACHINE-TERRE ». En
aucun autre lieu de la surface, les entrailles de la planète ne livrent autant leurs
secrets. L’ambitieux projet du CNRS et du Muséum national d’Histoire naturelle
permet de mieux faire comprendre ces mouvements, d’une échelle dépassant
souvent l’entendement humain, de mieux saisir les liens de la géologie avec les
climats, de prendre conscience, enfin, que la dynamique de la planète influence
directement les CIVILISATIONS HUMAINES. Si le Muséum et le CNRS se sont
lancés dans cette aventure, c’est avant tout parce qu’une longue expérience les
lie à cette région : depuis plus de vingt-cinq ans, les scientifiques français
l’arpentent, d’abord depuis Kaboul, puis de Pékin, grâce à une coopération
franco-chinoise. DE DÉCOUVERTE EN DÉCOUVERTE, nous continuons pourtant à
nous étonner du gigantisme de l’Himalaya et du Tibet.
“
PAUL TAPPONNIER
L’Asie, continent des extrêmes
L
es hautes terres d’Asie, de la plaine du
Gange à la Sibérie, constituent le plus
spectaculaire ensemble de hauts reliefs
de la planète. L’Himalaya et le Karakoram,
qui rassemblent la plupart des sommets de
plus de 8 000 m, forment le rempart sud de
cet ensemble. Au-delà, il faut parcourir plus
de 1000 km sans jamais descendre en dessous
de l’altitude du mont Blanc (4 807 m) pour
traverser le seul Tibet. Ces hautes terres sont
le château d’eau de la moitié du continent.
Douze fleuves, parmi les plus grands du monde, y prennent naissance, quatre d’entre
eux, dans une montagne sacrée, le Kailash.
À l’origine de cette démesure : une histoire
géologique exceptionnelle. Violente. Le choc,
il y a 55 millions d’années, de deux continents autrefois séparés : l’Inde et l’Asie. Et ce
choc-là n’est que le dernier de la série de collisions qui a assemblé la mosaïque asiatique
en soudant divers fragments issus de la Pangée, l’ancien continent unique.
EN CHIFFRES
> Les fleuves issus du Tibet charrient
> L’Himalaya domine la planète avec
10 sommets dépassant 8000 m d’altitude.
> Le Toit du monde, ensemble des reliefs
de l’Himalaya et du Tibet, couvre plus de 5 fois
la surface de la France.
Lac Pen Tso,
à plus de 4000 m au Tibet.
Un tiers de l’humanité vit dans les plaines
arrosées par ces fleuves.
Aujourd’hui, la collision poursuit son œuvre,
ponctuée par de terribles séismes.
ensemble plus de sédiments que tous
les autres fleuves du monde.
> 6 failles, plus longues que celle de
San Andreas (Californie, États-Unis), sont
à l’origine des séismes continentaux les plus forts
du monde.
> Depuis 2000 ans, au moins 165 séismes
de magnitude supérieure à 7 (échelle de Richter)
ont secoué l’Asie et 28 sont connus pour avoir
atteint ou dépassé la magnitude 8.
> Le 14 novembre 2001, le dernier grand
séisme dans le nord du Tibet a résulté du glissement
de la faille de Kunlun, sur 400 km de long.
Un moteur dans la Terre
Image du relief d’une section de
la dorsale sud-ouest indienne.
Un survol de l’Asie
révèle son relief mais ne
permet pas de comprendre
comment sont nés ses
montagnes, ses vallées
et ses failles, ses déserts.
Pour cela, il faut chercher
loin dans le temps
et le sous-sol,
au cœur de la Terre.
Glossopteris browniana
(Afrique du Sud).
● Les frontières où les plaques se séparent
sont les dorsales. Ce sont des fossés ou rifts
volcaniques bordés de reliefs sous-marins.
Eost-CNRS
Ifremer/CNRS
Photo sous-marine de laves
en coussin (océan Indien).
F.Caillaud / Lignéris studios / CNRS / MNHN
E
n surface, la Terre est un puzzle composé de douze pièces, ou plaques. Au
plus profond, c’est une gigantesque
usine thermique animée de mouvements qui
dissipent, par convection, la chaleur libérée
par la radioactivité naturelle des roches profondes. La tectonique des plaques (du grec
tecton, charpentier) est la manifestation
en surface de cette dynamique. Les plaques
froides sont rigides, d’où leur nom de plaques
lithosphériques (du grec lithos, pierre). Elles
sont constituées de la frange superficielle
du manteau (manteau lithosphérique) sur
laquelle repose la croûte, continentale ou
océanique.
Les plaques dérivent lentement au rythme des
courants profonds, déformant alors les continents et les océans le long de leurs frontières.
C’est donc aux frontières des plaques que se
produisent les manifestations les plus visibles
du fonctionnement de la Terre : éruptions
volcaniques et tremblements de terre.
