B. Le « sale boulot » et la division morale du travail

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Introduction : Enquête autour du travail
Il existe 2 traditions sociologiques dans l’étude du travail, l’une américaine –l’interactionnisme
symbolique (étude par observation), l’autre française –la tradition Bourdieusiène (étude par entretien).
Les avantages de ces deux traditions sont multiples :
- elles s’intéressent à tous les métiers et toutes les professions, non plus exclusivement au
milieu ouvrier comme les études de G. Friedmann ;
- elles reposent sur une démarche empirique affirmée par étude par entretien ou
observation ;
- elles mettent l’accent sur les pratiques réelles et concrètes en situation de travail et les
propriétés des travailleurs (vision dynamique du travail).
Ex : Bourdieu montre qu’il existe un clivage intergénérationnel dans la conception et la
réalisation du travail.
Les deux traditions ont pour objet l’étude de la perception du travail par les travailleurs eux même
et le rythme de travail.
Le rythme de travail est un enjeu important pour ces enquêtes, il permet d’étudier : a) l’autonomie
des travailleurs au travail (question de l’aliénation), b) l’articulation de la vie professionnelle et de la vie
hors travail (charge familiale etc.), c) la mise en forme juridique de l’activité de travail (lois,
prescriptions), d) la question du lien entre rémunération et rythme de travail (rémunération à la tâche ou
au temps, freinage ou intensification), e) la santé au travail.
Partie 1 : la perception du travail par les travailleurs
Chapitre 1 : L’approche interactionniste du travail et des travailleurs
Cette approche insiste sur le rôle des travailleurs dans la définition du travail, le fait que les
travailleurs essayent de modifier le contenu ou l’exercice de leur travail afin d’en tirer une satisfaction
supplémentaire.
L’Ecole de Chicago est le lieu de générations de sociologues, mais surtout celui du point de départ
de l’interactionnisme. C’est une constellation formés au département de sociologie de l’Université de
Chicago, qui donnèrent dans les années 1920 et 1930 une impulsion décisive à la sociologie empirique de
facture ethnographique tout en jetant les bases de la sociologie urbaine.
La première École de Chicago
La Première Ecole s’est attachée à une problématique socio-urbaine. La dominante est l’enquête
de terrain basée sur l’observation directe. De fait, les chercheurs de Chicago des années 1920 ont
largement contribué à mettre au point les techniques d’enquête qualitative de la sociologie contemporaine
(entretien, biographie, observation participative). Robert Park développe une problématique de
« l’écologie humaine » en milieu urbain. Dans cette direction est affirmée l’existence d’un mode de vie
spécifiquement urbain marqué par le relâchement des liens communautaires traditionnels,
l’individualisation, le brassage social, la fréquence des comportements déviants.
La première école s'attache à étudier les relations interethniques et la délinquance dans les
grandes villes aux États-Unis. Celles-ci apparaissent alors comme une sorte de laboratoire social qui
permet d'étudier les nombreuses transformations des milieux urbains. Chicago accueille de nombreux
immigrants de l'étranger ainsi que du sud des États-Unis. Les représentants de cette première école sont
notamment William I. Thomas et Robert E. Park.
La deuxième (et troisième) École de Chicago
Après les années 1940, arrive une deuxième génération de chercheurs. Ils se consacrent plus à
l'étude des institutions et des milieux professionnels. Bien que ces sociologues aient utilisé de
nombreuses méthodes quantitatives et qualitatives, historiques et biographiques, ils sont reconnus pour
avoir introduit, en sociologie, une nouvelle méthode d'investigation, largement inspirée des méthodes
ethnologiques, qu'est l'observation participante. Celle-ci leur permet de comprendre le sens que les
acteurs sociaux donnent aux situations qu'ils vivent. Les principaux représentant de cette seconde école
sont notamment Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss et Freidson. Everett Hughes apparaît
comme un maillon intermédiaire entre ces deux écoles.
