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Enseigner le Bouddhisme : quelques préalables, Evelyne Martini, novembre 2002
INTRODUCTION
Enseigner les rudiments du bouddhisme est à la fois plus facile et plus difficile que de transmettre
l'essentiel du judaïsme, du christianisme ou de l'islam. Plus facile parce qu'il s'agit d'une tradition plus
lointaine, exotique, moins inductrice de froissements des susceptibilités laïques... Plus difficile parce que
cette tradition renvoie à des catégories de pensée assez fondamentalement différentes de celles qui ont
façonné le monde occidental. Ceux qui souhaitent s'informer et informer les autres sur le bouddhisme
devront opérer quelques déplacements mentaux - en particulier en ce qui concerne le rapport au temps
et la place de l'être humain dans l'univers.
Selon l'âge, le niveau d'études des destinataires, on abordera plus ou moins prudemment, et par étapes,
tout ce qui fait la complexité de la vision bouddhiste du monde. Je tenterai de donner une idée de cette
complexité (que doit garder à l'esprit celui ou celle qui prétend évoquer le bouddhisme devant un jeune
public) en l'abordant à partir des trois entrées suivantes :
- le contexte indien du 6ème siècle avant Jésus-Christ
- les fondements de la doctrine bouddhique (les Trois Joyaux)
- l'évolution historique du bouddhisme.
1 - LE CONTEXTE INDIEN DES 6EME / 5 EME SIECLES AVANT JESUS-CHRIST
II est fondamental de donner une idée de l'univers géographique, socio-politique, religieux dans lequel
naît le bouddhisme. Dans le sous-continent indien d'alors dominent la pensée et la vision du monde des
brahmanes, ces « docteurs de la loi » chargés du culte et garants du bon ordre des choses.
« Brahmanisme » est le terme utilisé par les indianistes pour désigner la période postérieure aux temps
les plus anciens - les temps védiques (1500-800 av. J.C.) - pendant laquelle se fixent les grandes
orientations de la spiritualité indienne ainsi que les modes d'organisation de la société. Stade déjà assez
tardif donc (800-300 av. J.C), de l'élaboration de cette spiritualité - qui se constitue au cours des siècles
en Inde à partir de la rencontre des peuples venus d'Europe centrale (ces derniers se désigneront eux-
mêmes du nom d'arya, les nobles) avec les autochtones indiens.
Insistons sur quelques repères majeurs de cette spiritualité. Le polythéisme de base de la tradition
ancienne des aryens est travaillé dès l'origine par une recherche explicite de l'unité. Le panthéon, au
cours de l'évolution historique, se réduira jusqu'à se concentrer sur la triade Brahma-Vishnou-Shiva,
sans exclure pour autant les références et la dévotion à d'autres dieux. L'idée d'un principe neutre,
absolu (dont il est difficile de parler mais qui est à l'origine de tout, unifie tout, se tient au-delà de toutes
formes et de toutes manifestations, le Brahman) est très vite avancée. Les brahmanes (les prêtres, la
catégorie sacerdotale, dominante) sont en quelque sorte les serviteurs du Brahman. L'accent est
progressivement mis sur la relation à établir entre le Brahman et la parcelle de ce principe éternel, ou
atman, qui habite chacun d'entre nous, là où il se trouve placé et quelle que soit sa condition de vie.
Cette expérience intérieure est une délivrance - moksa - qui est en fait le but ultime de l'homme. Elle le
libère des conditionnements créés par ses actes physiques et psychiques - c'est la loi de cause à effet,
la loi du karman - qui le font aller de naissance en naissance, dans un courant sans fin, le samsara.
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Des textes fondateurs, élaborés au cours des siècles - mais dont certains ont le statut de textes révélés -
témoignent de ces orientations : Hymnes védiques (de Véda, la connaissance sacrée), Brahmanas,
Upahishad, textes épiques... Au moment où le futur Bouddha naît, dans un petit royaume du nord de
l'Inde, les spéculations, les rites et les pratiques religieux sont largement conduits par les brahmanes :
c'est bien la religion d'une catégorie dominante, mais qui se diffuse dans toute la société même quand
elle se mêle à des pratiques différentes – pré-aryennes ou de type chamanique.
2 - LES FONDEMENTS DE LA DOCTRINE BOUDDHIQUE
Pour comprendre ce qu'est le bouddhisme, et avant de prendre en compte les transformations dues aux
évolutions historiques, il faut d'abord s'intéresser à ce que la tradition désigne par l'expression : les Trois
Joyaux.
Ces Trois Joyaux - le Bouddha, le Dharma et le Sangha - constituent le cœur de la doctrine. Il s'agit
donc de tout ce que l'on peut savoir sur le fondateur (le Bouddha), sur son enseignement (le Dharma), et
sur la communauté de ses disciples (le Sangha).
2.1) Le Bouddha
Même si l'on prend la précaution de distinguer le personnage historique des très nombreuses légendes
qui entourent sa naissance et sa vie, il faudra bien expliquer que les repères historiques ont peu
d'importance pour un bouddhiste. Naturellement, on pourra toujours rappeler que le Bouddha était un
jeune prince du clan des Sakya (il n'appartenait pas à la catégorie des brahmanes mais à celle des
guerriers, les ksatrya) né au 6ème ou au 5ème siècle avant Jésus-Christ à Kapilavastu, près de l'actuel
Népal. Son nom était Siddharta Gautama. Après une première partie de vie conforme aux idéaux de sa
caste, il prit l'habit de renonçant - selon l'esprit de la religion du temps - pour finalement vivre un
expérience profonde d'« éveil », puis délivrer un enseignement spécifique rompant par bien des côtés
avec la tradition hindoue.