J.-P. Leroux/MNHN
L’éclatement d’un super continent
Profondeur sous l’eau en mètres
Les dorsales sont situées au milieu des océans
à des profondeurs de l’ordre de 2 000 m, et
leur longueur cumulée avoisine 60 000 km.
Le long des dorsales, la convection entraîne
la fusion et la remontée de magmas qui se
solidifient au contact de l’eau: c’est ainsi que
se fabrique la croûte océanique.
Coupe équatoriale de la Terre.
En haut, l’océan Atlantique
encadré par l’Amérique du Sud à
gauche et l’Afrique à droite. La
lithosphère et les continents sont
exagérés considérablement
pour les rendre visibles.
● Les frontières où les plaques convergent
sont les zones de subduction. En s’éloignant
des dorsales, les plaques se refroidissent,
s’alourdissent et finissent par plonger dans le
manteau terrestre. Le plancher océanique,
plus dense, retourne dans les profondeurs
du manteau, tandis que les continents moins
denses restent en surface. Il se produit donc
un continuel renouvellement et un recyclage
des fonds océaniques.
Au fil des millions d’années, le volcanisme
associé aux zones de subduction, fabrique
la croûte continentale.
● Les plaques peuvent également coulisser
l’une contre l’autre. Les frontières où s’opère
ce type de mouvement sont appelées failles
transformantes.
LA RONDE
DES PLAQUES
La Terre étant sphérique,
les mouvements des plaques
sont des rotations.
Ces rotations sont plus
ou moins rapides :
• 16 cm par an, au maximum,
le long de la dorsale
pacifique.
• 8 à 9 cm par an le long
des zones de subduction
des Andes ou du Japon.
• 2 à 3 cm par an seulement
au milieu de l’Atlantique.
Il y a 160 millions d’années, deux super continents,
la Laurasie au nord, le Gondwana au sud sont séparés
par l’océan Téthys. Puis, le Gondwana étiré par des tractions
tectoniques se disloque. De nouveaux océans apparaissent
entre les fragments Afrique, Inde, Australie et Antarctique.
75 millions d’années plus tard l’Inde est isolée.
Les mêmes mécanismes aujourd’hui
Depuis plusieurs centaines de millions
d’années, les continents se fragmentent
pour laisser place à de nouveaux océans.
Aujourd’hui, par exemple, le golfe d’Aden
et la mer Rouge s’ouvrent entre l’Afrique
et l’Arabie. Et le lac Baïkal deviendra
sans doute, un jour, un océan.
La preuve par les fossiles
La naissance d’un océan
La croûte continentale, étirée par la dérive
des plaques, se fracture et s’amincit. Entre
les failles, la clé de voûte s’effondre formant
un fossé ou «rift». Du magma remonte
par les fissures et édifie des volcans. Puis,
l’extension se poursuit. Des blocs entiers de
croûte sont découpés, basculés. Les bords du
rift s’éloignent. La mer l’envahit tandis que
le volcanisme, devenu sous-marin,
fait naître une longue chaîne: la dorsale.
En profondeur sous la dorsale, dans
les mouvements ascendants du manteau,
du magma apparaît. Moins dense que
son environnement, il s’élève vers la surface
et évolue chimiquement avant de s’épancher
à l’axe de la dorsale. Ces laves basaltiques
sont immédiatement refroidies par l'eau
de mer, formant des tubes et des «coussins»
qui s'entassent sur le fond marin.
L’observation de telles structures
en coussins, caractéristiques
des épanchements océaniques, permet
de dépister les traces des océans disparus.
Hémisphère Sud, -160 millions d’années.
La Terre sépare l’Inde de l’Afrique.
En Inde et sur les quatre continents de
l’hémisphère Sud, des sédiments âgés de
250 à 295 millions d’années renferment des
feuilles fossilisées de fougères arborescentes,
les Glossopteris. Lorsqu’on rapproche
fictivement ces continents, les gisements se
juxtaposent et dessinent une seule et même
aire de répartition. C’est l’une des preuves
qu’à cette époque, ces continents n’en
faisaient qu’un: le Gondwana. Ces mêmes
Glossopteris étaient absents de la Laurasie.
IPGP-CNRS-Univ. D. Diderot
Domaines océaniques(CNRS-UBO)/Géosciences Marines IPGP-CNRS-Univ. D. Diderot
Le voyage de l’Inde
La rencontre avec l’Asie
L’Inde est en route vers l’Asie. Devant elle,
un océan se ferme. Derrière elle naît un nouvel
océan. À mi-chemin, un volcan la submerge de
lave : l’Inde est passée sur un point chaud.
Le contact s’établit entre les marges sous-marines
de l’Inde et de l’Asie. L’océan Téthys s’évanouit. Toujours
entraînée par les mouvements profonds qui brassent le
manteau, l’Inde s’écrase alors contre l’Asie, ajoutant une
pièce à ce qui était déjà une mosaïque de blocs.