Quand on fait référence à l’Ecole de Chicago, on pense tout de suite à son innovation
méthodologique qui s’approche le plus de la sociologie qualitative : l’observation participante. Il n’est pas
étonnant qu’on retrouve chez les sociologues de Chicago la posture méthodologique d’obédience
interactionniste qui prend en effet toujours appui sur diverses formes d’observation participante. Patricia
et Peter Adler distinguent 3 grandes catégories de positions de recherche sur le terrain :
◊ rôle « périphérique » : le chercheur est en contact étroit et prolongé avec les membres
du groupe mais ne participe pas (soit en raison de croyances épistémologiques, soit parce
que moralement il s’interdit de participer aux actions délinquantes, ou parce que ses
propres caractéristiques démographiques ou socioculturelles l’en empêchent).
◊ rôle « actif » : le chercheur prend un rôle plus central dans l’activité étudiée.
Participation active, prend des responsabilités, se conduit avec les membres du groupe
comme un collègue.
◊ rôle de membre complètement « immergé » : le chercheur a le même statut, partage les
mêmes vues et les mêmes sentiments, poursuit les mêmes buts. Fait l’expérience des
émotions…
Il est abusif d’employer le terme d’observation participante pour le simple fait d’aller sur le
terrain. Park (Première Ecole) insistait pour que le scientifique observe mais ne participe pas, il
recommandait une attitude détachée. Position qui peut paraître surprenante si on considère que l’Ecole de
Chicago a été le modèle théorique et méthodologique de l’observation participante. Park réagissait ainsi
en réaction au courant dominant précédant dans la sociologie naissante d’alors : l’enquête sociale. Selon
Park, il fallait que la sociologie se professionnalise. L’Ecole de Chicago est en fait le berceau d’une
variété d’approches empiriques, en particulier dans la sociologie urbaine pratique.
Dans chaque étude, plusieurs méthodes sont employées. Entretiens non structurés et récits de vie
dominent mais on trouve aussi des observations, des documents personnels, données recueillies, plans,
cartes de ville, données recensement, documents historiques, rapports municipaux, travail social, contacts
informels avec des journalistes, des avocats, des infirmières...
Il faut attendre pratiquement la fin des années 1950 pour voir apparaître, à l’instar de la sociologie
quantitative qui a très vite produit des réflexions méthodologiques sophistiquées, des débats sur les
méthodologies de type qualitatif en usage dans la sociologie. La suprématie de l’Ecole de Chicago prit fin
avec la rébellion de 1935 au sein de la Société américaine de Sociologie où il y eut une utilisation
grandissante des techniques de recherche quantitative. Ces techniques de quantification étaient déjà
présentes à Chicago.
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L’interactionnisme symbolique
C’est une mouvance sociologique américaine dont les représentants (Becker, Goffman, …)
partagent l’idée que la réalité sociale ne s’impose pas telle quelle aux individus ou aux groupes, mais
qu’elle est en permanence modelée et reconstruite par eux à travers les processus d’interaction. En cela,
ils s’opposent aux méthodes quantitativiste et privilégient les méthodes monographiques fondées sur
l’observation directe, voire participante. Ils sont les héritiers directs ou indirects de l’Ecole de Chicago en
reprenant à leur compte le style d’enquête et l’attention portée aux minorités et aux déviants.
L’interaction est définie par la façon dont « les individus cherchent à ajuster mutuellement leurs
lignes d’actions sur les actions des autres perçus ou attendues » (Becker). Elle concerne aussi bien les
rencontres de face à face (Goffman) que les relations internes aux institutions ou les actions collectives :
la conformité aux normes acquises ou prescrites est relative, les individus s’écartent plus souvent qu’ils
n’est dit des rôles assignés par les institutions, et c’est particulièrement le cas au travail.
Caractéristiques de l’interactionnisme :
- l’importance du travail de terrain, de l’enquête ethnographique est une tradition. Le
soucis de l’investigation de terrain est marqué par les méthodes d’observation, à l’instar
des méthodes quantitativistes. Ces enquêtes rendent par de la dimension subjective des
faits sociaux : ce que pensent les individus, comment les individus donne un sens à ce
qu’ils vivent, comment les individus orientent leur action etc. Ces réactions varient et sont
à apprécier selon les contextes, et les acteurs en présence. Il ne peut y avoir alors de
compréhension des sujets de l’enquête si on ne comprend pas le contexte dans lequel ils
évoluent.
