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Maître de conférences à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne en histoire médiévale
de l’islam, auteur de L’Arabie marchande. Etat et commerce sous les sultans rasûlides du
Yémen (626-858/1229-1454)
, Eric Vallet, nous livre un panorama de la période médiévale
alépine, qui nous montre combien Alep, caractérisée par sa position de ville-frontière, se
trouve être une ville-carrefour.
A l’époque de la conquête arabe (VIIe siècle), Alep est une ville relativement
marginale tout en étant une vraie cité. Elle fait partie de ce vaste pays appelé bilad al-sham,
qui s’étend du Sinaï à l’Euphrate et elle relève de la Syrie médiévale du Nord, largement
tournée vers l’Anatolie et l’Irak. Alep est de taille réduite car c’est une ville frontière. Elle est
en effet située non loin du massif du Taurus, qui sépare les puissances musulmanes et
byzantine. Une série d’expéditions armées ritualisées expose ainsi Alep du VIIIe au IXe siècle.
Les Byzantins progressent particulièrement en terres musulmanes au Xe siècle avant de
s’emparer d’Antioche en 962. C’est ainsi à l’époque de la menace byzantine que se forme à
Alep une petite dynastie locale de chefs militaires, soumis en tant qu’émirs au calife de
Bagdad. Alep se développe sous l’émirat de la dynastie des Hamdanides, dont le fondateur
construit un grand palais et entretient une petite cour. Alep quitte son statut de ville frontière
suite à la constitution d’un nouvel Etat par les Turcs seldjoukides qui ont conquis la ville ainsi
que des terres byzantines d’Anatolie au XIe siècle. La menace persiste toutefois avec l’arrivée
des Latins au Proche-Orient suite à la première croisade. Les Croisés contrôlent bientôt le
littoral levantin et fondent les Etats latins, dont la principauté d’Antioche qui fait face à Alep
et la menace.
Il faut attendre la première moitié du XIIe siècle pour que le pouvoir se stabilise à
l’intérieur d’Alep et que s’affirme la dynastie des Zankides, originaires de Mossoul, appelés
par les habitants d’Alep pour lutter contre les Etats latins. Nur al-Din, qui gouverne de 1146 à
1174, entreprend de vastes constructions, dont la restauration de la citadelle et de l’enceinte.
Se voulant défenseur de l’islam sur le modèle califal, il crée des fondations religieuses, des
écoles (madrase) ainsi que le premier hôpital alépin. La région est bientôt unifiée contre les
Croisés par le fils d’un émir kurde de Nur al-Din, Saladin, qui avait pris le pouvoir en Egypte.
Saladin devient le maître d’Alep en 1183 avant de laisser le pouvoir à son fils El-Zahir Ghazi.
La ville se transforme pour prendre des traits aujourd’hui encore visibles. La citadelle,
résidence du pouvoir, contient le palais, la grande mosquée et une entrée monumentale qui
mène au tell. C’est la naissance d’une forme d’organisation appelée « ville des cavaliers »,
c’est-à-dire une ville constituée autour des chefs du pouvoir qui sont des cavaliers
combattants. Alep devient à cette époque un véritable « livre de pierre ». Les bâtiments se
couvrent d’inscriptions, en particulier la citadelle, clamant la grandeur de l’islam et de ses
souverains.
L’élan des XIIe et XIIIe siècles est brisé net en 1260 lorsqu’Alep est dévastée par les
Mongols, unifiés par Gengis Khan au début du XIIIe siècle. Ces derniers sont finalement
arrêtés par des esclaves-soldats turcs, les Mamelouks, qui se font les protecteurs de la Syrie et
de l’Egypte. Alep retrouve sa position de place frontière face à la menace des Mongols de
l’autre côté de l’Euphrate. La ville est alors quasi abandonnée et lentement investie par les
Mamelouks. L’urbanisation est moins développée qu’au cours du siècle précédent.
Après la nouvelle dévastation de la ville par Tamerlan au milieu du XVe siècle advient
une « nouvelle naissance ». Les liens sont forts entre les sultans mamelouks et l’Anatolie.
Alep, ville carrefour de toutes ces régions du Proche-Orient, le devient encore plus qu’avant.
Convergent des produits de l’Anatolie, de l’Iran, de l’Irak et de l’Arabie. Outre ses richesses
propres, Alep devient le principal marché de la Syrie, détrônant Damas. Les marchands
L’Arabie marchande. Etat et commerce sous les sultans rasûlides du Yémen (626-858/1229-1454), 2011, Paris,
Publications de la Sorbonne (Bibliothèque historique des pays d’Islam), 871 p.