L
’Inde, entraînée par le plancher de
l’océan Téthys qui s’enfonce (subduction) au bord sud de l’Eurasie, débute
la partie rapide de son voyage. Elle parcourt
4 500 km en 30 millions d’années, à la vitesse
de 15 cm/an. Au sud, à mesure que la montée
ininterrompue de basaltes le long de
trois dorsales fabrique du plancher océanique, un océan s’élargit : c’est l’océan Indien.
Éruption du piton de la Fournaise..
- 85 millions d’années.
La Terre déplace l’Inde vers le nord.
L’océan Téthys a entièrement disparu. La
partie continentale de la plaque indienne
est entraînée à son tour dans la zone de
subduction. La croûte, moins dense que le
manteau, résiste à l’enfoncement comme
un bouchon dans l’eau. À cause de cette
résistance – la force d’Archimède – elle finit
par être désolidarisée du manteau qui seul
continue à s’enfoncer. La bordure nord de
l’Inde s’écrase alors contre l’Asie, qui
commence aussi à se déformer. Le choc
ralentit la vitesse de dérive du continent,
qui se stabilise à 5 cm/an mais ne l’arrête pas.
L’écrasement de la « Grande Inde »
Avant la collision, la bordure sud de l’Asie
devait être à peu près rectiligne et s’étendait
de l’Iran actuel à Sumatra. De son côté, l’Inde
continentale était sans doute plus vaste
qu’aujourd’hui. Le bord nord de la « Grande
Inde » était situé à plusieurs centaines de
kilomètres plus au nord qu’actuellement.
Depuis le choc initial, la déformation
des deux continents a absorbé plus de
2 500 km de convergence.
IPGP-CNRS-Univ. D. Diderot
Trajet suivi par l’Inde, reconstitué d’après les
mesures des anomalies paléomagnétiques
(âges en millions d’années).
À - 65 millions d’années précisément, un panache chaud venu du manteau profond perce l’Inde : c’est un point chaud. Il la couvre
de basaltes sur 500000 km2, soit la surface de
la France. L’événement durera 500 000 ans.
L’empilement des coulées (ou trapps) sur
2 000 m d’épaisseur donnera naissance au
plateau du Deccan. Cet épanchement d’un
énorme volume de basaltes, en un temps
géologique « bref », a
un impact très important sur la composition de l’atmosphère et de
l’océan, et par conséquent sur l’environnement global de la
planète.
Il
est
contemporain de la
grande crise biologique de la fin du
Crétacé et fournit
une des hypothèses
explicatives de cette
dernière. Le volume
de gaz carbonique
émis par les éruptions – 3 fois celui de l’atmosphère actuelle – réchauffe la Terre de
4 °C. Il faudra 1,5 millions d’années pour en
résorber l’excès. Après ces éruptions cataclysmiques initiales, le point chaud restera
actif sous la plaque indienne en dérive. En témoigne la naissance d’îles volcaniques successives: les Maldives, Maurice et la Réunion,
avec le piton de la Fournaise, dernier né des
volcans surgis sous la mer et témoin de l’emplacement actuel de ce point chaud.
Le processus de subduction qui referme
l’Océan Téthys va se poursuivre encore
quelques millions d’années, jusqu’à ce que la
marge continentale de l’Inde entre brutalement en contact avec l’Asie, il y a environ
55 millions d’années.
Exposition CNRS-MNHN
Cataclysme mondial à mi-parcours
Le choc des continents
À la recherche de l’océan perdu
La subduction de l’ancien océan
Téthys est achevée. L’Inde se soude à l’Asie.
Les roches de la suture (sédiments marins et lambeaux de
lithosphère océanique) témoignent de l’océan disparu.
Les trapps du Deccan
RETRACER LA TECTONIQUE
GRÂCE AU CHAMP MAGNÉTIQUE
TERRESTRE.
« Si le champ magnétique terrestre est connu
depuis l’Antiquité, il n’a que récemment permis
d’expliquer les bouleversements de l’écorce
terrestre, comme la folle course de l’Inde
vers l’Asie. La plupart des roches fossilisent la
direction du champ magnétique terrestre dans
les grains de fer qu’elles contiennent. Elles se
comportent alors comme de petites boussoles,
indiquant le nord et la latitude de leur formation,
et permettent ainsi de reconstruire la position des
continents dans le passé. Le travail des
chercheurs en paléomagnétisme consiste
précisément à retrouver ces directions
d’aimantation fossiles. Et à les dater. Car le champ
magnétique terrestre permet aussi une datation
fine des roches. En s’inversant périodiquement au
cours de son histoire, celui-ci laisse en effet des
indices indélébiles dans les grains de fer.
