NOUVELLE RHETORIQUE ET DROIT NATUREL 7
question de la saisir exhaustivement. Pou r un philosophe réa-
liste, la vé rité ne peut jamais ê tre qu'un o bjet de recherche,
d'approche plus ou moins imparfaite. Elle n'est qu'un pôle in -
accessible.
En effet la chose réelle, nous ne saurions e n p e rce voir ja -
mais que des parties. Comme disait Husserl, o n n e ve rra ja -
mais d'un cube que tro is de ses côtés su r six, que des « p ro-
fils», que des aspects. E t encore l'exe mple de Husserl est in -
suffisant. U n cube e st u n o b je t abstrait e t géométrique, qu e
je puis concevoir exhaustivement en le construisant. L a mu l-
titude des aspects est beaucoup plus considérable, e t infinie ,
s'il s'agit d'un o bjet réel. E t donc, d isa it to ujo urs Husserl, i l
faut faire le tour pour approcher de la vérité sur la chose, sans
jamais l'atteindre — enfin c'est la la position d'un philosophe
réaliste — il faut confronter ces points de vu e divers que l'on
a sur la chose, dive rs et même inépuisables. Jamais nous n'en
aurons v u le tout.
Un des auteu rs q u i m'o n t aidé, a u mo in s j e l'ima g ine,
mieux comprend re l e s ra iso n s d e l a dia le ctiq u e — (p o u r
le moment je me permets une excursion très éloignée d u do -
maine du droit) — c'est Proust; Ma rcel Proust, q ui fu t le type
du spéculatif, inapte à l'action, insoucieux d'action. Je me rap-
pelle un e conversation avec u n spécialiste de Proust, e t tous
deux nous nous entendons p o u r classer Proust — ce qu i d 'ail-
leurs e s t aventureux — p a rmi le s adeptes d u réa lisme. J e
n'en mettrais pas ma ma in au feu, mais Proust, a vide de com-
prendre, d e saisir la vé rité d u monde, e n f a it inlassablement
le tour. Madame de Guermantes l u i apparaît sous d ive rs as-
pects successifs: u n e châtelaine médiévale, descendante d e
Geneviève de Brabant, une mondaine élégante, spirituelle, une
épouse trompée, une sotte. I l décrit tous le s changements de
la me r à Cabourg, désespérant de se fa ire de ces choses une
Idée unique. Finalement i l n ' y a rrive ra pas, o u c'e st a ille u rs
qu'il trouve ra ce q u 'il appelle l'essence du réel.
Cet exemple éta it imparfait. Parce que Proust est u n so li-
taire, un de ces écrivains modernes qui travaillen t seuls, h o m-
mes du nord, des climats froids; il tra va illa it dans une chambre
tapissée de liège, et ne pratiquait — comme je l'a i lu quelque