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LA SOCIÉTÉ PROVANCHER D’HISTOIRE NATURELLE DU CANADA
PERTURBATIONS ET DYNAMIQUE
dominés par les peuplements matures et surannés, soit ceux
âgés de 70 à 140 ans, comme l’ont si bien décrit nombre
de forestiers avant 1960 (Leblanc et Bélanger, 2000). Cette
abondance de forêts résineuses matures ainsi que la présence
de rivières importantes expliquent que la sapinière boréale
de l’Est a constitué la base historique pour le développement
de l’industrie des pâtes et papiers au Québec.
Une faune diversifiée à l’échelle locale
Tout laisse croire que dans les sapinières matures et
surannées primitives morcelées de trouées en régénération,
la faune se caractérisait par l’imbrication à l’échelle locale (10
à 50 km2), des divers groupes fauniques associés ailleurs
dans la forêt boréale canadienne, à des stades de dévelop-
pement différents de la végétation. Encore aujourd’hui, on
trouve dans le petit territoire qu’est la Forêt Montmorency
cet ensemble d’espèces. De façon schématique, cinq chaînes
trophiques importantes se côtoyaient :
• La sapinière mature et surannée représentait un habitat
optimum pour la martre d’Amérique (Martes americana).
On considère que l’ensemble de la réserve faunique des
Laurentides supporte toujours des densités moyennes de
martre et l’on y rapporte des succès de capture de l’ordre
de 1,5 martre/100 nuits-pièges (Banville, 1983 ; Fortin et
Cantin, 1990). Dans un secteur non coupé de cette réserve,
Clément Fortin (ministère de l’Environnement et de la
Faune, Direction régionale de Québec, 1996, comm. pers.)
a même obtenu un succès de capture de 12 martres/
100 nuits pièges. Ces populations abondantes sont sup-
portées par des populations également importantes de
campagnol à dos roux de Gapper (Clethrionomys gap-
peri). Beauchesne (1991) rapporte des succès de capture
de 36 campagnols à dos roux/100 jours-pièges dans des
sapinières matures, et Gagné (1997) des succès de 39 cap-
tures/100 jours-pièges dans de jeunes peuplements établis
à la suite d’une épidémie de tordeuse. Ces indices de den-
sité comptent parmi les plus forts jamais rapportés pour
cette espèce dans la littérature.
• Les trouées de perturbations occupées par de jeunes peu-
plements (plus de 4 m de hauteur et plus de 20 à 25 ans)
ainsi que les peuplements surannés en décrépitude répon-
dent aux besoins du lièvre d’Amérique (Lepus americanus)
(Alvarez,1996 ; Guay, 1994 ) et, donc, à ceux des nombreux
prédateurs qui en dépendent dont le lynx du Canada (Lynx
canadensis) (Parker, 1983), le renard roux (Vulpes fulva) et
le grand duc (Bubo virginianus).
• L’entremêlement des peuplements matures et jeunes four-
nit un habitat pour l’orignal (Alces alces) et par conséquent
pour le loup (Canis lupus).
• La paruline à poitrine baie (Dendroica castanea), une
espèce migratrice, et la mésange à tête brune (Parus hud-
sonicus), une espèce résidante, sont représentatives de la
faune ailée insectivore distinctive de la sapinière boréale
(Erskine,1977 ; Drolet,1997). Les oiseaux forestiers de la
sapinière boréale se caractérisent également par des explo-
sions de populations lors des épidémies de tordeuse des
bourgeons de l’épinette.
• Dans les territoires montagneux précambriens où se
trouve la Forêt Montmorency, les eaux oligotrophes se
distinguent par des populations allopatriques (une seule
espèce) de l’omble de fontaine (truite mouchetée) (Salve-
linus fontinalis) (Cantin, 2000).
Cadre de gestion adaptative :
une approche combinée forêt / faune
L’aménagiste forestier sera toujours confronté à
une bonne dose d’incertitude quant aux impacts à long
terme de ses pratiques sur la biodiversité. La philosophie
d’aménagement de la Forêt Montmorency tient donc compte
que nos connaissances en la matière sont limitées et, qu’en
conséquence, une gestion responsable doit s’appuyer sur
une évaluation continue de la performance et des impacts
environnementaux de nos stratégies d’aménagement. La
mise en place d’un programme de recherche à long terme en
constante rétroaction avec la gestion est indispensable pour
assurer cette amélioration continue.
Le cadre de gestion retenu pour élaborer notre stra-
tégie de conservation de la biodiversité comporte deux volets
complémentaires : (1) l’établissement d’une mosaïque cible
et (2) un suivi pour vérifier les effets sur les communautés
fauniques des mosaïques effectivement créées sur le terrain.
Une mosaïque cible
Le cœur de la démarche est la détermination d’une
«mosaïque cible» qui doit servir de référence pour planifier
la nature, la répartition et la dimension des coupes. Cette
mosaïque «idéale» doit guider les interventions afin d’assu-
rer une représentation adéquate des divers écosystèmes à
l’échelle du paysage. Les caractères spécifiques de la forêt
primitive ainsi que l’éventail historique de variabilité de ses
paysages sont deux critères intéressants pour concevoir ini-
tialement cette mosaïque cible.
Le suivi faunique
Le point faible du principe du filtre brut est de déter-
miner ce que représente au juste une quantité suffisante de
chaque écosystème. D’où la nécessité de contrôler l’impact
réel des interventions forestières sur la faune, la biodiversité
et la qualité des habitats. Par un suivi de certaines espèces
cibles judicieusement sélectionnées, que ce soit des espèces
vedettes, représentatives ou des groupes indicateurs, on
essaie de déterminer les répercussions des mosaïques créées
par notre aménagement sur les communautés fauniques.
L’évaluation des impacts de ces mosaïques sur les espèces
cibles doit permettre d’ajuster le modèle d’aménagement
initial.