- la situation d’interaction est au cœur de l’analyse. Selon Goffman, il s’agit d’une
situation de face à face, une situation où les individus sont en situation de coprésence
physique, en contact immédiat et vont ajuster leur comportement (rôle) en fonction des
réactions des autres (garder la fac, interaction dépendante). Mais l’interaction n’est pas
exclusivement focalisée, l’interdépendance est le fait d’agir en fonction des autres même
s’ils ne sont plus là physiquement. Cela élargit d’autant le champ d’investigation. C’est un
concept décisif : a) le niveau d’observation d’enquête est l’observation des interactions, b)
le niveau d’analyse est l’explication (tel action car tel acteurs en présence).
Définitions utiles :
Socialisation : ensemble des mécanismes par lesquelles les individus font l’apprentissage des rapports
sociaux entre les hommes, et assimilent les normes, les valeurs et les croyances d’une société ou d’une
collectivité.
Observation participante : elle consiste pour un enquêteur à s’impliquer dans le groupe qu’il étudie
pour comprendre sa vie de " l’intérieur".
Darwinisme sociale : pour Darwin, la domination des élites est le principe de la sélection naturelle qu’il
applique à la nature des rapports sociaux. Repris par Spencer, le darwinisme social permet de décrire le
comportement des individus en société
Fonctionnalisme : ensemble des courants anthropologiques et sociologiques qui considèrent le système
social comme une totalité unifiée dont tous les éléments (division du travail, institutions, idéologies) sont
nécessaires à son bon fonctionnement. Ces courants insistent sur l’intégration et tiennent pour secondaire
les conflits et les dysfonctionnements.
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Ethnométhodologie : démarche sociologique développée aux Etats-Unis à partir dès années 60, proche
de l’interactionnisme symbolique, centrant son intêret sur le savoir et les capacités de chacun des
membres de la société.
Ecologie urbaine : comme dans le milieu naturel, l’individu s’adapte àla ville qu’il modifie à son tour.
Cette communauté humaine se caractérise par des équilibres et des déséquilibres entre groupes en
concurrence. Les sociologues tentent d’expliquer ainsi la perpétuelle recomposition à laquelle est soumise
la ville de Chicago.
Désorganisation : déclin de l’influence des valeurs collectives sur l’individu ; conséquence de
changements rapides dans l’environnement économique et social.Selon Thomas, la désorganisation est
aggravée par les migrations.
I. La sociologie des métiers d’Everett Hughes (1897-1983)
Hughes a travaillé dans les années 40 et 50 à Chicago. A l’époque une autre sociologie est
développée : la sociologie industrielle qui correspond aux travaux d’Elton Mayo (école des relations
humaines). Cette sociologie s’intéresse au travail ouvrier : des sociologues sont appelés par les dirigeants
d’entreprise pour résoudre les problèmes (productivité, relationnel). Ces sociologues ont alors une
démarche d’experts, et produisent des conseils directement applicables dans l’organisation productive. La
sociologie industrielle est donc une sociologie appliquée et ouvriériste.
Ce n’est pas le cas de la sociologie inspirée de Hughes. Il définit des objectifs bien différents : a)
s’abstenir des conseils et comprendre le travail et ses enjeux (neutralité du sociologue) ; b) il faut
s’intéresser aux « métiers invisibles », donc à toutes les activités de travail ; c) il faut développer la
volonté de généraliser, d’établir et de dégager des analyses transversales, c'est-à-dire indifférentes au
contexte.
A. Deux principes méthodologiques
La diversité des cas
Il faut, dans l’analyse sociologique, s’appuyer sur une grande diversité de cas afin de faire des
comparaisons et de dégager les problèmes fondamentaux du travail. Même si l’enquête se situe dans
un milieu précis, pour comprendre, il faut comparer le milieu d’enquête avec d’autre cas, c’est à cette
condition que le sociologue pourra mettre à jour des processus communs qui dépassent les différents
contextes ou métiers.
Il ne faut pas alors hésiter à comparer les métiers prestigieux et les métiers dévalorisés, les
problèmes fondamentaux du travail se retrouvent quelque soit le prestige de la profession.
Ex : un des problèmes fondamentaux du travail est le contrôle par les travailleurs des
clients/consommateurs/usagers.
Dans beaucoup de métiers, les professionnels développent des stratégies pour maintenir à
distance les clients/consommateurs/usagers. Le médecin impose une disponibilité relative :
il n’est pas disponible à tout moment , il se protège des appels téléphoniques intempestifs.