Ainsi, l’étude systématique des fonds marins
a-t-elle permis de dater les roches formées
symétriquement de part et d’autre des rides,
chaînes sous-marines où se crée le plancher
océanique, et d’en déduire une vision dynamique
de la formation des océans… Et du mouvement
des continents alentour. La combinaison de ces
deux méthodes utilisant les propriétés
magnétiques des roches a ainsi permis de décrire
l’éclatement du Gondwana, l’ancien continent
unique, la dérive de l’Inde, sa collision avec l’Asie,
et enfin, la déformation de la croûte continentale. »
Jean Besse
Laboratoire géomagnétisme, paléomagnétisme,
géodynamique
CNRS - IPGP - Univ. Denis Diderot
[email protected]
- 55 millions d’années.
La Terre soude l’Inde à l’Asie.
La fermeture de la Téthys a laissé des traces
sur la bordure nord de la haute chaîne
himalayenne, de la vallée de l’Indus à celle
du Yarlung Tsangpo. Des vestiges de croûte
océanique ayant résisté à l’enfouissement
marquent la zone de suture entre les deux
continents.
Anomalies magnétiques
Les orientations du champ magnétique
terrestre, qui varient dans le temps, sont figées
dans les basaltes de la croûte lors de leur
refroidissement. Il s’en suit, localement, des
anomalies magnétiques. Elles sont dites
positives ou négatives selon que la polarité
du champ était identique à celle du champ
actuel ou l’inverse. L’échelle datée de
ces inversions est un véritable « code-barre »
permettant de déterminer les taux
d’expansion des océans.
C’est en reconstituant, grâce à ces informations, l’ouverture des océans Indien,
Atlantique central et Atlantique Nord, que
l’on est parvenu à reconstruire le déplacement
de l’Inde par rapport à l’Asie.
Le soulèvement de l’Himalaya
Satellite OrbView2-SeaWiFS Project, NASA/Goddard Space Flight Center, and ORBIMAGE
L
L’Asie de l’Est vue par le satellite OrbView2. Au nord, le plateau
tibétain, le désert de Gobi et l’Ordos (jaune). Au sud l’Indochine
et la Chine du Sud, délimitées par la faille du Fleuve Rouge.
oin au nord, avant que l’Himalaya ne
surgisse, de grandes failles se propagent
qui cisaillent le cœur du continent, chassant vers le Pacifique deux grands blocs.
Deux péninsules se forment ainsi l’une après
l’autre. Après la Malaisie, l’Indochine
glisse de 700 km vers le sud-est, entre
-35 et -17 millions d’années, le long de
la faille que suit actuellement la vallée du
Fleuve Rouge. La mer de Chine du Sud
s’ouvre.
Les satellites dévoilent la faille du Fleuve
Rouge longue de 1000 km, du Tibet au
Tonkin et plus au sud, en mer, le long de la
côte du Vietnam.
Des failles toujours actives
Aujourd’hui, la mesure de la vitesse des failles
nées de la collision entre l’Inde et l’Asie est
essentielle à l’étude de la déformation du
continent. Une faille coulissant de 1 cm par an
en moyenne déplace par saccades, à chaque
séisme, des objets transverses tels que cours
d’eau, dépôts alluviaux, vallées ou moraines.
Ce déplacement peut atteindre 10 m par
séisme. Ces failles s’étendent sur des milliers
de kilomètres. Au total, l’affrontement
spectaculaire entre les deux continents est à
l’origine de déformations qui s’étendent de
l’Himalaya à la Sibérie et à l’Asie orientale,
sur plus de 10 millions de km2.
IPGP-CNRS-Univ. D. Diderot
L’INDE, CHASSE-NEIGE OU BULLDOZER?
Paul Tapponnier
Laboratoire de tectonique et mécanique de la lithosphère
CNRS - IPGP - Univ. Denis Diderot
[email protected]
Le continent indien se déforme à son tour.
Sur sa bordure nord, la croûte se fracture
en écailles qui se chevauchent et se
plissent. L’Himalaya s’élève.
Modèle de poinçonnement. Le premier bloc de pâte à modeler
détaché (en bas à droite) évoque le bloc indochinois , le bloc suivant évoque la Chine du Sud. Entre les deux la coupure est similaire à la faille du Fleuve Rouge.
Le Dumani, « collier de nuages », domine de ses 7788 m la haute vallée de la Hunza au Pakistan
T
andis que le manteau lithosphérique de
l’Inde poursuit sa plongée, la croûte
s’en décolle et s’empile en écailles qui
se chevauchent. Chaque écaille en s’enfonçant en soulève une autre, avant d’être ellemême soulevée par l’écaille suivante, plus au
sud. Ainsi, la croûte de l’Inde, rabotée par
le butoir asiatique, s’épaissit et l’Himalaya se
construit. En profondeur, température
et pression transforment les roches, c’est
le métamorphisme. Si elles vont jusqu’à fondre, le magma deviendra granite. Après
quelques millions d’années, des roches
enfouies sont remontées vers la surface où
l’érosion les dénude, révélant au grand jour
la mémoire de leur trajet. Ainsi sont sculptés les reliefs de la barrière himalayenne.
