- mais aussi le langage de la vérité absolue, pour pouvoir enseigner à ceux qui n’ont « plus
qu’un peu de poussière dans les yeux », pour leur permettre de comprendre la réalité absolue
(paramattha-dhamma). L’enseignement de la réalité absolue a pour but de libérer les humains
de leur chère théorie éternaliste.
C’est ainsi que l’on retrouve, dans les paroles du Bouddha, deux modes d’expression
différents. Or, la question de l’interdépendance relevant de la vérité ultime, elle ne pouvait être
traitée qu’en termes de vérité ultime. Comment pourrait-on aborder cette question en utilisant le
langage de la vérité relative que l’on emploie pour parler de vertu morale ? Il est impossible
d’évoquer cette loi dans un langage courant. D’un autre côté, si on s’exprime dans le langage de la
vérité ultime, les auditeurs qui n’ont pas les qualités de compréhension nécessaires risquent
d’interpréter cet enseignement en termes de vérité relative et, par conséquent, ne rien
comprendre, comprendre de travers, ou même exactement le contraire de ce qui est enseigné.
Voilà la difficulté qui fit tout d’abord hésiter le Bouddha à transmettre ce qu’il avait
découvert lors de son éveil. D’ailleurs, quand il commença à enseigner, certains, effectivement, le
comprirent mal. Ce fut le cas de bhikkhu Sati, le fils du pêcheur, que nous verrons plus loin.
Aujourd’hui encore, il est fréquent d’entendre, parmi nous, des interprétations erronées de cet
enseignement. Ainsi, même après avoir étudié — ou longuement discuté — paticcasamuppada, nous
sommes souvent incapables de le mettre en pratique ou, pire encore, nous nous éloignons
davantage de la pratique correcte. L’interdépendance est donc réellement un sujet difficile à
aborder.
Quand on enseigne la vertu morale, il est nécessaire de s’exprimer comme si les êtres
vivants existaient vraiment, comme si des personnes, des « individus » et le Tathāgata[4] lui-
même existaient. Il est alors logique, dans ce contexte, de dire que les gens doivent gagner des
mérites pour en recevoir le bénéfice après leur mort. Mais, quand il enseigne la vérité ultime, le
Bouddha parle des êtres sensibles, des individus et duTathāgata lui-même comme n’ayant pas de
réalité propre : il n’existe en fait qu’une série d’événements interdépendants qui apparaissent
puis disparaissent. Chacun de ces événements s'appelle paticca-samuppanna-dhamma (événements
qui apparaissent du fait de la loi des causes et effets) et on les appelle paticcasamuppada quand
ils sont reliés entre eux. A aucun moment, dans ce cycle, il n'est possible de parler de « quelqu'un
» ou d'un « soi », pas même dans l'instant présent. Ainsi nul n'est né et nul ne mourra pour
recevoir les conséquences de ses actions passées (kamma), contrairement à ce qui est dit dans la
théorie éternaliste. Mais il n'y a pas non plus de mort qui soit une disparition totale, comme dans
la théorie nihiliste (uccheda-ditthi) car, après cet instant présent, il n'y a personne qui puisse
être annihilé. Etre ici et maintenant, c'est l’interdépendance de la voie du milieu et de la vérité
ultime. Cette loi va de pair avec le Noble Octuple Sentier — la voie du milieu que l'on peut même
appliquer dans les questions de morale.
En général, les gens s'accrochent à la voie de la morale parce que leurs bonnes actions
leur donnent bonne conscience. Cela peut durer tant que les causes et les conditions de leurs
bonnes actions ne changent pas. Mais quand les circonstances évoluent, qu'elles manifestent leur
impermanence et leur absence d'essence propre (anattā), qu’elles deviennent souffrance ou
insatisfaction (dukkha), le refuge de la morale ne suffira plus. Pour alléger le sentiment
d'insatisfaction qui ne fera que croître, il deviendra nécessaire de se tourner vers la vérité
ultime telle qu'elle est exprimée dans la loi d’interdépendance. Autrement dit, il est
indispensable que notre esprit se situe au-delà de la croyance en un « moi » qui existe et
qui possède, au-delà même des notions de bien et de mal, de mérite et de démérite, de
plaisir et de douleur. Il sera ainsi possible d'éliminer complètement l'insatisfaction et la