Le gardien d’immeuble en fait de même : il s’efforce de faire respecter par les locataires
ses horaires de travail, de même que la nourrice.
L’usage d’une connaissance intime des clients/consommateurs/usagers est aussi un
problème fondamental du travail. Beaucoup de professionnels sont amenés de par leur
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travail à recueillir des informations privés et intimes sur les personnes qu’ils rencontrent.
La question est alors de savoir que faire de ses connaissances, et la règle du secret
professionnel est souvent développée, soit explicitement (médecins…), soit implicitement
(assistante sociale…).
Privilégier les métiers modestes
Dans un second temps, il faut privilégier les métiers modestes pour mettre à distance ce qu’on
appelle « les rhétoriques professionnelles ». Une autre sociologie consistait à étudier exclusivement les
professions organisées (ordre des médecins, avocat du barreau etc.) et reconnues ayant un droit d’entrée
élevé (diplômes…). Ce sont donc des métiers privilégier et prestigieux que cette sociologie étudiait.
Hughes s’oppose à cette vision de la sociologie et préfère en prendre le contre-pied : il faut
s’intéresser aux métiers situés en bas de l’échelle du prestige, car ils sont plus instructifs. Il part pour cela
du constat qu’un des problèmes du travail est la valorisation des activités prestigieuses et la mise sous
silence des tâches les moins intéressantes ou valorisantes. Spontanément, les travailleurs mettent en avant
les plus positifs et significatifs de leur métier.
Ex : les enseignants auront tendance à mettre en avant la transmission des savoirs, mais à
occulter le côté administratif de leur travail. Les concierges s’attarderont volontiers sur le
caractère indispensable de leur travail (réparations, services), mais moins sur les
désagréments de celui-ci (gestion des ordures…).
Les travailleurs ne mentent pas volontairement, mais font un tri de ce qui donne une image
positive d’eux même dans leur activité de travail. Cette tendance fait que le sociologue n’obtient qu’une
vision partielle du travail, de la diversité des tâches qu’il implique et de la difficulté du métier. Cela est
d’autant plus vrai quand il s’agit de professions organisées dans la mesure où elles ont développés une
rhétorique structurée, un discours officiel : les médecins sont garant de la vie, les avocats du respect des
droits etc.
Pour effacer cette façade, il faut donc s’intéresser aux métiers les plus modestes, seuls ces
travailleurs vont parler plus vite et plus facilement de ce qui est difficile ou dévalorisant dans leur travail.
Ces métiers n’ayant pas développés des rhétoriques avantageuses, ils se livrent mieux à l’étude du
sociologue, qui a alors accès à la totalité de leur travail. Ces métiers modestes sont essentiels dans la
perception des problèmes fondamentaux du travail.
B. « Le drame social du travail »
Cette expression relève de 2 idées fondamentales :
1/ Il faut entendre le mot « drame » dans son sens théâtrale, il s’agit ici d’étudier le travail comme
une scène de théâtre. Le système d’interaction est le drame social du travail. Les acteurs ont un rôle
préétablit, se donnent la réplique et réagissent en fonction des autres. Il faut, pour Hughes, commencer
par représenter l’ensemble des acteurs impliqués pour analyser et comprendre l’activité de travail (ceux
sur la scène comme dans les coulisses). Il faut mettre en relief toutes les interdépendances.
Idée du système d’interaction : le travail est le produit des relations entre les divers individus ou
groupes dont les actions sont des réponses aux actions des autres.
Ex : les institutrices sont directement en interaction avec les élèves et les parents, ce n’est
pas pour autant qu’il n’existe pas d’autres acteurs : inspecteurs, agents de services, etc.
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2/ Au cours du drame social du travail, des conflits de perspectives se cristallisent. Le travail est
un système d’interaction, donc un lieu de rencontre entre différentes catégories d’acteurs, cette rencontre
est conflictuelle, elle génère des tensions du fait des différences de point de vue sur le travail de ces
différents acteurs. Chaque groupe d’acteurs est porteur de sa propre définition du travail. Un conflit
s’établit donc entre professionnels, mais aussi entre professionnels et clients/consommateurs/usagers.