L’Himalaya n’explique pas tout.
D’après les observations sismologiques et les
modélisations, à l’aplomb de l’Everest la croûte continentale atteindrait 75 km de profondeur environ. Ce socle épais, constitué de matériaux plus légers que le milieu environnant,
supporte et compense l’excès de poids du relief
de l’Himalaya. Plus au sud, la croûte indienne
non déformée n’a que 35 à 40 km d’épaisseur.
Sous la chaîne, large de 250 à 300 km, la croû-
La constante ascension de l’Himalaya
En plongeant sous le Tibet à la vitesse
moyenne de 2 cm/an, l’Inde comprime
aujourd’hui la chaîne himalayenne comme
un ressort. Tous les 500 ans environ, ce ressort se détend, déclenchant un grand séisme:
les deux plaques glissent alors brutalement
de 10 mètres l’une sur l’autre. Ainsi, se construit par saccades le relief de la montagne,
mais l’altitude moyenne ne croît que de
quelques millimètres par an en raison de
l’érosion.
Entre deux grands séismes, la chaîne himalayenne est en permanence agitée par
de petits tremblements de terre, la plupart
imperceptibles par l’homme. On en détecte
ainsi plus de 4 000 par an dans l’Himalaya
du Népal, soit 30 fois plus qu’en France
métropolitaine pourtant 4 fois plus grande.
Structure profonde de l’Himalaya aujourd’hui
- 35 millions d’années.
La Terre crée la péninsule indochinoise.
te déformée est donc deux fois plus épaisse
qu’avant la collision. Un simple bilan de volume montre que cet épaississement correspond,
au plus, à 500 km de rapprochement entre l’Inde et l’Asie. Or, depuis la collision, le raccourcissement dépasse 2 000 km. À elle seule, la
formation de l’Himalaya ne rend donc pas
compte de l’ensemble du raccourcissement entre l’Inde et l’Asie.
4 000 séismes par an au Népal
Exposition CNRS/MNHN
L’Inde poursuit sa dérive. Comme un poinçon, elle s’enfonce
dans l’Asie qui se brise. Un fragment est expulsé.
Une péninsule se forme, c’est l’Indochine.
« Une première image s’impose pour décrire cette rencontre : un bulldozer, l’Inde élève des montagnes en enfonçant la croûte de l’Asie. Mais l’Asie a été pénétrée sur près de 2 000 km, et seule la
moitié de toute cette matière déplacée suffit à édifier les montagnes. Un morceau du continent, de
1 000 km de large, est donc porté manquant. Imaginons maintenant que l’Inde se soit comportée
aussi en chasse-neige, elle aurait chassé des blocs entiers de croûte sur le côté. Nous avons
simulé ce processus en enfonçant un poinçon rigide, figurant l’Inde, dans un bloc de pâte à modeler. Celui-ci était maintenu à l’ouest, comme l’Asie centrale l’est par l’Europe. Il restait libre à l’est,
car la plaque Pacifique plonge sous le continent. En s’enfonçant, le poinçon chasse vers l’est deux
parts de « gâteau » successives, dont la similitude est troublante avec l’Indochine et la Chine. Ce
modèle suggérait une zone de glissement au nord de l’Indochine, à l’emplacement de la faille du
Fleuve Rouge. Or, nous avons découvert, de part et d’autre de la faille, des roches aujourd’hui
distantes de 800 km alors qu’elles étaient face à face il y a 30 millions d’années.
L’Inde a donc bien fait glisser l’Indochine et la Chine vers l’est, ce qui rend compte des 1 000 km qui
manquaient à l’hypothèse “bulldozer”. »
B. Domenech
La formation de l’Indochine
- 25 millions d’années.
La Terre soulève l’Himalaya.
Peupler tous les paysages
Le Tibet, altitude et platitude
Près de 5000 m de haut, 2500 km de longueur,
1500 km au plus large. Et pourtant, le plateau
du Tibet est souvent aussi plat que la Beauce.
Au nord, dans la zone de croissance, un réseau
de failles inverses fonctionne sur 500 000 km2,
érigeant de grandes chaînes de montagnes
parallèles. Cet ensemble de failles et de reliefs
bute sur les failles décrochantes de l’Altyn Tagh
et du Kunlun, délimitant et isolant des
bassins. L’érosion les remplit des débris arrachés
aux reliefs, que les cours d’eau, barrés par les
montagnes, ne peuvent emporter vers l’océan.
Ainsi, sous l’action conjuguée de la tectonique
et de l’érosion, se constitue une haute plaine
extraordinairement plate.
Des chevauchements distribués sur une grande
surface par un décrochement qui se propage,
des bassins encerclés qui se remplissent à ras
bord. Voilà sans doute la recette qui a permis
au «Toit du Monde» de conjuguer altitude et
platitude.
