LETTRE SCIENTIFIQUE
4!Physiologie Cellulaire & Végétale
Chez tous les orga-
nismes vivant, la
biotine ou vitamine
B8 est un cofacteur
essentiel pour un petit nombre d’enzymes du
métabolisme C1 (transfert d'unités mono-
carbonées) impliquées dans des processus
métaboliques cruciaux comme la synthèse
des acides gras ou le métabolisme des acides
aminés. Chez les mammifères, la biotine est
également impliquée de différentes manières
dans la régulation de l’expression des gènes,
en particulier au travers d’une voie de signa-
lisation en cascade dépendante du GMPc.
Cependant, en dépit de ses fonctions impor-
tantes, la biotine est synthétisée uniquement
par les bactéries, certains champignons et les
plantes. Les animaux, dont l’Homme, doi-
vent puiser cette vitamine dans leur alimen-
tation. Aussi, l’inhibition d’enzymes clé de
la voie de biosynthèse de la biotine est une
stratégie prometteuse pour le développement
de nouveaux antibiotiques, fongicides et her-
bicides.
Chez les bactéries, les principaux gènes de la voie
de biosynthèse de la biotine sont organisés en un
opéron. Ce type d’organisation structurale des
gènes en opérons n’existe pas chez les plantes où
les gènes de la voie de biosynthèse de la biotine
sont dispersés dans le génome. Seuls, les gènes
BIO3 et BIO1 sont adjacents chez toutes les plantes
dont le génome a été séquencé à ce jour et codent
deux étapes successives de la voie de synthèse
(Figure 1). Chez la plante modèle Arabidopsis tha-
liana ces gènes codent une protéine fusion BIO3-
BIO1 et certaines observations suggèrent que l’ori-
gine de ce gène bifonctionnel provient de la fusion
de deux gènes procaryotiques, fusion qui serait
survenue très tôt dans l’évolution des premiers
eucaryotes.
L’équipe Dynamisme du Métabolisme C1 du Labora-
toire de Physiologie Cellulaire & Végétale en col-
laboration avec le groupe Synchrotron de l’IBS a
biochimiquement caractérisé la protéine BIO3-
BIO1 d’Arabidopsis puis résolu sa structure tridi-
mensionnelle en l’absence et en
présence de ses différents ligands
(substrats, produits et cofacteurs)
(Figure 2). Cette étude montre qu’au
cours de la réaction, le DAPA (l’in-
termédiaire réactionnel des réactions
catalysées par l’enzyme) est transfé-
ré directement et rapidement du site
catalytique du domaine BIO1 où il
est synthétisé, vers celui du domaine
BIO3 où il est ensuite métabolisé en
desthiobiotine (le précurseur direct
de la biotine), sans diffuser dans le
milieu environnant. En l’absence des
autres substrats du domaine BIO3, le
DAPA produit est séquestré au ni-
veau du site BIO1, ce qui permet une
bonne coordination des deux réac-
tions.
La résolution de la structure de l’en-
zyme met en évidence la présence à
sa surface d’un sillon reliant les
deux sites catalytiques. Cette struc-
ture, absente en surface des enzy-
mes bactériennes correspondantes
(enzymes mono-fonctionnelles),
pourrait constituer la voie de pas-
sage du DAPA. Pour tester cette
hypothèse les chercheurs de l’équipe ont substitué
certains acides aminés situés au fond de ce sillon
par d’autres, plus volumineux, afin d’entraver le
cheminement du DAPA. Ces mutations ont eu
pour conséquence d’empêcher la communication
des deux domaines fonctionnels et ont conduit à
un relargage et donc à une diffusion du DAPA
produit, réduisant ainsi de manière dramatique le
couplage des deux réactions catalysées par BIO3-
BIO1 et par conséquent l’efficacité catalytique du
système. Les deux domaines ayant des vitesses
catalytiques très différentes et la réac-
tion catalysée par le domaine BIO1
étant totalement réversible, un tel
mécanisme de «!channelling!» pourrait
constituer un moyen efficace d'empê-
cher cette réaction de fonctionner dans
le mauvais sens.
Il existe peu d’exemples documentés d’enzymes
bifonctionnelles catalysant deux étapes successi-
ves ou non d’une même voie de biosynthèse.
Ainsi, une vingtaine d'enzymes seulement sont
décrites chez les plantes, ces enzymes étant im-
pliquées essentiellement dans le métabolisme
des vitamines, des acides aminés et des lipides.
Rares sont celles cependant, tous règnes confon-
dus, à avoir été caractérisées de manière exhaus-
tive et très peu d’informations sont disponibles
sur les mécanismes réactionnels de ces enzymes,
notamment ceux permettant d’assurer le transit
des intermédiaires réactionnels d’un site cataly-
tique à l’autre. De telles informations sont pour-
tant essentielles à une meilleure compréhension
de la régulation des voies métaboliques impli-
quées, notamment dans l’optique d’optimiser
l’efficacité catalytique des enzymes qui la consti-
tuent afin d’améliorer les procédés de production
de molécules à haute valeur ajoutée, ou de per-
mettre le «!design !» d’inhibiteurs spécifiques à
des fins thérapeutiques ou phytosanitaires.
Mise en évidence d’un mécanisme de «!channelling!» dans
la voie de biosynthèse de la vitamine B8 chez les plantes
Référence
Cobessi D, Dumas R, Pautre V, Meinguet C,
Ferrer JL and Alban C. Biochemical and
structural characterization of the Arabidopsis
bifunctional enzyme DTB synthetase – DAPA
aminotransferase. Evidence for substrate
channeling in biotin synthesis. Plant Cell, 2012,
24(4): 1608-1625
Contact : Claude Alban
LPCV
Laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale
UMR 5168 - CEA - CNRS - UJF - Inra
Figure 1 : Réactions cataly-
sées par BIO3-BIO1. Le
domaine BIO1 catalyse la
réaction DAPA aminotranfé-
rase dépendante du PLP, à
partir de KAPA et d’AdoMet
comme donneur d’amine. Le
domaine BIO3 catalyse la
réaction DTB synthétase qui
est une carboxylation ATP-dé-
pendante. La desthiobiotine
étant le précurseur direct de la
biotine. AdoMet, S-adénosyl-
méthionine!; PLP, pyridoxal 5’-
phosphate!; KAPA, acide kéto
amino pélargonique !; DAPA,
acide diamino pélargonique !;
Figure 2 : Structure tridimensionnelle de l’enzyme bifonctionnelle BIO3-
BIO1 d’Arabidopsis thaliana. Sont visibles les deux domaines BIO1 et
BIO3, ainsi que des molécules de DAPA, l’intermédiaire réactionnel,
migrant du site BIO1 ou il est synthétisé vers le site BIO3 ou il sera
transformé en DTB, le précurseur direct de la biotine.
Un opéron est un groupement de gènes qui sont transcrits ensemble en ARN messager.
BIO1
BIO3
DAPA