Ex : Anne Paillet mène une enquête dans les années 1990 dans les services de réanimation
néonatale. Dans des cas très rare, elle constate que les équipes sont confrontés à un choix
cornélien : garder l’enfant en vie au risque que l’insuffisance respiratoire du prématuré est
entraînée des lésions irréversibles, ou débrancher l’enfant qui aurait de tout façon vécu
dans un contexte léthargique.
Dans cette alternative, un conflit de perspective naît entre médecins et infirmières. Les
premiers défendant coûte que coûte la vie, et refusant de débrancher l’enfant au risque
qu’il soit condamné à une vie d’handicapé voire de légume, les secondes étant garantes de
l’humanité des soins prodigués, préférant la mort plutôt qu’une vie sans le moindre sens.
Mercredi 13 février
Les interactions conditionnent donc la perception du travail. Ex : Becker dans Outsiders
(conflit entre musiciens de jazz et public, don et musique commerciale) Des conflits peuvent alors naître
des ces interactions et différence de perception.
1er conflit
Des conflits récurrents se passent entre travailleurs et clients chez Hughes, cela se traduit par la
distinction entre faire quelque chose pour quelqu'un ou faire quelque chose à quelqu'un. Beaucoup
de professions sont fondées sur la notion de services, d’aller dans le sens de la demande de l’autre.
Cependant, les auteurs de ces réponses vont avoir tendance à travailler sur quelqu'un, en essayant de
modifier cette personne.
Ex : le médecin soigne, mais donne aussi des instructions qui visent à modifier le
comportement du malade (moins de sucre, de sel etc.) qui entraînent des conflits de
perspective.
2ème conflit
Des conflits récurrents ont lieu du fait de l’opposition de la routine et de l’urgence. Ce qui
correspond à un élément banal et routier pour les uns, correspond pour d’autres à une crise, à une
urgence, d’où le conflit de perspective.
Ex : pour les usagers des CAF, ne pas recevoir à temps les aides est une crise, une urgence,
mais pour l’employer, qui traite le problème, cela n’en est pas une, mais une banalité, d’où
le conflit de perception et de perspective qui s’installe entre le professionnel et l’usager.
Cette différence de perception chez Hughes fonde la compétence professionnelle, la légitimité
professionnelle. Si on repense l’activité professionnelle comme un système de relation, les activités
professionnelles ne sont pas figées d’avances, elles sont le produit des lieux et contextes où elles se
produisent. Pour un même métier différentes façon de l’exercer existent selon les contextes. Dans l’idée
de conflit chez Hughes, il s’agit de mettre en avant les désaccords sur la définition du travail, et non l’idée
de domination.
II. La division morale du travail
On distingue 4 types de division du travail : - la division technique du travail (micro)
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- la division sociale du travail (macro)
- la division sexuelle du travail
- la division morale du travail (micro et macro)
A. La notion de « sale boulot »
La notion de « sale boulot » en est une question centrale. Au départ, c’est une catégorie de la
pratique quotidienne, utilisé par les salariés eux-mêmes, c’est donc un jugement que porte les
travailleurs sur une tâche ou un métiers. Sur la base de cette perception, il est devenu un concept à la
base de la division morale du travail.
Enquête de Jean Peneff
Enquête de Anne …
Le sale boulot a deux sens : ce sont les tâches les moins prestigieuses et dévalorisées, mais aussi
les tâches véritablement sales au sens physique.
Les tâches indignes
Les tâches indignes sont souvent les tâches les moins qualifiées, celle qui exigent le moins de
compétence technique (savoir manuel, savoir faire) ou scolaire (connaissance, savoir). Au-delà de la
qualification, ce sont celles aussi qui ne correspondent pas au cœurs du métier, à la mission première du
métiers. Le « sale boulot » ne l’est pas en soit, mais par rapport à d’autres tâches et aux autres
professions.
Ex : pour le policier le sale boulot est la rédaction des procès verbaux ; les policiers de
bureau sont dévalorisé à l’inverse des policiers de terrain même si des qualifications
identiques sont misent en jeux dans les deux cas. On parle de tâche périphériques qui sont
considérées comme du sale boulot.
Chez les médecins, le diagnostic est le propre du métier, mais le suivit et la prescription
sont du sale boulot. A l’inverse, pour les assistance sociale le contact est le propre du
métiers, et donc une tâche noble mais l’administratif est du sale boulot.