J.-P. Kauffmann
Étendues froides d’Asie centrale, forêt tropicale
de l’Inde du Nord, Himalaya: la mosaïque des
reliefs est le creuset d’une mosaïque de peuples. Des steppes d’Asie centrale à la vallée du
Gange, du Pakistan à la Birmanie, plus d’une
centaine de peuples se distinguent par la langue, la religion, la culture, les coutumes ou les
techniques. C’est le reflet de leur longue histoire, mais aussi des contraintes géographiques qui ont favorisé ou empêché la circulation des groupes humains au fil des siècles.
Certaines vallées sont des isolats très fermés,
où se développent et se conservent des traditions originales. D’autres sont des voies de
passage et d’échanges, suscitant des mélanges
complexes, des croisements culturels variés.
Frédéric Fluteau
Laboratoire géomagnétisme, paléomagnétisme,
géodynamique
CNRS - IPGP - Univ. Denis Diderot
[email protected]
Poussée de l'Inde
et déplacement du Tibet
Inde et Sibérie se rapprochent de 40 mètres
tous les mille ans. Au-delà de l’Himalaya, ce
raccourcissement est absorbé par coulissage
ou chevauchement le long de failles de plus
de 1 000 km de long. L’Inde agit à la fois
comme un bulldozer et un chasse-neige
entraînant les différents blocs : le haut
plateau tibétain est chassé vers le nord-est à
près de 30 mètres par millénaire, vitesse à
laquelle Lhassa se rapproche de Pékin. Les
trois blocs du Tibet oriental tournent dans le
sens horaire et poussent la Chine du Sud
vers le Pacifique.
Depuis la naissance de Gengis Khan, vers
1 160, Shanghai s’est éloigné de Moscou
d’environ 10 mètres. Le bloc du Tarim tourne
lentement dans le sens inverse des aiguilles
d’une montre. Il affronte le bouclier kazakh,
faisant surgir les Montagnes célestes entre les
déserts.
- 15 millions d’années.
La Terre fait croître le plateau tibétain.
G.Meurgues-G.Ledoux
K.Buffetrille
Une mosaïque de peuples
Ladakhi,
Cachemire
Golok,
Tibet
A.Clappier
A
vant même sa rencontre avec l’Inde,
l’Asie était formée de plusieurs blocs
soudés entre eux. La poussée de l’Inde
a fragilisé les anciennes sutures du Tibet,
qui cèdent l’une après l’autre, formant
en surface de grandes failles obliques.
En profondeur, sous la croûte, de nouvelles
zones de subduction naissent dans le manteau pris en étau. D’abord au sud, puis
au nord, le « Toit du Monde » s’élève, en trois
temps.
Dès le début de la collision, il y a 55 millions
d’années environ, un premier plateau s’est
formé. Il est aujourd’hui entaillé par de
grandes rivières. Puis, un deuxième Tibet,
siège d’un volcanisme encore actif, s’est
élevé au nord du premier. Depuis moins
de 10 millions d’années, on assiste à la
croissance vigoureuse d’un troisième Tibet,
au nord des deux autres. Il continue
aujourd’hui de s’étendre, aux dépens du
désert de Gobi et du bloc du Tarim.
Lhalu, Tibet
K.Buffetrille
Failles et déformations ont gagné toute l’Asie centrale.
Un plateau progresse rapidement vers le nord.
C’est le plateau du Tibet. Situé en moyenne à l’altitude
du mont Blanc, il devient le plus vaste de la planète.
Homo erectus de Java, âgé de 800 000 ans.
C.Hemmet
La croissance du plateau tibétain
C'est à Java, à la fin du XIXe siècle, que fut découvert, pour la première fois, un
fossile humain nettement différent de l'homme moderne: le Pithécanthrope.
La paléontologie humaine était née. Depuis, les découvertes africaines et asiatiques nous ont révélé que des Homo erectus, dont les origines africaines
remontent à environ 1,8 million d'années, se sont répandus dans toute l'Asie.
Ils y ont vécu et évolué pendant, sans doute, un million et demi d'années. Ils
ont dû s'adapter à un milieu en perpétuelle évolution, car à l'instabilité géologique se sont ajoutées les oscillations climatiques. Les glaciations ont fait
varier plusieurs fois le niveau des mers, et les îles de la Sonde, par exemple,
furent souvent rattachées au continent asiatique.
L'expansion humaine a été tributaire de ces événements. L'immense majorité
des fossiles humains retrouvés à ce jour provient de sites chinois et javanais,
mais un seul a été retrouvé en Inde. Toutefois, la répartition des outils préhistoriques montre que l'ensemble du continent était colonisé à cette époque.
B.Domenech
Le haut plateau tibétain (5 000 m) , au sud de la chaîne du Kunlun, avec en premier plan des
grès rouges vieux de 20 à 30 millions d’années. Les roches volcaniques des reliefs englacés
(arrière-plan) suggèrent le plongement du manteau lithosphérique sous le Kunlun.