Il faudrait en fait rappeler combien le Bouddha historique - dans la tradition bouddhique - est beaucoup
moins important que le Bouddha légendaire. Ce qui compte en effet pour le disciple, c'est par exemple
l'impact symbolique des quatre rencontres faites, d'après la légende, par le jeune prince alors qu'il
n'avait pas encore renoncé à la vie du monde ; ces rencontres - avec un malade, un vieillard, un mort et
un ascète - sont censées avoir déclenché la quête de sagesse de Siddharta, induisant ainsi son
« Eveil » lors d'une méditation profonde sur la nature du Réel. Eveil qui entraîna sa décision d'enseigner
la Voie à tous les êtres capables de l'entendre.
2.2) Le Dharma
L'enseignement se fonde essentiellement sur un sermon prononcé par le Bouddha près de Bénarès -
sermon dans lequel sont énoncées les « quatre nobles vérités », base de la doctrine. Ces nobles vérités
- Aryana Satyani -, d'abord transmises oralement, seront fixées bien plus tard avec tout l'enseignement
du Bouddha dans un corpus de textes écrits constituant le canon bouddhique. Mais près de quatre cents
ans de tradition orale précéderont le développement de ce canon scripturaire.
A la base de l'enseignement, l'idée que tout - dans le monde des phénomènes, et donc en chacun de
nous - est souffrance et imperfection parce qu'impermanence. C'est la notion de Dukkha. A partir de ce
constat, et par le truchement des trois nobles vérités suivantes, le Bouddha explique l'apparition de
Dukkha par la soif, le désir d'attachement à ce qui n'est jamais que provisoire. Il propose des moyens
pour « éteindre » ce désir - Nirvana signifie proprement l’« extinction » et abolir la souffrance qu'il
engendre. C'est le Noble octuple sentier qui conduit à l'Eveil. Principes éthiques, discipline mentale et
sagesse jalonnent ce difficile et progressif chemin vers l'éveil bouddhique, l'expérience fondamentale. La
visée ultime reste bel et bien la sortie du samsara, le cycle des renaissances. Ce monde-ci n'est pas à
parfaire une bonne fois pour toutes, comme dans le judéo-christianisme. Il n'est que reflet illusoire de
nos attachements.
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2.3) Le Sangha
Dès les premiers temps de la prédication du Bouddha, une communauté de disciples – le sangha - se
constitue autour de lui. Cette communauté de moines - puis, dans un second temps, de moniales - suit
des règles de vie très strictes. Ces règles seront un peu adoucies pour les communautés de laïques très
vite organisées autour des moines. Au cours des siècles qui suivront la manifestation du Bouddha
historique, de nombreux conciles permettront de réguler les crises communautaires et de fixer
l'enseignement.
Il est très important - dans la perspective bouddhiste - de faire partie du sangha (au titre de laïque ou de
moine) pour cheminer efficacement vers l'éveil. D'où le caractère fondateur de la cérémonie de « prise
de refuge » qui marque l'entrée d'un aspirant sur le chemin et son intégration dans la communauté.
3 - L’EVOLUTION HISTORIQUE DU BOUDDHISME
Le Bouddhisme, après un développement réussi de plusieurs siècles en Inde, en est quasiment expulsé
au début de l'ère chrétienne. C'est le point de départ d'une longue expansion - qui se poursuit de nos
jours - hors des frontières du sous-continent indien : Tibet, Sri Lanka, pays de l'Asie du Sud-Est, Chine,
Japon puis contrées d'Occident - nombreuses sont les terres d'acculturation de cette voie de sagesse
universaliste.
Parallèlement à cette sortie du territoire de naissance, une évolution doctrinale remarquable -et parfois
paradoxale - va se produire. La scission entre le courant des « anciens » - dit Theravada ou encore
Hinayana, le Petit Véhicule - et le courant majoritaire du Mahayana, le Grand Véhicule, s'affirmera au
cours des siècles. Alors que les écoles du Petit Véhicule (majoritairement présentes au Sri Lanka)
affirment leur fidélité stricte à l'enseignement de base du Bouddha, les différentes écoles mahayanistes
vont développer une série de spéculations apportant un nouvel éclairage sur l'enseignement : évolution
de la perception du Bouddha - qui ne se réduit plus à sa manifestation historique mais participe d'une
« essence de la bouddhéité » latente en chacun de nous ; évolution aussi de la compréhension du
chemin vers l'Eveil, non plus réservé à l'élite des arhat - comme dans le bouddhisme Theravada -mais
vraiment ouvert à tous ; apparition d'intermédiaires agissant dans des mondes supérieurs : divinités,
boddhisattvas - ces êtres libérés mais restant proches des humains pour les guider sur la voie...
CONCLUSION
On pourrait commencer par là : le bouddhisme largement présent en France - quelque six cent mille
fidèles ou sympathisants - sous des formes diverses : bouddhisme traditionnel des immigrés de l'Asie du
Sud-Est ; bouddhisme zen japonais ; enfin - le plus médiatisé depuis un certain temps en raison du
charisme de son leader spirituel, le Dalaï-Lama - bouddhisme tibétain, branche très sophistiquée du
bouddhisme fondée sur le croisement de l'enseignement mahayaniste avec les traditions chamaniques
du Tibet.
Le relatif succès du bouddhisme dans notre pays est à considérer avec attention et vigilance. Il tient
autant à des affinités profondes de la conscience moderne avec une voie de sagesse faisant une large
place à la rationalité comme à la dimension thérapeutique de l'enseignement qu'à des effets de mode
passagers fondés parfois sur une ignorance dommageable. D'où l'importance de quelques mises au
point pédagogiques...
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