Le travail sale
Le travail sale est celui en contact avec les déchets (matériels, corps/déchets humains, etc.). Tous
ces métiers sont des sales boulots car en contact avec la saleté physique. Conseil d'Etat sont aussi les
métiers qui transgressent les règles de pudeur, qui ont un contact avec les corps (fouille au corps). Ce sont
les métiers qui agressent les sens (sang, vomi etc.). Même si la saleté est concrète, physique, le travail
sale a aussi un sens relatif : la perception de la saleté physique est relative, elle est un jugement qui varie
selon les situations, les groupes sociaux (ce n’est pas une donnée universelle).
Ex : les aides soignants.
Pour Norbert Elias, il y a eu une évolution de la notion de saleté (manger avec les doigts, etc.), la
norme du sale et de la pudeur a évolué. De même, Georges Vigarello a montré que les pratiques
d’entretien du corps ont aussi changé (la toilette, défécation etc.). La notion de saleté physique varie selon
la situation et l’origine de la saleté (la mère vis à vis de son propre enfant, ou l’aide soignant vis à vis
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d’un patient etc.). Elle soulève aussi la question des témoins, de la présence ou non de témoins (Enquête
USA- femme d’entretien d’abord de nuit puis de jour avec sentiment de faire un sale boulot).
Dans tous les métiers, il y a des tâches jugées périphériques donc sales. Le sale boulot ne peut pas
être identifié simplement et mécaniquement au tâche non qualifiées ou à la saleté physique. A partir du
moment où il s’agit d’une perception, c’est dans un contexte particulier que l’on peut parler de « sale
boulot » ou non.
B. Le « sale boulot » et la division morale du travail
A partir de cette notion de « sale boulot », Hughes établit la division morale du travail. Il va mettre
ainsi en valeur deux idées fondamentale de la division morale du travail.
Décrire la division morale du travail
Il faut décrire la façon dont sont réparties les tâches et métiers selon leur valeur morale ou
symbolique, c'est-à-dire selon leur degré de dignité. L’idée est que les tâche indignes sont situées en bas
de la division morale du travail et inversement.
Grâce à cette idée de sale boulot, on peut reconstituer la division morale du travail. On peut alors
approfondir les hiérarchies au travail (informelle/symbolique) et voir comment cette hiérarchie
symbolique s’articule avec la hiérarchie formelle (explicite de qualification et de responsabilités).
Dans un premier cas, la hiérarchie symbolique renforce la hiérarchie formelle. Les deux vont
correspondre, se superposer et se renforcer mutuellement. En bas de la hiérarchie formelle, on trouve
donc les métiers en rapport avec la saleté physique.
Dans un second cas, la division morale du travail s’ajoute à la hiérarchie formelle sans la
recouvrir complètement et induit une hiérarchie plus ou moins autonome. Au sein d’un même groupe
professionnel, la division morale du travail établit des différences internes hiérarchisées.
Ex : les avocats respectables s’opposent aux avocats qui prennent en charge les affaires
douteuses et moins respectables (un principe de hiérarchisation interne à la profession)
Les jeux autour du sale boulot
En étudiant le sale boulot et les jeux qui tournent autour du sale boulot, on va arriver à
comprendre pourquoi la division morale est un processus dynamique. Les acteurs sont pris dans un
processus de recherche de dignité, et donc élaborent des stratégies pour essayer de limiter le sale boulot
qu’ils ont en charge. Les acteurs vont tout faire pour ne pas être réduit au sale boulot qu’ils sont amenés à
faire. Du même coup, ils font évoluer la division morale du travail.
Le sale boulot est un problème fondamental du travail. C’est grâce à cette notion que l’on peut
aborder la dimension symbolique du travail. Le deuxième usage de cette notion est de comprendre
pourquoi le travail évolue et se transforme, de même que l’implication des travailleurs dans leur activité.
Cette implication varie parce que les travailleurs développent des stratégies pour éviter le sale boulot,
d’où création de nouveau métier ou hiérarchisation des métiers.
Quelles stratégies sont adoptées ?
- des stratégies d’évitement et de délégation : tout ce que l’on cherche à déléguer ou à éviter est du sale
boulot, c’est un processus long et historique ou éphémère selon les cas. Ces cas participent à la création
de nouveaux métiers : les emplois jeunes par exemple.