«Depuis les années 1980, l’hypothèse courante
attribuait l’apparition de la mousson en Asie à la seule
montée du plateau tibétain. L’explication est
insuffisante. Propre au domaine tropical, le régime des
moussons repose sur le contraste thermique entre
océan et continent. Ce dernier, surchauffé l’été,
réchauffe la couche d’air qui le surplombe, créant ainsi
une dépression. Des masses d’air moins chaudes mais
humides, en provenance de l’océan, s’engouffrent dans
ce vide, provoquant des pluies violentes : c’est la
mousson d’été. Décrite ainsi, la mousson peut
parfaitement exister sans haut-relief. Il suffit, pour s’en
convaincre, de jeter un œil à l’Afrique, où la mousson
existe dans des régions plates. Reste que le
phénomène est particulièrement violent en Asie. Car la
surrection du plateau tibétain facilite le déclenchement
de la mousson d’été. La couche d’atmosphère audessus d’un continent est en moyenne épaisse de 12
km, mais elle est bien sûr très réduite au-dessus du
Tibet. Moins épaisse, elle est ainsi plus facile à
chauffer. Plus encore, les hauts-reliefs de l’Himalaya
forment un mur infranchissable pour les masses d’air.
Les précipitations qui s’y produisent libèrent une
grande quantité de chaleur latente. Un mécanisme qui
amplifie la mousson dans cette région.»
L’homme fossile en Asie
B.Domenech
IPGP-CNRS-Univ. D. Diderot
HIMALAYA ET TIBET
AMPLIFICATEURS DE MOUSSON
Wakhi, Pakistan
Kiranti,
Népal
Gurung,
Népal
Yao, Nord Vietnam
Vivre dans des paysages fortement contrastés
Voyager et commercer
Une civilisation du yak
Cultures en terrasse,
Ghandrung, Népal.
Caravane de yaks sur
le plateau tibétain.
Kevin Kling
Les échanges sel contre grain
Des montagnes sacrées
L’opposition fondamentale entre montagne et
vallée structure la perception des paysages
qu’en ont les populations tibétaines.
La première est fortement valorisée et associée
à la notion de prééminence hiérarchique,
Dans les hautes vallées du Népal, la production locale d’orge ne couvre les besoins des habitants que sept mois par an. Plus haut, les lacs
du plateau tibétain fournissent du sel. Plus
bas, les basses terres sont plus fertiles.
Un système de troc très codifié permet
de compléter les besoins en céréales pour les
cinq mois restants : un sac d’orge est échangé
contre deux sacs de sel du Tibet. Ces deux
sacs sont échangés à leur tour, dans les vallées
basses, contre trois ou quatre sacs d’autres
céréales. Depuis fort longtemps, des caravanes
de yaks, de chèvres et de moutons arpentent
les pistes de l’Himalaya, suivant cette « route
du sel et du grain».
Routes de la soie ou routes
de civilisation?
Les routes de la soie sont ces voies
caravanières qui, dès le IIe siècle avant notre
ère, reliaient l’Orient le plus lointain aux rives de la Méditerranée. La plus ancienne commence dans l’ancienne capitale impériale,
Changan (aujourd’hui Xi’an), où étaient rassemblés les rouleaux de soie produite dans la
basse vallée du Yang-tseu-Kiang, 1 000 km au
sud-est. Sur ces routes de la soie circulent
toutes sortes de biens, par troc ou commerce,
mais ce sont surtout des routes de civilisation par lesquelles se propagèrent notamment techniques d’irrigation, de construction de ponts, armes, plantes cultivées,
sculptures et peintures, idées, croyances et religions, tels le bouddhisme ou l’islam.
Au carrefour de trois grandes civilisations,
celles de la Chine, de la Perse et de l’Inde, les
très hautes montagnes chargées de neige de
L’Himalaya et du Karakoram, du Kunlun et du
Tien Shan, auraient pu faire obstacle aux
échanges. Mais au contraire, l’eau de fonte des
neiges alimentait des points d’eau pour les
voyageurs en été, lorsque les températures
élevées rendraient difficile toute vie végétale et même animale.
Le secret de fabrication de la soie
c’est le domaine pur des ermites, de la vie
sauvage, bonne et paisible. Dans la vallée,
plus chaude, l’air devient lourd, chargé de
fièvres. C’est le domaine des forêts épaisses,
des animaux dangereux et des populations potentiellement hostiles. Les montagnes sont
les lieux de prédilection des dieux. Et les
dieux, des montagnes que l’on vénère.
Mont Kailash,
drapeaux de prières
sur un site votif.
Musée des tissus de Lyon
E. Gonthier-MNHN
Tout au long de la chaîne himalayenne, selon
l’altitude, la pente ou l’exposition, l’eau et la
lumière solaire se répartissent différemment,
créant une mosaïque de milieux très variés.
48 °C d’écart entre l’Everest et le golfe du Bengale, 30 fois plus d’eau de pluie au sud des
Annapurna qu’au nord… l’Himalaya rassemble
à lui tout seul, sur une surface réduite, une aussi grande diversité de faune et de flore qu’il y
en a entre Calcutta et le pôle Nord. On y trouve en particulier 13000 espèces de plantes à
fleurs, présentes jusqu’à 6350 m d’altitude.
Émeraudes du Pakistan, lapis-lazuli d’Afghanistan, jades de Chine sont mondialement connus et ont fait l’objet d’un
commerce intense. Leur présence dans ces régions s’explique par leur histoire géotectonique.
Ainsi le jade, qui existe sous deux formes géologiques proches – la jadéite et la néphrite –
ne se développe que dans un contexte de collision et de subduction, en particulier lorsque
des masses continentales s’affrontent. Dans
le cas de l’Himalaya, les gisements de jade se
sont développés à grande profondeur et ont
été ramenés en surface à l’occasion de la collision entre l’Inde et l’Asie.
En Chine, le jade était le symbole du pouvoir,
et les six jades rituels à usage religieux accompagnaient les princes et les nobles dans
leur tombe. C’est à partir des Ts’in que les
ateliers de graveurs de jade commencèrent
leur production pour l’exportation : au
XVIIIe siècle le jade chinois se répand dans les
collections princières d’Europe. L’Inde l’a aussi beaucoup utilisé en bijoux finement ciselés. Cette pierre y était considérée comme
particulièrement bénéfique pour le cœur.
Kevin Kling
J.-G. Michard, D. Vitale - MNHN
Himalaya, entre tropique et arctique
Fabrication de
la soie.
Ébouillantage
à la vapeur
des cocons de
ver à soie.
Des minéraux venus des profondeurs
Les yaks ou «bœufs qui grognent» ne peuvent vivre qu’entre
3 000 et 5 000 m d’altitude. Ils présentent des adaptations
anatomiques et physiologiques au climat et à l’altitude tout
à fait étonnantes dans la famille des bovidés. La quasi-totalité des 5 millions de yaks sont domestiqués. Toute l’économie
familiale repose sur eux : outre leur force de travail, ils fournissent lait, viande, combustible (bouses), cuir et poils pour les
bottes, les sacs, les cordages. La queue de l’animal est même utilisée pour certains rites.
Coupe en jade blanc
avec couvercle,
Chine, XVIIIe siècle.
COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE DE L’EXPOSITION :
Paul Tapponnier/CNRS-IPGP - Université Denis-Diderot.
CONCEPTION :
Christiane Grappin, CNRS-Insu.
Jean-Guy Michard, Muséum national d’Histoire naturelle.
Dominique Vitale, Muséum national d’Histoire naturelle,
avec la participation d’une trentaine de laboratoires
(CNRS, MNHN, CEA, universités…).
Toutes les illustrations de la Terre appartiennent
et proviennent du laboratoire géomagnétisme
et paléomagnétisme, géodynamique /
© Jean Besse - IPGP
SCÉNOGRAPHIE :
Renaud Piérard.
EN SAVOIR PLUS
www.cnrs.fr
www.mnhn.fr
Quoique jalousement gardé, il fut éventé
dès le VIe siècle. Mais déjà, bien d’autres
objets précieux parcouraient les «routes de la
soie » : métaux, bijoux, pierres (lapis-lazuli,
turquoise, jade, etc.), fourrures et cuir, porcelaine décorée, chiens de chasse et faucons
dressés, ambre et corail, plantes médicinales
et cotonnades. Et même de la soie, car la
Chine continua ses exportations.
LE LIVRE :
Himalaya-Tibet, le choc des continents.
Ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Philippe Avouac et Patrick de
Wever. Coédition Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS Éditions 192 pages,
97 photos dont 91 en couleur, 6 similis, 100 dessins couleur, prix: 22 euros.
Un dialogue fécond s’est établi entre des spécialistes de disciplines variées qui
se sont penchés, ensemble, sur ce choc de continents, de climats et de cultures.
Nous voyons alors se dessiner une vision de notre planète encore plus globalisante
que celle qu’offre la seule tectonique des plaques, puisqu’elle englobe les
enveloppes fluides de notre planète et l’impact de la géologie sur la vie.
DOSSIER COORDONNÉ PAR :
CNRS : Séverine Duparcq, Stéphanie Bia, Christiane Grappin
MNHN : Camille Pisani, Anne Roussel-Versini
REMERCIEMENTS À :
D. Bremond - J. Besse - M. Guiraud - V. Jara Ron - G. Prévos - B. Rondeau J.-P. Avouac- Kevin Kling - J.-F. Ternay - Toute l’équipe de CNRS Editions et de la
Photothèque du CNRS et tous ceux qui ont apporté leur concours à la conception
de cette exposition.
Reconfiguration de l’exposition Cap Sciences - Bordeaux, Aquitaine
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