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Ex : Anne Marie Arborio le métier d’aide soignant apparaît dans les années 1950, pour
aider les infirmières qui ont de nouvelles tâches de soin technique et des tâches
administratives, toutes les tâches techniques simples ou d’entretien sont déléguées
(température repas laver les malades etc.) aux aides soignants qui font alors le sale boulot
de l’infirmière.
- le « sale boulot » source potentiel et paradoxale de pouvoir : ce sont des stratégie de retournement du
stigmate, les travailleurs trouvent dans le sale boulot un sens positif ou un usage qui n’est pas
complètement défavorable. C’est une reconquête de reconnaissance ou d’autonomie.
Ex : les gardiens d’immeubles ont accès à la vie intime des gens (dignité) ; les aides
soignants font le sale boulot et la toilette des malades, mais ils ont aussi des relations
proches avec les patients. Le contact humain est valorisant, de même pour les aides à
domicile (celles qui font les tâches ingrates et celle qui font les tâches administratives ou
humaines).
Toutes ces stratégies invitent à avoir un autre regard sur les travailleurs du bas de l’échelle : un
travailleur n’est jamais totalement identifiable à sa position ou aux tâches qui lui sont données. Cette
notion de sale boulot et des jeux qui se déroulent autour ont donné 3 grands apports :
1/ L’idée centrale des interactionnistes est l’idée qu’il n’existe pas de métier totalement isolé ou
séparé des autres. On ne peut réduire l’étude d’un métier à une seule interaction fondamentale ou à un
seul groupe professionnel. Cette diversité des acteurs est importante du fait du développement des
secteurs de services en contact avec des acteurs très diversifiés.
Il n’existe pas de métier totalement unifié ou homogène, il n’existe pas une façon d’être
pharmacien etc. Les professions sont parcourues par des différences internes, par des tensions sur la façon
dont on doit exercer son travail notamment en rapport avec le sale boulot.
Il faut prendre en compte le point de vue des personnes qui travaillent et celui de toutes celles qui
les entourent. Il faut contextualiser la perception que les gens ont de leur travail. Cela n’enlève rien à la
nécessité de l’étude des tâches, de la division technique du travail. Pour comprendre le point de vue porté
sur des tâches, il faut comprendre la division technique et le système d’interactions.
III. La socialisation professionnelle
A. La notion de socialisation en sociologie
La socialisation est la façon dont la société va transformer et façonner les individus. Ou à
l’inverse, la socialisation est la façon dont l’individu va se comporter en société, la façon dont
l’individu acquière des façons de sentir, d’agir et de penser pour s’intégrer à la société. Par
définition, tout individu est socialisé. On distingue deux types de socialisations.
La socialisation primaire
La distinction première est que la socialisation primaire vient en première : elle se déroule pendant
l’enfance, ce qui signifie que l’instance socialisatrice principale est la famille (et l’école dans cadre
d’école maternelle). La socialisation primaire est celle qui va perdurer de la façon la plus solide. Ces
premiers apprentissages vont guider les individus pendant le reste de leur vie. Si cette socialisation est
durable, c’est aussi parce quelle se fait par contact proche, et affectif. On intériorise la vision du monde
des « autrui significatif ».
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Socialisation secondaire
La socialisation secondaire est celle qui vient en second et passe par toutes les instances autres que
la famille (politique, universitaire, professionnelle, couple etc.). Ces acquisitions sont moins durables
parce que les mécanismes qui jouent à ce moment la sont moins marqués affectivement et interviennent à
un moment donné où il y a concurrence entre différentes socialisations. Les interactionnistes ne
s’intéressent qu’à la seconde : ils se focalisent sur les modalités et les effets de la socialisation secondaire
sur l’individu.
B. La socialisation professionnelle chez Hughes
Est ce qu’on apprend un rôle professionnel prédéfinit et clair ? Ou est-ce une construction plus
complexe et moins figée ? Pour Hughes, l’individu n’apprend pas un rôle prédéfinit. Il dégage ainsi 3
idées importantes.
1/ Ce qui différencie la socialisation secondaire de la socialisation primaire est la multiplicité des
« autrui significatif » et leur mouvance perpétuelle : il n’y a pas qu’un seul référant, mais des référents
qui se renouvellent.
2/ La socialisation secondaire vient après, mais elle a un effet très important : elle va modifier la vision
du monde des individus. Quand on apprend un métier, on est initié aux pratiques d’un nouvel univers qui
oblige à se convertir parce que l’on passe de l’autre côté du miroir. La conséquence de cette idée de
conversion est que cela passe souvent par un décalage entre la vision idéale du métier et la réalité du
métier. Ces conversions sont souvent douloureuses et difficiles. La socialisation est pour Hughes
l’apprentissage de la gestion des décalages entre modèles professionnels et la réalité des pratiques.
Ex : Enquête de Guillaume Malochet Sociologie du travail 2004 sur les surveillants de
prison en formation. Il insiste sur les ratés de la socialisation professionnelle et met en
avant les tensions qu’elle peut provoquer chez les individus. Les surveillants de prison ont
une double formation théorique et pratique (stage). Très vite, ils vivent cette double
formation comme une totale contradiction. D’un côté, on leur enseigne un savoir
livresque partant du principe que si le règlement est correctement appliqué alors le
maintien de l’ordre est automatique. De l’autre côté, en stage, est transmise l’idée que
l’application stricto sensus du règlement abouti à l’émeute. Il faut donc se mettre en
position de négociation avec les détenus. La socialisation relève ici de l’apprentissage de la
gestion de deux casquettes l’une légale et autoritaire, l’autre plus souple et basée sur la
négociation.
3/ Le 3éme point est l’idée que la socialisation ne se résume pas à l’apprentissage d’un rôle bien
définit car le moment de la formation est un moment particulier avec ses contraintes et objectifs propres
et ne correspond donc qu’à un temps de la socialisation professionnelle. Cette idée s’appuie une enquête
des étudiants en médecine (1955). Ce qu’apprennent les étudiants de médecine, ce n’est pas tant à être des
médecins, c’est avant tout à être des étudiants en médecine qui réussissent leurs examens.
L’enquête par du constat de la surcharge de travail, d’où l’impossibilité pour les examens de tout
apprendre. D’où découle la formation de deux groupes : ceux qui pensent qu’il faut apprendre le strict
nécessaire pour être médecin, et ceux qui pensent qu’il faut apprendre ce qu’il faut pour réussir les
examens. Au final, un consensus se dégage : il faut apprendre ce que les examinateurs attendent, ce qui
s’éloigne des savoirs indispensables au métier de médecin. La situation d’étudiant oriente donc le rôle de
médecin, l’apprentissage est biaisé, de même que la vision du métier. Une fois en stage à l’hôpital, ce qui
oriente leur apprentissage est leur souci d’apprendre des choses pour réussir aux examens. Ils ne prêtent
donc que plus ou moins attention aux patients. Ils ont des objectifs d’expérience concrète et clinique des
différentes maladies, tout ce qui ne permet pas de découvrir de nouveau symptômes est donc mal vu
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Même quand il y a une formation institutionnalisée, on ne peut pas dire que la socialisation
professionnelle va s’y réduire, c’est aussi la formation sur le tas au moment où on rentre dans le poste qui
compte aussi.
C. Les deux formes de socialisation professionnelles
On distingue la socialisation professionnelle au moment de la formation et la socialisation
professionnelles au moment de la prise de poste.
La socialisation professionnelle a toujours lieu qu’il y ai eu ou pas formation initiale. Dans la
formation, on apprend toutes les règles formelles, juridiques etc. et sur le tas c’est un apprentissage de
tout ce qui est plus informel (« truc » du métier).
Cette distinction est à nuancer : beaucoup de formations permettent déjà de faire un apprentissage
des règles informelles : stages, etc.
Ex : Enquête Geneviève Pruvot la profession de policier est différente selon que l’on soit
un homme ou une femme. On observe lors des cours en école de police les idées forgées
pendant la formation sur la place des femmes dans la police. Cette place renvoie souvent à
une idée d’infériorité physique, qui fait qu’elles ne sont jamais en binôme avec un homme
pour l’entraînement. De même, un esprit de famille est développé (homogamie forte)
pendant la formation qui transmet ainsi du formel et de l’informel.
Il faut distinguer l’apprentissage par inculcation (maître-élève, apprentissage conscient et
explicité) et apprentissage par imprégnation (pratique éducative inconsciente et invisible, apprentissage
par imitation et contact).
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